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Histoire de l'art

Le Monument à Mickiewicz de Bourdelle et son double


commentaire par l’artiste
Maria-Teresa Diupero

Abstract
A notebook has recently been found at the Bourdelle Museum in Paris, a notebook kept by the sculptor between 1908 and 1929
and concerning his Monument to Mickiewicz. This document gives us the opportunity to analyse several instants and several
forms of commentary by the artist on his own work. Bourdelle included in this notebook several extracts from an article he wrote
about the monument and which was published in a journal in January 1923. These extracts are stuck opposite ink and wash
drawings executed, so the artist says, in 1923, on re-reading his published text. He also wrote extracts from this text on the
drawing pages of the notebook, and adds what seem to be titles and captions. Themes dear to the artist emerge here : the unity
of the three Polands, the Poet-Pilgrim, creation as the union of calculation and emotion. Some of these themes are in close
correlation with symbolist ideas. Similarly, certains motifs in the drawings are also to be found in the works of other symbolist
artists, in particular Gustave Moreau and Odilon Redon. One of the most remarkable drawings in this series of six is
undoubtedly the portrait of Ladislas Mickiewicz, the son of the poet, portrayed as a prophet-like figure.

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Diupero Maria-Teresa. Le Monument à Mickiewicz de Bourdelle et son double commentaire par l’artiste. In: Histoire de l'art,
N°29-30, 1995. Varia. pp. 89-101;

doi : https://doi.org/10.3406/hista.1995.2659

https://www.persee.fr/doc/hista_0992-2059_1995_num_29_1_2659

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Maria-Teresa DlUPERO

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Le Monument à Mickiewicz

de Bourdelle

et son double commentaire

par l’artiste

«que
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sculpture
dessin dans
n ’est
E. pas
tous
A. Bourdelle
autre
les sens.
chose»

Un document récemment découvert au Musée Bourdelle révèle un nouvel aspect de l’œuvre


de Bourdelle : les sept dessins inspirés par le Monument à Mickiewicz (1908-1929) 1 constituent
un témoignage précieux sur les relations que l’artiste noue entre la sculpture, la poésie et la
peinture. Ces dessins inédits, exécutés quinze ans après l’exposition des premières maquettes
du monument, sont accompagnés d’un récit. Ensemble, ils retracent la genèse de cette œuvre
àdesaBourdelle.
théorie deIlsl’art.
précisent
A travers
ses idées
ce double
et les commentaire
détails essentiels,
du Monument
en même àtemps
Mickiewicz
qu’ils —
renvoient
écrit et
dessiné — l’artiste exprime son idéal («
ma recherche »), tout en évoquant les sujets de la pein¬
ture de son époque, notamment ceux de symbolistes : Arnold Bôcklin, Gustave Moreau et Odilon
Redon.

Le commentaire du Monument à Mickiewicz est formé de deux parties : d’une part, des extraits
du texte publié de Bourdelle « Comment j’ai aimé et senti Mickiewicz » et, d’autre part, sept
dessins correspondant à ces extraits. Ces dessins sont exécutés à la plume et à l’encre et à l’aqua¬
relle sur les pages de gauche d’un cahier (18 x 20 cm), fabriqué avec des feuilles de papier d’éco¬
lier par Bourdelle lui-même. Le cahier comporte vingt-huit pages dont onze foliotées par l’artiste.
Les sept pages de droite, ainsi que les pages 8, 9, 10, 1 1 portent les extraits du texte imprimé,
découpés et collés par Bourdelle (ces dernières pages ne sont pas accompagnées de dessins,
l’artiste ayant laissé le cahier inachevé). En guise de couverture, il a utilisé deux photogra¬
phies des détails du Monument à Mickiewicz, publiées avec son texte : la reproduction de « l’Epopée
polonaise » découpée et collée sur la première page, et celle de la « statue du poète » collée
sur la dernière. L’artiste a par ailleurs inclus une troisième reproduction, la « tête de Mickie¬
wicz », en page 26.
Le texte « Comment j’ai aimé et senti Mickiewicz », écrit en décembre 1922 selon l’annota¬
tion de Bourdelle en première page du cahier, fut publié le 15 janvier 1923 dans le numéro
spécial de La vie consacré à Mickiewicz2. A travers ce commentaire lyrique du Monument,
l’artiste présente l’histoire de la commande de l’œuvre, le monument lui-même avec ses détails,

89 HISTOIRE DE L'ART N° 29/30 MAI 1995


Fig. 1
Antoine Bourdelle, Monument à Mickiewicz (1908-1929), Paris, cours Albert Ier, bronze, H. 12,60 m.
(Photographie de la Conservation du Musée Bourdelle, Paris)

