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SUJET :

LE DROIT NON-ETATIQUE EN DROIT DU COMMERCE


INTERNATIONAL PRIVE

Séminaire de Doit du Commerce International

Travail effectué par :


Rym BOULAABI
Nour ESSGHIR
Rania DHAOUI
Radhia AROUAY

Année universitaire : 2023-2024

SOMMAIRE :

1
Introduction

I. Détermination du droit non étatique dans le commerce

international

A. Sources du droit non étatique

B. Caractères du droit non étatique

II. Application du droit non étatique dans le commerce

international

A. Champ étendu du droit non étatique

B. Champ limité du droit non étatique

INTRODUCTION

« Hier encore critique comme symptôme ou facteur de l’affaiblissement de l’état et


de norme, aujourd’hui salué comme phénomène omniprésent en droit, le droit souple
s’est imposé ».1

1
Bénédicte Fauvarque-Cosson, « Règles Impératives Et Instruments De Droit Souple », Mélanges
en L’honneur du Professeur, Pierre Mayer, Liber Amicorum, Lextenso, Édition LGDJ.p,195.

2
Dans un paysage juridique en pleine évolution, le droit du commerce international se
trouve à l'intersection de multiples systèmes et influences, questionnant
profondément la structure traditionnelle des normes juridiques et la manière dont
elles régulent les échanges économiques transnationaux. Cette interrogation
fondamentale nous pousse à explorer la place réelle et le rôle potentiel du droit non
étatique dans l'architecture globale du commerce international, une exploration qui
dévoile des aspects essentiels de la nature du droit dans un contexte transnational et
interroge la capacité des systèmes juridiques traditionnels à s'adapter à un marché
mondial en constante évolution.

Le commerce international, dans sa dynamique actuelle, est bien plus qu'un simple
échange de biens et de services; il est le symbole vivant de l'interconnexion
croissante des économies à l'échelle mondiale. La mondialisation, en tant que moteur
de ces échanges, catalyse l'interaction entre diverses cultures juridiques,
économiques, linguistiques et politiques, forgeant un environnement où les
transactions dépassent les frontières et les cadres juridiques nationaux. Dans ce
contexte, le droit du commerce international, en tant que branche spécialisée du droit,
doit non seulement faciliter mais aussi réguler efficacement ces échanges complexes
et diversifiés.

Le commerce international se manifeste sous deux formes distinctes mais


interconnectées : le commerce international public et le commerce international privé.
Le premier fait référence aux échanges régulés par les gouvernements 2 et les
organisations internationales, où des entités comme l'OMC jouent un rôle crucial
dans la structuration des politiques commerciales et des accords. Le commerce
international privé, quant à lui, concerne les transactions menées par des acteurs

2
[Exemple le « contrat de Bot », (Built Ordre Transfer) est une forme de contrat de concession qui
permet à une entité publique la réalisation d’une infrastructure. C’est un contrat de droit
international qui est aujourd’hui largement privilégié lorsqu’un état notamment un ped souhaite se
doter d’une infrastructure lourde (aéroport, barrage, autoroute). Ce contrat fait interagir un état et un
opérateur privé. Ce contrat est soumis à des règles particulières de droit privé. Le Cambodge a
construit toutes ses infrastructures par ce type de contrat]
3
privés, et se caractérise par sa propension à la flexibilité, à l'autonomie contractuelle
et à l'adaptation aux spécificités des marchés.

Historiquement, le droit étatique a constitué le socle normatif régissant les relations


commerciales internationales. Cependant, avec l'accélération des échanges mondiaux
et l'émergence de nouveaux paradigmes économiques, des formes alternatives de
régulation juridique ont commencé à voir le jour, remettant en question la
prééminence et l'adéquation du cadre juridique étatique traditionnel. Parmi ces
formes alternatives, on trouve notamment le droit non étatique, qui regroupe un
ensemble hétérogène de normes, de principes et de pratiques élaborés en dehors des
structures juridiques étatiques traditionnelles. Le contrat sans loi, par exemple,
illustre une quête d'autonomie contractuelle où les parties s'efforcent de créer un
cadre normatif propre, indépendamment des législations nationales.

Le droit non étatique émerge comme une réponse adaptative à la complexité et à la


diversité des transactions commerciales internationales privées. Il représente un
corpus de normes, souvent développées et appliquées par des entités privées ou des
organisations internationales, qui régissent les relations commerciales au-delà des
cadres traditionnels étatiques. Cette catégorie de droit, avec ses caractéristiques
transnationales3, souples et a-nationales, prend en compte les normes de l'industrie,
les standards contractuels généraux, et les principes juridiques établis par des entités
non gouvernementales, répondant ainsi aux exigences spécifiques du commerce
international.

Face à l'inefficacité ou l'inaccessibilité des systèmes judiciaires étatiques, et en


réponse à des besoins juridiques qui transcendent les frontières nationales, des
juridictions non-étatiques ont commencé à émerger. Ces juridictions offrent des
alternatives pour la résolution de conflits et reflètent les réalités transnationales,
régionales ou sectorielles spécifiques. Elles se manifestent à travers des mécanismes

3
Jean Michel Jacquet, Philippe Delebecque, Sabine Corneloup, Droit Privé, Droit du Commerce
International,1 Édition Précis, Dalloz,2007, p53.
4
tels que l'arbitrage privé, la médiation, ou encore des systèmes de justice propres à
certaines communautés ou secteurs.

De surcroît, le droit non étatique, est souvent considéré comme le domaine privilégié
pour l'expression d'un ordre juridique autonome et détaché des États. Cette "loi des
marchands", avec ses usages commerciaux et ses principes portés par les opérateurs
du commerce international, soulève la question de savoir si le droit du commerce
international n'est pas en lui-même une manifestation d'un ordre juridique propre,
autonome et transnational.

Ainsi, le droit non étatique dans le commerce international représente une réponse
innovante et adaptative aux défis posés par la mondialisation et l'interconnexion
économique. Son étude et sa compréhension sont cruciales pour naviguer
efficacement dans le paysage complexe du commerce international, offrant ainsi des
perspectives pour une régulation plus souple, plus inclusive et potentiellement plus
équitable des échanges commerciaux à l'échelle mondiale.

L'évolution du droit non étatique, traverse trois phases significatives. Initialement,


durant le Moyen âge, elle se manifeste comme un ensemble de règles et principes
établis par les commerçants, répondant aux besoins pratiques du commerce
transfrontalier. Puis, au début du XXe siècle, sous l'impulsion des organisations
internationales et des institutions privées, émerge une "New Lex Mercatoria"4,
caractérisée par sa flexibilité et son adaptabilité aux exigences du commerce
international moderne. La phase récente, baptisée "New New Lex Mercatoria",
marque une ère de privatisation normative avec l'introduction de cadres juridiques
sophistiqués tels que les Principes d'Unidroit, les Principes du droit européen des
contrats, et les Principes OHADAC. Cette évolution traduit une mutation profonde
dans la perception du droit transnational et du contrat sans loi, remettant en cause les

4
A ce titre, c’est la doctrine anglo-saxonne qui a distingué les étapes consecutives dans l’existence
de la Lex Mercatoria ; N. HATZIMIHAIL « The many lives- ans faces- of the Lex Mercatoria :
History as genealogy in international buisnes law », Law ans Contemporary problems, 2008, p.169,
(http://scholarship.law;duke;edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1484&context=lcp)
5
paradigmes juridiques traditionnels et la souveraineté étatique dans la création
normative.5

La portée de l'analyse du droit non étatique dans le commerce international est


cruciale pour une compréhension approfondie des dynamiques juridiques qui
transcendent les frontières nationales. Cette exploration n'est pas seulement
académique; elle a des répercussions concrètes et significatives dans le monde réel du
commerce et de la régulation internationale. En examinant les implications de ces
mécanismes juridiques alternatifs, on ouvre la porte à une coopération transnationale
renforcée et à une flexibilité accrue, répondant ainsi aux besoins spécifiques et
diversifiés des acteurs économiques.

Au cœur de cette analyse se trouve la reconnaissance de l'influence croissante des


entités non étatiques, telles que les entreprises multinationales, les organisations
internationales, et les groupes de la société civile, dans la création, la régulation, et
l'application des normes commerciales internationales. Ces acteurs, par leur agilité et
leur capacité à opérer au-delà des cadres juridiques nationaux, apportent une
dimension additionnelle et essentielle à la compréhension des pratiques commerciales
internationales. Leur rôle dans la formation du droit non étatique démontre une
évolution significative dans la manière dont les règles du commerce international sont
façonnées, mettant en lumière une perspective holistique et multidimensionnelle du
droit international.

D'un point de vue concret, l'intégration de ces normes non étatiques dans l'arsenal
juridique des professionnels et des acteurs économiques offre une multitude
d'avantages. La familiarisation avec ces normes, règles, et mécanismes permet une
gestion des risques plus précise, une optimisation des contrats, et une résolution plus
efficace des litiges. Elle confère également aux entreprises une adaptabilité accrue,
leur permettant de naviguer avec aisance à travers différentes cultures juridiques et

5
AHMADI Thouraya, « les mutations du contrat sans loi, contribution à l'étude de l’évolution
récente du droit non étatique», Thèse de doctorat en droit,Faculté de Droit et des Sciences
Politiques de Tunis, soutenance publique le 07 janvier 2022 ; p.18.

6
réalités commerciales, un atout incontestable dans l'économie mondialisée
d'aujourd'hui.

Par ailleurs, cette analyse encourage la mise en œuvre de pratiques commerciales qui
respectent les normes éthiques et les principes de développement durable. En tenant
compte des normes non étatiques axées sur la responsabilité sociale des entreprises,
les acteurs économiques sont mieux préparés pour répondre aux attentes sociétales et
participer activement à la construction d'un commerce international plus responsable
et durable.

En somme, l'étude du droit non étatique dans le commerce international ne se limite


pas à une exploration académique; elle est un vecteur de compréhension et d'action.
Elle éclaire les voies par lesquelles le commerce international peut être façonné de
manière à être plus réactif, responsable, et adapté aux défis du XXIe siècle, offrant
ainsi un cadre qui non seulement accompagne mais aussi guide l'évolution du
commerce dans un monde de plus en plus interdépendant.

Quelle est la vocation du droit non étatique à régir les relations du commerce
international ?

Le droit non étatique, avec ses normes émergentes et ses pratiques innovantes, offre
une réponse adaptative aux défis posés par la mondialisation, ce qui permet de
déterminer le contenu du droit non étatique dans le commerce international (I) et de
vérifier son efficience par l’étendue de son application (II).

