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Theodor W. Adorno Philosophie de la nouvelle musique Gallimard (Cet ousrage a intalomens pars dans la « Bbithéque des Ides» n 1962 Te oil © 1958 by Europiche Volaparatl Kal Ale Rech beim Soap Veiag, Prof am Main. © 1062 Edo Golimart Ce livre comprend deus études écrites & sept ans dine tervalle, et une introduction. La composition et le carac- tre de Vensomble peuvent justfir quelques expliatons irinaires. En 1938, auteur publia dans la Zeitschrift far Sozial- forschung ‘un essai « Sur le caractére fétichiste de la musique etla régression de Paudition » (Ober den Fetisch- charalter in der Musik und die Regression des Hirens) ott il se proposait un triple objectif : indiquer le changement de fonction de la musique actuelle, montrer les transfor- ‘mations internes que subissent les phénorénes musicauz comme tels dans le contexte de ta production commercia- lisée de masse, et signaler comment certaines modifications anthropologiques dans cette société standardisée s'étendent jusqua la structure de Vaudition musicale. Déja a ce moment-la, Pauteur avait Vintention d'impliquer dans Vinvestigation dialectique, te stade de la composition méme, qui décide toujours de celui de la musique. Il avait devant les yeux la violence de la totalité sociale sezercant jusque dans les domaines qui, comme celui de Ja musique, semblent & part. Il ne poueait se leurrer sur le fait que Part qui a fagonné son esprit n’échappera pas, méme sous sa forme pure et intransigeante, @ la réifi cation régnant pariout, mais que cet art, justement dans Veffort de défendre son intéarité, produit a partir de luirméme des caractéres de cette méme nature & laquelle il s'oppose. Lauteur se posait comme tache de rendre comple des antinomies objectives dans Tesquelies se laisse Inécessairement prendre un art qui veut — au milieu d'une 8 Philosophie de la nouvelle musique réalité hétéronome — rester oraiment fidéle & sa propre ‘exigence sans préter aitention aus conséquences, antino~ ries que Von ne peut surmonter qu’en les portant sans illusion a leur parozysme. Crest de tllesréflerions que naguit Pouvrage sur Schin- berg, crit seulement en 1940-1941. 11 demeura alors inf dit et, en dehors du cercle trés restreint de UInstitut fir Sozialforschung de New York, n’était accessible qu’a tres pen de gens. Aujourd’hui, il parait sous sa forme origi- nale avec seulement quelques adjonctions qui se référent uz, seules auvres tardives de Schonberg. Toutefois, aprés la guerre, quand auteur décida de publier Vouvrage en Allemagne, il lui sembla nécessaire ajouter a Vétude sur Schonberg une autre sur Stra- vinsky. Si le livre avait vraiment quelque chose & dire sur la musique novelle dans son ensemble, il était nécessaire que sa méthode, opposée auz généralisations et aux classi fications, fit employée au-delé de Pétude & une école part- tulitre, fit-elle la seule qui rendit justice aut actuelles possibilités objectives du matériau musical en affrontant ‘avec intransigeance les diffcultés de celuinci. It s'im- pposait que nous analysions les procédés techniques de Stravinsky, diamétralement opposés & Uéole viennoise, non seulement parce quils font autorité dans Vopinion publique, non ‘seulement en raison de leur niveau de ‘composition (le concept de niveau lui-méme ne peut étre posé comme principe de fagon dogmatique, it jaut Pen- sisager encore comme « goiit »), mais surtout aussi pour supprimer une échappatsre facile. Celle-ci consisterait a eroire que, site progres logique de ta musique menait aux antinomies, y changerait quelque chose la restauration du passé, larévocation conscientede la ratio musicale. Aucune critique du progrés n’estlégitime, d moins quelle ne signale Te moment réactionnaire de ce dernier dans ta sujétion sénérale, excluant ainsi inexorablement tout abus au ser- fice du statu quo. Le retour postif de ce qui est tombs cee ee aera de naan des- tructives de notre époque plus raiticalement encore que ce que Von avait stigmatisé comme destruct. L'ordre qui se proclame lui-méme n'est rien dautre que le masque du Avant-propos 9 chaos. Done si précisément Vétude sur Uintransigeant expressionniste Schinberg déroule ses réflerions sur le plan de Vobjectivité musicale et qu’en revanche celle sur Pantipsychologique Stravinsky souléve la question du sujet mutilé sur lequel son cewore est tailée, alors encore ici exerce son action un motif dialectique. Lauter ne voudrait pas farder les traits provocateurs de sa tentative. It semble certainement eynique, aprés tout ce qui s'est passé en Europe et tout ce qui menace toujours, de perdre du temps et de Uénergie intellectuclle & déchif- fret ds problimesésotiriques deta technique moderne de composition. En outre, les opinidtres analyses exthé- tiques contenues dans ce texte donnent trop souvent Lit pression de prendre directement pour objet cet réalité qui Aesndgtige. Mais peut dire cette entreprseexcentrique jee: ra-telle quelque lumiére sur un état dont les manifestations connues'ne sont que le masque et dont la protesation sve uniquement li ott la complicité du public soup- onne une simple extravagance. Et il ne s'agit que de musique. Comment done doit étre fait un monde ot déja les problémes du contrepoint témoignent de conflts insolubles? Combien fondamentalement la vie est-elle aujourd’hui bouleversée, si son tremblement et sa roi- deur se réflchissent encore la ot ne parvient plus aucune nécessité empirique, dans une sphére dont les hommes pensent qu'elle leur accorde un asile devant la pression terrifiante du normal, et qui ne tient. pourtant sa, pron esse d eur faite qu'en refusant ce qu'ilsattendent delle? Liintroduction contient des réflesions gui sont d ta base des deus parties. Elle doit mettre en relief Cunité de Ven- semble; cependant, les differences entre la partic nouvelle et Vancienne, en particulier les différences stylistiques, reset entires ’endant (a période qui sépare les deux parties du livre, ty ollaoration de Pauteur avec Max; Hovkheimer, qui s'étend sur plus de vingt ans, s'est développée en une losophie commune. Test vray Eouteur est seul respon sable de ce qui concerne la matiére musicale, mais il serait difficile de distinguer & qui appartient tel ow tel concept théorique. Le livre veut étre compris comme une digression 10 Philosophie de la nouvelle musique 4 Ja Diglltik der Anflrang, tc qui en Tui pourait attester la persévérance, la confiance dans la force adj seett aeth negation determing, et di dle solidait invellectuelle et humaine de Horkheimer. Los Angeles, Californie, le 4¢* juillet 1948, Introduction dane Fa on aro at alin 4 jo singe eel al, St ge Eatin, cmorx pu suser. «L’histoire philosophique comme science de Porigine est la forme qui, a partir des extrémes opposés, des excts apparents de l’évolution, fait apparaitre la configuration de Tidée comme la configuration de la totalité caractérisée par Ia possi- ilité d'une coexistence riche de sens de telles oppo- sitions, » Le principe suivi par Walter Benjamin dans son traité sur la tragédie allemande pour des raisons relatives a la critique de la connaissance, peut se just fier & partir de l'objet méme, si l'on entend soumettre Ja musique nouvelle a une ‘analyse philosophique se Timitant esser lérer ses deux prota- gonistes que » Pessence de cette musique s'exprime uniquement dans les extrémes : eux seuls permettent de reconnaltre son contenu de vérité. « Le chemin du milieu, écrit Schonberg dans la préface de ses Satires pour chieur, c'est le seul qui ne mine pas & Rome. » C'est pour cette raison et non par tun respect fallacieux des grandes personnalités, que nous examinons exclusivement ces deux auteurs. Si Von voulait passer en revue toute la production, non pas chronologiquement mais qualitativement nouvelle, ' compris toutes les transitions et tous les compromis, 6n finirait par inévitablement tomber de nouveau sur ces extrémes, dans la mesure oi l'on ne se contenterait pas Pune simple description ou d'une appréciation de spécialiste. Cela n'implique pas nécessairement un ju ment sur la valeur ou méme sur limportance repré- sentative de la production qui se situe entre les deux 14 Philosophie de la nouvelle musique extrémes, Béla Barték s'est efforeé & certains égards de concilier Schonberg et Stravinsky, et, en de sité et plénitude, ses meilleures cuvres sont proba- lement. supérieures & Ia production de co dernier. La deuxitme génération néo-classique, Hindemith et Milhaud notamment, s'est alignée sur la tendance géné= rale de I’époque avec moins de scrupules, de sorte ru’en apparence du moins, elle ’a réléchie avec plus de fdaité que ne Pa fait Ie chet de Pécole par son confor: misme latent s'exagérant par la jusqu’a.Pabsurde. Pourtant T'étude de cette génération déboucherait nécessairement sur celle des deux innovateurs. Non parce que la priorité historique leur appartient et. que tout Ie reste dérive d'eux, mais parce que, eux seuls, pe ler rigueur intransigeant, ils ont port si loin les impulsions inhérentes & leurs ceuvres, qu'elles sont apparues comme les idées de la chose méme. Cela Sest,pasé dans les constellations epécifiques de leurs procédés techniques et non dans le desein général des styles. Ce sont, précisément ces styles qui, guidés par des slogans culturels tapageurs, admettent, dans leur alt ces, attenuations faliiaticescabotant la fogique de Tidée non programmatique et purement imanente aux choses. Mais cest delle ques'occupel'in- tion philosophique de l'art et non des concepts stylistiques, méme si elle touche de prés & coux vérité ou Ia non-vérité de Schinberg ou de Stravinsk; est indéterminable par le simple examen de eatégories comme Vatonalité, 1a technique dodécaphonique, le néo-classicisme, mais par la seule cristallisation concréte de telles catégories dans la tessiture de la musique en soi. Les catégories stylistiques préconcues sont accessibles; en revanche, elles n'expriment. pas. par elles-mémes Ia complexion de T'euvre, et restent sans obligation en dega de la configuration esthétique. Au contraire, si Von examine le néo-classicisme, par exemple, en cherchant a déterminer quelle détresse des ceuvres pousse celles-ci vers tel ou tel style, ou a savoir quel faba ere pan em tee Introduction 45 rapport existe entre d’une part Vidéal stylistique, et d'autre part le matériau de Peeuvre et sa totalité cons- tructive, il devient alors virtuellement possible de résoudre aussi le probleme de la légitimité du style. NouvEAU conronmisMe. La production qui se situe entre les extrémes, en fait ne demande pas tant aujourd'hui 4 étre analysée par rapport & eux, mais Jar sa grisalle rend Ia spéculation superue. Lbistore ju nouveau mouvement musical ne tolére plus Ia «coexistence riche de sens des oppositions ». Depuis la écennie héroique autour de la Premiére Guerre mon- diale, elle est dans sonensemblehistoire dela déchéance, régression dansle traditionnel. Le peinturemodernes'est Aétournée du figuratif, ee qui en elle marque la méme rupture que Patonalité en musique, et eela était déter- miné par la défensive contre la marchandise artistique mécanisée, avant tout contre la photographie. A l'ori- ine, la musique radicale n'a pas réagi autrement contre fe dépravation commerciale de Tidiome traditionnel; elle ‘a étéPantithése de l'industrie culturelle qui envahissait son domaine. Ia fallu,il est vrai, plus de temps dans la musique pour arriver & une production commerciale de masse que dans la littérature et es arts plastiques. Laspect aconceptuel et abstrait de la musique, qui depuis Schopenhauer lui a servi de référence’ auprés des philosophies irrationalistes, Ia rendait rétive la ratio de la vénalité. C'est seulement a l’époque du film sonore, de la radio et des slogans publicitaires mis en musique, que la musique précisément dans son irratio nalité a'été accaparée par Ia ratio commerciale. Mais devenue. totalitaire, Vadministration industrielle du patrimoine culture! étend son pouvoir méme sur lop- position esthétique. La toute-puissanee des mécanismes de distributibn, dont disposent la camelote esthétique ct les biens culturels dépravés, comme aussi les prédis- sitions socialement créées chez les auditeurs, ont, Bans Ta socidté industrielle au stade tard, amené Ta musique radicale & un isolement complet. Cela devient pour les auteurs qui veulent vivre prétexte social et 16 Philosophie de la nouvelle musique moral a une fausse paix. Il se dégage un type musical Qu, nonobstant su préteotion ingbranlable au sérieux et au modeme, s'assimile & la culture de masse par une débilité mentale caleulée. La génération de Hindemith avait encore du talent et du métier. Son