90 LE MONUMENT À MICKIEWICZ DE BOURDELLE


ainsi que les étapes de sa création. Enfin, il explique les principes de sa théorie sur l’art et
sa méthode de travail. On peut le diviser en cinq parties : 1/ genèse du Monument à Mickiewicz
(Comité franco-polonais) ; 2/ suite de l’histoire du monument, réflexions sur la Pologne et sur
la théorie de l’art ; 3/ partie descriptive (monument, Trois Polognes, Epopée polonaise) ; 4/ partie
narrative (réunion du Comité, projets du monument, rencontre avec Ladislas Mickiewicz) ;
5/ réflexions sur la forme du monument. Bourdelle propose sa propre lecture du Monument à
Mickiewicz, à travers les allégories du Poète-Pèlerin, de Y Epopée polonaise et des Trois Polognes, tandis
qu’il évoque le contexte historique des longues années de sa création. Le commentaire du monu¬
ment met en valeur par-dessus tout la dimension personnelle et symbolique de celui-ci dans
son œuvre, comme l’artiste l’avoue lui-même : « Alors j’ai porté dans mes jours le poète pro¬
phète, le Vates qui plânait au Collège de France entre Le Michelet de feu et les précis d’Edgard
Quinet [jfc] 3. »
Les passages évoquant la théorie de l’art de Bourdelle et sa méthode de travail deviennent
des textes autonomes, tel celui où l’artiste explique la manière selon laquelle il organise son
programme iconographique autour d’une partie essentielle : « En tout je cherche l’élément cen¬
tral. Je cherche
ordonne les univers
le total
4. » moral qui ne se peut remplacer; j’en recherche l’ordre plastique qui

Ce qui retient l’attention dans ce texte, c’est l’unité des passages descriptifs, « réalistes »,
avec des éléments émotionnels issus du langage symboliste de l’artiste. Ainsi dans le premier
chapitre, après avoir présenté le Comité franco-polonais et la liste de ses membres, pour souli¬
gner la dimension émotionnelle du monument dans sa création, Bourdelle ajoute-t-il : « Et quel
écho, il réveilla en moi, lorsque entre 1908-1909 ce Comité me demanda de préparer un plan
de Monument, à élever à Adam Mickiewicz [...]. Son œuvre avait gravé en moi, profondé¬
ment, avec l’effroi de l’esclavage, la terreur de la grande croix polonaise, qui raidissait ses
bras sous la lourdeur des neiges Sibériennes 5. »
II

Le texte est illustré par des dessins postérieurs, exécutés en janvier 1923 (comme le note
Bourdelle sur trois d’entre eux). Ils se divisent en trois groupes thématiques : 1/ ceux qui se
rapportent à la genèse et l’histoire du Monument à Mickiewicz (fig. 2, 5 et 8) ; 2/ ceux qui repré¬
sentent ses détails (fig. 6 et 7); enfin 3/ ceux qui renvoient à la théorie de l’art de Bourdelle
(fig. 3 et 4).
Il est à noter que, parmi les sept dessins, deux représentent des personnages allégoriques :
« Les trois Polognes » et « L’Epopée de défense » (ou « L’Epopée polonaise »), tandis que
deux autres sont inspirés par des personnages réels, Napoléon et Ladislas Mickiewicz. Seul
le troisième dessin exprime de façon allégorique la théorie artistique de Bourdelle selon laquelle
« le feu et le précis » doivent collaborer. L’artiste a réalisé ces dessins, précise-t-il sur deux
d’entre eux, en « lisant [son] texte ». Il les a légendés de deux façons : dans cinq cas (fig. 3
à 7), il a emprunté une citation à son étude ; aux deux autres (fig. 2 et 8), il a donné un titre
original.

La conception du Monument a occupé vingt années de la vie de Bourdelle au cours des¬