I/ Détermination du droit non étatique dans le commerce


international
La détermination du droit non étatique s’effectue de par l’originalité de ce droit par ses
sources (A) ses caractéristiques (B).

A ) Sources du droit non étatique


Les sources sont diverses et diversifiées, elles peuvent s’agir des usages (1), des contrats (2),
des principes généraux du droit (3) et de la lex mercatoria. (4)
7
1 ) Les usages source du droit non étatique
Le rôle des usages est reconnu par la plupart des droits nationaux. Ils ont une place
croissante dans le commerce international en raison de l’importance de la pratique
contractuelle internationale. Le développement des usages est dû aux défaillances étatiques,
en particulier les carences législatives et a la multiplicité des règles nationales d’ailleurs
souvent procédés par la pratique.6
Il est nécessaire de faire la distinction entre les usages de droit de commerce international
qui ont une portée qui dépasse le cadre des parties contractantes afin de correspondre a une
répétition de pratiques alors que les usages conventionnels sont envisagés que sous l’angle
des relations d’affaires entre parties .
L’Uniform Commercial Code américain7 en son article 1.205 décrit l’usage des parties
comme étant « une série d’agissements antérieurs entre les parties a une transaction qui
peuvent être raisonnablement considérés comme établissant entre elles une base commune
d’interprétation de leurs expressions et de leurs actes ». Ce type d’usage correspond alors
aux habitudes établies entre deux contractants dans leurs relations d’affaires. Dans le
domaine de la vente, la convention de la Haye du 1er juillet 1964 8 est un exemple type de
l’applicabilité des usages du commerce international en prévoyant en son article 9 « les
parties sont liés par les usages auxquels elles sont référées, expressément ou tacitement et
par les habitudes qui se sont établies entres elles ; elles sont également liées par les usages
que des personnes raisonnables de même qualité, placées dans leur situation, considèrent
comme normalement applicables à leur contrat ».
L’usage du commerce est définit par le Code de commerce uniforme comme étant « une
pratique ou une habitude observée si régulièrement dans un lieu, une profession ou une
branche du commerce que l’on peut s’attendre à ce qu’elle soit observée dans la transaction
en question (..) ».
Cependant, l’usage du commerce a pour particularité de déborder le cercle étroit des deux
contractants, il vise les opérations semblables et susceptibles de s’y reproduire, mais cette
conception a été niée en raison de la réserve toujours possible de la volonté contraire des

6
Lefebvre Dalloz, « Droit du commerce international », 8ème édition, p.12.
7
Uniform Commercial Code : loi-type visant à uniformiser le droit de la vente et le droit des transactions
commerciales dans tous 50 États des États-Unis.
8
Convention de la Haye du 1er juillet 1964 loi uniforme portant sur la vente internationale d’objets mobiliers
corporels.
8
parties9. Cette genèse a connu plusieurs critiques, vu que le prétendu consentement à l’usage
est tout sauf son exclusion ponctuelle justifiée par le principe de la liberté contractuelle et
s’expriment sous la forme d’une dérogation assumée d’un commun accord ou désaccord de
l’une des parties au moment de la conclusion de l’acte.
Il est ainsi difficile d’admettre que les usages du commerce international sont des règles de
droit, mais malgré cela, ils ont une certaine « valeur supérieure aux simples stipulations
contractuelles ».
La codification des usages est envisagée par de nombreux organismes professionnels dont la
chambre de commerce international qui a un rôle fondamental, parmi ses réalisations se
trouve les ‘Incoterms’ (International Commercial Terms)10 ou encore les ‘Règles ou usances
uniformes relatives aux crédits documentaires’.
Aux termes de l’article 1135 du Code civil Français « les conventions obligent, non
seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage et la
loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
La convention de Vienne de 1980 prévoit une règle dans le domaine de la vente en son
article 9 prévoyant que « Les parties sont liées par les usages auxquels elles ont consenti et
par les habitudes qui se sont établies entre elles.
Sauf convention contraire des parties, celles-ci sont réputées s’être tacitement référées dans
le contrat et pour sa formation à tout usage dont elles avaient connaissance ou auraient dû
avoir connaissance et qui, dans le commerce international, est largement connu et
régulièrement observé par les parties à des contrats de même type dans la branche
commerciale considérée ».
Le domaine de l’arbitrage connait également certains textes dont l’article 7 de la Convention
européenne sur l'arbitrage commercial international « A défaut d'indication par les parties du
droit applicable, les arbitres appliqueront la loi désignée par la règle de conflit que les
arbitres jugeront appropriée en l'espèce. Dans les deux cas, les arbitres tiendront compte des
stipulations du contrat et des usages du commerce ». Aussi que l’article 28 al.4 de la loi
type de la CNUDCI sur l'arbitrage commercial international « Dans tous les cas, le tribunal
arbitral décide conformément aux stipulations du contrat et tient compte des usages du
commerce applicables à la transaction ».
9
Jean Michel Jacquet, Philippe Delebecque, Sabine Corneloup, Droit Prive, Droit du Commerce
International,1 Edition Précis, Dalloz,2007
10
International Commercial Terms ; Un terme normalisé qui sert à définir les droits et devoirs des acheteurs
et vendeurs participant à des échanges internationaux et nationaux.
9
Malgré les multiples références, la valeur juridique des usages du commerce international
est controversée. Dans certaines idéologies, ce sont des normes coutumières, et pour
d’autres, ils sont mi-chemin entre la règle conventionnelle et la règle de de droit.

2 ) Les contrats source du droit non étatique


Le contrat crée des obligations spécifiques entre les parties impliquées, plutôt qu’il établit
des règles générales de droit. En théorie, il n'est pas approprié de classer les contrats parmi
les sources du droit, car ils sont soumis à ce dernier eux-mêmes. Suggérer qu'ils contribuent
à la formation du droit non-étatique, c'est-à-dire les considérer comme une source de droit à
part entière, suscite des controverses.
Parmi les divers rapports juridiques régis par les lois des États, seuls les échanges
commerciaux internationaux peuvent être structurés selon des schémas conceptuels élaborés
en dehors du cadre juridique étatique. Ces schémas peuvent inclure des pratiques établies
ainsi que des contrats utilisés dans des domaines où la législation est encore floue ou en
évolution.
Ils ne traduisent pas nécessairement une volonté d'échapper au droit étatique, mais plutôt
une réponse à l'incertitude quant aux sanctions sociales pouvant être appliquées à un
partenaire dans son propre pays.
Bien que les débats sur les fonctions du contrat soient vastes, il est généralement accepté par
les spécialistes du commerce international que le contrat peut être envisagé sous deux
formes principales, d'une part, étant un moyen de créer des normes entre les parties
individuelles, et d'autre part, un moyen de diffuser des pratiques sous forme de « contrats
types » ou de « clauses modèles ».
Dans le domaine de commerce international, les pratiques se diffusent rapidement au sein de
leur milieu d'origine pour être « mises en mémoire » et servir de modèle aux comportements
des contractant. Dans ce contexte, le contrat peut être considéré comme étant un procédé de
création de normes lorsque certains contrats se trouvent placés en situation de contrats
modèles par la « répétition spontanée qui s’effectue par des parties ayant connaissance du
contrat déjà conclu »11 ou la reproduction d’un modèle de contrat préconstitué par un
organisme professionnel. Les "contrats-types" peuvent être basés sur des pratiques
découlant de contrats individuels, et chercher à les standardiser en les intégrant dans un

11
J. M. JACQUET, P. DELEBECQUE, S.CORNELOUP, Op.cit, P.20.
10
modèle de contrat spécifique, ou une clause contractuelle spécifique, pour une situation
contractuelle donnée.
Malgré son impact et sa grande importance dans le droit du commerce international, cette
pratique ne saurait être assimilée à un usage, le modèle de contrat ne s’imposera pas à la
volonté des parties.

3 ) Les principes généraux du droit source du droit non étatique

Les principes généraux du droit sont considérés comme une source autonome du droit
international public, et leur application se fait en dehors du cadre d'une loi nationale. Ces
principes peuvent être issus du système juridique international, comme en témoignent les
principes généraux du droit international public, qui peuvent s'appliquer directement aux
contrats conclus entre un État et une personne privée. L'article 42 de la Convention CIRDI
fait référence aux "principes de droit international".
Certains principes généraux ont été établis par la jurisprudence arbitrale, tels que le principe
pacta sunt servanda, qui concerne la force obligatoire du contrat, le principe de la bonne foi
en matière d'interprétation et d'exécution du contrat, ainsi que le principe rebus sic stantibus,
qui autorise les arbitres à réviser un contrat ou permet aux parties de le renégocier en cas de
changement majeur dans l'environnement économique existant au moment de la conclusion
du contrat. Il y a également le principe de la mitigation of damages, selon lequel le créancier
d'une obligation non exécutée doit chercher à atténuer son dommage ou à minimiser ses
pertes. Ce principe est consacré par l'article 77 de la Convention de Vienne de 1980 sur la
vente internationale de marchandises, ainsi que par l'article 7.4.8 des Principes de droit
européen du contrat. Enfin, il y a le principe de l'estoppel, qui interdit de se contredire au
détriment d'autrui.
Certains de ces principes sont communs au droit interne et au droit international, tandis que
d'autres ont été développés par la doctrine, comme les "principes relatifs aux contrats du
commerce international", qui sont le fruit de l'Institut international pour l'unification du droit
privé.
L'observation des faits nous amène à reconnaître, que l'on regrette ou que l'on approuve, que
les lois des États doivent partager leur autorité avec les usages du commerce international,
ainsi qu'avec des principes transnationaux dont la sélection et le développement sont
soutenus par l'arbitrage international.