modérantisme se montrait surtout d'une souplesse intellectuelle sans incipe; les musiciens composaient au jour le jour en nant par supprimer en méme temps que Jer po- gramme futile tout ce qui pouvait déplaire de leur musique, Ils aboutirent a la routine respectable du néo-académisme que l'on ne saurait reprocher & la troi- sitme génération. La connivence avec Pauditeur, en guise d’humanité, commence a désagréger les normes techniques qu'avait atteintes la composition d’avant- garde. Ce qui était valable avant In rupture, & savoir la constitution d'une cohérence musicale au moyen de Ia tonalite, est irréparablement perdu. La troisi¢me géné- ration ne eroit pas aux accords parfaits serviles, qu'elle écrit avee un clignement d’cil, et d’autre part des moyens sonores élimés ne sauraient davantage étre utilisés délibérément pour une autre musique que pour une musique creuse. Mais a la conséquence qu’entraine Ie nouvel idiome récompensant l'effort extréme de la conscience artistique par I'échec total sur le marché, {es compositeurs de In troisiome génération entendent se dérober. Cela ne réussit pas. La violence historique, Ia « furie de la disparition *» interdit le compromis en esthétique, de méme quril est condamné sans retour en itique. ‘Tandis que ees compositeurs cherchent un abri auprés de ce qu'a une vieille réputation en pré- tendant avoir assez de ce que le langage de Vignorance appelait « expérimentation », ils se livrent dans leur ineonseience & ce qui leur semble le pire : l'anarchie, La recherche du temps perdu non seulement ne trouve pas le chemin du retour, mais perd aussi toute consis- tance; une conservation axbitraire du dépassé compro- met ce qu’elle veut conserver et se raidit avec mauvaise ‘eonscienice contre le neuf. Par-dela toutes les frontiéres, 4 gt, PAnominigi de Frit Introduction 7 les épigones, ennemis irréductibles des épigones, se ressemblent ‘par leurs mélanges débiles de routine et @impuissance. Chostakovitch, a tort rappelé a Vordre comme bolchevik dela culture par les tutrtes de sa atric, 1es diseiples si vifs de Fambassadrice pédago- Eique’de Stravinsky, en Angleterre Benjamin Britten et fon indigence tapageuse — tous, ils ont en commun tin gotit pour le mauvais goat, une simplicité due & une mauvaise formation, une immaturité qui se croit décan- le, tous menquent de capacité technique. Enfin, en Allemagne, la Chambre musicale du Reich a laissé der- ritre elle un monceau de décombres: Ie style de tout le monde aprés la Seconde Guerre mondiale, c'est Péclec- tisme du brisé. ravsse conscience mustcare. Stravinsky occupe ime placeexteémedans le mouvement de a musique nour Yelle aussi dans la mesure ou Pon peutconstater la eapi- tulation de ee mouvement en suivant le cours que prend Tamusique du compositeurd'une cuvre l'autre, comme par sa propre pesanteur. Mais aujourd'hui se evele un Espect dont il n'est pas directement responsable ct qui annonce sculement de fagon latente dans les modifica- tions de sa manitre de procéder : Telfondrement de tous les eritéres pour juger de la valour d'une cuvee Imusicale, tele quils sétaient sédimentés depuis le debut de Tere Bourgeoise. Pour la premitro fois, on lance partout des dfettantes en guise de grands compo siteus La centralisation Gonomigue try pounded Iaio aca Tour amare” de fore approbation ubtique, Il'y a vingt ans, la gloire fabriquee Elgar Tombinit' un phénoméne local et celle de’ Sibelius an fas exceptionnel d'ignorance critique. Des phénomenes Gun patel niveau fussentals ponfois pls libérau dans Fasage des disonances, sont aujourd hui la norme- Depuis le milieu du xixe secle, la grande musique a refusé dtre un moyen. Parla rigueur de son évolution, Ie musigue ot entrée ex contaditon aves es besoin rianipulés ct ge suffisant a euxemémes du public bour- js Au petit nombre de connaisseurs se substituait 48 Philosophie de la nouvelle musique la foule de ceux qui peuvent se payer une place et veulent prouver aux autres le haut niveau de leur cul ture, Gott du public et qualité des cuvres divergirent. La qualité s'est imposée grice In seule stratégic de Yauteur, qui nuisait aux ceuvres elles-mémes, ou grice ATenthousiasme des eritiques et des gens compétents. Sur tout cae, Ia musique moderns radicale no pouvait lus compter. On peut juger de la qualité de chaque Etvre dvanegarle dose ies métmel limes et hee maniére aussi concluante que s'il s'agissait d'une @uvre ionnelle, voire peut-étre mieux, parce que aucun je musical ne peut Oter a Fauteur la. respon- sabilité de Ia justesse de Youvre. Cependant, les médiateurs prétendument compétents ont perdu la capacité de décider en cette matiére. Depuis que la composition se mesure uniquement sur la structure propre de chaque ceuvre et non sur des exigenees géné- tales et tacitement aceeptées, il n'est plus possible dc apprendre » une fois pour toutes a distinguer 1a bonne musique de la mauvaise. Qui veut juger doit regarder en face les problémes ct les antagonismes impermutables de chaque création en particulier, et la-dessus ne le renseignent, aucune théorie générale et aucune histoire de la musique. Il n'y a guére que le compositeur d'avant-garde qui soit 4 la hauteur d'une pareille tache; en revanche, il manque le plus sou- vent de dispositions pour la pensée discursive. Il ne pent plus comptersur un médiateur entre le public ot lui-méme. Les, critiques mettent littéralement leur gonfiance dan le haut dscernement du ied de Mahler ils jugent suivant ce qu'ils comprennent ou non. Cepen- dant les interpréten, surtout les chefs dorchestre se laissent toujours’ guider par les traits les. plus saillants d'intelligibilité et d'elicacité du morceau & exéeuter. En outre, c'est objectivement, une illusion de eroire que Beethoven serait compréhensible et que Schonberg ne le serait pes. Tandis que dans la nouvelle musique la surface déconeerte un public coupé de la production, les phénoménes les plus représentatifs de ette musique sont précisément déterminés par les Introduction 19 conditions sociales et anthropologiques qui sont aussi celles des auditeurs. Les dissonances, qui. elraient ecux-ci, leur parlont de lear propre condition; c'est uniquement pour cela qu’elles leur sont insupportables. Inversement, le contenu du par trop familier est si loin de ce qui aujourd'hui pése surle destin des hommes, quill n'y a plus guére de communication entre Jeur propre expérienee et celle dont témoigne la musique traditionnelle. Quand ils croient comprendre, ils ne font que pereevoir le moulage inerte de ce quills sau- ‘vegardent. comme propriété sire et qui est déja perdu au moment ot il devient propriété: pitee de musée insignifiante, neutralisée, privée de sa propre subs- ritique. En effet, le public ne saisit de la musique traditionnelle que Te plus grossier: des themes faciles & retenir, des endroits d'une beauté néfaste, des atmo- sphéres et des associations. Pour l'auditeur dressé par la radio, la cohérence musicale qui erée le sens ne reste as moins cachée dans une sonate de jeunesse de Beethoven que dans un quatuor de Schinber, qui du moins lui rappelle qu'il n'est pas aux anges a se déleo- ter d'un chant agréable. Bien entendu, point n'est dit qu'une ceuvre soit spontanément comprehensible seu- Tement & son époque et ensuite livrée nécessairement & la dépravation ou a Phistorisme. Mais la tendance sociale générale a consumé dans le conscient. et Vine conscient des hommes cette humanité qui était autre- fois & la base d'un fond musical devenu aujourd'hui courant. Et. cette méme tendance permet le retour gratuit de V'idée d’humanité seulement encore dans le Vain eérémonial du concert, tandis que heritage phi- Iosophique de la grande musique est toma seulement a ce qui refuse cette succes musicale officielle déprécie le patrimoine musical en le pronant et en le galvanisant comme une chose sacrée, et elle ne fait que confirmer l'état de conscience des auditeurs en soi. Pour celui-ci, Pharmonie que le elassi- ceisme viennois a conquise par un effort de renoncement, et la nostalgie rebelle du romantisme sont devenues invariablement objets de consommation, du genre déco- 20 Philosophie de la nowselle musique ration, En réalité, une audition adéquate des mémes dzuvees de Beethoven, dont on sl es themes dans le métro, exige un effort encore beaucoup plus con dérable que eelle de la musique la plus avancée; il faut la débarrasser du vernis d'une fausse interprétation et des manitres de réagir sclérosées. Mais. puisque Vindustrie culturelle a dressé ses victimes & éviter tout effort pendant les heures de loisie qui leur sont oetroyées pour la consommation des biens spirituels, les gens Sacerochent avee un entétement accru & Papparence iui les sépare de Vessence. Le style de linterpréta- fon, musicale aujourd'hui prédominant méme dans Ia musique de chambre, du genre hyperbrillant, vient encore favoriser cette attitude. Non seulement les oreilles des gens sont inondées de musique légére, au point que Fautre, musique Tes attcint juste encore comme contraste figé de la premiére, comme musique «classique »;ngn seulement ears 1a mode émoussent 4 tel point Ia faculté perceptive, qu'il n'est plus pos- Sible de se concentrer pour une audition séxeusey Tes auditeurs étant distraits par les réminiscences de ces refrains stupides, mais encore la sacto-sainte musique iraditionnelleelle-méme s'est assimilée, par son inter: prétation et pour Vexistence des auditeurs, a la pro- duction commerciale de masse, ee qui ne laisse pas intacte sa substance. La musique participe & ce que Clément Greenberg appelait la division de tout art en camelote et avant-garde, et la camelote, Ja dictature du profit sur la culture, s'est assujetti depuis longtemps Ja sphére particuliére, socialement réservée, de la cul ture, C'est. pourquoi, les réflexions sur le déploiement, de la vérité dans Te domaine de Pobjectivité esthé- tique doivent se confiner uniquement a I'avant-garde ul est exeue de Ja altar oficelle. Une, philaso- phic de la musique aujourd'hui ne peut étre qu'une Philosophie de la musique nouvelle. Conservatrice est Seulement la dénonciation de la culture officielle: celle-ci ne fait qu’encourager cette barbarie contre laquelle elle 'indigne, On pourrait presque prendre les beaux esprits ‘pourles pires auditeurs, ces beaux esprits qui accueillent Introduction a tune quvre de Schonberg avee un prompt « je ne comprends pas ¢a », affirmation dont la modestie ratio- nalise la fureur en compétence. inrertectuatisme, Parmi_ les reproches quills répétent obstinément, le plus répandu, c'est celui d's tellectualisme : Ia musique aujourd'hui naitrait du cerveau, non du eur ou de Toreille; elle ne serait, point imaginge dans so sonorité, mas caleule eur Ie japier. L'indigenee de ces phrases saute aux yeux. On Engumente comme si idiome sonore des dervers tro cent cinquante ans était « nature » et. qu'on outrage! Ja nature en dépassant ce qui est devenu habitude, alors que cette habitude atteste justement la pression quexerce la société. La seconde nature du systéme tonal est apparence formée au cours de histoire; elle doit sa dignité de systime clos et exclusif & la société basée sur l'échange, dont le propre dynamisme tend vers la totalité et dont la fongibilité s'accorde profondément avec celle de tous les éléments sonores. Encore les rmoyens nouveaux de la musique découlent-ils du mou- Yement immanent de Vancienne dont I sépare en meme temps un saut qualitatif. Prétendre done que les couvres importantes dela musique nouvelle sont issues de tellect, c'est-a-dire moins imaginées de fagon_ sensible que celles de la musique traditionnelle, c'est simple- ment projeter sur elles son incompréhension. “La se des timbres chez Schonberg et chez Berg est urs plus grande, lorsque c'est nécessaire, comme dans la formation de chambre du Pierrot ou dans l'or- cchestre de Lulu, que dans les fastes sonores des impres- sionnistes. Et ce qui pour l'anti-intellectualisme musical =e complément. de la ratio commerciale — s'appelle sentiment, ne fait que s’abandonner sans résistance au courant ordinaire des successions sonores. Que le popu Inire Tchaikovsky qui peint méme le désespoir par des couplets exprime en eux plus de sentiment que le si ‘mographe de Erwartung # de Schonberg, c'est une idée 1, Nauman peur Tagplt, dg arta gions gar Fawr sot obits Saat EL 2 SPAM ALS 2 Philosophie de la nowoolle musique absurde. D'autre part, cette rigueur objective de la pensée musieale meme, qui seule confére A la: grande musique sa dignits, a toujours appelé le controle atten- tif de Ia conscience subjective da compositeur. L'éla- oration d'une telle logique de la rigueur musicale au détriment de la perception