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Michel Lorblanchet, Les grottes ornées de la Préhistoire. Nouveaux regards, Paris, Editions Errance, 1995. HERITAGES vale polrl' bres APPROCHES ET PERSONNAGES La recherche actuelle est laboutissement d'un siécle de travaux sur l'art des cavernes. Elle s‘appuie sur Yexpérience de tous ses prédécesseurs. Ses peres se nomment principalement H. Breuil, M. Raphaél, A. Laming-Emperaire, A. Leroi-Gourhan et L. Pales D’autres préhistoriens, tels que H. Begouén, A. Glory, M. Almagro, A. Lemozi... pour ne citer que ceux qui ont disparu, ont apporté une utile contribution a l'étude scientifique de Fart paléolithique. Lenrs travaux se placent souvent dans la ligne de ceux de Breuil. qui z dominé la recherche pendant plus d'un demi siecle. Ine s’agit pas ici de retracer Ihistoire de cette recherche en détaillant tous les efforts des oréhistoriens passés. Il suffit simpiement d’isoler les aspects de leur travail qui infuencent !2 echerche actuelle et iaissent sur elle une empreinte toujours vivace. Les lignes qui suivent ne visent done pas & lexhaustivite. Flles seront méme. forcement zartiales, et peut-étre irrévéren- cieuses aux yeux de certains. Que les choses soient claires : les personnaiités ci-dessus nomunées ont accompli une ceuvre scientifique fondamentale dont nous sommes, tous. les héritiers déca- és ou involontaires. Cette ceuvre force 'admiration. mais la recherche continue... Méme si les grands maitres ont disparu, elle poursuit I'incessante évaluation. le renouvellement, la remise en cause du travail accompli. Selon la belle image de P. Bahn et J. Vertut : “Laming-Emperaire et Leroi-Gourhan auraient accepté, pour que le travail progresse, que nous ne demeurions pas pied, mais que nous nous placions sur leurs épaules” (1688, p. 176}. BREUIL La recherche contemporaine semble retenir principalement deux aspects méthodologiques de ceuvre immense de I'abbé Breuil : le recours systématique au relevé, dont il a fat le fonde- ment de toute étude dart préhistorique, et le comparatisme ethnographique. Bien que son sys- me chronologique n’ait plus qu’un intérét historique, le fait qu’il ait accordé autant d’impor- tance & la datation de Fart pariétal qu’a son interprétation peut étre également riche d’ensei- gnement : les générations actuelles considérent toujours les problemes chronologiques comme Primordiaux. CChacun sait que Vabbé Breuil a acquis une connaissance intime des grottes et de leurs figu- rations, connaissance qu‘il a fait partager par la publication de plusieurs centaines des relevés qu'il a effectués dans les principales grottes ornées paléolithiques francaises et espagnoles. Il a compié lui-méme qu'il avait passé 700 journées sous terre. Les conditions souvert difficiles dans lesquelles il a accompli sa tache ne peuvent que susciter admiration... Le papier de riz quill employait pour ses calques, les sacs de fougeres sur lesquels il restait allongé pendant des aL heures pour dessiner, les bougies qui tachaient ses habits, les lampes a acétylene qui noircis- saient lintérieur de ses narines... Et parfois aussi les voiites ornées des grottes, les compagnons porteurs de lumiére, transformés en “candélabres humains”... maintes fois décrts, font aujour- hui partie du folklore de notre discipline dans son age héroique cont, nous, les descendants, sommes encore fiers ! Ce travail illustrait d’ailleurs une tradition francaise dont l'initateur fut Prosper Mérimée qui, dans la premitre moitié du XIX sicle, en qualité d'inspecteur général des Monuments Historiques, fut & Vorigine de la redécouverte des fresques romanes et gothiques et en recom. manda expressément la protection et le relevé. Ainsi naquit I’€cole francaise de relevés et I'ab- bé Brenil fut I’héritier des copistes des fresques médiévales... Mais contrairement & beaucoup de médiévistes, il effectua tout lui-méme, du dessin a l'étude et 2 la publication. Evitant la regrettable séparation entre l'étude proprement dite et la reproduction graphique, il invita ainsi les amateurs d’art quaternaire & ne confier @ personne d‘autre le relevé des ceuvres pariétales afin de simprégner eux-mémes de I/atmosphére particuliére des sanctuaires paiéolithiques. En cette époque oit Vorigine préhistorique de l'art apparaissait a la conscience du monde, Breuil ‘était donné pour mission de révéler la splendeur inconnue et cachée de l'art des cavernes. Ses relevés consistaient donc a extraire des grottes, les ceuvres, qui en