11
La coexistence entre les lois étatiques avec un système de normes propres au commerce
international, qui viendraient compléter le système étatique et dont les arbitres seraient les
principaux interprètes, aboutira à la création d'un ordre juridique distinct des règles du droit
étatique, où les normes appartiennent généralement au domaine du droit souple.
Les principes transnationaux ont pour caractéristique de former un agrégat à partir duquel
une multitude de solutions peuvent être déduites. Dans un système juridique déjà bien
développé, tel que celui d'un État, ces principes ont tendance à être perçus comme
l'expression d'une règle parfois implicite mais néanmoins présente à travers de nombreuses
applications concrètes. Leur mise en œuvre est rare car souvent peu nécessaire.12
Une règle transnationale est une règle établie pour être appliquée à certains types de
relations juridiques internationales, et dont les conditions d'élaboration sont indépendantes
des exigences des ordres juridiques internes ainsi que de l'ordre juridique international.
Contrairement aux usages, elles ne relèvent pas du droit spontané, car elles sont
généralement le résultat d'une procédure d'élaboration collective délibérée. Leur contenu et
leurs objectifs les distinguent partiellement des principes généraux.
La particularité des règles transnationales peut être attribuée à leurs auteurs, qui peuvent être
des organismes privés ou des organisations internationales, comme la CNUDCI et l'OCDE.
Le recours à la codification ne s'explique pas seulement par des raisons techniques, mais
également politiques. Prenons l'exemple des "Incoterms", déjà mentionnés, dont la
codification est réalisée par la Chambre de commerce internationale, un organisme privé.
Dans le droit du commerce international les principes auxquels les arbitres recourent ne
peuvent être que des principes premiers puisque leur application se fait en dehors du cadre
d'une loi nationale.
Mais ils ne sont pas créés par les arbitres qui les dégageront, plutôt d’une observation de la
convergence des droits nationaux. C'est ainsi par le recours à une recherche comparative que
les arbitres détermineront les principes qui leur sont nécessaires. Cette recherche
comparative ne saurait être limitée aux seuls droits avec lesquels le litige ou les parties sont
en contact. Elle doit être conduite à un niveau suffisant de généralité sans avoir besoin d'être
exhaustive.
Pourtant, l'existence de principes appliqués dans le cadre des arbitrages internationaux
soulève la question qu’appartiennent-ils ou non à un ordre juridique dont ils constitueraient
une composante essentielle ?
12
Cf. R. Rodière, “Les principes généraux du droit privé français », RID comp, 1985, n°spécial, p.309
12
4 ) La Lex mercatoria source du droit non étatique

La question de savoir si les usages et les principes du droit du commerce international


appartiennent à un ordre juridique distinct pose une difficulté majeure. La coexistence entre
les lois étatiques, souvent rares et insuffisantes, et un système de normes spécifiques au
commerce international, qui viendrait compléter le système étatique avec les arbitres en tant
que principaux interprètes, soulève la question de savoir s'il faut accepter l'existence d'un
ordre juridique détaché des règles étatiques. C'est ce que l'on appelle la lex mercatoria.
L'idée qu'il puisse exister un droit détaché de tout droit étatique a été abordée différemment
par deux camps : les "mercatoristes" et les "antimercatoristes". Pour les premiers, les lois
étatiques ont été créées pour régir les relations internes et ne prennent pas en compte les
exigences du commerce international. Ils soutiennent qu'un régime propre au commerce
international serait nécessaire, avec des normes détachées des droits nationaux pour
répondre à sa spécificité.
En revanche, pour les seconds, la lex mercatoria est considérée comme une construction
idéologique vague. Certains estiment même qu'elle n'existe pas, arguant qu'il n'y a pas
véritablement de société des opérateurs du commerce international. Selon ce point de vue, la
lex mercatoria ne constituerait pas un ordre juridique à part entière.
Le débat sur la lex mercatoria n'est pas simplement théorique. Dans le deuxième courant de
pensée, il serait impossible pour les parties de la désigner comme le droit applicable au
contrat, par exemple dans une clause d'electio juris, contrairement au premier courant qui le
permet.
Pour résoudre ce débat, il est nécessaire d'adopter une conception claire de la lex mercatoria.
Deux conceptions sont possibles : d'une part, la lex mercatoria est envisagée comme un
ordre juridique distinct, à côté de l'ordre juridique étatique, ce qui est difficile à accepter.
D'autre part, la lex mercatoria est considérée comme l'ensemble des règles du commerce
international établies par la pratique et approuvées par les jurisprudences nationales, comme
le reconnaît la Cour de cassation française. Cette deuxième conception ne pose pas de
difficulté majeure car les contrats qui en relèvent restent soumis à la loi d'un État.
Que l'on soit partisan ou non de la lex mercatoria, il est important de reconnaître que la
plupart des systèmes juridiques permettent aux parties recourant à l'arbitrage de choisir la
lex mercatoria.

13
Cependant, cette possibilité est soumise à l'autorisation des droits des États. En fin de
compte, il est impossible d'avoir un droit détaché de tout droit étatique. Même les sentences
arbitrales relatives aux contrats internationaux qui s'y réfèrent ne peuvent le faire qu'avec
l'accord des droits des États.

En définitive, ce droit spontané adapté aux besoins de la pratique revêt une importance
considérable en droit du commerce international, surtout dans le contexte actuel de
mondialisation des échanges. Cependant, il est à noter que les clauses d'élection de droit
portant directement sur la lex mercatoria sont rares en pratique.

B ) Caractères du droit non étatique

Le droit non étatique se caractérise par son affranchissement des frontières nationales (1), et
sa transnationalité (2). Ces caractères soulignent sa capacité à s'adapter aux dynamiques du
commerce international pour régir des relations au-delà des frontières nationales.

1 ) Caractère a-national
L'exploration étymologique revêt une importance intrinsèque permettant d'identifier le
caractère a-national. D’ailleurs le sens attribué au préfixe "a" prend une connotation
privatrice, signifiant un droit dénué de nationalité. Ainsi, le détour étymologique offre une
clarté conceptuelle en suggérant que le droit anational se caractérise par son absence
d'attachement spécifique à une nation.13
Etant dépourvu de nationalité, le droit non-étatique trouve son origine de manière logique en
dehors de l'activité législative ou normative d'un ordre juridique étatique. Cette
interprétation rigoureuse de l'étymologie anational conduit naturellement à écarter toute
assimilation au "transnational". En effet, ce dernier évoque la dynamique des règles créées,
marquant ainsi une diffusion au-delà des frontières étatiques. Ainsi, la distinction entre
"anational" et "transnational" se manifeste dans l'absence d'attachement à une nationalité

13
Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les rapports internationaux privés : contribution à l’étude des
fonctions du droit international privé. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017. Français. NNT :
2017PA01D009, p. 94.
14
spécifique pour le premier, tandis que le second renvoie à la propagation des règles au-delà
des limites étatiques.
Quant au terme "nation", dans son sens commun, désigne une communauté humaine
partageant divers éléments tels que l'histoire, la culture et la langue. Dans cette acception, la
nation se différencie de l'État, une institution ou organisation politique exerçant la
souveraineté populaire14. Les réflexions de M. MERLE sur le radical "nation", bien
qu'initialement liées à la notion de transnationalité, méritent d'être soulignées : le terme
"nation" n'a pas pour objectif d'établir une distinction avec l'État. Par conséquent, quelle que
soit la distinction potentielle entre "nation" et "État", elle ne revêt aucune pertinence, car les
termes "nation" et "État" partagent des significations de nature identique.
Le néologisme "anationalité" ou le qualificatif "anational" englobent une caractéristique
fondamentale partagée par toutes les manifestations identifiées du droit non-étatique. Les
Principes Unidroit, les Incoterms, les règlements fédéraux sportifs, le Code mondial
antidopage, entre autres, partagent tous cette nature anationale. Ces règles ne découlent pas
de l'activité législative ou normative d'un État. L'anationalité, dans ce contexte, ne signifie
pas nécessairement "sans nation",
mais plutôt que l'initiative de créer la règle ne relève en aucun cas d'un État-nation. Ainsi,
elle souligne le caractère indépendant de ces règles par rapport aux cadres normatifs
étatiques.

Privilégier le caractère "a-national" permet de se détourner du caractere "privé",


couramment employé pour décrire l'origine des règles créées. Bien que le caractère "privé"
soit approprié pour décrire le phénomène d'autorégulation impliquant des acteurs
strictement privés, il montre des limites lorsque l'on cherche à caractériser des règles créées
par des acteurs hybrides. Face à cette complexité, certains préconisent une interprétation peu
contraignante du caractère "privé". Cependant, dans le cadre de cet objectif spécifique de
clarification notionnelle, la préférence est donnée au caractère "anational". Cela permet

14
F. POIRAT, « État », in D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF,
Quadrige, 2003, p. 642 et s. Comp. G. CORNU, (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, Quadrige, 11e éd., 2016,
p. 678, Nation (sens 1), cite par Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les rapports internationaux
privés : contribution à l’étude des fonctions du droit international privé. Droit. Université Panthéon-Sorbonne
- Paris I, 2017. Français. NNT : 2017PA01D009, p. 95.
15
d'éviter les écueils potentiels liés à l'interprétation étendue du caractère "privé"15 et de mettre
en avant la nature indépendante des règles par rapport aux structures étatiques.
Par exemple les principes Unidroit et la lex mercatoria incarnent parfaitement le caractère
anational du droit non-étatique dans le contexte du commerce international.
En se référant aux Principes Unidroit, leur caractère anational se manifeste par le fait qu'ils
sont conçus pour être indépendants des frontières étatiques et s'appliquent uniformément
aux contrats internationaux, quel que soit le système juridique national. Ils créent ainsi un
cadre cohérent et standardisé pour régir les relations contractuelles transnationales,
transcendant les particularités propres à chaque État.
De même, la lex mercatoria, en tant que système juridique informel dans le commerce
international, démontre également son anationalité. Cette approche repose sur des normes et
des usages acceptés à l'échelle mondiale, échappant aux limites nationales. Elle reflète la
volonté des parties contractantes de se soumettre à des règles qui ne sont pas définies par un
État spécifique. Ainsi, ces exemples illustrent le caractère anational du droit non-étatique,
témoignant de sa capacité à fournir un cadre juridique harmonisé pour les transactions
internationales, indépendamment des frontières étatiques.