passive des sons dans leur aspect sensuel, définit Ie rang artistique par rapport a Ja plaisanterie culinaire. Tant que la musique nouvelle, dans sa pure eristalisation, est & nouveau réflexion sur Ja logique de la rigueur musicale, elle s‘insére dans la tradition de I'Art de la fugue, dans celle de Beethoven et de Brahms. Voudrait-on ‘parler d’intellectualisme, ‘on devrait alors incriminer avee bien plus de raison ce modernisme modéré mettant & essai le juste mélango @exeitation et de banalité, plutdt que le compositeur qui obéit & la loi intégrale de la construction depuis le son individuel et jusqu’au dessin de la forme, méme ct surtout s'il empéche par li 1a compréhension auto- matique de chaque moment pour lui-méme. Néanmoins, lereproche d’intellectualisme est tenace, au point qu’an Tig de se limiter & opposer des raisons valables aux arguments des sots, il vaut mieux impliquer dans la connaissance globale, les faits sur lesquels il s'appuie. Dans les mouvements les plus inarticulés et concey tuellement les plus diseutables dela conscience générale ache, avec le mensonge, la trace de cette négati- vis dot chee mame, dont ia Qtersintion deebjet ne peut pas se passer. L’art en général et Ia musique en particulier se montrent aujourd'hui ébranlés préci- sément par ce processus del’ Aufkldrung, auquel ils par- ice tae Sates OEE Re see get Siemans Introduction 23 ticipent et avec lequel coincide leur propre progrés. Hegel exige de Vartiste le «libre développement de Yesprit, ob toute superstition et croyance qui reste Timitée'& des formes déterminées de la représentation et réalisation, se trouve réduite & de simples aspects et moments, dont le libre esprit s'est rendu maitre par Ie fait qu'll ne les envisage pas comme les conditions en. soi et pour soi consacrées de son exposition et maniére de réalisation? », Voila pourquoi en s'indignant contre leprétendu intellectuslisme de Pesprit délivré des condi- tions indiscutées de son objet aussi bie vérité absolue des formes traditionnelles, on impute & cet esprit, comme adversité ou comme culpabilité, ee qui objectivement se produit de toute nécessité. « On. aurait cependant tort d’y voir un simple malheur acci- dentel, dont Vart eit é8 frappé du dehors par la détresse des temps, par esprit prosaique, par le manque dintérét, ete., mais c'est Ia logique et Pévolution de Part, lequel, i mesure qu'il progresse dans la représen- tation de la'substance qui lui est immanente, contribue ase libérer lui-méme du contenu représenté ® » Donner ‘aux artistes le eonseil de ne pas trop penser, alors que précisément cette liberté les renvoie irréductiblement & Ja réflexion, revient tout simplement as’afliger de la nak veté perdue, aflliction qu’exploite et adapte la culture de masse. De nos jours, le motif romantique primitif débouche sur la recommandation de s'incliner, en fuyant la réflexion, devant justement ces catégories et sujets traditionnels qui sont devenus eadues. Ce dont on se plaint, ce m’est pas en réalité dune déca- dence partielle et guérissable par des manipulations — done par un procédé rationnel — mais c'est de lombre du progrés. Son moment. négatif régne si visiblement dans sa phase actuelle que, 1a contre, on fait appel & Part qui de son, edté se’ trouve pourtant. sous le méme signe. On stirrite contre Pavant-garde dans une mesure si disproportionnée et qui dépasse si large- 1 Hee detain SEB Hae 7 othe: Bad" 4 Philosophie de la nouvelle musique ‘ment sa fonction réclle dans la société industrielle au stade tardif, dans une mesure qui certes dépasse sa participation aux ostentations culturelles de cette parce que, dans le nouvel art, la conscience sée trouve verrouillée la porte par laquelle elle espérait échapper al’ Aufkldrung totale. On s'irrite parce dquelart actuel, du moins sf regoit encore quelque sub- stantialité en partage, rélléchit et rend conscient, avec intransigeanee, tout ce que l'on voudrait oublier. A partir decefait important, on établit qu’est sans impor- tance art avancé qui ne donnerait plus rien a la sociét La majorité compacte exploite ce que la sobre puis sance de Hegel déduisit du moment de Thistoire : «Ce qui, comme objet, par art ou par la pensée, s'est révélé a’nos sens ou a notre esprit si parfaitement que Ja substance s'en trouve épuisée, que tout en est devenu extérieur et que ne subsiste ‘plus rien dobscur ni Gintérieur, perd son intérét absolu+. » C'est, juste- ment cet intérét absolu que Vart avait réquisitionné au_x1x® sitele, lorsque la prétention totalitaire des systemes philosophiques avait suivi en enfer celle de la religion : Ia conception bayreuthienne de Wagner est lextréme témoignage dune telle hybris, issue de la détresse. Lart moderne dans ses représentants les plus remarquables s'en est libéré, sans toutefois renoncer pour autant & eet élément obscur pour la survie duquel craignait Hegel, en cela déja un vrai bourgeois. En effet, Pélément obscur que le progrés de Vesprit vaine dans des attaques toujours renouvelées, s'est & chaque fois, reproduit jusqu’a aujourd'hui sous une forme alté- rée, on vertu de la pression qu’exerce esprit autoritaire sua nature intra et extrachumaine [élément obscur n'est pas le pur étre-en-soi-et-pour-soi, comme il appa- rait dans des endroits comme celui de PEsthétique de Hegel. Bien plutot il faut appliquer & Part 1a doc- trine de la Phénoménologie de 'Esprit, suivant laquelle toute donnée immédiate est déja médiatisée en soi. En d'autres termes : quelque chose que Vautorité a pro- 4. Hog, Ash 1 peas, Introduction 25 bord. L'art atl perdu Vimmédiate certitude Ja confiance en ses formes et matériaux acceptés sans discussions, alors dans la « conscience de Ja détresse '», dans la souffrance illimitée qui s'est abat- tue sur Tes hommes et dans les traces qu'elle a laissées dans le sujet méme, eet art a regu Papport d'un obseur qui wintetrompt pas comme un épisode PAuftlrang achevée, mais couvre de son ombre la derniére phase de T'Aujlidrung et naturellement presque exclut, en vertu de sa puissance réele, la représentation par image. A mesure que la toute-puissante culture industrielle tire 4 soi le principe des lumiéres et Je corrompt pour mani- puler les hommes en faveur de 'obscur perpétué, Part stéleve davantage contre la fausse clarté, oppose & omnipotent style dunéon de notre époque, des configu rations de cet obscur refoulE, et aide a éclairer unique- ‘ment.en convainquant sciemment la clarté du monde de ses propres ténébres *. C'est seulement dans une huma ité apaisée, que Part cesserait de vivre : sa mort qui menace aujourd’hu! serait uniquement le tomphe de Ja simple existence sur la conscience lucide qui a Taudace de lui résister. LA MUSIQUE RADICALE, PAS INVULNERABLE. Pourtant cette menace pise aussi sur les quelques ‘euvres intransigeantes qui se réalisent encore. En réali sant en elles-mémes PAujkldrung totale, sans. égard 4 la naiveté rouge de l'industrie culturelle, elles ne deviennent pas. seulement 'antithése, incongeue en vertu de-sa vérité, du eontréle total oi conduit cette industrie, mais se vapprochent en méme temps de la structure essentielle de ce a quoi elles s'opposent, et ‘entrent en contradiction avec leur propre dessein. La perte en « intérét absolu » ne eoncerne_ pas seulement leur destin extérieur dans la société qui finalement peut faire Péconomie dune attention accordée a la révolte qu’elles expriment, tout en permettant, avec un hausse= 4 Beh ih 4, fet, ta, t a skis eR, in Die Uma 3° at, 26 Philosophie de la nouvelle musique ment d’épaule, a la musique nouvelle de végéter en tant quextravagance. Mais catte musique partage le sort des sectes politiques qui, pourraient-elles méme incamer Ia formela plus avancée de la théorie, sont poussées vers la non-vérité, sont amenées & servi le statu quo, en raison de leur disproportion avee la toute-puissance de fait. Léatre-en-soi des aruvers, méme aprés leur déploiement en une entiére autonomic, aprés leur refus de servir de passe-temps, n’est pas indilférent & Pégard de la récep- tion, L’isolement social qu’a partir de lui-méme Tart ne saurait surmonter, devient un péril pour la réussite de celui-ci. Peut-étre précisément en raison de son tloignement de 1a musique pure dont les. produits les plus significatifs étaient restés depuis toujours éso- tériques, Hegel a-til exprimé avec prudence ce qui en définitive est pour la musique une question de vie ou de mort, et cela comme conséquence de son refus de esthétique Kantienne. Le noyau de ses arguments, non dépourvur de cette naiveté caractéristique d'un’ étre sourd a la voix des Muses, désigne un élément décisif de eet abandon de la musique a sa propre immanence, ‘ot Ja conduisent nécessairement la loi de sa propre évo- lution et la perte de toute résonance sociale. Dans le chapitre qui traite de la musique dans le Systéme des arts, il éerit que le compositeur peut, « sans se mettre en peine d'un tel contenu, fixer son intérét sur la str ture purement musicale ‘de son travail et sur Pingé- niosité de son architectonique. Mais de ce e6té, la production musicale peut facilement devenir quelque chose qui traduit absence de pensée et de sentiment et a quoi est nécessaire nulle autre conscience pro- fonde de la culture et de lame. En raison de cette absence de substantialité, nous voyons fréquemment thon seulement se développer le don de la composition dis Page le plus tendre, mais souvent des compositeurs tres doués rester aussi toute Teur vie les hommes les lus inconscients et les plus pauvres en substance. ine plus grande profondeur exige qu’également dans Ja musique instrumentale le compositeur porte son attention des deux cdtés, et sur expression Pun Introduction a7 contenu assurément indéterminé et sur la structure musicale; il sera libre de donner préférence tantét au. mélodique, tantdt a Ia profondeur et difficulté harm niques, tantot au caractéristique, ou encore de média- tiser réciproquement ces éléments ™». Seulement cette absence de pensées et de sentiments » tant blamée, on ne peut In maitriser a volonté au moyen du métre et d'une substantielle plénitude : au cours de Vhistoire elle s'est. intensifige au point que la musique s'est tout a en vertu de la décomposition objec- tive de Tidée dexpression. Pour ainsi dire, Hegel a raison contre lui-méme : Ia contrainte historique va encore plus loin que ne le dit son Eethétique. Au stade actuel, V'artiste est incomparablement moins libre que Hegel ne pouvait le penser au seuil de ee liberate dissolution de tout élément préétabli n'a pas abouti & Ja possibilité de disposer a volonté du matériau et de Ja technique — c’est seulement un synerétisme impui sant qui peut le eroire, et méme des créations gran- dioses, telle la Huitiéme Symphonie de Mabler, ont échoué dans Pillusion d'une parelle possibilité — Var- tiste est devenu le simple réalisateur de_ses propres intentions qui se présentent a lui comme d'inexorables exigences étrangéres surgies des couvres auxquelles il travaille . Cette sorte de liberté que Hegel préte au compositeur et qui a trouvé sa réalisation extréme chez Beethoven que le philosophe ignorait complétement, cette liberté se rapporte nécessairement, d'une mani¢re ‘ou d'une autre, a des éléments préétablis dans le cadre desquels solirent de multiples possibilités. Par contre ce qui existe simplement de soi-méme et pour soi-méme ne peut pas étre autrement qu'il n'est et exelut toutes ces tentatives de conciliation, dont Hegel se promet- tait le salut de la musique instrumentale, L’éliqnination vel Ashok m1 ad 28 Philosophie de ta nouvelle musique de tout élément précongu, la réduction de la musique, pour ainsi dire, ala monade absolue, lendurcit et affecte son contenu intime. Comme sphére autarchique, elle donne raison a la société organisée par la division en différentes branches d’activité, & la domination obsti- & tt particulier, encore reconnaissable der- tigre la manifestation désintéressée de la monade. WANTINOMIE DE LA MUSIQUE NOUVELLE, Que toute musique sans exception, notamment 1a polypho- nie —médium indispensable’ de la nouvelle ‘musique 2 provienne des pratiques collectives du culte et de ig dance, ce fet, 'evolution de la musique verslalibert, aa jamais pu tout bonnement Te laiser en arti tomme un simple « point de départ ». Crest que Von gine istogue ‘desea um mpliquesigntant de He imusique, clle-e! eat-elle depute Tongtemps rompa avee toute pratique collective. La musique. polypho- nique. dit nous, 1d mEme. od lle vit uniquement dans Fimagination du eompositeur sans atteindve aucun futre étre vivant, Mais In collectivité ideale, quelle porte encore en eile comme collectivité séparée’ de Ta Eallectivité