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Pam duction et Soviets Plrlingues wap Le frangais en Algérie: quel réle didactique dans Vapprentissage d'une nouvelle langue? Alexandra Pouter Questo articolo é una riflessione stimolata dall'opera di Safia Asselah-Rahal e Philippe Blanchet (2007), Plurilinguisme et enscignement des langues en Algérie. Réles du francais en contexte didactique. Prendendo spunto dall'esempio algerino, bisogna prendere coscienza del repertorio plurilingue degli studenti, ¢ delle sue conseguenze sull'insegnamtento & sull'apprendimento delle lingue. ‘The book published by Safia Asselah-Rahal and Philippe Blanchet (2007), Plurilinguisme et enseignement des langues en Algérie. Réles du frangais en contexte didactique, gave us much food for thought. With the Algerian situation as an example, we are made aware that pupils possess multilingual repertories. What are the consequences of this circumstance for language teaching and learning? Chargée du bilan du colloque 2005 de l’Acedle (Association des Chercheurs et Enseignants Didacticiens des Langues Etrangéres), Christine Develotte (2006) faisait apparaitre, a travers analyse des titres des communications, les notions ayant le plus retenu T’attention des intervenants, tentant ainsi de dégager les problématiques plus spécifiquement abordées auj urd’hui par les didacticiens des langues. Parmi les notions récurrentes est apparue ‘@ plurilinguisme. (On ne peut que constater, au regar nombreux travaux menés ces derniéres n te i i ible, bien que naissante, de la dimension jon didactique actuelle. La didactique des langiies~ jodestement_il_est_vrai,_au dépassement d’une conception monolingue de enseignement et de l’apprentissage des langues, vers une conception plurielle._ ‘Au cour de ce nouveau paradigme en construction émergent beaucoup de questionnements. Parmi ceux-ci, la question de l’impact des langues déja connues dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, qu'il s’agisse de la Hangue dite «maternelle» («premiére») ou de langues dites «secondes» ou Aj | «étrangéres», améne des analyses nouvelles. o La question du réle a octroyer a la langue premiére dans l’enseignement ‘pt des langues n’est pas nouvelle et I’on a pu assister, au gré des évolutions méthodologiques, a différents comportements son égard, de sa prohibition radicale (méthodologie directe) a la dé-diabolisation progressive de son usage au sein de la classe (1) par V'approche interculturelle. Ce qui est plus neuf est le fait d’intégrer dans cette réflexion / ‘ensemble des langues préalablement acquises par les apprenants. La langue premiére est-clle A. Poulet, Le frangais on Algérie: quel rile didactique dans l"appreatissoge d'une nouvelle langue? toujours le référent unique dans |’apprentissage d’une langue? Les autres langues préalablement acquises ou en cours d’ acquisition n’auraient-elles pas un role didactique a jouer?. Doit-on continuer a percevoir le , plurilinguisme des apprenants — fait majoritaire — comme préjudiciable a T acquisition d’une nouvelle langue ou doit-on aujourd’ hui se concentrer de maniére raisonnée sur les ressources que celui-ci peut représentér? C’est dans ce contexte de remise en cause du mot fondement de I’apprentissage des” lan; compte ici d’une enquéte rich frangais dans l’apprentissage d’une «LV2» (deuxiéme langue vivante) en terrain algérien, menée conjointement par le département de frangais et le laboratoire LISODIL (Laboratoire de Linguistique, Sociolinguistique et Didactique des Langues) de |’Université d’Alger et le CREDILIF (Centre de Recherche sur la Diversité Linguistique de la Francophonie) de L'Université Rennes 2. Ce programme de recherche effectué sur quatre ans (2000-2004) a bénéficié de la reconnaissance et du soutien du Comité Mixte d’Evaluation et de Prospective de la coopération interuniversitaire franco-algérienne (programme CMEP 01 MDU 540). C’est en partant de la constatation. du plurilinguisme de la société al; de la pré cable du frang: isme comme En 1994, Louise DABENE, partant du constat que le didacticien des langues étrangéres n’était pas toujours au fait des facteurs sociaux 4 a considérer dans le contexte