quelles il a subi des modifications dues à l’imagination de l’artiste et à la situation politique
de la Pologne.
L’idée de l’œuvre avait été lancée entre 1908-1909, grâce à l’initiative du Comité franco-
polonais fondé en mars 1909 à Paris par, entre autres, Paul Adam, Maurice Barrés, Ernest
Denis, Anatole France, André Gide, Auguste Rodin et Marius-Ary Leblond (pseudonyme col¬
lectif de Georges Athénas et Aimé Merlo) 6. Ces deux derniers s’adressent à Bourdelle qui
s’était intéressé à la Pologne dès l’âge de vingt-quatre ans dans le salon littéraire de Mme Jules
Michelet à Montauban. En 1909, l’artiste a fait un voyage en Pologne et a relaté ensuite, en
divers écrits, ses études sur le pays, sur la nation polonaise et sur les poètes romantiques polo¬
nais : Adam Mickiewicz et Jules Slowacky 7 . A son retour à Paris, il a établi de nouveaux con¬
tacts avec des élèves polonais venus étudier en France (entre 1909-1929) 8 et fait partie de plu¬
sieurs associations culturelles franco-polonaises9. En 1911 Bourdelle lui-même déclare à l’écri¬
vain polonais L. H. Morstin : « La Pologne est le pays entre tous les autres que j’aime le mieux
après l’aimer
pour ma patrie.
et l’admirer
Je ne sais10.pas
» tout sur la Pologne, mais je sais beaucoup et cela me suffit

91 HISTOIRE DE L’ART N° 29/30 MAI 1995


Comment fai aimé et senti
Mickiewicz.

Fig. 2
Antoine Bourdelle, Un monument à Adam Mickiewicz 1909-1917, 1923, Paris, Musée Bourdelle
(collection Dufet-Bourdelle), encre et aquarelle sur papier, 20 x 15,5 cm, inv. 3460.
(Photographie de la Conservation du Musée)

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Fig. 3
Antoine Bourdelle, L ’empereur-ouvrier, 1923, Paris, Musée Bourdelle (collection Dufet-Bourdelle),
encre et aquarelle sur papier, 20 x 15,5 cm, inv. 3452.
(Photographie de la Conservation du Musée)

92 LE MONUMENT À MICKIEWICZ DE BOURDELLE


Entre 1908 et 1910 l’artiste exécute deux premières esquisses du Monument à Mickiewicz 11 :
une simple colonne surmontée de la statue du poète, tandis que le milieu du fût comporte la
figure de Pégase. Ces esquisses ne contiennent pas encore les bas-reliefs 12 . Bourdelle réalise
ensuite la maquette appelée « primitive », où Pégase a été remplacé par une figure allégorique
de la femme ailée brandissant un glaive : l’Épopée polonaise 13. Il a présenté les premiers cro¬
quis du monument ou les photographies de cette maquette à une réunion du Comité franco-
polonais en 1909 à laquelle assistait le fils du poète — Ladislas Mickiewicz 14.
L’idée des bas-reliefs occupant la base est de la même année 1909 où le sculpteur exécute
des esquisses : Konrad Wallenrod (deux versions : plâtre, bronze), Le vieux barde Halban (bronze),
Aldona (plâtre), Dziady-Aïeux (bronze) et Les captifs (plâtre). Ils sont inspirés directement de l’œuvre
de Mickiewicz, tandis que le haut-relief des Trois Polognes (plâtre) est dû à l’imagination de
l’artiste. Il est à noter que la première version des Captifs représente quatre figures, alors que
dans la version finale (1928, bronze), l’artiste en a réduit le nombre à trois; quant à la scène
des Dziady-Aïeux, projetée en 1909 dans la maquette « primitive », elle évoque un personnage
en mouvement qui devient plus tard, en 1928, une femme agenouillée, inspirée des IIe et IVe par¬
ties des Aïeux de Mickiewicz {Aïeux, 1928, bronze). Cette même année 1909, Bourdelle a par
ailleurs proposé une esquisse en bronze pour un bas-relief, Pégase, qu’il n’a pas exécuté.
Au cours des années 1909-1910, l’artiste réalise deux veisions de la statue de Mickiewicz,
représenté comme un pèlerin en marche, bâton à la main : la première version comporte trois
épreuves en bronze sur un modèle en plâtre; la seconde version comporte cinq épreuves en
bronze sur un plâtre. Il présente par ailleurs deux épreuves en bronze de la tête du poète por¬
tant l’inscription « Essai de résurrection de la forme intime d’Adam Mickiewicz à Constanti¬
nople en 1855 ».
C’est pendant la Première Guerre mondiale en 1917 que naît la sculpture L’Epopée polonaise.
Bourdelle avait commencé à réaliser le torse sur le projet de 1909, présenté dans la « maquette
primitive » (il existe un plâtre et huit épreuves en bronze), ainsi que deux études pour la tête
(en plâtre et en bronze). En 1920, l’artiste se remet à travailler sur la statue de Mickiewicz.
Il expose la même année la tête du poète en plâtre avec l’inscription : « Fragment du monu¬
ment à Adam Mickiewicz et à la résurrection de la Grande Pologne » (un exemplaire en bronze,
deux études en plâtre, trois études en bronze d’après une des études) 15. En 1921, Bourdelle
retravaille l’ensemble du monument dont l’esquisse en plâtre accompagnée de L’Epopée polo¬
naise est exposée au Salon de la Société nationale des beaux-arts 16. Les années suivantes,
l’artiste complète la partie supérieure de la colonne avec la figure du poète et L’Epopée polo¬
naise-, en 1924, il exécute la statue du poète lui-même (plâtre, quatre épreuves en bronze). En
1926, Bourdelle reçoit de la Pologne, devenue pays libre, à la fois une commande et un soutien
financier qui lui permettent de réaliser la version finale de son Mickiewicz 17. En 1927, le frag¬
ment du monument comprenant le poète et L ’Epopée polonaise (tous deux en bronze) est de nou¬
veau exposé au Salon de la Société nationale des beaux-arts 18 . L’année 1928 est consacrée
aux bas-reliefs qui subissent quelques retouches, notamment la scène des Dziady-Aïeux et les
Captifs. Les trois Polognes symbolisant la Pologne ressuscitée, d’abord placées en 1908 à l’arrière
du monument, sont installées sur le devant pour souligner l’importance de sa nouvelle liberté.
Bourdelle a conçu son œuvre pour une petite place dans le Quartier Latin, lié particulière¬
ment au personnage de Mickiewicz, professeur au Collège de France 19. En 1926, il insiste
encore pour que cet emplacement lui soit accordé 20 . Mais comme il y avait déjà à cet endroit
le groupe de bronze Triton et Neréide de Gustave Crauk (installé en 1883) 21 , le Monument à
Mickiewicz — fondu en bronze par Alexis Rudier — sera installé et inauguré place de l’Alma
le 28 avril 1929, puis déplacé en 1958, à cause des travaux entrepris, à l’extrémité du cours
Albert Ier. Restauré en 1993, il a retrouvé cet emplacement le 5 octobre 1993, occasion d’une
nouvelle inauguration.
Revenons aux trois dessins se rapportant à la genèse du monument.
Dans le dessin légendé « UN MONUMENT À ADAM MICKIEWICZ 1909 1917 » (fig. 2), l’artiste
cherche à donner une synthèse de son œuvre avec ses formes essentielles : le Poète-Pèlerin en haut
et l’Epopée polonaise aux deux-tiers de la colonne. Bourdelle supprime d’autres éléments du
monument, notamment les bas-reliefs, pour mettre en valeur l’axe vertical et l’axe horizontal
qui forment une croix, comme le sculpteur l’explicite lui-même, dans un autre texte consacré au
Monument Mickiewicz , « Le monument franco-polonais à Adam Mickiewicz. Son symbole l’Épo¬
pée de Défense » (1920) : « Le tout est une espérance construite, et il est une croix aussi ce