empirique, entre en contradiction avee son inévitable isolement socal et avec son caractire expres- sif particulier que lui impose eet isolement méme. La oesibilits d'etre entendue par beaucoup se trouve & la Base méme de Tobjectivation musicale, et Id od elle est exclue, cette objectivation est nécessairement réduite quelque chose de presque fictif, a V'arrogance du sujet esthétique qui dit « nous » tandis que eest encore Seulement « moi», et qui pourtant ne peut vraiment Hen dire sans poser aussi un ¢ nous» L’inadéquation Gun morceau solipsistique pour grand orchestre no ent pas seulement a la disproportion entre la masse huméljque réunie sur 'estrade et les rangs vides devant Iesquels on joue, mais elle témoigne que Ia forme comme telle dépasse nécessairement fe mol sur la. postion duquel on Tessaye, tandis qu’en retour la musique, ‘ui nait sur eette position et la représente, ne réussit Bas & la dépasser positivement. Cette antinomie ronge Introduction 29 les forces de Ja nouvelle musique. Sa. rigidité, c'est angoiste de Teuvre devant le désespoir de sa propre it, Elle cherche convulsivement & lui échapper en s'absorbant dans sa propre loi, mais par la, en méme ‘temps que sa consistance, s'accroit aussi sa non-vérité, Certes, 1a musique pure daujaurd’hui, celle de Pécole de Schonberg, c’est tout le contraire de cette « absence de pensées et de sentiments » que Hegel redoutait en regardant probablement du coin de l'eril la virtuosité instramentale qui, & son époque, commengait 4 faire ravage. En revanche s'annonce une sorte de vide d’un ordre supérieur qui n'est pas sans ressembler & la conscience de sot malheureuse » de Hegel : « Mais ce Soi, de par sa vacuité, a laissé Ie contenu libre® » La transformation des éléments expressifs de Ia musique en matériau, qui, d’aprés Schonberg, a liew constam- ment a travers ‘toute histoire de la musique, est aujourd'hui si radicale qu'elle met en question la possibilité de Vexpression méme. La rigueur de sa propre logique pétrifie toujours plus le phénoméne musical; d’élément signifiant, il devient quelque chose qui simplement est 1a, impénétrable a soi-méme. Aucune musique ne pourrait aujourd'hui proférer la cadence Dir werde Lohn. L'idée de « mondes meilleurs » et aussi celle d’hummanité méme ont perdu cette puissance sur les hommes, dont vit cette tmage beethovenienne. En outre, la sévérité do sa tessiture, par laquelle seule la musique peut s'alfirmer contre 'ubiquité de la routine, Ya tellement dureie en elle-mémo que cette réalité exté- rieure ne V'atteint plus, qui justement Tui apportait Te contenu rendant’ Ja" musique pure vertablement pure. Les tentatives de reconquérir le contenu par un coup de main, parce que la tessiture musicale comme telle se ferme & elles, ont recours presque toujours au matériau emprunté & Pactualité la plus superficielle et qui, tire le moins conséquence. ‘Seules les ceuvres tardives de Schonberg, qui élaborent des types expres sifs et organisent les'séries en fonction de ceux-ci, 1. eg, Plame de Peri Abin, p20. 30 Philosophie de la nouvelle mi josent de nouveau de maniére substantielle le probléme Bice content », sem pourtant,pritendre obtenir son unité organique par des procédés purement musicaux. Tne reste rien dautre Ala musique evancée que d'in- sister sur son propre durcissement, sans concession & cet « humain 3 que, Ia ob il continue & exercer son ccharme, elle reconnatt pour le masque de Yinhumanité. La vérité de cette musique semble résider dans le démenti qu'elle oppose, par une absence de sens orga- nat, wu feng de fa soe organise dont ell ne veut rien savoir, plutdt que dans sa capacité & revétir par tlleememe uit sens posit, Dans les eonditions actuelle, elle en est réduite & la négation détermi pésrxstoriisation. Aujourd’hui, la musique, ot pareillement toutes les manifestations de Pesprit objec: tif doivent payer leur trés ancienne dette découlant du fait que esprit s’était séparé de la physis, le travail intellectuel, du travail manuel : Ia dette du privilége. La dialeetique hégélionne du mattre et de Tesclave finit par atteindre le maitre supérieur, Vesprit qui domine la nature. Plus cet esprit, avance vers 'auto- nomie, plus il s'éloigne de la relation concrete avec tout ce quill domine, hommes et matériau pareillement. Une fois que, dans sa propre sphere qui est celle de la Tibre production artistique, Pesprit domine tout jus- qu'au dernier élément hétéronome, jusqu’au dernier Glément matériel, il commence a toumoyer sur lui mime, comme emprisonné, détaché de tout ce qui Soppose a lui, dont. la pénétration seule lui avait donné son sens. La libération totale de V'esprit coin- tide avec I'émasculation de lesprit. Son caractére {étichiste, son hypostase comme simple forme de la réflexion “devient manifeste & partir du moment oi il se libére du demier lien de dépendance d’aveo ce qui ‘n'est pas soi-méme esprit, mais qui en tant qu’élément, sous-entendu par toutes les formes spirituelles, est Te facteur qui leur confére une substentialité. La musique non conformiste n’est pas protégée de cette désensibilisation de esprit, de celle du moyen sans Introduction at fin, Par I'isolement, antithése de la société, elle sauve- garde sens doute sa vérité sociale, mais Misolement a son tour la fait se dessécher. Tout se passe comme si on lui avait retiré toute incitation a produire, voire sa propre raison d'etre. Le discours le plus solitaire di Partiste en effet vit encore du paradoxe consistant & parler aux hommes grace a la solitude, en renoncant & une communication routiniére. Sinon, il entre dans Ja production un facteur paralysant, destructif, aussi courageuse que soit chez artiste la disposition de Pesprit comme telle. Parmi les symptémes de cette paralysie, le plus étrange, c'est peut-étre que Ia musique avancée, apres avoir éloigné d’elle, par son autonomie, précisément ce large public (au sens démocratique} quielle avait conquis jadis grace a cette autonomic meme, se souvient de Phabitude de composer sur com- mande, coutume de Pére antéricure In révolution ourgeoise, exclusive, en vertu de sa nature méme, de toute autonomie. Le nouvel usage remonte at, Pierrot de Schonberg, et Ia musique que Stravinsky ferivt pour Diaghilev Iu est epparentée, Presque tous les morceaux exposés qui voient le jour ne sont pas vendables sur Te marché, mois sont payés par Ges mécenes ou par des institutions +. Le confit entre «commande » ct autonomie se manifeste dans une pro- duction rétive et pénible, Aujourd’hui, en effet, encore plus qu’a l'époque de labsolutisme, le mécéne et lar tiste — dont les rapports étaient toujours précaires — sont étrangers Pun a Pautre, Le méctne ma aucune relation avec Feeuvre; mais il la commande, comme cas particulier de eette « obligation culturelle » qui par tlleeméme révele seulement. laneutralisation dela culture; pour Martiste, au contraire, la fixation d'un lélai et Poceasions déterminées sullira & étoulfer la sefoceeiin Raia tta Sele ke See eee 32 Philosophie de la nouvelle musique spontanéité, nécessaire & un pouvoir émencipé dex- pression, Une harmonic historiquement préstablie rbgne Entre Ia contrainte matérielle de composer sur com- fmande, contrainte due au fait que les produits. de Partiste sont invendables, et le. relichement de la tension. interne. Co relichement, il est vrai, rend Te sur capable daccomplir des taches hétéro- per la technique de Peeuvre autonome, conquise dans un effort indicible, mais en échange détourne de Teuvre autonome. Quant 4 Ia tension qui se résout dans Peeuvre d'art, elle est tension entre le sujet et objet, entre Vintéricur et Pextérieur. Aujourd’ hui, o& sous Ia pression de organisation économique total taire, les deux sont intégrés dans une fausse identi, dans! une, connivenee dela masse avee Fapparel di ouvoir, disparaissent en méme temps que la tension, Patan producti du compositeur sinsi que la gravita: tion de Teouvre. Cotte gravitation, autzefois, Ia donnait quasi en cadeau a artiste qui, aujourd'hui, nest plus secondé par la tendanee’ historique. Epurée, par 'Aujilarung achevée, de Peidée» qui apparalt Comme simple accessoire ‘idéologique des faits musi ‘eaux, comme eue privée du compositeur, Peuvre devient, justement en vertu de. sa spiritualication absolue, quelgue chose qui existe aveuglément, en contradiction flagrante avec linévitable determination de toute euvre d'art comme esprit, Ce qui est encore simplement la gréce a un effort héroique, pourrait aussi_ne pas étre li. Le soupgon formulé autrefois par Steuetmann est plausible = le concept méme de Busique sérieuse — passé aujourdhui a la musique radicale— appartiendrait & un moment déterminé de Phistoire, et & Pépoque des radios et des gramophones omniprésents, Phumanité oublierait tout simplement Texpérience de la musique. Purifige en une fin en soi, elle souffre de son inutilité non moins que les biens de consommation soulfrent d'étze subordonnés des fins. Li oi il nest pas question de travail socia- Iement utile, mais ob ily va du meilleur — c'est-icdire oil s'agit de défier Tutilité —, Ia division sociale du Introduction 33 travail! montre des traces d'une irrationalité problé- matique. Cette irrationalité est la conséquence immé- diate du fait que la musique s'est séparée non seulement, de I « étre percu » mais de toute communication inté- rieure avec les idées — on pourrait presque dire, de sa séparation d'avee la philosophic. Parville irrati nalité devient évidente, dés que la musique nouvelle sintéresse a esprit, & des Sujets sociaux et. philo- sophiques. Non seulement elle se montre alors gauche et désorientée, mais encore, par Tidéologie, nie les tendances résistantes au fond d’elle-méme. La qualité littéraire du Ring de Wegner était problématique en tant qu’allégorie grossiérement. montée de Ia négation schopenhauerienne du vouloie-vivre. Mais que le texte de PAnneau du Nibelung, dont la musique passait déja pour ésotérique, traite des faits centraux de la déca- dence bourgeoise qui s'amorce, c'est aussi certain que Pest le rapport le plus {écond entre la configuration musicale et la nature des idées qui la déterminent objectivement. La substance musicale de Schinberg Savérera probablement un jour supérieure a celle de Wagner. Au contraire, comparés avec les textes de Wagner qui, pour le bien ou pour Ie mal, visent la totalité, ses’ textes sont non seulement quelque chose eat eee Ce comer I Demise eae al EEGRMSME ictal scat aati Begs aus Dt oS 34 Philosophie de la nouvelle musique de privé et de contingent, mais encore ils s'éloignent de [a musique au point de vue du style et clament, {Mt-ce seulement par obstination, des slogans dont, Pingénuité se voit continuellement nige par cheque phrase musicale. Par exemple : le triomphe de l'amour sur Ja mode, Jamais a qualité musicale n'est restée indifférente & celle du sujet : des ceuvres comme Cosi fan tutte et Euryanthe soulirent aussi musicalement de fa médiocrité de leur livret; aucun reméde scénique ou littérairo ne peut les sauver. Que des ceuvres drama~ tiques, dans lesquelles la contradiction entre l'extréme spiritualisation musicale et le sujet brut s'est acerue hhors mesure et par la, a la rigueur, jusqu’a la conci- Hiation, connaissent un meilleur sort que Cosi fan tutte, cela est inconcevable, La meilere musique conten pporaine encore peut se perdre sans nécessairement pour utant se justiier entitrement méme. par som refus absolu d’un succ’s de mauvais aloi. pe LA wétmope. On est tenté de tout expliquer immédiatement a partir de la société, cest-a-dire du déclin de la bourgeoisie dont le medium esthétique le plus caractéristique a été Ia musique. Mais eompromet te procédé, habitude de méconnattre et de dévaluer, ar une appréhension trop immédiate de la totalité, Je détail que celle-ci a Ja fois détermine et dissout. Ce procédé va de pair avec Ie penchant & embrasser Ie parti du tout, de la tendance générale, et & condamner ce qui ne cadre pas avec elle. L’art devient ainsi un simple exposant de la société, et non pas un ferment de Sa transformation. Par li est approuvée cette évo- lution de la conscience bourgeoise, qui rabaisse toute création spirituelle au niveau d'une simple fonction, au niveau de quelque chose qui existe seulement pour autre chose, pour en faire finalement un article de consom- mation. Tandis qu’en déduisant I'euvre de cette société jue renie la logique immanente de l'ceuyre, on tend & riser Ie fétichisme de celle-ei, V'idéologie de son étre- en-soi et, dans une certaine mesure, on le brise effec- tivement; cette déduction accepte, en revanche, tacite- Introduction 35 ment la réification de tout ce qui est esprit dans la société marchande; elle