2 ) Caractère transnational
La formation du terme "transnational" constituée du préfixe "trans" s'inscrivant dans la
dimension macro-analytique du spatial, signifie "au-delà", "à travers", indiquant un
mouvement ou une dynamique entre deux objets spatialement situés, spécifiquement au-delà
de l'espace, du territoire ou d'une nation. Il exprime de manière concrète le franchissement
et, de manière abstraite, le dépassement des frontières nationales, des frontières étatiques,

15
A. RAYNOUARD, « Normes privées dans l’environnement juridique international (état des lieux) », RRJ
(cahiers de méthodologie juridique : les normes privées internationales), 2011-5, n° 25, p. 2195 et s., spéc. p.
2197 : « le caractère privé [...] semble entendu dans un sens très lâche, très peu restrictif, y compris lorsque
l’on se cantonne aux normes internationales » ; R. BISMUTH, « Une cartographie de la standardisation
internationale privée : tentative d’identification de l’objet et de ses enjeux », in R. BISMUTH (dir.), La
standardisation internationale privée : aspects juridiques, Larcier, Droit international, 2014, p. 9 et s., spéc.
n° 1.34, p. 25 : « La dimension “privée” peut donc se réduire dans ce contexte du caractère non
exclusivement public de la gouvernance de ces instances » (nous soulignons). Comp. G. FARJAT, «
Réflexions sur les codes de conduite privés », in Mélanges Berthold GOLDMAN. Le droit des relations
économiques internationales, Litec, 1982, p. 47 et s., spéc. p. 49 : « l’origine privée ou publique des codes de
conduite n’est pas un élément décisif. Les codes privés ne sont qu’une manifestation des phénomènes de
normalisation non étatique qui ne sont sans doute pas nouveaux, mais qui ont longtemps été “occultés” par la
doctrine dominante parce qu’ils sont contraires au droit positif des sources et plus encore à l’idéologie
officielle. Enfin, on assiste à la multiplication de situations “mixtes” du point de la distinction du droit public
et du droit privé ».
16
illustrant ainsi le concept de transnational au-delà d'une nation, d'un État ou d'un État-
nation16.
Le dépassement des frontières étatiques constitue le pivot de la dynamique transnationale,
une dynamique soulignée par de nombreux auteurs, qu'ils la qualifient de transnationale ou
internationale. Ainsi, le transnational "transcende les frontières nationales"17 et néglige les
"frontières géographiques et politiques entre États-nations, héritées de l'histoire" 18. En
somme, le "trans" suggère un dépassement significatif et une transcendance au-delà des
limites étatiques et nationales.
La transnationalité marque un changement de paradigme, impliquant l'abandon d'une
logique opposant le national à l'international. Étymologiquement, l'internationalité suggère
un lien entre les nations, avec le préfixe "inter" indiquant une connexion entre au moins
deux objets de nature identique. Cette relation entre nations exclut alors toute autre forme de
lien avec des objets de natures différentes, ce qui limite la capacité à rendre compte de la
réalité des interactions multiples. Philip C. JESSUP va jusqu'à qualifier le terme
d'internationalité de "trompeur", car il conduit à se concentrer exclusivement sur les
relations entre une ou plusieurs nations19. La transnationalité transcende cette conception
étroite en permettant l'expression de divers liens, non seulement entre États, mais aussi entre
personnes privées ou entre États et personnes privées, entre des acteurs de natures non
nécessairement identiques. Ainsi, la transnationalité élargit la perspective en incluant une
diversité d'interactions au-delà des seules relations interétatiques.
Au-delà de l’approche étymologique, la distinction entre l’internationalité et de
transnationalite doit être approfondie pour mieux cerner les spécificités de cette dernière.

16
G. CORNU, (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, Quadrige, 11e éd., 2016, p. 1038, Transnational (sens 1) :
« Qui suppose le franchissement d’une frontière ou (et) s’exerce par-dessus les frontières indépendamment
de l’action des États ».
17
Ph. C. JESSUP, Transnational law, New Haven, Yale University Press, 1956, p. 2 (traduction libre), cite
par Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les rapports internationaux privés : contribution à l’étude des
fonctions du droit international privé. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017. Français. NNT :
2017PA01D009, p. 96.
18
C. KESSEDJIAN, « Codification du droit commercial international et droit international privé. De la
gouvernance normative pour les relations économiques transnationales », Rec. cours La Haye, vol. 300,
2002, pp. 79-308, spéc. p. 121.
19
Ph. C. JESSUP, Transnational…op cit, p. 1 : « the term “international” is misleading since it suggests that
one is concerned only with the relations of one nation (or state) or other nations (or states) ».
17
Crise d’un concept selon certains20, évolution selon d’autres, le recours à l’internationalité
est discuté en droit international privé, en droit du commerce international, en droit
international public et dans les sciences politiques.
Ainsi, l'observation de M. Bertrand BADIE et Mme Marie-Claude SMOUTS, qui soulignent
que "le système international n’a jamais pu se réduire à la seule juxtaposition d’États
souverains"21, renforce la perspective précédemment avancée par M. Marcel MERLE. Ce
dernier préconise de ne pas confondre "l’analyse du système international avec le système
interétatique, et intégrer dans l’analyse du premier le fait transnational22. Cette conception
souligne que la transnationalité ne s'oppose pas à l'internationalité. La première ne cherche
pas à supprimer la seconde ; au contraire, les rapports inter- et transnationaux coexistent
harmonieusement. Ainsi, cette approche reconnaît la complexité du système international,
dépassant la simple juxtaposition d'États souverains et intégrant la dimension transnationale
dans une analyse plus large.
En ce qui concerne une activité ou un domaine d'activité donné, l'influence du droit non-
étatique dépend de la nature de cette activité. À titre d'exemple, les principes Unidroit
énoncent des règles applicables aux contrats du commerce international sans égard à
d'autres considérations. De même, la Fédération Internationale de Football (FIFA) ne
cherche pas à réglementer le football français, allemand ou brésilien de manière spécifique ;
elle établit des règles pour le football, indépendamment du pays dans lequel cette pratique
sportive a lieu. Cette approche souligne la portée universelle du droit non-étatique dans des
domaines spécifiques, dépassant les frontières nationales pour régir des activités de manière
globale.
Ces exemples mettent en lumière un élément central pour l'analyse; l'étendue relative de
l'influence des règles non-étatiques. Si une activité est limitée exclusivement à la France, ces
règles auront un impact circonscrit à l'ordre juridique français, soit un rayonnement national.
En revanche, si cette activité est pratiquée en France et en Allemagne, en Europe, voire dans

20
S. LAGHMANI, « L’internationalité : antécédents, consécration et crise d’un concept », Revue Lamy dr.
aff., supplément, 2002, n° 46, p. 11 et s.
21
B. BADIE et M.-C. SMOUTS, Le retournement du monde : sociologie de la scène internationale, Presses
de Sciences po & Dalloz, Amphithéâtre, 3e éd., 1999, p. 15, cite par Yann Heyraud. Le droit non-étatique
dans les rapports internationaux privés : contribution à l’étude des fonctions du droit international privé.
Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017. Français. NNT : 2017PA01D009, p. 97.
22
M. MERLE, « Le concept de transnationalité », in Mélanges René-Jean DUPUY. Humanité et droit
international, Pedone, 1991, p. 223 et s., spéc. p. 231, cite par Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les
rapports internationaux privés : contribution à l’étude des fonctions du droit international privé. Droit.
Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017. Français. NNT : 2017PA01D009, p. 97.
18
le monde entier, le rayonnement spatial de ces règles sera respectivement franco-allemand,
européen ou mondial. Dans une telle conception, les frontières étatiques ne représentent en
aucun cas un obstacle, ni même un paramètre à prendre en considération. Ces frontières
servent de repère dans une analyse spatiale du caractère de transnationalité, mais elles ne
constituent pas un facteur explicatif de la dynamique transnationale.23
Dans une approche technique, déterminer l'étendue d'application d'une règle nécessite de
répondre à quatre questions fondamentales : depuis quand est-elle en vigueur ? Sur quel
territoire s'applique-t-elle ? Qui sont les destinataires de cette règle ? À quel domaine
spécifique ou matière se rapporte-t-elle ? Ainsi, cette analyse prend en compte des éléments
temporels, spatiaux, matériels et/ou personnels24, en mobilisant des critères de nature
temporelle (ratione temporis), territoriale (ratione loci), personnelle (ratione personae) et
matérielle (ratione materiae). Bien que l'adoption de ces quatre critères puisse sembler être
la voie privilégiée pour décrire le phénomène transnational, cette entreprise se heurte
néanmoins à la complexité inhérente à la dynamique transnationale.
Dans le contexte transnational, ces critères, normalement considérés comme d'une
importance égale pour déterminer l'application d'une règle, sont hiérarchisés en fonction de
la nature de l'activité, conférant ainsi une importance particulière au champ d'application
spatial.
La portée territoriale du caractère transnational dépend étroitement de l'étendue
géographique de l'activité concernée. Plus cette activité est étendue territorialement, plus le
champ d'application territorial du droit transnational revêt de l'importance. À l'inverse, une
activité déployée sur un espace restreint circonscrit également le champ d'application
territorial du droit transnational. Le champ d'application ratione loci est subordonné au
champ d'application ratione materiae, conférant ainsi une prééminence au critère matériel.
Selon M. Kaarlo TUORI, « le droit transnational ne suit pas un critère territorial de
différenciation, mais un critère fonctionnel ou matériel »25.

23
Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les rapports internationaux privés : contribution à l’étude des
fonctions du droit international privé. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017. Français. NNT :
2017PA01D009, p. 100.
24
Selon le Vocabulaire juridique, ces termes désignent alternativement « les considérations de matière
(divorce), de lieu (résidence du défendeur) ou de personne (qualité de commerçant) », ou les « critères
déterminateurs de compétence (matérielle ou territoriale) d’une juridiction ou d’une autorité » (G. CORNU
(dir.), Vocabulaire juridique, PUF, Quadrige, 11è éd., 2016, p. 852, Ratione). Rappr. S. GUINCHARD et G.
MONTAGNIER, Locutions latines juridiques, Dalloz, À savoir, 2e éd., 2007, p. 78-79.
25
K. TUORI, « Vers une théorie du droit transnational », RIDE, 2013/1 (t. 27), p. 9 et s., spéc. p. 20.
19
Dans ce cadre transnational, la hiérarchisation des critères ratione materiae et ratione loci
n'est pas surprenante. Traditionnellement utilisés dans le contexte d'un ordre juridique
étatique pour définir la compétence d'une autorité, d'une juridiction ou le champ
d'application d'une règle, ces critères postulent une limitation spatiale intrinsèque des règles
ou une autolimitation de l'ordre juridique étatique 26. C'est précisément ces postulats que
remet en question la dynamique transnationale, comme le souligne M. TUORI : « Dans les
confrontations entre le droit transnational et le droit national, la bataille se déroule au sein
de l'espace territorial et social reconnu d'un État-nation, et la revendication concurrente
d'autorité émise par le droit transnational conteste la suprématie (la souveraineté) de l'ordre
juridique de cet État »27.
Comme le rappelle Philippe Kahn: « L'appel à un droit transnational ou son invention
répond à une difficulté pratique que les discussions doctrinales ou politiques ont tendance à
occulter : sur-monter l'obstacle que constituent les divers genres d'un droit national à l'autre
et l'incertitude sur le droit national applicable et le juge compétent d'une part, accompagner
sur le plan juridique l'évolution
des techniques qui exigent des adaptations rapides des règles et des spécificités très fortes
dans certains domaines, tout concourant à accompagner une économie mondiale par des
règles juridiques mondiales, autrement dit transnationales. »28
Les termes importent peu. La nécessité d'un droit transnational se fait de plus en plus
pressante. La lex mercatoria constitue à nos yeux le moyen de ce droit transnational déjà
largement en formation29.