93 HISTOIRE DE L’ART N° 29/30 MAI 1995


monument composé de deux signes; l’un vertical qui va du sol au ciel, et l’autre horizontal

de
[•■•]22->>
La
brunforme
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la silhouette
de du
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ciel et de des
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pour accentuer
(quelques
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entou¬
rage) mettent en valeur ce symbole du Mickiewicz de Bourdelle, tout en évoquant les premières

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monu¬

pendant
dans la durée
la Première
de l’élaboration
Guerre mondiale.
du monument.
Avec ces deux dates, Bourdelle introduit le spectateur
Le dessin légendé « SE FIT EN MOI COMME UNE FLEUR D’AURORE » (fig. 5) est une compo¬
sition plus détaillée, dans laquelle L’Epopée polonaise est remplacée par « le poète sur Pégase »,
comme l’indique l’annotation manuscrite précisant qu’il s’agit d’une « 1ère pensée ». Le thème
de Pégase est d’ailleurs fréquent dans l’art de la seconde moitié du XIXe et du début du
XXe siècle, entre autres chez Gustave Moreau et Odilon Redon. Gustave Moreau l’illustre dans
Le poète voyageur (1891, huile sur toile, Paris, Musée Gustave Moreau) et Hésiode et les muses
(1860, Paris, Musée Gustave Moreau), Odilon Redon dans Pégase captif (1889, lithographie),
Cheval ailé (1894, lithographie), Pégase et le dragon (vers 1907, huile sur carton, Otterlo, Rijks-
museum
Dans leKrôller-
dessin deMüller)
Bourdelle,
23 . la silhouette du monument surmonté du Poète-Pèlerin se découpe
sur un ciel bleu intense; dans le soubassement sont esquissées Les trois Polognes. Un arc-en-ciel
jaune et rose contraste avec le brun sombre de la colonne et divise la composition en deux
parties : la partie « terrestre » est constituée par le soubassement avec les bas-reliefs et les Trois
Polognes qui renvoient aux œuvres de Mickiewicz, tandis que la partie « céleste » contient les
personnages du Poète-Pèlerin et celui de Pégase. Le bleu lumineux du ciel accentue d’ailleurs
cette division et annonce la présence du sacré dans l’allégorie. Le sculpteur explicite ainsi l’élan
vertical du monument, celui qui doit exprimer la récompense promise à la nation polonaise,
privée de
donne auxsonétoiles
territoire
24 . » pendant de longues années : « [...] puisqu’on te prit tes fleurs, je te

