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Les Taches de lOMC Ãvolution Et Dãfis
Les Taches de lOMC Ãvolution Et Dãfis
Thomas COTTIER*
1 Introduction
2 Du GATT à l’OMC : une évolution progressive
3 Les tâches principales de l’OMC
3.1 Activités de négociation
3.1.1 L’accès au marché et la réduction des droits de douane
3.1.2 L’élimination des obstacles non tarifaires
3.1.3 Harmoniser le droit afin de réduire la troisième génération d’obstacles
commerciaux
3.1.4 Les défis procéduraux
3.2 Surveillance, règlement des différends et mise en œuvre
3.3 Formation et renforcement des capacités
4 Conclusions
Summary
1 INTRODUCTION
L’OMC ne se borne pas à définir les conditions-cadres des règles internationales en
matière d’accès aux marchés tiers et des principes généraux de concurrence et de
politique commerciale extérieure. De plus en plus, le droit international, qui est
négocié, interprété et mis en œuvre au sein de cette organisation, fixe des paramètres
de la politique et du droit interne de ses Membres. Poursuivant le but de la
libéralisation des marchés nationaux ou régionaux, par exemple celui de la Commu-
nauté européenne, cette organisation doit tenir compte également des intérêts non
Cela dit, il ne faut pas ignorer les grands défis du droit réglant le commerce
mondial sur les plans pratique et théorique. Sur le plan pratique et économique, le
blocage actuel de la négociation agricole et les difficultés liées à la réalisation de la
protection de la propriété intellectuelle dans les pays moins avancés constituent des
problèmes importants. Sur le plan conceptuel et juridique, l’interface du droit de
l’OMC avec d’autres domaines et accords du droit international public reflète de
manière constante que le système du droit international classique a de la peine à
absorber la complexité normative de l’interaction des différents buts et politiques
économiques, de concurrence, de protection des droits de l’homme et de l’environ-
nement, de la politique sociale et de la sécurité globale. Dans la mesure où la
libéralisation des marchés fait des progrès, le besoin de développer des politiques et
règles d’accompagnement se manifeste. Sans recourir à une comparaison entre
l’OMC et la Communauté européenne en tant qu’union douanière, il est évident que
la libéralisation amène à une prolifération nécessaire de mesures d’accompagnement
(flanking measures) afin de stabiliser les résultats et la légitimité des règles et des
institutions par la réalisation d’une distribution équitable des fruits de la croissance
économique. Actuellement, l’OMC se trouve au seuil de cette évolution. Mais elle
est – comme tout le droit international public en général – mal préparée à cette
fonction. Elle n’est pas préparée à cela à l’intérieur du droit OMC. De plus, le droit
international public est basé sur la coexistence et la coopération et il lui manque dans
une large mesure la dimension de redistribution effective qui fait partie de l’intégra-
tion. Dans la mesure où ils existent, les différents réseaux et fora restent isolés et
fragmentés. À l’exception de la jurisprudence, notamment en matière de protection
de l’environnement, le système reste très lacunaire par rapport aux interfaces des
différentes organisations et accords à caractère international. Ces problèmes reflètent
en même temps le déficit de la doctrine qui, pendant trop longtemps, a contribué à
ignorer d’intégrer le droit commercial du GATT dans le corps du droit international
traditionnel – et vice versa. Le défi, qui se pose à cause du succès du GATT, suite à
la multiplication et la complexité croissante des règles et conditions-cadres dévelop-
pées en huit cycles de négociation dès les débuts du GATT en 1947, est formidable.
Ce projet ambitieux était en avance de cinquante ans sur son temps et se heurta
à la résistance du Congrès américain. Il ne devait trouver sa réalisation – et ce dans
une mesure limitée – qu’en 1995 avec la fondation de l’OMC. En lieu et place, on
élabora dès 1947, dans la perspective de cette évolution, les règles de politique
commerciale de la Charte de La Havane et on les rédigea sous la forme d’un Accord
général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), conçu à titre provisoire. Ce
dernier entra en vigueur le 1er janvier 1948 par un protocole qui le rendait provisoi-
rement applicable aux vingt-six Membres fondateurs. Cet accord est basé sur les
grands principes de la non-discrimination et de la transparence qui remplacent la
tradition bilatérale et le nationalisme économique de la période entre les deux grandes
guerres mondiales : (a) le principe de la clause de la nation la plus favorisée (NPF)
impose l’égalité de traitement de toutes les parties contractantes afin d’établir des
conditions de concurrence semblables pour tous les produits importés similaires ; (b)
le principe du traitement national exige que des produits importés et soumis à des
droits de douane ne soient pas désavantagés par rapport aux produits locaux
similaires sur le marché intérieur. Il s’agit dans ce cas de l’égalité de traitement entre
la production nationale et étrangère ; (c) les prescriptions sur la transparence et la
protection du droit visaient notamment les accords secrets de tradition européenne
et l’asymétrie y relative de l’information sur le marché.