d’enseignement/apprentissage d’une langue eh, étrangére, public un ouvrage dans lequel elle se propose de faire le point 0 . sur les de la sociolinguistique a la didactique des langues. Quatorze” ye ans plus am i semblerait que le Ten entre sociolinguistique et didactique des langues peine encore 4 se consol fider, et cela malgré Te role Ton ‘que Tes travaux tienes en sociolinguistique (analyse des situations, contacts et variétés de langue, représentations sociales et/ou individuelles pour ne citer que ces exemples) jouent sur une didactique des langues de plus en plus soucieuse de la compréhension” des tes dans lesquels son. - «objet» évolue. La didactique des langues ne peut aujourd’hui_faire A Poulet, Le frangais en Algérie: quel réle didaotique dans Vspprentissage dune nowvelle langue? Pimpasse sur les travaux menés sur le plurilinguisme et les contacts de ‘angue, car elle séverrait qiutilée d'un organe vital pour rendre compte de la complexité de son objet et considérer le public a qui elle se destine. Je rejoins 4 cet égard P. Blanchet (2007: 56) quand il écrit, se référant a la définition de la compétence plurilingue et pluriculturelle proposée par Coste, Moore et Zarate (1997) et sur laquelle nous reviendrons: «On n’enseigne pas du tout Ia méme chose ni de la méme fagon ni avec les mémes finalités sous Vintitulé ‘langue’ selon qu’on y travaille dans une perspective structurolinguistique ou sociolinguistique. Pour développer ce type de ‘compétence a interagir plurielle, complexe, voire composite et hétérogene’, des référents structurolinguistiques sont évidemment inadaptés». Dans une réflexion sur I'enseignement-apprentissage des Jangues en Algérie, pourrait-on raisonnablement faire I’économie d’une prise en compte des principaux paramétres qui en constituent la spécificité, parmi lesquels figure une compréhension fine et éclairée des fonctions et statuts sociaux des différentes langues et leurs variétés? Assurément non. La classe, quoi qu’on en dise parfois, ne constitue pas un microcosme ayant un écosystéme propre et autosuffisant, protégée de l’extérieur par quelques murs, aussi insonorisés soient-ils. La classe est.un lieu qui intégre dans son fonctionnement tout ce qui lui est. extérieur, du pollen. qui vole au bagage és représentations sociales et/ou linguistique_de chacun_des acteurs. ‘ep jndividuelles et les pratiques 1: iéres ne s’accrochent pas au porte- jnanieau avant Tentrée en classe, elles entrent avec ceux jul en _sont ‘porteurs ets ‘A chaque altitude et interaction. A ne pas ‘prendre Gir compte ces paramétres, la didactique fangues prendrait le risque de vider de sa substance ce qui est constitutif de 1’étre humain méme: sa complexité et son étre social. Bids ions Les chercheurs, qui ont questionné le réle didactique du frangais en Algérie, se sont ainsi dans un premier temps attachés 4 une compréhension. du contexte sociolinguistique algérien — sans oublier que le frangais en Algérie est un phénoméne presque exclusivement urbain (Sirles 1999: 119-120) — faisant alors apparaitre, d’une part, des paradoxes concernant le statut des langues et de leurs usage ans la société et, d'autre part, Jes contradictios i existent entre les textes officiels et les pratiques ue dans le systéme éducatif” "~~ 2 Bost i dracon ne oa i On constate, en effet, qu’institutionnellement un monolinguisme est décrété en Algérie. Depuis Findépendance dor pays (19627, arabe ait wlassiquey™ est unique langue officielle. Elle sera ‘méme considérée jusqu’en 2002 unique langue nationale, statut qui a partir de cette date sera finalement aussi conféré a la langue berbére (le tamazight). L’indépendance acquise, a A. Poulet, Le frangais en Algerie: quel rile diductique dans I'appreatisage d'une nouvelle langue? Lurgence pour les autorités algériennes était de mettre fin 4 l’empreinte coloniale et d’assurer a 1’Algérie une certaine unité sociale. I] fallait doter V’Algérie @’une langue unificatrice si bien que.