La ligne formée par les ailes de Pégase et la silhouette du Pèlerin évoque aussi une fleur qui
se détache sur le fond et rappelle l’expression employée par Bourdelle pour définir le mode
organique de conception de son monument : « [il] se fit en moi, comme une fleur d’aurore 25. »
On peut le rapprocher à nouveau de Gustave Moreau dont la Fleur mystique (1890, huile sur
toile, Paris, Musée Gustave Moreau) représente la Vierge Marie trônant parmi des pétales
de lys et participe aussi de la thématique du martyre : « [...] arrosée de leur sang [sang des
martyrs chrétiens] cette fleur mystique, symbole de pureté 26 . »
Le septième dessin, légendé « Ladislas Mickiewicz regardant Les Tracés » (fig. 8) évoque
la réunion du Comité franco-polonais, « un soir de 1909 », où Bourdelle présente son projet
en présence de Ladislas Mickiewicz (1838-1926) : « Ladislas Mickiewicz [...] était là, en tout
semblable à un grand arbre sous la neige. / Je lui fis tenir lentement, tous les détails avec l’en¬
semble [...] 27. » A la vue de ces documents, le fils du poète légitime par son approbation
l’œuvre de Bourdelle : « [...] cet homme accoutumé à résister aux désespoirs les plus rudes,
fut désarmé devant la foi, qui à la place de notre Art, avait su soulever mes plans [...]. Le
Comité et moi qui attendions comme un arrêt l’opinion de cet homme [...], nous l’avons vu
pensif, touché, arrêter sur sa face des larmes. / 'C’est la première fois Monsieur, me dit-il,
que je revois mon père, et quel étonnement en moi d’un Monument si Polonais dans cette
technique de France !’ 28 . »
Bourdelle prête à Ladislas Mickiewicz une dimension prophétique : la chevelure blanche
fortement accentuée, les yeux apparemment fermés, tournés vers une image intérieure dont
il semble reconnaître la conformité avec l’œuvre en gestation. Le motif des yeux clos et celui
de la figure penchée sur un document évoquent plusieurs œuvres d’Odilon Redon dans les¬
quelles le lecteur paraît illuminé par une source de lumière émanant du livre même sur lequel
il est penché : Le liseur { 1892, lithographie), Moine lisant (ou Alsace) (1905-1909, huile, Winther-
thur Kunstmuseum), La lecture (vers 1900, huile et pastel sur papier, Paris, Musée du Petit
Palais) 29. Le caractère synthétique, voire symbolique, de ce portrait peut d’ailleurs être rap¬
proché d’une définition proposée par Redon, selon laquelle : « Le portrait est l’image d’un

94 l.F. MONUMENT À MICKIEWICZ DF. BOURDELLE


kur rapport.
i'mstmd. Ce fut là ma recherche.
ni
MES JE AC ÈS
Mu recherche. ne fui pas longue.
j,ùrsqii'i!it sujet t;i est donné. si je ne trouve r
lui .prêtant ou sms d'arcinteehire ou an Aens de cm
je renonce à le trailer.
Pour Monument hickieunç:. trois lamies
soient : U poète, ses principales créations, ta Sala»

.
J'avais à présenter trou lois, trois forces
%e Yates; le voyant porteur de pâme.

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JA>La Malion
Génie, formé,
Chevalier
construit
S droit.
en .figures,

Fig-4
Antoine Bourdelle, L’émotion avec le calcul doivent s’entendre, 1923, Paris, Musée Bourdelle
(collection Dufet-Bourdelle), encre et aquarelle sur papier, 20 x 15,5 cm, inv. 3441.
(Photographie de la Conservation du Musée)


En tant sujet je cherche t dement «. entrai. Je
chete totaltordremoralplastique,
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pus remphtet r j>",Sir
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Fig-5
Antoine Bourdelle, « ... se fit en moi comme une fleur d’aurore », 1923, Paris, Musée Bourdelle
(collection Dufet-Bourdelle), encre et aquarelle sur papier, 20 x 15,5 cm, inv. 3447.
(Photographie de la Conservation du Musée)