accepte dutiliser le eritére des Diens de consommation pour juger du droit & exis: tence de Part, comme sl etait Pétalon entique de la vérité sociale en général, Ainsi cette déduction travaille sans s'en apercevoir pour le conformisme et pervertit Je sens de la théorie, qui nous met en garde de ne pas Yappliguer comme on le fait de Pespece a Pexermplatre. Dans la société bourgeoise entitrement organisée et poussée vers la totalité, Ie potentiel spirituel d'une société autre se trouve seulement dans ce qui ne res- semble pas a cette société. En réduisant la musique avancée & son origine et sa fonction sociales, on neva guére plus loin que cette définition hostile et insensible ala dilférence, selon laquelle elle est luxe et décadence ourgeoise. C'est li, Ie langage d’une oppression pom= pitre et bureaucratique. Plus souverainement il classe les ceuvres, et moins il est capable de les penétzer. La méthode dialectique, et notamment cette dialectique « remise sur ses pieds », ne peut pas consister & traiter Jes phénoménes particuliers comme autant dillustra- tions ou exemples d’une chose déja établie, é du mouvement du concept méme. Cest ainsi que la dialectique a dégénéré en religion d’Etat. Il faut plutst transformer la force du concept universel en autodé- ploiement deI'objet coneret, et résoudre Pénigme sociale de cet objet ayee les forces de sa propre individuation. Parl on ne vise pas une justification sociale, mais une théorie sociale en vertu d'une explication qui cherche ce qui est esthétiquement juste ou injuste au caeur des objets. Le concept doit stimmerger dans la monade jus- qu’a ce que lessence sociale ressorte du propre dyna- sme de celle-ci, et non pas la caractériser comme cas particulier du macrocosme ou en finir aveo elle comme d'en haut », selon expression de Husserl. Une ana- lyse philosophique des extrémes de la musique nouvelle, qui tienne compte aussi bien de sa situation historique due de son chimisme, se sépare selon son intention du classement sociologique aussi radicalement que d'une esthétique introduite arbitrairement de l'extérieur, & 36 Philosophie de la nouvelle musique artir d'une philosophie préordonnée. Parmi les obliga: Fone imposéls par fa methode dalectique poussée jus- u'eu bout, la moindve n'est pas celle de faire en sorte jue nous n'ayons pas besoin 'apporter des mesures et ‘GSppliquer pendant Tinvestigation nos trouvailles et penveest en les laisant de cOté, nous arrivons& contem jer In chose comme elle est en soi et pour soi-méme»- En mame temps pourtant, la méthode employée se dis- Lingue aussi des activités auxquelles est réservée par outume lac chose, tlle qu'elle est en soi et pour Soin Il sagit de Panalyse technique descriptive, du commentaire apologétique et de la critique. L'analyse technique. est partout Sous-entendue et souvent. pro- posée, mis elle a besoin qu'on ui ajoute une interpré- ation trbs détalle, si ele doit depasser Tinventaire Gime seience morale si elle veut. exprimer le rapport fntre la chose et la vente. L'apologie, mieux venue que Jamaisen tant qu antithése dela routine so limite pour- fant aux faits postifs. La eritique enfin se voit bornee 2a che de decider dela valeur ou de la non-valeut des auvres Ses résultats n'entrent que sporadiquement dans Ie traitement philosophique, comme moyen du mouvement théorique & travers la négativté, & travers Téchee esthétique compris Jans sa propre nécesité. IL faut laborer philosophiquement I'idée des ceuvres ot delour coherence, fat-ee meme parfois au-dela de ce que Peeuvee d'art a réalisé. La méthode découyre les impli= cations entre les procédés techniques et Tes oeuvres % Surdes ments partial le cherche aint deter tniner Vidéo des deux groupes de phénomanes musicaux. ta la poursuivre jusqu'd ce que la logique des objete considérés se tenvetseen leur eritique, C'est un procédé immanent + Texactitade du phénomine, dans tn sens ui est & développer seulement en rapport a ce phéno- Tarp eer dea Boeltece Sete) Sueno al Shee, Shore aes 6a Introduction 37 mine méme, devient garant de sa vérité et ferment de ‘sa non-vérité. La catégorie directrice de Ia contra: diction a elle-méme double nature : les euvres sont réussics dans la mesure oi elles donnent forme a la contradiction et oi, at cours de ee processus, elles Ia font réapparattre dans les marques de leur imperfoc- tion, alors que d’autre part la force de la contradiction fait i du processus eréateur ot détruit les ceuvees. Une méthode immanente de ce genre suppose comme pole ‘opposé partout naturellement le savoir philosophique qui transcende objet. Elle ne peut pas compter, eomme chez Hegel, sur la seule « pure contemplation », qui promet I ‘vérité uniquement parce que la conception de Videntité du sujet et de Vobjet soutient le tout, de sorte que la ‘conscience contemplative est d’autant plus stre de soi, qu'elle s'abolit plus parfaitement dans Pobjet. Dans un moment historique, oi la conciliation du sujet et de Pobjet a été pervertic en parodic satanique, en liqui- dation du sujet dans Vordre objectif, seule sert encore a la conciliation une philosophie qui dédaigne Pimage trompeuse de cette conciliation et, contre Valiénation universelle, fait valoir ce qui est aliéné sans espoir, en faveur de quoi une « chose méme » ne parle plus gubre, Voici la limite du procédé immanent, auquel, cepen- dant, est tout autant défendu qu’autrefois ou prosédé ¥égélien de chercher un appui dogmatique dans la trans- cendance positive, Pareihe 4 son objet la connaissance reste enchainée a la contradiction déterminée. Schinberg et le progris eg, Phang de api SpRANLEMENT Dw L’@uvRE, Jusqu’a maintenant, on n'a guire apergu toute la portée des changemonts gu’a subis la musique durant les derniers trente ans. Encore ne s'agit-l pas de cette crise qu'on évoque sou- vent stad defermentation donton pourrait prévoiragin et qui apporterait!ordreaprés ledésordre. La penséed’un Fenowvtllement fotur, ow sous forme d'auvtes grandes et achevées, ou par un accord béat entre Ia musique et la société, cette pensée nie simplement ce qui s'est passé et que l'on peut tout au plus étoulfer, mais non pas rayer de l'histoire, Contrainte par la logique de ses propres feits, la musique, en un mouvement eritique, a dissous Pidée d'cuvre achevée et rompu avec le public. En fait, ni la erise sociale, ni_celle de la culture — et dans Je’ concept de erise, on implique déja la recons- ‘truction administrante—aueune de ces crises n'a pu pa~ ralyser la vie musicale officielle. Dans Ia musique aussi, le monopole des rude travailleurs a suryécu. En face ‘du son dans son état de dispersion, lequel son échappe au filet dela cultore orpaniste et de ses usager, elect cependant se révéle une charlatanerie. Si la’ routine ne permet pas & autre chose de s'implanter, elle en rend. responsable l'incapacité. Selon elle, ceux du dehors sont, des scouts, des pionniers et surtout des figures tra- giques. Ceux qui suivront, au contraire, sont promis a un meilleur sort; s'ls s‘alignent, on les laissera entrer 4 Voccasion, Mais ceux-la, dehors, ne sont nullement, les pionniers des ceuvres futures. En effet, ils défient le concept de eapacité productive et d’euvre. Il suflit.que 2 Philosophie de la nouvelle musique Papologiste de la musique véritablement radicale veuille Gaventure se rlérer ala production déja existante de Técole de Schénberg, pour qu'il renie la cause pour laquelle il prend parti. Les soules ceuvres qui comptent ‘aujourd’hut sont Gelles qui ne sont plus des « ceuvres », Om peut le constater dans les) rapports, entre. les résultats « arrivés » de cette école et les témoignages de ses débuts. Du monodrame Erwartung qui déploie Yéternité d'un instant en quatre cents mesures; des images de Die glickliche Hand qui changent brusquement et reabsorbent en elles toute une vie avant qu'elle ait, pu siinstaller dans le temps, de la est issu Wozzeck, le Grand opéra de Berg. Mais justement un grand opéra. {Tressemble a 'Enwartung dans le détail aussi bien que dans la conception générale, comme représentation de Tangoisse. A Die gliicklicke’ Hand, par une insatiable superposition des complexes harmoniques, allégorie des, multiples couches du sujet psychologique. Mais, certes, Berg n'edt pas apprécié Pidée que, dans Wozzeck, i edt réalisé ce qui, dans les morceaux expressionnistes de Sehdnberg, ttzit présent comme simple possibilté. Cette tragédic mise en musique doit payer le prix de sa plénitude extensive et de Ia sagesse contemplative de Fon architecture. Les notations immédiates de I'expres- Sionniste Schinberg sont médiatisées de facon qu’elles donnent de nouvelles images de Mémotion, Ta précision de la forme s'avére comme moyen dabsorber les choes. La souffrance du soldat, impuissant dans la machinerie de Pinjustice, s'apaise ot se fige en style. On embrasse tt on calme. L’explosion de Fangoisse devient présen- table comme drame musical, et la musique qui réflécl Tangoisse trouve, avec une approbation 1é chemin du retour au schéma de la trans! Sehinborg et le progrés 8 Worzeck est un « chef-d’quvre », une cuvre de l'art traditionnel. Ce motif effaré en trente-deuxiémes, qui rappelle tant I'Enwartung, devient un leitmotiv qu'on ut réitérer et qu’en effet on réitére. Plus nettement il sintigre par 1a au discours musical, et plus volon- tiers il renonce & étre pris a la lettre : il se sédimente comme porteur d’expression, et la répétition émousse sa pointe. Qui loue Wozzerk en voyant dans cette ceuvre tun des premiers produits durables de la musique nou- velle, ne s'imagine pas combien son éloge compromet une pitee qui soullre de décantage. Avant tous les autres, dans une expérimentation audacieuse, Berg a appliqué ces nouveaux moyens a des euvres de plus longue haleine. Inépuisables sont la richesse et la variété des caractéres musicaux qu’égale Ie grandiose de la di position architectural. Dans la sobre compassion qu’ex- ime Ie son, veille un défaitisme empreint de courage. Réanmoins, Wozzeck rétracte sa position de depart, précisément dans les points oi il la développe. Les Impulsions de Peruvre, qui vivent dans ses atomes musi- eaux, insurgent contre Peuvre qu’elles produisent. Elles ne toltznt pas de résultat, Le réve dune pos: session artistique éternelle ne se voit pas seulement troublé du dehors par un état social menagant; la ten- dance historique méme des moyens refuse de le servir. La méthodologic de la nouvelle musique met en ques- tion ce que beaucoup de progressistes attendent delle : des ceuvres achevées, que Ton peut admirer une fois ppour toutes dans ces musées musicaux que sont les salles opéra et les salles de concert. TENDANCE DU maTERIAY. Supposer une tendance historique des moyens musicaux contredit la concep- tion usuelle du matériau musical défini du point de vue de la physique, a Ja rigueur du point de vue de la psy- chologie musicale, comme étant la totalité des sons dont Je compositcur peut toujours disposer. Mais le matériau Weemisgeet at Yon we» eo HEE peat page = BUSS cn a 4 Philosophie de la nouvelle musique de composition en differe autant que le langage parlé différe des sons qui sont A sa disposition, No ment, il diminue et augmente au cours de l'histoire, mais tous ses traits spécifiques sont des stigmates du processus historique. La nécessité historique imprégne fee traits d’autant plus parfaitement quils sont moins immédiatement déchiffrables comme earactires histo- riques. Au moment oit T'on ne discerne plus dans un accord ce qu'il y a en lui expression historique, eet accord exige impérieusement que son entourage tionne compte des implications historiques qui sont sa nature. Le sens des moyens musicaux ne s'épuise pas dans leur genése, et pourtant il n'est pas possible de les en séparer. La musique ne connatt pas de droit nature et c'est pourquoi toute psychologic de la musique est si problématique, Dans son elfortderendre invariablement ‘“compréhensiblenla musique detoute époque, cette psy- chologiesupposela constance du sujet musical. Cette sup- sition se rattache, plus étroitement, que ne voudrait, Peramettre la dfferenciation psychologique, a ls supposi- tion d'une constance du matériau naturel. Ce que cette différenciation déerit de facon insuflisante et gratuite, i faut le rechercher dans la connaissance de Ta loi ciné- tique duu matériau. Selon cette derniére, tout n'est pas ible & tout moment. Certes, il ne faut point attri- fen soi ot pas davantage & celui qui est filtré par le tem- pérament. Cela se voit par exemple dans 'argumenta- tion de ceux qui veulent conclure, soit des rapports @harmoniques, soit de la physiologic de Voreille, que accord parfait est la condition nécessaire et