étaient en quelque sorte prisonnitres, afin de les porter & la connaissance de tous. Il ne faut donc pas s’étonner que dans la diversité des figurations pariétales, il ait choisi les ceuvres les plus belles, les plus spectaculaires, les plus explicites, et ies plus naruralistes. Cependant maigré leur partialité, sans doute inévitable au cébut, partialité qu'il a su ailleurs parfois vaincre quand, par exemple, il transcrivait scrupuleusement inextricable enchevétrement des gravures de la grotte des Trois Freres. ce que nous retenons de ses relevés, cest d’abord leur impérieuse nécessité, quelles que soient les difficultes rencontrées. Lenseignement est toujours préciewx : il encourage le chercheur moderne dans sa laborieuse ‘transcription des paroisornées, affirmant sa conviction que leffort du déchiffrement par le rele- ‘vé est primordial, que la connaissance intime des parois qu'il permet est irremplacable. Breuil, eneffet, a patiemment démélé les superpositions de figures, et si nous jugeons aujourd'hui trop systématique son interprétation des “palimpsestes rocheux” comme une lente accumulation de figures de styles différents au cours des millénaires, du moins retenons-nous sa méthode d’ana- lyse des superpositions, son expérience et son regard d’archéologue aiguisé au long d'une vie passée dans le secret des images pariétales. Le second mérite de H. Breuil, contrairement & ce que I'on a beaucoup écrit, fut de déve- lopper le comparatisme ethnographique initié par Salomon Reinach. Trois ans aptés la publica~ tion du célebre article “Lart et la Magie” (1903), i consacrait, en collaboration avec E. Cartailhac, une centaine de pages de leur bel ouvrage sur “La caverne d’ Altamira” & des “parallales ethnographiques’. Le caractére superficiel de la méthode, son ignorance des contextes dans les comparaisons, ont été surtout mis en doute, et l'on a, semble-t-il, oublié I'es- sentiel : ces paralltles confirmaient avant tout I'importance sociale et religieuse des peintures et gravures paléolithiques. Le but de ces emprunts aux “hyperboréens", Peaux Rouges, Africans et Australiens, malgré leurs anachronismes et leur désastreux “pointllisme”, était de pouvoir montrer que “chez. nous comme au loin, ces ceuvres importantes corespondaient & des préoc- cupations graves” (Cartailhac et Brenil, 1906, p. 242). Le comparatisme ethnographique auquel H. Breuil a eu sans doute trop constamment recours, et dune manitre certainement critiquable, avait pour premigre ambition de tirer I’étu- de de art paléolithique de 'omitre de “Yart pour l'art” dans laquelle, d’emblée, elle s’était embourbée et de donner leur véritable dimension aux artistes de I’Age du Renne en montrant que leur productions n’étaient ni gratuites ni innocentes mais qu’elies étaient enracinées dans des croyances complexes. Il en reste aujourd’hui, chez quelques préhistoriens, un intérét pra-~ dent pour un certain comparatisme ethnographique. MAX RAPHAEL Son ceuvre presque inconnue en France et en Espagne, a bénéficié d'une tres utile édition francaise sous la direction de P. Brault en 1986 (M. Raphael “I'art pariétal paiéolithique” Paris, Kronos 1986) En découvrant le caracttre structuré des sanctuaires paléolithiques, Raphaél ouvrit une ere nouvelle dans I’étude de Vart des cavernes. Son intuition date de son premier contact avec les grottes ornées au cours d’un voyage aux Eyzies en 1935. II écrit alors & I'abbé Breuil : “Devant kes originaux, j'ai concu I’hypothése que Ia ois il y a proximité spatiale entre plusieurs animaux, tun sens a été intentionné qu'il nous faut retrouver” et des le premier chapitre de son essai de 1945 “Préhistoric cave paintings” complété ultérieurement, il déclarait “aussit6t que I'on se lais- se guider par les faits eux-mémes et qu'on rejette la préconception selon laquelle l'artiste paléo- lithique n’était capable de dessiner et de peindre que des animaux isolés, il devient évident que ces figures sont associées et que ces groupes ont une signification.” (L’art pariétal paléolithique p.8 et 25). Rompant avec le point de vue général de Breuil qui considéreit l'art pariétal comme une simple accumulation de figures isolées, il concoit les surfaces omnées comme des dispositifs ico- nographiques dans lesquels les figures étaient des “unités sémiotiques en relation les unes avec les autres” (op. cit. p. 15) Dans son ouvrage de 1945, il publie une vingtaine de déroulés présentant ’enchainement

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