95 HISTOIRE DE L’ART N° 29/30 MAI 1995


caractère, d’un être humain, représenté dans son essence. Toute la vie profonde qui le mani¬
feste pour nous en dehors : attitude, expression, densité morale 30. »
La simplicité des couleurs sert à évoquer l’image de Ladislas : la grande tache blanche de
sa chevelure, rehaussée de quelques touches de gris, fait contraste avec le fond brun sombre
sur lequel ressort le brun clair de l’inscription s’opposant à un fort accent d’un autre ton du
brun foncé sur le visage et les mains du personnage.
Deux dessins (fig. 6 et 7) s’inspirent de deux détails du monument : Les trois Polognes et L ’ Epopée
polonaise.
Le sujet des « TROIS Polognes Réunies », tracées « en lisant mon texte », comme le précise
Bourdelle dans l’annotation porté sur le dessin (fig. 7), a été inventé par l’artiste qui souligne
sa dimension émotionnelle : « Trois figures comme tressées, construites par mes mains trem¬
blantes d’émotion [...] 31 . » Les figures allégoriques, personnifiant explicitement une idée poli¬
tique, nationale et patriotique, proposent une variation sur le thème des « Trois Grâces » à
la manière des Trois ombres d’Auguste Rodin (1881 , plâtre, Paris, Musée Rodin) ou de V Hymne
au printemps d’Arnold Bôcklin (1888, Leipzig, Museum der Bildenden Künste). La scène repré¬
sentée par Bourdelle est également conçue comme une allégorie : elle évoque trois figures, « trois
flammes d’espérance » 32, sur le fond du ciel bleu, sans décor, debout sur un plateau rond qui
fait référence au globe terrestre tout en évoquant la dimension universelle de l’image. Il est
intéressant de remarquer que dans la peinture polonaise l’allégorie de la Pologne est presque
toujours représentée par un personnage féminin unique; ce n’est que dans Hamlet polonais de
Jacek Malczewski (1854-1929) que le modèle est entouré de deux figures féminines, symboli¬
sant l’ancienne et la nouvelle Pologne (J. Malczewski, Hamlet polonais , 1903, huile sur toile,
Varsovie, Musée national).
Les trois Polognes interprétées par Bourdelle, toutes trois de la même taille, semblent soudées
entre elles et ne se distinguent qu’au niveau des épaules. C’est ainsi que l’artiste affirme leur
unité : les trois Polognes, séparées au XVIIIe siècle par leurs trois envahisseurs (la Prusse, l’Au¬
triche et la Russie), « n’en font qu’une » désormais, comme le déclare l’artiste dans un autre
texte consacré au Monument Mickiewicz {A Slowacky. A la Pologne, 1920) 33 . Cependant le haut-
relief des Trois Polognes dans la version finale du monument présentera trois femmes distinctes, au
visage levé vers le ciel et se tenant par les mains et les épaules. Dans le dessin, le mouvement ren¬
versé des visages («[. . . ] toutes trois élèvent leur pensée dans leur regard vers Mickiewicz ») 34
fait allusion à l’iconographie des martyrs, et le geste de la Pologne entourant de ses bras ses
deux voisines ainsi que la luminosité du ciel renforcent la portée symbolique de la scène. Le
ciel bleu constitue
rehaussées de brununclair.
fond soigneusement rempli de couleur et met en valeur les silhouettes

Les tuniques blanches aux plis soulignés de quelques traces de gris, les cheveux frisés et le lau¬
rier renvoient à l’art grec. L’artiste parle de la dimension prophétique de ce motif. « Dans ce tout
petit haut-relief des trois Polognes, [...] toute la forme est haletante, toute tendue vers la vue
d’avenir [...]. » « [...] le destin donc est dans ce Monument car la Pologne est renaissante 35 . »
« Et L’épopée de défense était née ». Cette figure allégorique (fig. 6) évoque une victoire
ou, moins spécifiquement, une personnification de la Liberté : « Sous le chapiteau aérien,
[...] [elle] combattra l’oppression dans l’élan du poète [...] 36. » Parmi les très nombreuses
représentations de Victoires et de Libertés associées à l’iconographie politique du XIXe siècle,
c’est au Départ des volontaires en 1792, appelé traditionnellement La Marseillaise , de François Rude
(1833-1836, haut-relief, Paris, arc de triomphe de l’Étoile) et à L’Appel aux armes d’Auguste

Rodin
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96 LE MONUMENT À MICKIEWICZ DE BOURDELLE


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Fig-6
Antoine Bourdelle, « ... et l’Epopée de défense était née », 1923, Paris, Musée Bourdelle
(collection Dufet-Bourdelle), encre et aquarelle sur papier, 20 x 18 cm, inv. 3632.
(Photographie de la Conservation du Musée)

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Fig- 7 Bourdelle,
Antoine
(collection
(Photographie
Dufet-Bourdelle),
de la Les
Conservation
trois Polognes
encre duetréunies,
aquarelle
Musée) 1923,surParis,
papier,Musée
20 x Bourdelle
15,5 cm, inv. 3505.

