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PAROLES DE

TRADUCTEUR·TRICE·S
CGS – L3 – 2022/23

Ludivine Bouton-Kelly
Où parlent et d’où parlent les
traducteur·trice·s ?
Qu’ont-il·elle·s à dire ? Quel rôle ont-
il·elle·s ? En quoi leur parole participe-t-elle
et appartient-elle à l’histoire littéraire ?
Le·a traducteur·trice prend généralement la parole dans
l’espace paratextuel (prologue, notes, préface,
postfaces, adresses, etc.) pour de multiples raisons :
 
• Expliquer sa démarche
• Commenter le texte qu’il·elle a traduit
• Analyser les difficultés qu’il·elle a rencontrées
• Justifier ses choix/partis pris
• Rendre compte de sa retraduction, le cas échéant
Le·a traducteur·trice est généralement comparé·e à un
passeur, un intermédiaire, qui fait le pont entre les
langues, qui fait le lien entre les cultures, ce qui le·la
rend nécessairement invisible ou secondaire.
La position du·de la traducteur·trice:

• Ancillaire?
• Secondaire?
• Autoritaire?
• Ancillaire?
Le traducteur·trice au service du texte/de
l’auteur·trice

• Secondaire?
Le traducteur·trice intervient toujours après
l’auteur·trice

• Autoritaire?
Le traducteur·trice est-il·elle auteur·trice? La
Sans compter que la traduction s’apparente pendant
longtemps à un acte d’appropriation/de domination.

Qu’en est-il aujourd’hui?


Que font les traducteur·trice·s? Comment conçoit-on le
geste de la traduction aujourd’hui?
« […] Ce que nous cherchons, ce n’est pas l’éloquence attique, mais l’éloquence
parfaite. Or, entre les orateurs grecs, les plus remarquables ont été ceux qui ont vécu à
Athènes ; parmi ceux-ci, l’on ne conteste pas à Démosthène le premier rang ; donc
imiter Démosthène, c’est, on le comprend, posséder à la fois l’éloquence attique et
l’éloquence parfaite ; par suite, puisque les Attiques sont proposés à notre imitation,
être éloquent, c’est posséder l’éloquence attique.
Mais, comme on commettait une forte erreur sur ce qu’était le véritable genre attique,
j’ai cru devoir entreprendre un travail utile à ceux qui aiment ces études, mais qui, à
moi personnellement, n’est pas nécessaire. J’ai mis en latin les deux plus célèbres
discours des deux Attiques les plus éloquents, Eschine et Démosthène, discours dont
l’un répond à l’autre ; je les ai mis en latin, non pas en traducteur mais en orateur ; les
pensées restent les mêmes, ainsi que leur tour et comme leurs figures ; les mots sont
conformes à l’usage de notre langue. Je n’ai pas cru nécessaire de rendre mot pour
mot ; c’est le ton et la valeur des expressions dans leur ensemble que j’ai gardés. J’ai
cru qu’il me fallait payer le lecteur non pas en comptant pièce par pièce, mais pour
ainsi dire en pesant la somme en bloc.  » Cicéron, Du meilleur genre d’orateurs, texte établi et traduit par
Henri Bornecque, Paris, Les Belles Lettres, 1921, p. 111
“verbum pro verbo” : mot à mot
Le geste de la traduction consiste avant tout à
imiter, à annexer, à s’approprier pour Cicéron.
« Oui, quant à moi, non seulement je le confesse, mais je le professe sans gêne
tout haut : quand je traduis les Grecs — sauf dans les Saintes Écritures, où
l’ordre des mots est aussi un mystère — ce n’est pas un mot par un mot, mais
une idée par une idée que j’exprime. »

Saint Jérôme, Lettres, T. III, Paris, les Belles Lettres, 1953, texte établi et traduit
par Jérôme Labourt, « Lettre LVII, à Pammachius », pp. 55-73
« Il est malaisé quand on suit les lignes tracées par un autre, de ne pas s’en écarter en
quelque endroit ; il est difficile que ce qui a été bien dit dans une autre langue garde le
même éclat dans une traduction. Une idée est-elle indiquée par un seul mot propre,
mais je n’ai pas à ma disposition de quoi l’exprimer ? Alors, pour chercher à rendre
complètement le sens, je parviens malaisément, et par un long détour, à couvrir la
distance d’un chemin qui est bien brève en réalité. Ajoutez les écueils des hyperbates,
les différences de cas, les variantes des figures, enfin, le génie de la langue lui-même,
qui lui est propre et, pour ainsi dire, de son cru. Si je traduis mot à mot, cela rend un
son absurde ; si, par nécessité, je modifie si peu que ce soit la construction ou le style,
j’aurai l’air de déserter le devoir de traducteur. » Et, après de nombreuses
considérations, qu’il serait oiseux de reproduire ici en entier, j’ai encore ajouté ceci :
« si quelqu’un ne voit pas que le charme d’une langue est altéré par la traduction,
qu’il rende mot pour mot Homère en latin ; — je vais aller plus loin : que dans sa
propre langue, mais en vocabulaire prosaïque, il traduise le même auteur : il verra que
le style devient ridicule et que le plus éloquent des poètes manque presque
d’élocution. »
« De tous les langages du monde (Prescian le dit) latin est le
plus habile pour mieux exprimer son intention. Or il a été
impossible de traduire tout Aristote, car y a plusieurs mos
grecs qui n’ont pas de mos qui leur soient correspondans en
latin. Et comme il soit que latin est a present plus parfait et
plus habundant langage que francois, par plus forte raison l’on
ne pourroit transplanter proprement tout latin en francois.

N. Oresme in Paul Herbert Larwill, La théorie de la traduction au début de la Renaissance,


Münich, Wolf, 1934, p. 12.
La traduction devient une pratique constitutive de
l’élaboration d’une langue, le français.
Ainsi, la traduction évolue et devient à la
Renaissance une pratique qui brise le cadre
hiérarchique médiéval dans lequel des langues
reines (Cervantès), le latin, le grec, et l’hébreu,
dominaient de très haut les langues vulgaires. Le
XVIe siècle a modifié à la fois le rapport des
langues reines entre elles et – consécutivement –
le rapport de ces langues avec les vulgaires.

Cf. Antoine Berman


À la Renaissance, apparaît le terme de
« traductio », terme adopté dans la quasi totalité
des pays européens, à part en Angleterre où on
utilise un autre terme: « translatio ». Toute langue
peut désormais devenir « langue de savoir ».
C’est à cette époque que la notion d’œuvre
originale apparaît.

i.e. on commence à signer les tableaux


Notion d’original: très importante dans l’histoire
de la traduction
Paroles de traducteur·trice·s:

• rapport à l’original: fidélité (sourcier? cibliste?)


• rapport au texte lui même/à la langue: perte?
gain?
• rapport au temps: secondarité de la traduction
• rapport à l’auteur·e: servilité

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