-s’inspirant du modéle centralisateur francais, les autorités ont fait le choix d’un monolinguisme institutionnel: l’arabe classique modernisé, particuliérement valorisé du fait de son caractére sacré, est devenue la langue officielle de 1’Algérie, reconnaissance dont ont été privées les autres langues nationales présentes sur le temrtoire, Ce monolinguisme était, et est toujours, un monolinauisme_ de jure car dans les faits, dans les pratiques, !’Algérie est indéniablement 7 un pays plurilingue. Trois ensembles linguistiques y sont en contact: Ie berbére et le frangais, chacun avec ses variétés respectives. Si Varabe algérien et le berbére n’ont aucun statut officiel, la grande majorité de la population a l’une de ces deux langues comme langue maternelle, arabe classique étant peu utilisé aujourd’hui et l’arabe modeme étant davantage un instrument de culture qu’un moyen de communication au quotidien. Le frangais, pour sa part, a aujourd’hui officiellement le statut de «langue étrangére», langue qui fait.pourtant indéniablement partie, comme nous le verrons, des pratiques linguistiques dans la société algérienne. Les auteurs de l’ouvrage qui rend compte des enquétes menées affirment, 4 juste titre, que le francais «jouirait ainsi d’une certaine ‘co-officialité’ pratique» (p. 11). Si son statut de jure est celui de «langue étrangére», on est en droit de s’interroger, face a ces éléments, sur son statut de facto: le francais en Algérie, «langue étrangérey? «Langue seconde»? «Langue vivante»? Un statut bien incertain ... D. Coste (2006: 17) rappelle a ce propos l’approximation terminologique avec laquelle nous devons composer pour rendre compte de la diversité et complexité des situation: linguistiques: _ Sic en es «Je souhaite mentionner un demier enjeu, d’autre nature, mais non négligeable dans la situation actuelle: celui de Ia pertinence de catégorisations telles que «francais langue matemellen, «frangais langue étrangére», “«frangais T de la multplicité des énvironhements multilingues ot se langue. Le troisigme terme a certes permis de sortir de la dichotomie antérieure, qui a eu son importance historique de part et d’autre de ce clivage, mais chacun aujourd’hui pergoit qu’il y a plus que du malaise dans la typologie» Ce probléme n’est pas récent, puisque déja en 1994 L. Dabéne faisait état du_caractére_approximatif des notions de langue maternelle, langue seconde et langue étrangére,-mais. la didactique des langues semble aujourd hut ressentir Purgence de mettre de l’ordre et de la précision dans des notions ce jour peu pertinentes pour rendre compte de la diversité des contextes existant, majoritairement plurilingues, et dont la situation algérienne est une bonne illustration. A. Poulet, Le frangais en Algérie: quel rote didactique dans I'spprentissage d'une nouvelle langue? autre langue en En vue d’interroger le réle du francais dans 1’apprentissage d’une autre langue, essentiellement anglaise mais aussi allemande ou espagnole, des enquétes ont été menées par les équipes en charge du programme dans des classes de collége (8°? année de scolarité, cycle moyen) et lycée (3° année du secondaire) publics. Les observations et conclusions de l’étude portent principalement sur les zones urbaines et semi-urbaines du Centre- nord de l’Algérie. L’objectif principal était d’observer les pratiques de classe, de maniére 4 comprendre les diverses fonctions pédagogiques remplies par les langues en présence dans la société algérienne, et de ce fait d’analyser les pratiques linguistiques sociales et les représentations des enseignants et apprenants des langues utilisées. La méthodologie a consisté, outre l’observation participante, en enquétes directives (questionnaires) construites sur la base d’enquétes préliminaires et d’entretiens semi- directifs avec des enseignantes et apprenants. Des documents officiels administratifs et pédagogiques sur l’enseignement des langues en Algérie ont également fait partie du corpus. Il est malheureusement difficile de traiter ici dans le détail ces enquétes, tant elles ont été vastes et les données conséquentes, mais je tacherai d’en dégager une synthése, a méme, je Vespére, de rendre compte de l’intérét des résultats obtenus. Le détail des enquétes reste toutefois consultable puisque paru dans I’ ouvrage. Les réles didacti ais Lors des observations dans les colléges et lycées publics, les enquéteurs ont pu constater la présence du frangais dans Ja