En conclusion, La première caractéristique partagée par toutes les formes de droit non-
étatique, en lien avec leur origine, repose sur le concept d'anationalité. Ainsi, le terme

26
Pour une discussion sur l’autolimitation spatiale des règles et des ordres juridiques étatiques : P. MAYER,
« Le phénomène de la coordination des ordres juridiques étatiques en droit privé. Cours général de droit
international privé », Rec. cours La Haye, vol. 327, 2007, pp. 9-378, spéc. nos 127 et s., p. 138 et s., cite par
Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les rapports internationaux privés : contribution à l’étude des
fonctions du droit international privé. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017. Français. NNT :
2017PA01D009, p. 100.
27
K. TUORI, « Vers une théorie... », op. cit., spéc. p. 21.
28
Ph. Kahn: « Transnational seules in international commercial arbitration », conclusion ICCILA, 1993 p.
235 et s., spéc. p. 242.
29
CF. Ph.Kahn:«L'internationalité du point de vue de l'ordre transnational», in L'internationalite, bilan et
perspectives. Colloque de Toulouse, Lamy Droit des aff. supplément n° 46 février 2002, p. 23 et .s ;cf.
Gbamodu: « Exploring the interrelationships of transnational commercial law », the new lex mercatoria «
and international commercial arbitration », Rev. afric. dr. int. et comp. 1998. p. 31 et s, cite par J.M .Jacquet
et PH. Delebecque : « Droit du commerce international », 3ème edition, Dalloz.
20
"anational" cherche à mettre en avant l'absence d'une dimension étatique et/ou nationale
dans la création de ces règles, une nuance que le qualificatif "privé" ne parvient pas
totalement à exprimer. La deuxième caractéristique clé est représentée par la notion de
transnationalité, se démarquant de l'internationalité. Lors de l'évaluation des situations, la
transnationalité donne la priorité à la nature de l'activité, la dimension spatiale intervenant
par la suite en tant que critère d'étendue géographique et de localisation. Du point de vue de
la théorisation, on observe un déclin du modèle Westphalien30, au profit d'un modèle
alternatif souvent qualifié de "société-monde". En termes d'action, selon la définition
adoptée du droit non-étatique, cette dimension transnationale se reflète dans une règle
destinée à s'appliquer "à l'activité considérée, indépendamment des frontières étatiques".

II/ Application du droit non-étatique dans le commerce international


L'application du droit non-étatique dans le commerce international est une mosaïque
complexe de flexibilité et de contraintes nécessitant d’explorer le champ d'application
étendu du droit non-étatique (A), champ limité par diverses barrières juridiques, telles que
les lois de police et les principes d'ordre public, soulignant les défis et les dynamiques
d'équilibre dans le paysage juridique international (B).

A ) Champ étendu du droit non étatique dans le commerce international


Le champ d’application du droit non étatique est étendu, non seulement par une application
autonome par les parties de ce droit (1) mais aussi par son application en cas de conflit (2).

1) Application autonome

La problématique de l'application du droit non-étatique dans le cadre du commerce


international interpelle quant à sa faisabilité, sa justification théorique et sa viabilité
30
Yann Heyraud. Le droit non-étatique..op cit, p. 100.
21
pratique. L’assise de l’application de ce droit n’est d’autre ici que le fondement de la
contractualisation.31

Dans le cadre des relations internationales privées, le droit non-étatique s'applique


essentiellement par le biais de contrats. Pour être effectif, il doit être explicitement intégré
ou incorporé dans le contrat, une démarche fondée sur l'autonomie de la volonté. Cette
autonomie est reconnue en droit international privé pour le choix de la loi applicable, ainsi
qu'en droit interne pour autoriser la contractualisation des normes non-étatiques 32.
Cependant, cette intégration subordonne le droit non-étatique à la loi du contrat. En cas de
contradiction avec des règles impératives de la loi du contrat, le droit non-étatique se trouve
affaibli. Cela souligne l'importance capitale du choix de la loi dans un contrat international,
car il détermine l'étendue de la liberté contractuelle et la portée de l'application du droit non-
étatique pour régir tous les aspects du contrat, de sa formation au déploiement de ses effets,
jusqu’à son interprétation.

La notion de "contrat sans loi" (ct sans loi) se distingue par sa singularité et sa complexité
dans le contexte juridique international, soulevant des questions fondamentales sur la nature
et l'autorité du droit dans les accords contractuels. Cette notion, souvent perçue comme un
paradoxe juridique, suggère l'existence de contrats qui fonctionnent en dehors ou
indépendamment des cadres juridiques étatiques traditionnels. Thouraya Ahmadi soulève
l'interrogation pertinente de la viabilité juridique d'un contrat en l'absence d'un cadre

31
Trois axes fondamentaux ont été envisagés pour asseoir cette application, bien que les deux premiers aient
été écartés par la doctrine.Initialement, l'argument de l'existence d'ordres juridiques non étatiques a été
proposé. Il suggère que les règles non-étatiques s'appliqueraient lorsque le contrat ou la situation est localisé
au sein de cet ordre spécifique. Cependant, cette approche requiert de prouver préalablement l'existence d'un
ordre juridique non étatique, une démarche complexe et peu convaincante pour la doctrine qui n'a pas retenu
ce fondement. Ensuite, le fondement institutionnel a été examiné, posant que les règles internes d'une
institution régiraient les relations établies dans son cadre. Cela placerait l'institution au cœur de l'application
de ses propres règles. Toutefois, cette conception limite l'efficacité des règles non-étatiques au sein de
l'institution même, ne reconnaissant pas leur portée en dehors de celle-ci. Les juges et arbitres ne les
appliquent que si les parties l'expriment explicitement. Ce fondement, bien que pertinent dans un contexte
institutionnel, a aussi été écarté par la doctrine pour l'application générale du droit non-étatique en raison de
son efficacité limitée hors du cadre institutionnel. (Yann HEYRAUD ; « le droit non-étatique ; ibid ; p.216-
239)

32
A cet effet, Article 62 CDIP Tunisien dispose que : “Le contrat est régi par le droit désigné par les parties.”

22
législatif, mettant en lumière la tension entre la philosophie contractuelle traditionnelle et
l'évolution contemporaine des pratiques contractuelles.33

Le "contrat sans loi" est vu, selon certains, comme une catégorie d'accords qui échappent
délibérément à l'application du droit étatique, se rattachant plutôt à un droit anational choisi
par les parties. Ces accords, qualifiés d'extra-juridiques, ne bénéficient pas de la protection
juridique offerte par les droits nationaux, ce qui implique que leur force obligatoire repose
exclusivement sur la volonté des parties de s'engager contractuellement. J.M. Jacquet va
jusqu'à intégrer le "contrat sans loi"34 dans la catégorie du "droit souple contractuel",
soulignant son caractère extrajuridique ou suprajuridique, une entente qui se situe au-delà
des cadres légaux conventionnels.35

L'approche du “contrat sans loi étatique”36 est alimentée par l'innovation et l'imagination des
parties, cherchant à créer des accords adaptés à leurs besoins spécifiques, sans
nécessairement se référer à un droit étatique. Cette pratique met en exergue l'évolution des
relations commerciales internationales et la recherche d'une flexibilité et d'une autonomie
accrues dans la détermination des règles régissant ces relations. Toutefois, cette tendance se
heurte à la critique de certains juristes, comme A. Kassis, pour qui le contrat international,
malgré sa prétendue autonomie, reste inévitablement lié à un cadre juridique, qu'il soit celui
de la loi étatique ou celui de la société internationale des marchands.

La notion de "contrat sans loi" et le rôle du droit non étatique dans ce contexte présentent un
défi fascinant pour la théorie juridique moderne, remettant en question l'idée traditionnelle
selon laquelle le droit est intrinsèquement lié à l'autorité étatique.

33
AHMADI Thouraya, « les mutations du contrat sans loi, contribution à l'étude de l’évolution récente du
droit non étatique», Thèse de doctorat en droit,Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis,
soutenance publique le 07 janvier 2022, p.8
34
Il est essentiel de différencier le "contrat sans loi" du "contrat sans droit". Tandis que le premier suggère
une absence totale de référence à un droit étatique spécifique, se fondant plutôt sur la volonté des parties ou
sur des principes non juridiques, le second implique un choix sélectif de normes étatiques incorporées au
contrat. Cette distinction met en relief l'autonomie des parties dans la création d'un cadre contractuel
spécifique, où le contrat lui-même devient une source de droit, reflet de l'accord mutuel plutôt qu'une
soumission à un cadre juridique externe.
35
J. M. JACQUET, “l’émergence du droit souple”, in Etude à la mémoire du professeur Bruno
OPPETIT, lexisNexis, 2009, p.331ss, n°27, p.338.)
36
selon l’expression utilisée par AHMADI Thouraya, “Les mutations du contrat sans loi”…op cit,
p. 14
23
Comme le souligne J.F. Riffard, le droit transcende le cadre de la loi étatique, ouvrant la
voie à des systèmes juridiques alternatifs, tels que le droit non étatique 37. Thouraya Ahmadi
renforce cette perspective, arguant que le droit non étatique ne doit pas être perçu comme
une absence de structure ou de normativité, mais plutôt comme un système juridique
autonome et complet existant en dehors de la sphère étatique 38. Dans ce cadre, le "contrat
sans loi" peut être détaché des systèmes juridiques étatiques et rattaché à un ordre juridique
non étatique comme la Lex Mercatoria, constituant ainsi un droit commun autonome.
La Lex Mercatoria, en tant que manifestation du droit non étatique, a été reconnue par la
jurisprudence, notamment dans l'affaire "VALENCIANA"39. Cependant, sa nature
hétérogène et les incertitudes quant à ses éléments constitutifs soumettent la force
obligatoire de ses règles à une certaine fragilité dans un contexte international dominé par la
souveraineté des États et une compréhension normativiste du droit. La principale difficulté
réside dans l'incomplétude inhérente du droit non étatique, qui ne fournit souvent qu'un
cadre partiel, obligeant à recourir à des règles de conflit de lois ou à des lois étatiques de
manière subsidiaire40.
Face à cette incomplétude, une approche envisagée est de choisir un droit non étatique
comme loi principale pour le contrat sans loi, à condition qu'il soit suffisamment structuré et
complet pour servir de fondement juridique solide. Cela permettrait aux juges de s'appuyer
sur un cadre juridique cohérent pour prendre leurs décisions. En définitive, bien que
l'application du droit non étatique dans le contexte des contrats sans loi présente des défis,
elle offre également une flexibilité et une autonomie significative.