Lors du processus de décolonisation, le nombre des États membres a augmenté
régulièrement pour être de 123 avant la dissolution du GATT en 1995. Ce n’est qu’en
1994 que les États contractants approuvèrent formellement la fondation de l’OMC
en tant qu’organisation de droit international. Les États membres du GATT provi-
soire de 1947 adhérèrent automatiquement à l’OMC, qui entra en vigueur en 1995.
Même si on observe la naissance formelle d’une organisation internationale nou-
velle, l’OMC reste fortement basée sur les traditions et l’expérience de la libéralisa-
tion graduelle du commerce international. Les interprétations faites par les groupes
spéciaux (panels) du GATT 1947 restent valables en tant que jurisprudence.
Néanmoins, on observe des changements profonds : le pilier traditionnel du GATT
1947 est élargi par une série de conventions et instruments additionnels. Un
deuxième et un troisième pilier sont ajoutés. L’accord général sur les services, le
GATS, établit des règles de base et le principe du processus de la libéralisation
progressive des services, à savoir le secteur devenu le plus important notamment dans
les pays industrialisés. L’accord sur la protection de la propriété intellectuelle,
l’ADPIC, définit, sur le plan mondial, le niveau de protection minimal pour les
différentes formes de droits de propriété intellectuelle et en matière de procédures
liées à la mise en œuvre de ces droits. L’introduction de la protection de la propriété
intellectuelle marque le point de départ du développement du système de libéralisa-
tion progressive vers un système des normes et standards. La nature des règles de
l’OMC a évolué vers des dispositions impératives globales, tout en renforçant les
tendances qu’on trouvait déjà dans les accords conçus dans le Tokyo Round sur les
subventions et l’anti-dumping. Cette évolution se trouve déjà – du point de vue
structurel – dans la deuxième génération de réglementations. L’accord sur les
subventions et l’accord destiné à lutter contre le dumping prévoient également des
Les tâches de l’OMC : évolution et défis 277
normes législatives minimales que les États membres doivent respecter. Cependant,
ce n’est qu’avec les accords sur la propriété intellectuelle, sur les services et les
marchés publics – qui ont été englobés par le droit de l’OMC à côté du GATT, en tant
que deuxième et troisième piliers – que le changement lié à la structure normative est
devenu évident. Ces nouveaux instruments dénotent par ailleurs que les politiques
extérieure et intérieure ne peuvent plus être séparées. La prise en compte des services
et de la propriété intellectuelle a abouti de manière décisive à renforcer l’attention qui
était portée à l’OMC et à intégrer un plus vaste public, dépassant la diplomatie
commerciale et les associations.
Finalement, c’est le règlement de différends qui a changé la nature du droit OMC
d’une manière radicale : ni l’établissement d’un groupe spécial (panel), ni la mise en
œuvre d’un rapport de l’organe d’appel ne peuvent être refusés. L’État membre, qui
s’abstient de corriger sa pratique ou son droit ayant été jugé incompatible par les
organes de l’Organisation, se trouve en face de mesures de rétorsion bien définies par
le droit de l’OMC.Cette organisation, nonobstant certains défauts, se caractérise par
le système de règlement de différends le plus efficace dans le domaine du droit
international public.