classe d’anglais, allemand ou espagnol (désormais L3, puisqu’il nous faut choisir une terminologie), tant lorsque les échanges sont engagés par les enseignantes que par les apprenants. Quand ces derniers sont le fait des enseignantes, Yemploi du frangais revét des fonctions diverses, par exemple celle de réguler les activités, comme en témoigne |’ extrait suivant issu d’un cours d anglais: Extrait 1: Professeur (P1): ill y a des absents/ Elves (El): oui madame Pl: who is absent/ El: Zaidi E2: madame’ j’efface le tablean/ PI: on attend votre camarade qui est parti chercher la brosse\ La question est reformulée en anglais mais d’autres’ occasions des échanges entiérement engagés en frangais par l’enseignante ont pu étre constatés. Sur l’ensemble des observations, il apparait que le frangais sert A. Poulet, Le frangais en Algérie: quel réle didactique dans I'apprentissage d'une nouvelle Iangus? de médiateur pour faciliter la compréhension, déclencher les échanges avec Jes éléves, expliquer un point de grammaire difficile, réguler une activité, traduire, organiser un devoir, expliquer l’abstrait ou encore gagner du temps. Un second extrait, dans lequel une enseignante (P2) explique ’énoncé d’un exercice de production écrite, nous montre également que lorsque l’enseignante engage une conversation en anglais, les apprenants n’en répondent parfois pas moins en frangais: Extrait 2: P2: you enter in the restaurant what do you do/ El, E2, E3...: on va s’asseoir P2: you sit in the table\he serves you the dishes El, 2, E3...: les déchets (rires) P2; the plates what do you find in the menu/ E2: frites omelettes E1: la salade madame P2: you don’t understand my question I repeat what do you find in the menu/ (en utilisant les mimiques cette fois avec les mains) E3: speciality salades plates drinks P2: that’s all/ E1: madame les prix/ P2: yes the price you finish what do you do/ E4: On appelle le serveur P2: you ask the waiter E4: on demande ’addition Si les apprenants sont 4 méme de comprendre les questions de Yenseignante, ils ne semblent pas encore disposer des ressources linguistiques suffisantes pour lui répondre dans la langue cible. Notons toutefois que les apprenants recourent aussi au frangais dans les classes de terminale, bien qu’ils possédent alors une meilleure maitrise de la langue cible, ce qui laisse entendre que le facteur «ressources» n’est pas le seul en jeu dans l’usage du frangais en contexte d’apprentissage d'une L3. Il a pu @tre observé d’autre part que les interventions engagées des apprenants envers leurs enseignants sont généralement faites en frangais, l’usage de Varabe restant a cet effet marginal. En témoigne |’ extrait suivant, qui rend compte d’échanges menés al’ occasion de la correction d’un devoir; Extrait 3: F3: on explique madame/ 6: on n’explique pas we don’t explain 6; madame/ je n’ai pas compris P6: quoi/ E6; the question P6; les trois facteurs qui influencent I’arrét de I’eau the three factors that influence how much water every country on ne recopie pas le texte la question est claire il fallait ‘mettre des tirets\ A. Poulet, Le frangais en Algérie; quel r6le didactique dans I'epprentissags d’une nouvelle langue? Le frangais sert manifestement de langue médiatrice dans l’appropriation de I’anglais et constitue en cela une langue source pour les apprenants. Les réponses aux enquétes laissent entendre que le recours privilégié au francais au détriment de l’arabe serait di a sa proximité linguistique avec Vanglais, langue dont est bien plus éloigné arabe, et A son bon degré de maitrise par les apprenants. Il s’agit 1a d’un point qui, me semble-t-il, mériterait d’étre creusé. En effet, Mariana Bono (2006), dans le cadre d’une recherche menée sur l’impact des langues déja apprises dans Vapprentissage d’une nouvelle langue fait apparaitre que la proximité des langues ne serait peut-étre pas toujours la raison premiére dans le choix des langues sources. Elle se base sur une enquéte effectuée auprés d’un public universitaire de ’Ecole polytechnique et I’Université de Technologie de Compiégne suivant des cours espagnol (L3) dans le cadre de leur formation. La plupart des étudiants ont pour langue premiére le