2 ) Application conflictuelle

La réception et l'intégration des normes a-nationales s’effectue soit par l'arbitrage


international soit par les juridictions étatiques.

La réception du droit non-étatique par l'arbitrage international constitue une évolution


significative dans la pratique juridique mondiale, marquant une reconnaissance accrue de la
37
J.F. RIFFARD, “Quelques réflexions sur le contrat sans droit”, ibid ,p.311
38
AHMADI Thouraya, “Les mutations du contrat sans loi”…op cit , p.16
39
RIGAUD M.C.,OSMAN Filali et A.Prince Hervé, “SOFT LAW ET DROIT DU COMMERCE INTERNATIONAL
Contribution à l’étude du renouvèlement des sources du droit du commerce international”; Colloque international;
Montréal; 201; 15 (https://oie.openum.ca/files/sites/17/2017/04/lien.pdf)
40
pp. cit, p.17
24
nécessité d'approches juridiques flexibles et adaptées aux réalités complexes du commerce
international. Cette réception englobe non seulement l'application et l'exécution des règles
non-étatiques mais aussi leur examen et leur transposition dans des contextes variés, offrant
ainsi une palette étendue de possibilités pour la résolution des litiges 41. Toutefois, cette
intégration n'est pas dénuée de défis, notamment en raison de la possibilité de refus du droit
non-étatique, soit par les parties en raison de préférences pour des systèmes juridiques
étatiques, soit par les arbitres en raison de l'incertitude ou de la complexité perçue des
normes non-étatiques.
Dans ce contexte, la reconnaissance du droit non-étatique est un témoignage de la maturité
et de la flexibilité de l'arbitrage comme mécanisme de résolution des litiges, capable de
s'adapter aux exigences spécifiques des parties et aux particularités du commerce
international. Cela illustre également une évolution dans la perception du droit, devenant
plus inclusive et reconnaissant la valeur des systèmes juridiques qui opèrent en marge ou
au-delà des structures étatiques traditionnelles.
L'arbitrage international, en tant que mécanisme privilégié de résolution des litiges dans le
commerce mondial, se distingue par son accueil progressif et réfléchi du droit non-étatique.
Cette ouverture découle de la nature intrinsèquement flexible de l'arbitrage, permettant aux
parties une large autonomie dans la détermination des normes juridiques régissant le fond de
leur différend. Les législations nationales et les règlements d'arbitrage offrent un cadre légal
reconnaissant explicitement cette flexibilité, donnant ainsi aux arbitres la capacité de
trancher les litiges en accord avec les règles choisies par les parties, ou, à défaut, selon des
principes qu'ils jugent appropriés.
Cette ouverture est principalement ancrée dans les dispositions légales et réglementaires qui
encadrent l'arbitrage, offrant une latitude considérable aux parties pour déterminer les
normes juridiques applicables. Le Code de procédure civile en France, par exemple, autorise
explicitement les arbitres à résoudre les litiges en accord avec les règles choisies par les
parties, ou, en l'absence de choix, selon les règles qu'ils jugent appropriées (article 1511) 42.
De même, l'article 187 de la loi suisse sur le droit international privé et l'article 73 du Code
de l'arbitrage en Tunisie offrent des dispositions similaires, témoignant d'une reconnaissance
internationale de cette flexibilité.

41
Yann Heyraud; “Le droit; non-étatique”… op cit, p.125
42
op. cit.; page 128.
25
Cette latitude est également manifeste dans les règlements des instances arbitrales telles que
la Chambre de commerce internationale (CCI) et la Commission des Nations Unies pour le
droit commercial international (CNUDCI). Le règlement de la CCI de 2012, par exemple,
stipule dans son article 21 §1 que « Les parties sont libres de choisir les règles de droit que
le tribunal arbitral devra appliquer au fond du litige. À défaut […] l’arbitre appliquera les
règles de droit qu’il juge appropriées ». Ces dispositions sont interprétées de manière
unanime comme autorisant le choix de règles non-étatiques, confirmant la légitimité du droit
non-étatique dans l'arène de l'arbitrage international.43
Au cœur de cette pratique se trouve l'arbitre, dont l'impartialité et l'indépendance sont des
principes fondamentaux, comme le souligne l'article 11.1 du règlement d’arbitrage de la
CCI : « tout arbitre doit être et demeurer impartial et indépendant des parties en cause ».
Cette impartialité est cruciale, car bien que l'arbitre puisse être influencé par les milieux
d'affaires ou les pratiques commerciales internationales, il doit naviguer dans cet espace
avec une neutralité absolue, assurant ainsi l'équité et la justice dans le processus arbitral.
L'arbitre, souvent considéré comme un « organe de la lex mercatoria » 44, n'est pas seulement
un interprète des volontés des parties, mais également un garant de l'application équitable et
adaptée du droit choisi, étatique ou non.
L'ouverture de l'arbitrage international au droit non-étatique se manifeste de manière
particulièrement notable à travers l'intégration et l'application des Principes Unidroit et des
Incoterms. Ces instruments, bien qu'anationaux, jouent un rôle crucial en offrant des cadres
juridiques harmonisés et reconnus internationalement, facilitant ainsi les transactions
commerciales transfrontalières et la résolution des litiges dans un espace juridique globalisé.
Les Principes Unidroit, en tant que lex contractus, servent non seulement de fondement
contractuel choisi par les parties, mais offrent également un ensemble de règles et de
principes susceptibles de compléter ou de s'articuler avec le droit étatique. Leur application
dans l'arbitrage varie : elle peut découler d'un choix explicite des parties, être le résultat
d'une interprétation des clauses contractuelles par l'arbitre, ou s'appliquer en l'absence de
choix. Ces principes, par leur nature flexible et leur reconnaissance internationale, offrent
une base solide pour l'arbitrage, permettant aux arbitres de naviguer dans des situations
juridiquement complexes avec une plus grande confiance et prévisibilité.

43
op. cit.; p.141
44
É. LOQUIN, « Les règles matérielles internationales », Rec. cours La Haye, vol. 322, 2006, pp. 9-242,
spéc. nos 450 et s.
26
De même, les Incoterms, développés par la Chambre de commerce internationale,
fournissent un ensemble standardisé de règles pour l'interprétation des termes commerciaux
les plus couramment utilisés dans le commerce international. L'application des Incoterms
dans l'arbitrage, souvent en complément des Principes Unidroit ou du droit étatique,
témoigne de la recherche d'une uniformité et d'une prévisibilité dans la compréhension et
l'exécution des contrats internationaux. Ils représentent une réponse pragmatique aux
besoins des opérateurs économiques internationaux, cherchant à minimiser les incertitudes
et les litiges liés à l'interprétation des termes contractuels.
Cette pratique d'intégration et d'application des Principes Unidroit et des Incoterms illustre
l'approche libérale de l'arbitrage en matière de droit applicable. Elle met en évidence une
tendance vers une plus grande flexibilité et une reconnaissance de la diversité des sources
juridiques pouvant être pertinentes pour régler les litiges. Cela reflète un mouvement vers
une compréhension du droit et de la justice dans l'arbitrage international qui dépasse les
frontières étatiques, reconnaissant la valeur de solutions juridiques qui sont à la fois
universelles et adaptées aux spécificités du commerce mondial.
Cette ouverture de l'arbitrage au droit non-étatique, tout en offrant des avantages
significatifs en termes de flexibilité et d'adaptabilité, nécessite toutefois une attention
particulière quant à la cohérence et la prévisibilité de l'application juridique. Les arbitres, en
tant que médiateurs entre les divers systèmes et traditions juridiques, doivent faire preuve
d'une grande compétence et d'une compréhension approfondie des différentes sources de
droit pour assurer que la justice soit rendue de manière équitable et conforme aux attentes
légitimes des parties.
Bien que l'ouverture de l'arbitrage au droit non-étatique offre une flexibilité remarquable et
réponde aux exigences du commerce international, elle présente également des défis
notables, en particulier en ce qui concerne la cohérence, la prévisibilité et l'autorité de ces
normes anationales. La lex mercatoria, par exemple, malgré sa reconnaissance et son
application croissantes, est caractérisée par une certaine hétérogénéité et une absence de
structure uniforme, ce qui peut entraîner des incertitudes quant à ses éléments constitutifs et
à son application.
La question centrale réside dans la reconnaissance et la structuration du droit non-étatique
en tant qu'ordre juridique cohérent et complet, capable de fournir un cadre fiable pour les
contrats internationaux. Cette problématique est exacerbée par la nature même du droit non-

27
étatique qui, évoluant en dehors de la souveraineté des États et de la structure formelle des
systèmes juridiques nationaux, peut parfois manquer de la force contraignante et de la
structure systématique associées aux lois étatiques.
Un des principaux défis est donc l'incomplétude inhérente au droit non-étatique, qui
nécessite souvent l'introduction de règles de conflit de lois ou le recours à une loi étatique à
titre subsidiaire pour pallier les lacunes ou clarifier les ambiguïtés. Cette situation requiert
des arbitres une compréhension profonde non seulement des normes non-étatiques en
question mais aussi de la manière dont elles s'articulent avec le droit étatique et les principes
internationaux de justice et d'équité.
Face à ces défis, certaines solutions ont été proposées pour renforcer l'autorité et la
prévisibilité du droit non-étatique dans l'arbitrage. L'une des approches est de permettre la
sélection d'un droit non-étatique en tant que loi principale pour le contrat, à condition que ce
droit soit suffisamment structuré et complet pour servir de fondement juridique solide. Cela
implique une reconnaissance et une codification plus systématiques des normes non-
étatiques, ainsi qu'une réflexion approfondie sur leur intégration et leur interaction avec les
systèmes juridiques étatiques.
La pratique de l'arbitrage, en embrassant la diversité des sources juridiques et en
reconnaissant la valeur du droit non-étatique, joue un rôle crucial dans l'adaptation du cadre
juridique aux réalités du commerce mondial. Cependant, pour que cette ouverture soit
véritablement efficace et équitable, il est essentiel de continuer à explorer des solutions qui
garantissent la cohérence, la prévisibilité et la légitimité du droit non-étatique, assurant ainsi
que l'arbitrage reste un mécanisme de résolution des litiges fiable et respecté au niveau
international.