univer- sellement valable de toute conception musicale, et que our eette raison toute musique doit tre lige & lui Cette argumentation, que Hindemith aussi a fait sienne, n'est rien qu'une superstructure des tendances réaction- naires de la composition. L'observation la convaine de mensonge, qu'une oreille évoluée est capable de saisir les rapports les plus compliqués d’harmoniques avec Ia méme précision que ceux qui sont plus simples, sans éprouver nul besoin de « résolution » des préten- Schinberg et le progrés 45 dues dissonances. Ello se révolte plutst spontanément contre toute résolution en Ta prenant, pour ‘un reeul vers des manitres d'sudition plus primitives, de méme quia Fépoque de la basse chilfré, les successions de duintes Etarent blimées comme une sorte de regression archatque. Les exigences dur matétiau a Pegard du sujet, proviennent phutot du fait que le ematérias» TuFmeme, Peat de Hesprit sediment, quelque chose de socialement préformé a travers fa conscience des hommes: En tant fue subletvté primordial ayant pet la conscience ea nature anterioure, un tel esprit objectif du mati: Flaw ae ment selon ses propres lait Ayant la meme or ine que le processus socal et eonstamnment imprégné le sex traces ce qui semble simple automouveronteta tmatériau évelue dans Te inéme sens que la soiet relly mime lk oi es deux mouvements signorent ets fombattent, C'est pourguoy, la confrontation du compos Steur avec le materiau est aussi confrontation aves la Societe précisément dans la mesute ou celle-i a ponetee dans Fatuvre et ne Soppose pas 4 la production artis: tique comme un élément purement exteriur et het: ronome, comme consommateur ou, contradicteur, Les directives que le materau transmet au compositeut et aque cel trancforme en teu obcissant, se constituent dans une immanente interaction, Il est comprehensible au'a Ia naissance d'une technique on ne puiste pas anti Giper, sice nest de facon thapsodique, sur ses stades futur Mais econtsite ext ‘rai auts; En aucun cas, Je compositour ne dispose aujourd'hui indiferemment de toutes les combinsisons sonores qui ont 6 utili sées jusqu'a present. Méme Toreile a moins rallinge emarque parfaitement combien pauvres et usées sont aussi Bien certaines notes chromatiques de transition dans la musique de salon du xine stele que Faccord de septi¢me diminuée. Pour Lorelle eduquee, le vague transforme en un eanon probbitt, St tout mest pas duperi, clued exchut desbrmais les moyens de la'tonalité, done les moyens de toute Ia musique traditionnelle” Br ces accords ne sont pas simplement Alésuets et inactuels ls sont faux. Et ils ne remplissent 6 Philosophie de la nouvelle musique plus leur fonction. Le stade le plus avaneé des procédés dela technique musicale assigne des taches en comparai son desquelles les accords traditionnels se révelent des clichés impuissants. Il_y a des compositions modernes quia occasion entremélent des aceords tonaux dans leur contexte. Cacophoniques, le sont. alors de tels accords parfaits et non les dissonances. On peut méme parfois admettre ces accords comme les représentants valables des dissonanees. Toutefois responsable de leur fausseté n'est pas la seule impureté stylistique. Mais horizon technique, sur lequel tranchent les accords tonaux en produisant un elfot détestable, englobe aujourd'hui toute la musique. Et si un contemporain travaille exclu- sivement avee des accords tonaux, tel Sibelius, ceux-ci sonnent aussi faux qu’elles sonnent comme enclaves dans le domaine de Vatonalité, Mais il convient de faire une réserve. De la vérité et de la fausseté des accords ne cide pas leur apparition isl; on ne peut en juget que par rapport & Hétat général de la technique. L’ac- cord de septiéme diminuée, qui sonne faux dans les iéces de salon, est juste ot riche ’expression, au début je In Sonate op. 411 de Beethoven +. Dans ce morceau, non seulement ect accord n'est pas plaqué, non seule” ment il dérive du plan de construction de la sonate, mais encore le niveau général de la technique beetho- venienne, la tension entre l'extréme dissonance pour ‘til EA Be ar ek Serb Rseiee ee be ane ta Schonberg et le progrés 7 Jui possible et Ja consonance, la perspective harmo- nique qui s'assimile tous les événements mélodiques, la conception dynamique de la tonalité comme tota- Iité, tous ces éléments conférent & Paccord son poids spécifique, qu'il a perdu & travers un processus histo- rique pourtant bien inéversible 4. En tant que désuet, accord de septiéme diminuée représente, jusque dans son état de dispersion, un stade de la technique comme totalité, qui comtreditiestadeactuel. La vérite oula faus- seté de tout élément musical particulier fussent-elles sous la dépendance de ce stade total de la technique, ce stade cependant devient déchilfrable seulement dans les constellations déterminées des téches de la composi tion, Aucun accord n'est faux «en soi», ne serait-ce que pour la bonne raison qu'il n'y a pas d’accord en soi et que chaque accord renferme en lui Ie tout, et aussi toute Vhistoire. C'est précisément pourquoi, de son e6té, Ia faculté de Torele de distinguer le juste du faux’ est nécessairement lige a un accord defini et non pas Ja nélexion abstsite sur Je niveau giné- ral de Ja technique. Mais & partir de la se transforme "dée-que l'on se fait du compositeur, lequel perd rté en grand que Vesthétique idéaliste attnbue Gordinaire a Partiste. L’artiste n'est pas un eréateur. Leepoque eta scité Te restreignent non du dehors mais dans Texigence sévére d'exactitude, que ses ceuvres formulent & son égard. Le stade de Ia tech- nique se révéle 4 Ini comme probléme dans chaque mesure qu'il ose penser; aveo chaque mesure, Ia tech- born hing — dct to Somat Sethe iS Teen go hat ast Exe tag he erat se 48 Philosophie de la nowselle musique nique comme totalité demande a Vartiste quill lui tende justice et donne la seule réponse juste qu'elle fadmet au moment considéré. Les compositions ne sont Tien que de telles réponses, rien que des solutions 2 des rébus techniques, et le compositeur est Ia, seule personne qui sache les déchiffrer et comprendre sa propre musique. Son travail se fait dans Finfiniment petit et s'accomplit dans 'exécution de ce que sa Inusique exige objectivement de lui. Mais pour une telle obéissance, le compositeur a besoin de désobéir; la besoin d'indépendance et de spontantité : si di lectique est le mouvement du matériau musical. LA CRITIQUE SCHONDERGIENNE DE L’APPAT nENcE ET pu 3£U. Mais aujourd'hui ce mouve- ent s'est retourné contre leuvre close et contre tout ee qui s'y rattache. Quand méme le mal qui @ saisi Vidde de Peuvre dériverait d'un état de la, société 'offrant rien d'assez nécessaire pour garantir, Mhar- monie d'une cuvre se sullisant & elle-méme, les dif- ficultés prohibitives de Pouvre ne se dévoileraient pas dans la réflexion sur ce mal, mais dans le dedans Obscur de lceuvre méme. Si l'on pense au symptéme Te plus visible, au rétrécissement de I'extension dans le temps qui dans le musique constitue des aeuvres seu- Jement en tant qu'extensif, il faut dire qu’impuissance individuelle et incapacité & construire des formes sont les derniéres a en. porter la responsabilité. Aucune ceuvre, mieux que les plus breves pices de Schonberg et de Webern, ne pourrait faire preuve de densité et de onsistance dans leur structure formelle, Leur briéveté derive justement de lexigence d’extréme consistance. Celle-ciinterdit le superfétatoire; elle se retourne ainsi contre extension dans le temps, qui est & la base de Vidée d'osuvre musicale depuis le xvi sitcle, cr tainement depuis Beethoven. Un coup est porté a Veeuvre, au temps et & 'apparence. S'entrelacent la cri- tique du schéma extensif et la critique du contenu, cest-i-dire de la phrase et de V'idéologie. La musique, contractée en un seul instant, est vraie en tant que Schinberg et le progris 49 résultat d'une expérience négative. Elle s'adresse & la soufrance réelle Dans cet esprit, la musique nouvelle démolit les ornements et, en conséquence, les auvres symétrico-extensives. Patmi les arguments qui vous draient reléguer Tincommode Schonberg dans le passé du romantisme et de Vindividualisme, pour pouvoir servir avec meilleure conscience la routine des anteiennes et nouvelles eollectivités, le plus répandu, c'est celui qui l'étiquite « musicien de lespressivo » et stigmatise dans sa musique la « surenchére » d'un principe expres- sif devenu désormais eadue. Point n'est besoin ni de niier que son origine remonte espressivo wagnérien, ni de néghiger les éléments espresio,traditionnels de ses promiéres ceuvres, Ces éléments sont aut moins la hauteur du vide absolu. Cependant, depuis la rupture, ‘ou du moins depuis les Trois pidees pour piano op. 11, tt les Lieder sur les textes de George op. 15, sinon déja depuis le début, Pespressivo de Schonberg est qualita- tivement différent de lespressivo romantique, précisé- ment par cette «surenchére » qui en tire toutes les, conséquences. Depuis le seuil du xvi? siéele, la musique expressive occidentale adoptait une expression que le compositeur conférait & ses eréations — et pas seule- ment aux eréations dramatiques, comme le fait par exemple le dramaturge —, sans que les mouvements exprimés prétendent étre immédiotement présents et récls dans Vceuvre. Depuis Monteverdi et jusqu’a Verdi, Ta musique dramatique, comme véritable musica fita, présentait, expression en tant qu’expression stylisée, édiate, c’est-i-dire 'apparence des passions. Quand elle Aépassait cette apperence et revendiquait une substan- tialité au-dela de Papparence des sentiments exprimés, cette prétention ne sc rattachait guére a des mouve- tmonts masicoox qui eussent di éfléchir ceux de Péme; le trouvait une caution uniquement dans la totalit par ae eee i arent oie Joven, dang te etme finn si ek, 50 Philosophie de la nouvelle musique et & leur cobésion. I en est tout autrement chez Schonberg. Chez lui, Paspoct véritablement nouveau, Crest le changement de fonction de expression musi- cale. Il ne s'agit plus de passions feintes, mais on enre- stre dans le médium de Ia musique des mouvements je Tinconscient réels et non déguists, des choos, des traumas. Ils attaquent les tabous de la forme, qui sou- mettent de tels mouvements & leur censure, les ratio- nalisent et les transposent en images. Les innovations formelles de Schonberg étaient apparentées au change- ment du contenu expressif dont elles servent a faire ercer la réalité. Les premitres oeuvres atonales sont jes « procés-verhaux », au sens oi en psychanalyse on jarlerait de provés-verbaux de réves. Dans Je premier pee eee sin nant images de celui-ci des « actes eérébraux », Les vestiges de cette révolution de expression cependant sont ces taches qui se fixent au méme titre en peinture qu'en musique, contre la volonté de Pauteur, comme autant e messagers du ¢a, troublant la surface sans pouvoir {tre effacées par des corrections ultérieures pas plus que les traces de sang dans le conte} La souffrance réelle les a laissées dans Peuvre d'art pour signifier qu'elle nen reconnait plus Vautonomie, et c'est leur hété- ronomie qui délie Ia présomptueuse apparence de la musique. Cette apparence consiste dans Ie fait que dans toute la musique traditionnelle on emploie des élé- ments donnés et sédimentés en formules, comme s'ils dtaient la nécessité inviolable de précisément. ce cas particulier; ou bien, dans Je fait que Ie eas particulier Se présente comme s'il était identique au langage formel préétabli. Depuis lo début de Vre bourgeoise, toute la Brande musique s'est eontentée de simuler cette unité comme 5 lle net jamals uf brisé ot de justin & rartir de sa propre individuation la légalité générale et Eonventionnell 4 laqusle cette unité ext soumise. C'est A quoi la nouvelle musique oppose résistance. La eri= tique de Vornement, la critique de la convention et celle 1s, Dil th cst ucts ee Po pt Schinberg et le progrés Et de la généralité abstraite du langage musical, ces critiques ont toutes le méme sens. Sila musique est rivilégiée vis-a-vis des autres arts par Pabsence de Papparence, parce qu’elle ne fait pas d'images, elle a tout de méme contribué selon ses forces au caractére dapparence de Peuvre d'art bourgeoise, en s'elforgant infatigablement de concilier ses propres tiches aveo la domination des conventions. Schonberg a refusé aller dans leméme sens,en prenant ausérieux précisémentcette expression, dont la subsomption & la généralité conci- liatrice constitue le premier prineipe de T'apparence musicale. Sa musique dément la prétendue conciliation du général. etd particulier. Cette musique peut bien tirer son origine Pune propension en quelque sorte