frangais (LD), tous ont appris l’anglais (L2), et certains parlent aussi l’allemand et/ou d'autres langues. Dans cette configuration, la distance L2-L3 (anglais/ allemand et espagnol) est plus notable que la distance L1-L3 (frangais- espagnol) si bien que l’on pourrait a priori supposer que le frangais est le plus 4 méme de remplir le rle de langue médiatrice dans I’apprentissage de la L3. Les données recueillies nuangant pourtant cette «évidencen, M. Bono évoque l’existence d’un jacteur L2 «défini comme la tendance a privilégier le passage par une langue autre que la L1», en l’occurrence la L2, et rappelle les arguments les plus souvent mobilisés pour évoquer ce phénoméne: une méme modalité d’acquisition, souvent en milieu scolaire, et V’attribution d’un méme statut, en Voccurrence celui de «dangues étrangéres», Elle émet l’hypothése que «dans I’acquisition plurilingue, ce facteur [pourrait] l’emporter sur le facteur typologique et sur autres critgres comme le niveau de maitrise ou le degré d’actualité (entendu par Lauteur comme dépendant de son ordre d’acquisition ou sa fréquence usage) d’une langue. L’utilisation d’une autre langue que la L1 comme support d’apprentissage d’une L3 est attestée, mais le débat reste ouvert sur ce qui motive les apprenants et/ou les enseignants a utiliser la L2 dans L'apprentissage de la L3. D’ailleurs, le cas évoqué par M. Bono serait trés difficilement transposable au cas algérien qui nous occupe ici, puisque, comme je le faisais remarquer, le statut de facto accordé au frangais en Algérie est flou, si bien que l’on ne peut assurer, et on peut méme fortement en douter, que les apprenants et enseignants algériens considérent avoir acquis le frangais et l’anglais/allemand ou espagnol sous les mémes modalités, et qu’ils leur accordent le méme statut. Ce que l’on peut seulement avancer aujourd’hui c’est qu’il serait réducteur de ne considérer que l’importance des langues premiéres dans Vapprentissage A Poulet, Le frangais en Algerie: quel rl didactique dans Mapprontisenge dune nouvelle langue? d'une nouvelle langue et de ne pas voir dans les autres langues préalablement acquises de précieux supports pédagogiques. Si le frangais est indéniablement langue de médiation dans la classe lors des interactions apprenant(s)-enseignant ou enseignant-apprenant(s), les interactions entre apprenants ont le plus souvent lieu en arabe algérien, plus Tarement en frangais et pour ainsi dire jamais en anglais. Dans |’ extrait suivant, El se plaint en arabe algérien 4 E2 de n’étre pas interrogé, langue dans laquelle s’exprime a son tour E2 pour demander a El une explication des propos de I’enseignante. Quand |’enseignante donne la parole 4 E2, El Jui traduit discrétement, toujours en arabe algérien, la question. La classe de langue, bien qu’ayant un écosystéme spécifique de part sa nature méme de milieu d’acquisition des langues (voir Pallotti 2002 pour une définition plus précise de la classe de langue), loin d’étre un ilot isolé, est bien le reflet des pratiques plurilingues de la société algérienne. Extrait 4: El: txzer fija u matqulif elle me regarde mais elle ne m’interroge pas. E2: wafnu? quoi? El: sinon, nqulu pommes de terre on dit P2: correct the last. E2: quoi? El: libaidha Ja suivante Lors des enquétes, les apprenants ont également interrogés sur leurs pratiques linguistiques en dehors de la classe. Il en est ressorti que le frangais fait effectivement partie du paysage linguistique des apprenants 4 Pextérieur du cadre scolaire et qu’il est toujours associé a l’arabe dialectal ou classique, ou au berbére; 20,80% déclarent méme avoir le frangais comme langue matemelle (nous sommes dans l’agglomération d’ Alger, zone urbaine, mais rappelons que dans les zones rurales, la situation du frangais est plus fragile). En revanche, il est peu parlé dans les quartiers, et surtout peu déclaré par les gargons, en raison notamment des représentations — dévalorisantes (moqueries, jugements, image de «snobisme» et de «féminité» du frangais) qui lui seraient associées. Quand il est parlé en famille, il l’est moins avec la mére qu’avec le pére, probablement du fait de la formation et/ou de la profession’ de ce dernier. 