La réception du droit non-étatique par les juridictions étatiques soulève des questions
fondamentales sur la nature du droit et sa place dans les systèmes juridiques nationaux. La
problématique centrale réside dans l'intégration de normes qui, par essence, ne découlent
pas de sources de droit traditionnellement reconnues par l'ordre juridique étatique. Comme
le souligne R. Ago, une règle ne peut être dotée de valeur juridique au sein d'un ordre donné
que si elle peut être dogmatiquement rattachée à une source de cet ordre. Cela implique que
pour que le droit non-étatique produise des effets juridiques au sein d'un système étatique,

28
ce dernier doit contenir des principes permettant l'intégration de ce droit, le faisant ainsi
apparaître comme une composante de l'ordre juridique étatique.45
La transposition du droit non-étatique en droit étatique est donc un processus complexe,
impliquant une interaction délicate entre diverses sources de droit. Elle exige des
juridictions étatiques une ouverture et une adaptabilité, non seulement pour reconnaître la
légitimité des normes non-étatiques mais aussi pour les intégrer dans le cadre juridique
national, souvent à travers des principes de conflit de lois ou des règles de reconnaissance et
d'exécution des jugements et sentences arbitrales étrangères.
Cependant, cette ouverture est fréquemment confrontée à une certaine résistance,
témoignant de la persistance d'une fermeture d'ordre théorique au sein des systèmes
juridiques nationaux. Le scepticisme ou le refus de certains juges d'accepter le droit non-
étatique comme source de droit valide soulignent la prédominance d'une vision
traditionnelle du droit, fortement ancrée dans la souveraineté de l'État et dans la
prééminence des sources de droit étatique46. Cette situation reflète une tension entre la
nécessité d'adapter les systèmes juridiques aux réalités du commerce international et le désir
de maintenir la cohérence et la prévisibilité du cadre juridique national.
Pour surmonter ces défis, il est essentiel de promouvoir une compréhension plus nuancée et
plus dynamique du droit, reconnaissant que les systèmes juridiques nationaux ne sont pas
des entités isolées mais font partie d'un réseau complexe de relations juridiques et
commerciales. Cela implique de reconnaître la valeur du droit non-étatique non seulement
comme un ensemble de normes autonomes mais aussi comme un élément potentiellement
enrichissant pour les systèmes juridiques nationaux, capable de contribuer à la résolution
des litiges de manière plus adaptée et plus équitable.
En définitive, la réception du droit non-étatique par les juridictions étatiques est un
processus en constante évolution, reflétant la tension entre tradition et innovation, entre
souveraineté nationale et interdépendance internationale. En naviguant dans ce paysage
complexe, les systèmes juridiques nationaux ont l'opportunité non seulement de répondre

45
R. Ago, « Règles générales des conflits de lois », Rec. cours La Haye, vol. 58, 1936, pp. 243-469, spéc. p.
30.
46
Comp. CA Versailles, 12e ch., 4 sept. 2012, n° 11/02214 : « Les Incoterms se rapportent exclusivement aux
conditions de vente internationales, pour codifier certaines des obligations réciproques entre vendeur et acheteur ; ils
n’ont pas vocation à s’appliquer au contrat de transport ou de commission de transport, indépendants du contrat de
vente ; l’Incoterm choisi entre vendeur et acheteur d’une marchandise à transporter, comme condition de la vente, est
par nature inopposable au commissionnaire qui y est étranger, pour l’opération de transport qui lui est confiée »

29
aux exigences du commerce international mais aussi de contribuer à l'élaboration d'un cadre
juridique plus inclusif, dynamique et équitable pour les générations futures.

B) Champ limité du droit non étatique dans le commerce international


En matière contractuelle, les parties peuvent choisir librement une loi applicable non-
étatique. Mais « les droits nationaux comportent d’innombrables règles impératives, qui
rendent nulles et de nul effet toute clause contraire ».47 (1) afin d’éviter une utilisation de ce
droit permettant d’échapper à l’emprise des dispositions d’intérêt publique48 (2).

1) Les lois de police


Les lois de police sont des dispositions législatives impératives auxquelles il n'est pas
possible de déroger par des accords privés. Elles sont conçues pour protéger l'ordre public,
la sécurité, la santé publique, ou encore les droits des consommateurs et des salariés. Leur
application est obligatoire sur le territoire de l'État qui les édicte, indépendamment de la loi
choisie par les parties dans un contrat international.
Les lois de police sont un procédé spécifique dans les relations privées internationales. Ce
sont des lois interne dont l’importance justifie leur extension dans les relations
internationales. Elles sont consacrées dans la plupart des codifications, à titre d’exemple
l’article 38 du Code de Droit International Prive Tunisien (CDIP) qui exprime la spécificité
des lois de police et dispose que « sont directement applicables quel que soit le droit désigné
par la règle de conflit, les dispositions du droit tunisien dont l’application est indispensable
en raison des motifs de leur promulgation ».
Le règlement de Rome I sur les obligations contractuelles du 17 juin 2008 quant à lui
prévoit dans son Article 9 alinéa 1 que « une loi de police est une disposition impérative
dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêt publics, tels que
son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application a toute
situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable
au contrat d’après le présent règlement ».49

Pierre Alfredo, Fiches De Droit Du Commerce International, Edition Ellipses, p 90.


47

Sandrine Clavel, Article, « Le Droit International Prive Européen est-il « Honorable » ? Retour Sur Une
48

Controverse Doctrinale », Mélanges En L’honneur Du Professeur Pierre Mayer....


49
Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les rapports internationaux privés : contribution à
l’étude des fonctions du droit international privé. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I,
2017. Français. NNT : 2017PA01D009.
30
La loi fédérale Suisse du 18 décembre 1987 dispose dans son article 18 que « sont réservées
les dispositions impératives du droit suisse qui, en raison de leurs buts particuliers, sont
applicables quel que soit le droit désigne par la pressente loi ».
L'analyse de ces textes suggère qu'il est possible de reconnaître le caractère de loi de police
aux lois en se basant sur deux critères distincts :
D’abord sur un plan méthodologique, les lois de police s'appliquent directement, sans passer
par la règle de conflit de loi. Il s’agit de lois substantielles interne que le juge doit appliquer
immédiatement, avant tout raisonnement conflictuel.50 Cela différencie les lois de police des
lois ordinaires, qui ne s'appliquent que si elles sont désignées par la règle de conflit de loi.
Le juge appliquera donc la loi de police lorsque toutes les conditions pour sa mise en œuvre
seront réunies.

Ensuite, le critère substantiel, les lois de police varient dans le temps et dans l’espace. En
effet, le respect d’une règle impérative doit être jugé cruciale et évalué en assurant la
protection des intérêts publics de l’État concerné, au sein desquels à titre illustratif, son
organisation politique, sociale ou économique, ainsi que le respect d’une identification
fondé sur « l’intérêt public »51. On peut donner quelques exemples dans le domaine du droit
du travail. Des dispositions impératives consacrées pour garantir la protection de la sécurité
dans le travail, et des règles relatives au licenciement52.
Il en est de même, les règle impératives (des lois de police) concernant la règlementation du
secteur économique, ces règles expriment l’ordre public économique tel le cas en Tunisie,
de la loi du 15 septembre 2015 relative a la réorganisation de la concurrence et des prix ou
de la loi du 7 décembre 1992 sur la protection du consommateur.
En France le code de la consommation article 135-1 définit aussi les clauses abusives pour
la protection du consommateur dans le contrat lorsque ce dernier présente un lien étroit avec
le territoire d’un état membre.53
Dans le domaine du droit des contrats, en Tunisie, les lois de police concernant la propriété
immobilière ne pour être acquise par un étranger qu’avec l’obtention d’une autorisation du

50
Hugues kenfack, Droit Du Commerce International, Les Mementos,8 Edition, Lefebvre, Dalloz, p 36.
51
Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les rapports internationaux privés : contribution à
l’étude des fonctions du droit international privé. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I,
2017. Français. NNT : 2017PA01D009.
52
Loi n 66-27 du 30 avril 1966 portant promulgation du code du travail, jort.1966, n 20, p.716.
53
Hugues kenfack, Droit Du Commerce International, Les Mementos,8 Edition, Lefebvre, Dalloz, p 37.
31
gouverneur, cette obligation est prévue dans le décret du 4 juin 1957 et le décret-loi du 21
septembre 1977 relatif aux opérations immobilières.
La jurisprudence française affirme54 dans un arrêt que « s’agissant de la construction d’un
immeuble en France, la loi relative à la sous-traitance du 31 décembre 1975, en ses
disposition protectrice du sous-traitant, est une loi de police au sens des dispositions
combinées des articles 3 et 7 de la convention de Rome du 19 juin 1980 »55
L’application des lois de police étrangères : Les lois de police peuvent être aussi étrangère,
la loi fédérale suisse de droit international privé a consacré dans son article 19 la possibilité
de faire application des lois de police étrangère et aussi par l’article 9 du règlement Rome I
sur l’obligation contractuelle de 2008 « il pourra également être donne effet aux loi de
police du pays dans lequel les obligations découlant du contrat doivent être ou ont été
exécutées , dans la mesure ou lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégales .
Pour décider si effet doit être donner à ces lois de police, il est tenu compte de leur nature et
de leur objet, ainsi que des conséquences de leur application ou de leur non application ».
Le CDIP prévoit aussi dans son article 38 alinéa 2 la faculté du juge tunisien de donner effet
aux dispositions d’un droit étranger non désigné par les règles de conflit. Cet article
confirme que les lois de police relevant d’un ordre juridique externe peuvent s’appliquer.
Par contre à la lecture de cet article, et même si le texte n’est pas clair sur cette question
(ambiguïté) l’application de ces lois de police étrangères reste une possibilité. On ne peut
imposer au juge d’appliquer une loi étrangère, contrairement aux lois de police du for.
En effet, le respect d’une règle impérative qui doit être jugé crucial et évalué en assurant la
protection des intérêts publics de l’État concerné, au sein desquels, à titre illustratif, son
organisation politique, sociale ou économique, en plus d’une identification fonde sur
« intérêt public ».56