Ces mutations au niveau de la substance et de la structure expliquent également
les différences entre l’ancien GATT et le droit de l’OMC, et leurs répercussions sur
le droit international et les relations internationales en général. Le GATT n’était
guère connu au-delà de la diplomatie commerciale et des cercles directement
intéressés, même si la politique commerciale revêtait déjà une importance indéniable
pour l’ensemble de la politique économique. L’OMC se trouve aujourd’hui, à tort ou
à raison, au centre des débats sur la mondialisation et ceci sans qu’il n’y ait toujours
une bonne connaissance du contenu et des fonctions du droit en question.
de valeur ajoutée dans les différents domaines, notamment les mesures non tarifaires,
la propriété intellectuelle et les services, il sera difficile de faire des progrès dans la
question de l’accès au marché en la matière. C’est pour cela qu’une grande partie des
règles en matière agricole ont commencé à dépasser ce volet classique pour englober
également le domaine des mesures non tarifaires et de l’harmonisation du droit
proprement dit.
Ces problèmes structurels de la libéralisation ne se limitent toutefois pas à
l’agriculture. Le recours aux mesures anti-dumping et de sauvegarde par un nombre
croissant d’États risque de neutraliser les progrès acquis dans le domaine de
l’abaissement des tarifs. Il nous semble que le prix à payer de la libéralisation tarifaire
réside dans le recours à ces instruments coûteux. Peut-être faudra-t-il développer une
nouvelle théorie de protection optimale tarifaire, afin d’éviter l’utilisation accrue
d’instruments peu prévisibles. Il faut relever que l’OMC n’est pas un accord de libre-
échange. Il vise à éliminer le protectionnisme et à libéraliser les échanges tout en
cherchant un équilibre entre les différents objectifs politiques légitimes en cause. Les
recours répétés aux mesures de sauvegarde pourraient indiquer que l’équilibre actuel
devrait être réexaminé.
Cependant, il est tout aussi important que le droit de l’OMC acquière sur le plan
mondial, dans la formation universitaire, sa juste place. La mutation structurelle du
droit et la séparation – irréalisable à court terme – du droit commercial international
et des autres domaines du droit exigent une formation intégrée, qui permettra
également dans d’autres organisations, dans les ministères, dans l’économie privée,
les études d’avocat et les tribunaux, de réunir les ressources ayant trait à cette
évolution dynamique du droit. À ce stade, il y a peu de contacts réguliers entre
l’Organisation, les États membres et les milieux académiques. À défaut d’influence
politique, il y a peu d’intérêt à les inclure dans les opérations de formation et de
recherches. Au lieu de suivre la négociation, le monde universitaire ferait mieux de
s’occuper du long terme et de développer les concepts qui pourront influencer, le
moment venu, la négociation. Sauf pour la critique et les commentaires de la
jurisprudence des organes judiciaires, le partenariat entre l’OMC et le monde
universitaire reste un défi important.
4 CONCLUSIONS
L’ordre économique mondial s’est fortement modifié au cours de ces dernières
cinquante années. On est graduellement passé d’un accord douanier limité (GATT)
à un ensemble de règles hautement complexes, placées sous l’égide de l’OMC.
Celles-ci ne se réfèrent pas seulement aux trois secteurs de l’économie (agriculture,
industrie et services), mais reflètent également une convergence matérielle crois-
sante entre le droit commercial classique et d’autres tâches et domaines politiques,
comme la protection de l’environnement, les normes sociales ou le droit de la
concurrence. Le droit régional et national s’en trouve en même temps influencé de
manière beaucoup plus profonde qu’auparavant.
Les tâches multiples de l’OMC et de son droit international se concentrent sur
trois domaines : la négociation, le règlement des différends et la formation. Ces
domaines sont étroitement liés. Chacun pose des défis substantiels.
Nous concluons par le constat que les modes de négociations sous forme de
cycles se prêtent bien dans les domaines d’accès au marché des biens industriels et
des services. Ils ont leurs limites dans les domaines du rule-making, notamment dans
les domaines où la libéralisation demande des conditions-cadres et des mesures
d’accompagnement. Ceci est essentiellement le cas pour la négociation portant sur
le commerce agricole. À travers les différentes générations d’obstacles tarifaires et
non tarifaires, l’agriculture et le commerce agricole présentent le défi principal dans
le processus de globalisation dans l’agenda de Doha. On a vu que les problèmes liés
à ce secteur ne se limitent pas à la négociation agricole proprement dite, mais se
trouvent également au centre des mesures non tarifaires de la propriété intellectuelle.
Ils touchent aux services et aux problèmes liés à l’environnement. Le défi principal
reste le secteur primaire.
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