47 A. Poulet, Le frangais en Alpérie: quel role didactique dans l'epprentissage wvelle languc? Ce que font remarquer les chercheurs en charge de cette étude, ce n’est pas tant le plurilinguisme de la société algérienne ni la place qu’y occupe le frangais, faits avérés de longue date déja, mais plutét sa présence indéniable dans une école dite «arabisée» et ot les instructions officielles plaident plutét en faveur d’une méthode directe dans l’enseignement des langues. Ils évoquent de ce fait la nécessité de redéfinir le réle didactique du francais en contexte algérien: «dl apparait donc plus judicieux de le [le plurilinguisme] prendre en compte de fagon raisonnée, d’en faire un levier efficace, de le didactiser, plut6t que de Vignorer» (p. 171). Vi tion plurili t pluricult L’enseignement- La conception d’enseignement des langues s’appuie encore aujourd’ hui, méme si des remises en cause émergent, sur un modéle monolingue. On enseigne les langues isolément les unes des autres, avec pour visée une maitrise des langues s’approchant de celles des locuteurs natifs. On enseigne les langues comme si 4 chaque nouvel apprentissage les apprenants étaient vierges de toute compétence linguistique, communicative ou culturelle. Or, si l’on a généralement peu conscience de nos acquis antérieurs, parce que non conscientisés, ceux-ci seraient présents, de maniére variable certes selon les individus et leur parcours de contacts aux langues, mais présents. C’est A partir de ce postulat que les didacticiens évoquent depuis quelques années l’importance de la prise en compte d’une compétence plurilingue et de I’élaboration d’une didactique du plurilinguisme. L’on part du principe que dans I’apprentissage d'une nouvelle langue, et d’une nouvelle culture, interviennent des compétences transversales, que les compétences préalablement acquises dans Vapprentissage d’autres langues-cultures, en milieu guidé ou non guidé, sont transférables au nouvel apprentissage et qu’il existerait de ce fait une compétence plurilingue et pluriculturelle que Coste, Moore et Zarate (1997; 12) définissent ainsi: «On désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la compétence a communiquer langagiérement et a interagir culturellement possédée par un acteur qui maftrise, a des degrés divers, plusieurs langues, et a, @ des degrés divers, "expérience de plusieurs cultures, tout en étant 4 méme de gérer I’ensemble de ce capital langagier et culturel. L’option majeure est de considérer qu'il n’y a pas 1a superposition ou juxtaposition de compétences toujours distinctes, mais bien existence d'une compétence plurielle, complexe, voire composite et hétérogéne, qui inclut des compétences singuliéres, voire partielles, mais qui est une en tant que répertoire disponible pour Vacteur social concerné». A. Poulet, Le frangais en Algérie: quel rble didactique dans 'apprentissage d'une nouvelle languc? Ce que chacun a a sa disposition n’est pas une addition de langues également maitrisées, mais un répertoire linguistique dans lequel les compétences sont partielles et variables d’un individu a !autre. Ce répertoire linguistique forme un tout complexe a méme d’étre exploité par Vindividu dans Vapprentissage d’une nouvelle langue, transférable a condition d’avoir conscience des compétences transversales 4 Vapprentissage des langues. Cela n’est pas sans conséquences sur le plan pédagogique et didactique et l’on voit émerger des propositions didactiques tenant compte de cet aspect. G. Liidi (2000) par exemple considére que Pécole doit contribuer 4 la construction de répertoires pluriels chez les éléves et que pour ce faire il faudrait décloisonner les langues, mettre en réseau les compétences linguistiques des apprenants et que cela pourrait commencer par une étape d’«éveil aux langues», de sensibilisation a la diversité des langues. On pointe aujourd’hui l’importance de reconsidérer la place de Valternance, de favoriser le contact entre les langues indépendamment de leur statut et de leurs usages, d’inculquer des savoir- faire, etc. Cependant, comme le rappelle a juste titre D. Moore (2007), i il est @abord_ _primordi: st é ‘dépasser la “conception _monolingue de I’ apprentissage. Cette