végé- tale; son inrégularité peut bien ressembler aux formes organiques, elle n’en est pas pour autant, jamais et nulle part, une totalité. Meme Nietzsche, dans tne anno tation occasionnelle, a vu lessence de la grande euvre @art en ce quielle peut étre dans tous ses aspects aussi autre qu'elle n'est. Que la liberté détermine l'art, suppose la validité obligatoire des conventions. La seu- Tement oit celles-ci, a priori et. hors de contestation, garantissent la trait, tout pourait en réalité tee dif érent, précisément parce que rien ne serait différent. La plupart des pices musicales de Mozart offriraient au compositeur d’amples alternatives sans qurelles per- dissent quelque chose pour autant. En conséquenee, Nietzsche a donné son assentiment aux conventions esthétiques, et son ultima ratio fut le jeu ironique avec des formes’ dont la substantialité s'est atrophiée. Chez celui qui ne se pliait pas a cela, il fairait du plébéien et du protestant : sa lutte contre Wagner a, pour une grande part, son origine dans cette attitude. Mais e'est Seulement avec Schonberg que la musique a relevé lo défi nietzschéen !. Ses pices sont les premibres oi réel- 52 Philosophie de la nouvelle musique Jement rien ne peut étre autre kit ne 'est : ils sont ERTL trorucls ot contructon” Dans cov pice, nen du jou. Schonberg a pris. une postion aus polémique Eid’ dh feu que isacvs do Topparence. Ilse fant te tele ce eat néo-objectivistes et contre une collectivité uniformisée, que contre 'ornement romantique. Ia formule les deux Positions « la musique a le devoir non pas d’orner me Tne vase et den ne donve pas de «pouvoir seas n't gontaintes?» Parle negation de Poppe rence et du jeu, la musique tend a la connaissance. piauecrieus pe ta souitupn. Mais la connais- Sance se fonde sur le contenu express de Ia musique méme. Co que ln musique radicale reconnatt, c'est la Souffrance non transfigurée de homme dont Pimpuis- Sance s'est accrue au point qurelle ne permet plus ni ie jeu ni Vapparence. Les confts inatinetuels — In musique de Schonberg ne laisse pas de doute sur Ie Garaclére sexucl de leur gentse —" ont acquis dans musique protocolaire une puissance. qui lut interdit de Ie anfortle dans le réconfort. Dans Pexpression de Pane goisse, comme « pressentiment », la musique dela phase Expressionnste de Schonberg rend eompte de Timpuis- Sanee. L'héroine du monodrame Ereartung, c'est une Femme qui, la nuit, en proie a hépouvante des téntbres, cherehe son aman, pour finalement le trouver assas- lng "Prolane dir Kumstunuricht, ia Muibalicer Taschen Schonberg et le progrés 53 sing. ie st ve Ta musique en quelque sorte comme tne patiente & un traitement psychanalytique. On Tus arrache Faveu de sa haine, de Son desir, dese jalousie et du pardon qu'elle accorde, et par surcroit, tout le symbolisme de ineonsefent, La musique se rappel son droit de consoler et de opposer seulement au moment du dire de Mhéroine. Cependant, Penregistrement ‘mographique des chocs traumatisants devient en méme temps la loi technique de la forme musicale, qut inter, Ait continuité et développement. Le langage musical se polarse vers ses extrémes et vers les gestes saveage pour ainsi dire des convulsions corporelle, et vers T mobilisation hagarde de celui que Fangoisce engourdit. Gest de cette polarisation que depend Punivers. for: mel de Webern et. du Schonberg de la maturite, Elle ‘étruit la x médiation » musicale que leur écale avait fuparavant portde jucqu'd un degré inattendu; Ia dif Terence entrelethérie et le développement, la constance du flux harmonique, la ligne. melodique ininterrome pue, In'est pas dinnovation technique de Schonberg {qu'il ne feille ramener & cette polarisati fon et qui nen conserve la, trace tnchanté de expression, (est peut nous aider & comprendre Pentrecroisement dea forme et du contenu dans toute Ia musique. Tl est erroné surtout de condamner comme formaliste une articulation tech. nique poussée, Toutes les formes musicales, et pes seu. Tement eelles de Vexpressionnisme, sont des cpntenus sédimentés, Bn cux survit ce qui autrement serait oubli et qui ne serait plus capable de parler directement. Ce {qui autrefois chercha refuge aupris de la forme, subs ste, anonyme, dans ta durée de celle-ct Les formes dd art enteyistrent histoire de "humanité aves plus exactitude queles documents, Aucun enduresseatent dea forme que Tan ne pulse interpréter comme nega tion de In dure vie. Mois que Tangoisse: de Thomeas solitaire devienne canon du langage des formes esthés tiques décéle quelque chose du secret de la solitude, La rancune contre Vindividualisme tardif de Tart est Dien mesquine, car elle méconmatt la nature socile 54 Philosophie de la nouvelle musique i 1s solitaire » di de cet individualisme, Le « discours soit dela tendance sociale que Ye discours commanictif Bee eee els sotate jusqu'au peroxysme, Schon. berg en a révélé le caractire social. Le «drame avec musique ® Die glichliche Hand, peut-étre Cale sa és le plus importante lawson dy tovalité tient dautant mieux deboat quelle ne set Jamatsselise comme eyimphonie achevée. Encore que sar eine soit qu'un expedient bien inulisant, on on oat pourtant pus Te detacher de Ta musique, Co font précisément les raccourcis grossiers du texte qui soon eat i la musiquese forme concise, et lui eonfereat ar la su vigueur et sa densité, Ainsi estce justement Rrcritique de cette prossiereté du texte, qui conduit fu centee de Ia musique expressionniste. Le protago- Site, rest le solitaire a le Strindberg, qui en amour ait Fexperience des mémes échees qu'il subit dans son Bchonberg se refuse a expliquer ce solitaire dans spective « peychosociologique », comme produit Yeidsoclété industrielle. Mais il anoté de quelle maniére is invita soit industriel sont dann rap a tradictgon permanente et comimuniquent par Pongutece, be teeisitme tableau du drame se déroule Gang un atelier et se trouvent « quelques ouvries au fabeur, en tenues réalistes de travail. L’un lime, un atre est & la machine, un troisiéme marti », Le héros tne dans Fateir, Eh dsant «on peut faire cla plus Implement »-— eritique symbolique du superfu—, i ttakeforme, per un coup de marteau magique, un mor- cen rte pre and, hs put er au fnéme résultat les ouvriers ont normalement besoin de saemjace compliques fonds sur le division dy travail Pixvant_quil ne souleve le marteau pour frapper, les {fravailleurs se dressent en sursaut et s'apprétent A se jeter sur lui. Entre-temps, il regarde, sans faire atten- ieee a cotte menace, au main gauche soulevée... Quand i inarieau tombe, fe viseges des ouvriers we igont de spears Veqle fa cute ou leno Tor et Wis enteLhomie se baisse le ramasse toma aia gauche, ele eve Tentement tout haut Schénberg et le progrés 55 Gest un diadéme, richement omé de piertes précieuses. » L’homme chante («simplement, sans émotion ») + Voila ‘comment on fait les parures. »'« Les mines des travail: leurs se font menacantes, puis méprisantes. Ils diseutent ‘entre eux et semblent de nouveau projeter un attentat contre "homme. Celui-ci leur lance en riant la parure. Us veulent se jeter sur Tui. Il s'est tourné et ne les voit pas.» Iei la seine se termine. La naiveté objective de ces événements, c'est simplement celle de l'homme qui ‘ene voit pas» les travailleurs. Il est aliéné, ctranger au processus réel de la production sociale, et n'est plus capable de reconnaitre le rapport entre le travail et la forme de l'économie : le phénomine du travail lui parait absolu. Que les travailleurs apparaissent sur la scene, dans le drame stylisé, en tenues réalistes, correspond Frangosee qu'¢prouve devant la production, eeluiqui en est séparé. C'est la peur de 'éveil elle qu'elle domine par- tout le conflit expressionniste entre la fiction thédtrale etlaréalité. Parce que le héros, sous lemprise du réve, se croit trop noble pour apercevoir les travailleurs, il pense que Ia menace vient deux, et non de cette totalité qui Ta violemment séparé deux. L’anarchie chaotique, produite par le systéme qui domine les rapports de tra vail entre les hommes, s'exprime par le transfert de la culpabilité sur les victimes. Mais en réalité, si ces vie~ times représentent une menace, ce n'est pas par leur elit, c'est plutot parce qu’elles ripostent a injustice universelle qui par chaque nouvelle invention met leur existence en peril. L’aveuglement qui fait que le sujet sine voit pas est lui aussi de nature objective, c'est Vidéologie de classe. C’est dans cette mesure que Tas peet chaotique de La Main heureuse — qui n'éclaive as ce qui n'est pas éclairé —, atteste cette honnéteté intellectuelle, que Schonberg défend contre le jeu et Tapparence. Mais la réalité du chaos n’est pas toute 1a réalité. En elle apparait Ia loi suivant laquelle la société fondée sur léchange se reproduit aveuglément, par- dessus la téte des hommes. Cette loi implique que croit contindment le pouvoir de ceux qui disposent des autres, Le monde est chaotique pour les victimes des lois éeo- 56 Philosophie de la nouvelle musique rnomiques de Ia valeur, et de la concentration. Mais il n'est pas chaotique «en soi, Le prend comme tel seu- Tement le particulier qu'opprime le prineipe inexorable du monde, Les fooes, gut rendent son monde chao tique, finalement prennent en main la réorganisation du thhos, pulsque c'est leur monde. Le chaos ost la fonc- tion du cosmos, le désordre avant Uordre. Chaos et sy3- time vont ensemble, aussi bien dans la société quem jhilosophie. Le monde des valeurs congu au miliew du Thacs expressonniste porte Tes traits de la nouvelle domination montante. l'homme de Die glickliche Hand ne voit pas son amants, pos plus quit ne, voit les travailleurs; il érige sa, compassion pour_lui-méme fevers i ge, compen, ow, mee force exerce son action dans la musique, sa faiblesse dans le texte. La critique de la réification, qu'il repré= sents est régetionnaie comme elle de Wagner, poi elle ne s'éleve pas contre les rapports, sociaux de awe othe pe cnt spp Sm de praxis de Schonberg soulre de cette confusion, Elle Est grevée de tentatives poétiques par lesquelles le compositeur compléte la connaissance extrémement spécialisée dela musique. Encore en cela se renverse une tendance wagnérienne. Ce qui dans Veuvre dart totale est encore tenu ensemble grace a une organisation ration- nelle du processus de production artistique et & son aspect progressif se disloque, chez Schdnberg, en élé- nents Gisparates. Schonberg’ demeure fidéle & ce qu subsiste, comme concurrent. « On peut faire cela plus simplement » que ne le font les autres. Le protagoniste de Schonberg a v autour de la taille une ceinture de corde, ou pendent deux tétes de Tures » et tient «& Ja main un glaive dégainé et ensanglanté ». Si dure que soit pour lui la vie en ec monde, il est tout de méme Thomme de la violence. La béte d'angoisse de la fable qui s'accroche & sa nuque, le force d’obéir. L'impuis- Sant se résigne & son impuissance et fait aux autres le tort qu’on lui fait. Rien ne pourrait montrer plus exac- ‘tement son ambiguité historique que Vindication scé- ‘que suivant laquelle Ja seéne « tient le miliew entre Schinberg et le progris 57 Yatelier d'un mécanicien et celui d'un orfevre ». Le héros, prophéte de la nouvelle objectivité, doit sauver, comme artisan, la magie de ancien mode de produc: tion. Son geste sobre contre Te superilu est bon juste- ment pour confectionner un diademe. Siegfried, son idéal, avait au moins forgé le glaive. «La musique ne doit pas étre un ornement, elle doit étre vraie. » Mais Vaeuvre d'art n'a encore que Tart pour abjet. Elle ne peut pas échapper dans Testhétique & l'aveuglement auquel elle appartient socialement. Aveugle, I'ceuvre d'art absolue,radicaloment allée, no se vne tae tologiquement qu’a elle-méme. Son’centre symbolique, tres Far. Mas ins ele sevide. Ceot dei la hauteut de Fexpressionnisme, que s'empare delle ce. vide qui deviendra manifeste’ dans la nouvelle objectivité. Ce quill anticipe sur celle-ci, l'expressionnisme le partage avec le Jugendstil et avec Part artisanal qui Pavaient précédé. A ces styles se rattache Die glickliche Hand dans des aspects comme celui du symbolisme des cou- Tours. C'est parce qu’elle s'était formée justement dans Tapparence, dans celle de V'individualité méme, que la protestation expressionniste peut sifacilement y retour- ner, L’expressionnisme reste, malgré lui, ee dont Part autour de 1900 faisait ouvertement profession + soli tude comme style. La souitupe comme sty. L’Envarlung contient ‘vers la fin, dans un des endroits les plus exposés, aux paroles «ceux qui passent sont mille et cent une citation musicale! Schonberg a empruntée a un lied tonal antéricur, dont le theme