2) L’ordre public

54
Bernard Audit, « De Bon Usage Des Loi De Police », Mélange En L’honneur Du Professeur Pierre Mayer,
Liber Amicorum, LGDJ, Éditions Lextenso,2015.
55
Cass.CH.Mixte,30 Novembre.2007, Agintis JCP G 2008.
56
Yann Heyraud, « Le Droit Non-Étatique Dans Les Rapports Internationaux Privés », Thèse De Doctorat,
En Droit Soutenue, Le Jeudi 9 Mars, 2017.
32
Tel que mentionne ci-dessous, les parties d’un contrat international sont libres de choisir la
loi applicable à ce dernier. Néanmoins cette liberté n’est pas absolue. Puisqu’elle se heurte
avec des règles impératives, et plus précisément l’ordre public57.
L’ordre public est une notion insaisissable, imprécise et changeante, d’un ordre juridique a
un autre. Chaque ordre juridique adoptera sa propre conception d’ordre public. Le CDIP
dans son article 36 prévoit les conditions de sa mise en œuvre : « l’exception de l’ordre
public ne peut être soulevée par le juge que lorsque les dispositions du droit étranger
désigné s’opposent aux choix fondamentaux du système juridique tunisien ».
D’après cet article, on peut déduire trois caractéristiques de l’ordre public. Premièrement
l’exception d'ordre public est un mécanisme qui s'applique de manière exceptionnelle. Dans
un second lieu, elle intervient après l'étape de la mise en œuvre de la règle de conflit de lois
et de l'examen du droit étranger. Enfin, son objectif est de préserver l'ordre juridique du for
en rejetant les lois étrangères qui peuvent être des lois étatique ou non étatique.
On remarque à ce stade une différence quant au moment de la mise en œuvre des lois de
police et des lois d’ordre public. Les lois de police, comme susmentionné, interviennent
avant la mise en jeu de la règle de conflit de loi, contrairement aux règles d’ordre public, qui
interviennent après l’examen du droit étranger.
On a remarqué aussi que les tribunaux peuvent hésiter quant à la qualification des lois de
police, Des lors que certaines de ces lois peuvent revêtir un caractère d’intérêt général. Les
arrêts de la Cour de cassation et de la Cour d'appel de Tunis en témoignent.
Dans un premier temps, et dans une décision datant du 8 juin 1970, la Cour de cassation
tunisienne a reconnu le caractère des lois de police aux dispositions du Code de commerce
maritime quand elle a soumis le choix de la loi applicable par les parties au respect des
restrictions et interdictions relatives à la responsabilité du transporteur maritime contenus
dans ledit Code.58
Dans un second temps, et dans une décision datant du 07 avril 2004, la cour d’appel de
Tunis a prévu une solution contraire à l'arrêt susmentionné. En l'occurrence, elle a refusé de
voir dans les dispositions du Code de commerce maritime des lois de police, mais, que les
règles relatives à la responsabilité du transporteur maritime peuvent fonder une exception
d'ordre public.59
57
Jean Michel Jacquet, Philippe Delebecque, Sabine Corneloup, Droit Prive, Droit du Commerce
International,1 Edition Précis, Dalloz,2007, p249.
58
Cour De Cassation ,8 Juin 1970, RJL.1971, n 3, p 46, L. Chedly et M. Ghazouani, Code Annote, p 549.
59
CA. Tunis,7 Avril 2004, n 99622, In L. Chedly et M, Ghazouani, Code Annote, p. 551.
33
A titre d’exemple, aussi dans l'arrêt Allium, la Cour de cassation française rejette la
qualification de loi de police pour la loi sur les agents commerciaux, malgré l'exécution du
contrat en Europe et en Israël, et la clause d'élection de la loi de l'État de New York. Selon
l'ordre juridique français, cette disposition est considérée comme une « loi protectrice
d'ordre public interne » et non comme une « loi de police applicable dans l'ordre
international ». Le juge français estime que la protection de l'intérêt public et/ou privé ne
justifie pas l'intervention d'une loi de police dans cette situation.60
A notre humble avis, et dans les deux cas, ces règles constituent des limites au choix des
règles non-étatique applicables au litige.
On pourrait se demander aussi si les parties pourraient écarter l'ordre public ou les lois de
polices par le biais d'une clause.
Ibrahim Fadlallah, paix a son âme, exprimait la crainte de voir émerger comme premier
instrument de l'illicite international l'insertion « d'une clause compromissoire dans le contrat
: il faut éviter la compétence des tribunaux, gardien de l'ordre public mieux que l'arbitre »61
En soumettant le litige à un arbitre, on ne s'attend pas qu'il se préoccupe « des normes
extracontractuelles, paca sunt servanda.... »62
Aujourd'hui, et afin de dépasser cette problématique, les différents systèmes juridiques
admettent que même si l'arbitre, juge privé, reçoit sa mission des parties, « il n'est pas en
tant que juge leur mandataire »63, ni leur « valet »64. Ce dernier se doit de préserver les
valeurs d'ordre public tout en respectant les lois de police des pays concernés par le contrat
qui lui est soumis.65
D’autre limites Concernant la technique d'intégration du droit non étatique dans le droit
étatique qui consiste à incorporer certaines normes de droit non étatique dans les lois ou la
jurisprudence, leur conférant ainsi une force contraignante indirecte.

60
Cass., com., 28 nov. 2000, n° 98-11.335, Allium, JDI 2001.511, note J.-M. JACQUET ; D. Aff. 2001. 305,
note E. CHEVRIER, JCP G 2001. II. 10527, note L. BERNARDEAU. Comp. pour une solution identique
dans le cadre d’un litige intra-européen, dont la portée le dépasse potentiellement en raison de la généralité
de la formule : Cass., com., 5 janv. 2016, n° 14-10.628, Arcelor Mittal, AJCA 2016. 162, obs. C.
61
Ibrahim Fadhlallah, « les Instruments De L’illicite » In L’illicite Dans Le Commerce International, Litec
1996, p. 291.
62
Ibrahim Fathallah, Op. Cit., p291
63
Lotfi Chedly, « Arbitrage Commercial International Et ordre Public De Développement : Mythe Ou
Réalité ? », Revue Tunisienne De droit 2006 De Publication Universitaire, p158.
64
TH. Clay, L’arbitre, Dalloz 2001.Nouvelle Bibliothèque Des Thèses, n1089, p,808.
65
Lotfi Chedly, Op. Cit., p158.
34
La principale limite de cette technique concerne son champ d'application, qui est
généralement restreint aux normes publiques, telles que les lois étrangères et les jugements
étrangers. Les études sur ce sujet excluent souvent les règles non étatiques, ce qui soulève la
question de savoir si cette technique est réellement opérationnelle et efficace dans ce
domaine. La technique de prise en considération du droit non étatique implique d’abord de
déterminer la loi compétente, puis de tenir compte du droit non étatique sans l'appliquer
stricto sensu.

L’absence de force obligatoire du droit non-étatique peut constituer aussi une limite quand
les parties ne choisissent pas l’application d’un droit en particulier. Est-ce que les juges
étatiques peuvent appliquer les lois non-étatiques ? Non car elles manquent du caractère
obligatoire. En effet, d’après la cour de cassation française, après avoir dégager un accord
procédural dans un contrat international, refuse d’appliquer à ce dernier un droit non-
étatique. Pour la jurisprudence française, constante en la question, l’accord procédural
permet exclusivement aux parties de demander une loi étatique différente de la loi désignée.
66

66
Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les rapports internationaux privés : contribution à l’étude des
fonctions du droit international privé. Droit. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017. Français. NNT :
2017PA01D009, p.183.
35
BIBLIOGRAPHIE :

❖ Bernard Audit, « De Bon Usage Des Loi De Police », Mélange En L’honneur


Du Professeur Pierre Mayer, Liber Amicorum, LGDJ, Éditions Lextenso,2015.
❖ C. KESSEDJIAN, « Codification du droit commercial international et droit
international privé. De la gouvernance normative pour les relations
économiques transnationales », Rec. cours La Haye, vol. 300, 2002.

❖ Cf. R. Rodière, “Les principes généraux du droit privé français », RID comp,
1985, n°spécial.

❖ É. LOQUIN, « Les règles matérielles internationales », Rec. cours La Haye,


vol. 322, 2006.

❖ Hugues kenfack, Droit Du Commerce International, Les Mementos,8 Edition,


Lefebvre, Dalloz.

❖ Ibrahim Fadhlallah, « les Instruments De L’illicite » In L’illicite Dans Le


Commerce International, Litec 1996.

❖ J.F. RIFFARD, “Quelques réflexions sur le contrat sans droit”

❖ J.M .Jacquet et PH. Delebecque : « Droit du commerce international », 3ème


edition, Dalloz.

❖ Jean Michel Jacquet, Philippe Delebecque, Sabine Corneloup, Droit Prive,


Droit du Commerce International, 1ere Edition Précis, Dalloz,2007.

36
❖ Lotfi Chedly, « Arbitrage Commercial International Et ordre Public De
Développement : Mythe Ou Réalité ? », Revue Tunisienne De droit 2006 De
Publication Universitaire.

❖ Ph. C. JESSUP, Transnational law, New Haven, Yale University Press, 1956.

❖ Ph. Kahn: « Transnational seules in international commercial arbitration »,


conclusion ICCILA, 1993

❖ Pierre Alfredo, Fiches De Droit Du Commerce International, Edition Ellipses.

❖ Sandrine Clavel, Article, « Le Droit International Prive Européen est-il «


Honorable » ? Retour Sur Une Controverse Doctrinale », Mélanges En
L’honneur Du Professeur Pierre Mayer.
❖ TH. Clay, L’arbitre, Dalloz 2001.Nouvelle Bibliothèque Des Thèses, n1089.

❖ AHMADI Thouraya, « les mutations du contrat sans loi, contribution à l'étude


de l’évolution récente du droit non étatique», Thèse de doctorat en
droit,Faculté de Droit et des Sciences Politiques de Tunis, soutenance publique
le 07 janvier 2022.

❖ Yann Heyraud. Le droit non-étatique dans les rapports internationaux privés :


contribution à l’étude des fonctions du droit international privé. Droit.
Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2017. Français. NNT :
2017PA01D009.

37
Table des matières

Introduction ……………………………………………………………………..….3
I. Détermination du droit non étatique dans le commerce international………….
…….………………………………………………….…….8
A. Sources du droit non étatique …………………………………………………8
1) Les usages source du droit non étatique……………………………………..8
2) Les contrats source du droit non étatique..…………………………………10
3) Les principes généraux du droit du commerce international………..
………………………………………………..…………….11
4) La Lex mercatoria source du droit non étatique……………………..….....13
B. Caractères du droit non étatique.……………………………………………14
1) Caractère a-national.……………………………………………………..……15
2) Caractère transnational.…………………………………………………….…17
II. Application du droit non étatique dans le commerce international.
……………………………………………………………………….21
A. Champ étendu du droit non étatique dans le commerce international
………………………………………………………………………………….……21
1) Application autonome………………………………………………………….22
2) Application conflictuelle……………………………………………………….25
B. Champ limité du droit non étatique dans le commerce international
……………………………………………………………………………………….30
1) Les lois de police…………………………………………………………….....30
2) L’ordre public….………………………………………………………………..33
Bibliographie….……………………………………………………………………36
Table des matières..………………………………………………………………38
38

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