réflexion est partagée par les chercheurs en charge du programme algérien qui rappellent également la nécessité de former les enseignants a cette nouvelle conception de l’apprentissage (p. 174): «Wes propositions didactiques et des outils pédagogiques concrets existent (...). Liessentiel reste de les exploiter pleinement, ce qui ne va pas sans une formation adaptée des enseignants et une large communication vers les parents d’éléves et la société en général sur la pertinence de cette nouvelle éducation ala pluralitéy. Ils insistent également sur le fait que la mise en place d'une compétence plurilingue ne saurait se faire sans la mise en place d’une compétence pluriculturelle. L’idée majeure de I’«approche culturelle» est de permettre la compréhension entre individus de communautés culturellement différentes et qui donc, bien que communiquant parfois dans une langue commune, sont porteurs de différents schémes interprétatifs. L’approche interculturelle reléve pour les auteurs d’ «une éthique personnelle» et «déontologie professionnelle» qui intégrent l’altérité et la différence comme objet d’apprentissage et comme moyen de relation pédagogique. + Les propositions faites par ces mémes auteurs pour Ja mise en place d’une didactique du plurilinguisme intégre cette dimension: " «ll semble indispensable de s’intéresser aux langues de “départ” et aux compétences plurilingues pré-acquises des apprenants dans leur contexte familial et social. Celles-ci peuvent et doivent jouer un réle essentiel et incontoumable dans l’appropriation d’une autre langue, c’est-a-dire dans l’extension multidimensionnelle de leur répertoire ‘A. Poulet, Le frangais en Algérie: quel réle didactique dans lapprentisrage dune nouvelle langue? linguistique. Par ailleurs, un des principes fondamental retenir pour une didactique du plurilinguisme est de doter les apprenants des moyens leur permettant “la communication interculturelle” (...). I! faut développer la conscience et la réflexion des éléves quant a la diversité et 4 la rencontre des langues et des cultures. il est nécessaire de proposer des activités, des observations menées non seulement en direction de la langue matemelle des éléves, des différentes langues matemelles lorsque |’univers scolaire se présente comme linguistiquement hétérogéne, mais également en direction des autres langues présentes 4 des degrés divers dans l’environnement des éléves» (p. 172). La vaste enquéte menée en terrain algérien a pu montrer l’usage effectif dune «angue tierce», en loccurrence le frangais, dans l’apprentissage d’une nouvelle langue étrangére en milieu scolaire et la nécessité de prendre en compte une réalité plus complexe et plus riche, reflet des individus et des sociétés, majoritairement plurilingues. Reste bien entendu a penser les modalités de mise en ceuvre d’une didactique des langues basée sur une conception plurilingue de l’enseignement/apprentissage et qui tiendrait compte de la spécificité des contextes. Reste également, et cela constitue la condition sine qua non de T’élaboration d’une didactique du A_mener un large ‘travail ‘sur “les “représentations sociales de l’enseignement-apprentissage des langues, de dépasser V'idée socialement répandue qu’apprendré des langues serait juxtaposer des monolinguismes. L’enquéte, au regard des contradictions relevées entre les statuts de jure et de facto des langues en Algérie, a également démontré une fois de plus D’inadéquation de la terminologie d’usage (/angue maternelle, premiére, étrangére, etc.) pour rendre compte de la complexité et diversité des situations linguistiques. Une didactique du plurilinguisme ne saurait se constituer sur le socle d’une conception monolingue de l’apprentissage et devra de ce fait repenser les concepts et notions sur lesquels s’est batie la didactique des langues étrangéres. A ce propos, je terminerai en citant M. Rispail (2003: 263) qui, évoquant 1’élaboration d’une «didactique des contacts de langues» affirme trés justement: “On imagine de douloureux changements de paradigme en perspective. Mais c’est 4 ce prix que pourra se construire une didactique de la cohabitation des langues’.

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