97 HISTOIRE DE L'ART N° 29/30 MAI 1995


soulignant l’idée de la liberté polonaise. C’est ainsi que les formes rudes de L’Epopée du monu¬
ment s’opposent aux lignes mouvantes et à la silhouette élancée du dessin.
Bourdelle.
Les deux derniers dessins — ceux du troisième groupe — renvoient à la théorie de l’art de

Le centre du dessin légendé « L’EMPEREUR-OUVRIER » (fig. 3) est constitué par son trône
massif, portant l’initiale « N » sommée d’une couronne, derrière lequel se tient la silhouette
de l’empereur sommairement traitée. La tête penchée, les yeux fermés indiquent une certaine
expression pensive qui s’oppose à la clarté massive du trône, symbole du rêve de pouvoir du
souverain. Une source possible est la sculpture de Vincenzo Vela (1820-1891) intitulée Les der¬
niers jours de Napoléon (1866, plâtre, château de Versailles) qui représente l’empereur en héros
vaincu, affaibli par la maladie et ruminant son échec. Dans le dessin de Bourdelle, l’empereur
est légèrement penché; ses mains sont à peine ébauchées; la gauche semble s’appuyer sur le
bord du trône, tandis que la droite soutient un glaive, posé sur son épaule et masquant le men¬
ton. C’est bien là l’homme « tombé pour n’avoir taillé que du glaive », comme dit le texte
en vis-à-vis, cet empereur dont « les mains légistes », les « mains peuple » élevaient pourtant
le travail. Il est frappant que la curieuse position donnée dans ce dessin à Napoléon se rap¬
proche de certaines représentations médiévales du Christ de l’Apocalypse, également reprises
par Redon dans son Apocalypse de saint Jean (1899, lithographie)38.
Le texte situé en vis-à-vis du dessin permet de préciser le sens de cette image singulière :
Bourdelle y compare le rôle de Napoléon dans l’histoire à celui d’un artiste-créateur. Mais
l’empereur « Architecte et sculpteur d’action » 39 a échoué pour n’avoir bâti que « la charpente
du seul pouvoir », « le trône de la Volonté » 40 . Dans l’interprétation de l’artiste, le rôle de
Napoléon s’identifie à un travail sans règle : son action a manqué des données nécessaires à
une vraie création, « l’équilibre du maître d’œuvre et son compas paisible et sûr »41. C’est
ainsi que le trône vide écrase le personnage tout en symbolisant son échec de la poursuite d’une
illusion. Cette clarté du trône s’oppose au brun clair réservé à la silhouette de l’empereur et
à la plaque portant l’inscription; le tout se détachant sur un fond brun sombre.
Le dessin légendé « L’ÉMOTION AVEC LE CALCUL DOIVENT S’ENTENDRE » (fig. 4) propose
une visualisation de la théorie de l’art de Bourdelle. L’auteur du Monument à Mickiewicz a plu¬
sieurs fois exprimé l’opposition entre sentiment-raison, émotion-calcul, réel-irréel, tant à tra¬
vers des réflexions
Chaumière 42 . générales sur l’art, publiées, qu’à ses cours à l’Académie de la Grande

Le binôme émotion-calcul évoque d’autres couples de concepts employés par l’artiste, notam¬
ment celui de la matière et de l’esprit. Il écrit ainsi : « L’Art c’est l’homme liant la matière
et l’esprit 43 », ou encore : « L’esprit conçoit dans la matière, la matière prête à l’esprit 44 . »
Dans un article intitulé « La matière et l’esprit dans l’art », Bourdelle évoque la vision de trois
artistes, « trois sculpteurs-constructeurs » qui n’arrivent pas à accomplir leur tâche, car leur
art est marqué par le rationalisme et l’absence du sens du mystère45. L’artiste, selon Bour¬
delle, est celui qui a réussi à trouver un équilibre entre les éléments contraires, entre la raison
et le sentiment : « Il faut que l’artiste soit poète, qu’il ait en même temps la science et l’émo¬
tion qui lui vient de la chose [,..]46. » Pour trouver cet équilibre, il donne ce conseil:
ta
« [...]
raison
laisse
47 . »toujours pour comprendre et pour créer, laisse toujours ton cœur battre mêlé à