et le contrepoint sont enchas- sés avec le plus grand art dans le libre jew des voix de TEnwartung, sans nuire & Vatonalité. Le lied s'intitule Au bord du chemin et appartient au groupe de lop. 6, qui est exclusivement écrit sur des poemes du Jugend: stil. Les paroles, qui sont du biographe de Stirner, John Hervey Mackey, srétent le poist de rencontre entre fe Jugendstil et Vexpressionnisme, tout comme la musique 58 Philosophie de la nouvelle musique mui, malgeé une écriture pianistique de type brahmsien, Bouteverse In tonalité par des degrés secondaires chro: ‘matiques autonomes et par des heurts contrapuntiques. Le potme dit : « Ceux qui passent sont mille et cent, / Parmi eux je le cherche en vain. / Mes regards s'élancent sans repos, / Demandent au passant pressé, / Si c'est Tui... Et n'arrétent pas de demander, / Mais personne ne répond : « Calme-toi, me voici. » /'Le désir remplit, les sphites de la vie, / Que le remplissement n'emplit. / Et me voici, Inissée au bord du chemin, / Tandis que passe la foule, / A la fin, aveuglé par’le soleil, | Se ferme mon ceil fatigué. » Voila la formule du style de la solitude. La solitude est une. solitude collective : celle des habitants des villes qui ne savent plus rien Tun de autre. Le geste de T'individu solitaire devient, comparable; ainsi devient-il objet de citation pressionnisme décéle la solitude comme destin uni versel, Il cite méme oii Te passage evois donc, vois licbas, le jour se live» (Erwartung, mesure 389 sq.) ne nie’ pas le Lausch (ah! écoutel) du second acte de Tristan. Comme dans la science, la citation fait autorité, L’angoisse du solitaire qui_eite cherche un soutien auprés des valeurs éprouvées. Dans les protocoles expressionnistes, elle s'est émancipée des, tabous bourgeois de l'expression, mais une fois éman- cipée, plus rien ne Pempéche de’se livrer au plus fort. La position de la monade absolue dans Vart est & la fois + et résistance contre la mauvaise socialisation, et disposition pour une socialisation encore pire. exrnessronnisme comme omsnctiviré. Le Tenversement se produit de toute nécessté, Itdérive pré tisement du fait’ que le contenu de l'expressionnisme, Te sujet abvolu, n'est pas absolu. Dans son isolement, SEP Stea oar Scien en pig pers aoie "bonne bi tg Schinberg et le progres 59 apparatt la société, Le dernier des Cheurs d’hommes op, 39 de Schonberg en rend compte avec simplicité = «Nie toujours que ti en fasses partie! — Tu ne restes a3 igolé. » Mais une telle « union » devient évidente par le fait que les expressions pures, dans leur isolement, liberent des éléments de Vintrasubjectif, et done de Vobjectivité esthétique. Toute rigueur expressionniste, qui défie Ia eatégoric traditionnelle de uvre d'art, comporte de nouvelles prétentions & Ia justesse du « pouvoir-étre-ainsi-et-non-autrement », done de orga nisation. Tandis que expression polarise la cohérence musicale sur ses extrémes, la succession des extrémes reconstitue une cohérence. Le contraste, comme loi for- melle, ne présente pas moins un caractére de nécessité jue Ie « pont modulant » de la musique traditionnelle. Lon pourrait tts bien définir la technique dodccapho: nique postéricure comme un systime de contrastes, comme intégration des éléments disparates. Aussi long” temps que l'art se maintient a distance de la vie immé- diate, il n'est pas eapable de sauter par-dessus Pombre de sa propre autonomic et de son immanence formelle. Lexpressionnisme, hostile & Peeuvre, Te peut encore moins, en dépit de son hostilité, parce qu'en rejetant, Ja communication il insiste précisément sur cette auto- nomie qui s‘allirme uniquement dans la eonsistance des, qeuvres d'art. C'est cette contradiction inévitable, qui Interdit de s’en tenir a la position expressionniste. Tan- dis quill faut déterminer objet esthétique comme ce pur «cecilia, il dépasse ce « ccci-la » précisément en Vertu de cette détermination négative, du refus de toute n, auquel il est soumis comme & s@ loi. En nt de 'universalité, le particulier ‘acquiert Puniversalité précisément par s@ relation polé= mique et fondamentale avec elle. En vertu de son propre moule, le déterminé est plus que ce résultat d'un simple isolement, dont ila recu Fempreinte. Méme les gestes, de choe dans PEnwartung se. rapprachent de la for- mule sitot qu'ils se ré invoquent la forme qui les embrasse : Je chant qui termine le morceau, c'est un véritable « finale x. Appelle-t-on « objectivité », la 60 Philosophie de la nouvelle musique contrainte imposant de construire avec exactitude, une telle objectivité n’est nullement un simple mouvement posé 4 Pexpressionnisme; c'est ’expressionnisme dans son altérité, La musique expressionniste en adoptant Te principe expressif de 1a musique romantique tradi- tionnelle, I'a pris tellement a la lettre qu'll a acquis un caracfite protocolaire. Mais par la, méme, il se renverse. La musique comme protocole de expression n’est plus expressive »; au-dessus d’elle, ne plane plus, dans un vague lointain, la chose exprimée, en lui prétant le rellet de T'infini, Aussitdt que la musique fixe de facon nette et sans équivoque aucune, la chose exprimée, son propre contenu subjectif, ce’ contenu se fige sous son regard en devenant justement cet élément objec tif dont lexistence renie son earactére purement expres sif, Par son attitude protocolaire devant son objet, la musique devient elle-méme ¢ objective ». Ses explosions détrulsent le réve de la subjectivité non moins que les conventions. Les accords protocolaires brisent 'appa- renee subjective. Mais par 1a, ils finissent. par ne plus remplir leur fonetion expressive. Pew importe ce qu'ls refletent de fagon plus ou moins exacte comme objet, puisque c'est toujours la méme subjectivité dont le tharme s"évanouit devant Vexactitude du regard que Toeuvre d'art fixe sur cette subjectivité. Les accords protocolaires deviennent ainsi matériau de construction, fomme dans Die glickliche Hand qui est a la fois : document de Pexpressionnisme orthodoxe et cuvre. Par la reprise, Vostinato et les harmonies tenues, par Paceord thématique lapidaire des trombones * dans la demitre sedne, Die glickliche Hand se réclame de Farchitecture. Une telle architecture nie le psychologisme musical qui pourtant s'accomplit en elle. Par la, la Musique n'est pas seulement, comme le texte, réaction- naire par rapport au stade de connaissance de lexpres- sionnisme, mais elle le dépasse en méme temps. La tatégorie d’ « euvre » comme auvre achevée étant tota- Iité et cohérence sans fissure, ne s’épuise pas dans cette 4. Maras 26 268 ot 25, Schinberg et le progris et apparence que lexpressionnisme convaine de mensonge. Eile's'elermime ‘un double caractire. Si Taeuvre so révéle au sujet isolé et entiérement aliéné comme impos- ture de Vharmonie, de la conciliation en soi et avec autrui, en méme temps elle est I sa place Ia mauvaise individualité, complément de la mauvaise société, L'individualité prend-elle une atti- ‘tude critique a Pégard de Peuvre, celle-ci_adopte la méme attitude 4 Pézard de celle-a, La contingence de TVindividualité s'élove-t-elle contre ia loi sociale rejetée dont, cette contingence provient elle-méme, Veeuvre esquisse des schémas pour surmonter Ia contingence. Elle prend fait et cause pour la vérité de la société contre individu qui se rend compte de In non-vérité de cette société et qui est lui-méme cette non-vérité Est seul présent dans les ceuvres ee qui surmonte pareil- Tement Pétroitesse du sujet et celle de objet. Comme goneiiation a rete les sont le reflet de la ‘conei iation réelle. Dans la phase expressionniste, la musique avait congédié Ia prétention & le totalite, Encore la musique expressionniste était-elle restéo « organique » > Toujours langage, ell était demeurde subjective. ct peychologique. Cela la porte de nouveau a la totalité. L’expressionnisme n’a-t'il pas adopté une attitude assez radicale 4 I'égard de la superstition de organique, alors sa liquidation a dégagé une fois de plus Pidée de Pceuvres Phéritage de lexpressionnisme échoit. nécessairement en partage aux @uvres, ORGANISATION TOTALE DES éLémENTS. Co qui par la suite serait possible parait illimité. Tous les prin- cipes restrictifs de sélection de la tonalité sont tombés.. La musique traditionnelle devait s’en sortir avee un. Freee orem ‘ote Fld Pepnolezue dcop oe otf toran pata 62 Philosophie de la nowsele musique nombre extrémement réduit de combinaisons sonore, Grin portclrement dans le verte flat. quelle Saredngeat pour atsindre le specifique toujours 4 nou ‘Venu par det constellations du genéral, qui paradoxale- Tnentfe présentent comme identique a Funique. Leuvre Thtder Re Beethoven. est. Fexegese de ce. paradoxe. En revanche, aujourd'hui, les accords se maulent sur Tee exjgenees| now interchangeables.de leur atilination Canertte Avene convention winterdit aa compositeur fsonorieé dont i a besoin fei et fl seulement. Aucune Convention ne le contraint dese plier & bencienne gent ralite Avec la ibération du mteriay, s'est em méme temps acerue Ta. possibilite de Te dominer techniquee mont, Tout se passe, comme sila musique sétait arr Thee A la dertiere et présumée contrainte naturelle, quexerce sa matiere, comme si elle était capable de dominer cette matiere Hbrement, consciemment et avee fuoidite: Le compositeur s'est émancipé en méme temps aque les sons Les diferentes dimensions de lam pnale-do'TOcekdent — mslodie, harmonie, contrepoint, forme eterehestration se sont développées historique. tent dans une relative indépendance es anes par Tap- port aux autres, sons planet dans cette mesure «instine- ESement Sine fa ob Mune est dover fonction de autre comme par exemple durant la période romen- tique In melodie fut une fonetion de Tharmonie, Pune ist pas wértablement issue de autre elles se sont plo- tat apimilées reciproquement, La mélodie« paraphra- fait la fonction harmonique; Phatmonie se dffrencait Sn crvice des valeurs melodiques. Encore la Hbération tiem de aod de son views corciee Wa ond parfait, par Te ied romantique, reste-elle dans Te cadre dea grate hams. Lewragiement avec foquel est gccompli epanouissement des fores de pro- Augtion musicale, surtout depus Beethoven, sboutisea 8des disproportions, Chaque fois quam domaine sols du matenauta été développé dans Telan de Thistoire, tovjouss autres domaines restaient en. arviere on Sanwainquantde eur mensonge, dans Yoni de Peruvre, fox partes plus avancees. Pendant la periode roman” Schonberg et le progrés 63 tique, cela valeit avant tout. pour le contrepoint qui Gevenait un simple cadest & Ta. composition honor phonique. Les choses en restent soit & la combinaison extérieure des thémes pensés homophoniquement, si & Vhabillage purement décoratif du « choral » harmo- nique avec des pseudo-parties. En cela Wagner, Strauss et Reger se ressemblent. Mais en méme temps tout contrepoint, suivant son sens propre, consiste dans la simultanété de voix autonomes: Voublieti il devient alors du mauvais eontrepoint. Exemples frappants, les trop bons» contrepoints du romantisme tardif. Is sont concus suivant les schémas harmoniques-mélo- iques. Ils exercent leur action comme voix principale encore la oi ils devraient agir comme simples figures de la texture des voix. Ainsi ils rendent indistinct le dessin des voix et désavouent la construction par une afléerie importunément mélodiuse, De, tes is roportions ne se limitent pas au détail technique; elles evlennent des foreeshistoriques du tout. Car 4 mesure que se développent les domaines particuliers du maté- riau, dont certains se fondent un dans Pautre — comme dans Je romantisme, Ia sonorité instrumentale et la sonorité harmonique —, se dégage clairement lidée de cette organisation rationnelle trés poussée de tout le ‘matériaw musical, qui imine de telles disproportions. Elle participait déja a l'aeuvre d’art intégrale de Wagner; c'est Schénberg qui en achéve la réalisation. Dans sa musique, toutes les dimensions non seulement sont, développées d'une maniére égale, mais encore elles sont produites Pune @ parti de autre, de telle fagon elles convergent. Déja dans sa phase expressionniste, Scohnberg avait la vague idée dine telle convergence, comme par exemple dans le concept de Klangfarben: ‘melodie. Ce concept dit que le simple changement instru mental de timbre, Ies sons restant les mémes, peut prendre une force de mélodie sans quill se produise une ‘vraie mélodie au sens proprement traditionnel du terme. Plus tard l'on cherchera un dénominateur commun pour toutes les dimensions musicales : c’est 1, Porigine de la ‘technique dodécaphonique. Son apogée, ¢'est la volonté

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