La recherche d’un équilibre entre le calcul et l’émotion est personnifiée dans le dessin par
deux figures (fig. 4) : un personnage masculin — portant les traits de Bourdelle — qui entoure
d’un bras les épaules d’une femme dont la tête s’appuie contre lui. Leur geste d’unité symbo¬
lise la devise de l’artiste communiquée à son cours à la Grande Chaumière : « Le savoir doit
agir en grande amitié avec l’émotion 48 . » A côté du personnage féminin, Bourdelle a tracé
une sorte de stèle, ou un fragment de colonne brisée, où est inscrite la devise qui donne son
titre au dessin, ainsi que la date («janvier 1923 »). L’homme tient dans sa main droite une
règle et un compas, aussi hauts que les figures; le compas, attribut de l’artiste, renvoie à la
déclaration de Bourdelle : « Le génie n’est qu’un compas sensible 49 . »
La phrase du texte reprise en forme d’inscription dans le dessin est prolongée (en vis-à-vis)

dans le latexte
sécher
couleurs sombres
roséelui-même
de de
l’instinct
l’ensemble
par 50
ce. développement
» Cette
opposées
union
à lades
: tunique
« contraires
La mesure,
blanche
estl’ordre,
mise
et aux
enlecheveux
valeur
goût nepar
blonds
doivent
le jeudepas
des
la

figure féminine auxquels répond la clarté du jaune de la règle, tenue par l’homme.

98 LE MONUMENT À MICKIEWICZ DE BOURDELLE


!

Ce soir U demeure en ma oie.


Le Comité et mal qui attendions corn me un arrêt !
pinion de cet homme q ui est comme le nimbe du gnu
poète, nom l'avons im pensif, touché, arrêter sur sa fa
dés larméê.
« Cêst la première fois Monsieur, me dii-ii. que
renais mon jié.re, et quel étonnement en moi d'an Jt“v
ment si Relouais dans cette technique de France !
Je hfinclinais, m pouvant pas répondre, car la saur
de tout travail humain valable, cette source qui at
cœuravxtkt tout épris de justice, le haut, le fort vdida
à la crinière de lumière venait d'en découvrir le Pat.
Qu on he voie pas ici l'éloge de ce Monument. Je dec.
frarichçmçnl ma loi de. conception d'une œuvre.

.
Anxirésprits avertis, aux initiés de notre Art dArcl
tecture Sculpturaic de juger mon travail ouvrier.

Fig-8 ;
Antoine Bourdelle, Ladislas Mickiewicz regardant les tracés , 1923, Paris, Musée Bourdelle
(collection Dufet-Bourdelle), encre et aquarelle sur papier, 20 x 15,5 cm, inv. 3464.
(Photographie de la Conservation du Musée)

Les sept dessins du cahier de Bourdelle se suivent dans un ordre permettant de reconnaître
la réflexion de l’artiste qui l’a guidé tout au long de son travail. Cet ordre se présente ainsi :
le premier dessin renvoie à l’histoire du Monument à Mickiewicz ; il annonce le sujet du cahier
et son idée essentielle; les deux dessins suivants introduisent à la théorie de l’art de Bourdelle
en situant le monument entre deux contraires, l’échec et la réussite : l’image symbolique de
l’échec de Napoléon fait allusion à une longue recherche de Bourdelle sur la conception de
son œuvre, tandis que l’union de deux personnages, « l’Émotion » et « le Calcul », signifie

la réussite
monument,
même tempsdeplacé
l’artiste
qu’un ausymbole
milieu
dans son
de
detravail
lasasérie,
devise
ausecours
: révèle
« L’émotion
decomme
vingt années.
avec
le fruit
le calcul
C’est
de sesainsi
doivent
recherches
ques’entendre.
le dessin
en art du
en»

Pour mettre en valeur la portée de l’œuvre et sa dimension personnelle, Bourdelle présente —


à travers les deux dessins suivants — les détails choisis du monument. Le dernier dessin, qui
constitue l’accent final de la série, se rapporte au côté prophétique de l’art : Bourdelle y évoque
sa réflexion sur la vérité dans l’art et souligne l’importance de l’approbation de son travail
par l’héritier spirituel du poète, garant moral du monument selon Bourdelle.
Les dessins et le texte poétique de Bourdelle témoignent d’une recherche constante de l’artiste
sur les différents moyens d’expression. A travers ces dessins Bourdelle, inspiré par la peinture
symboliste
toute sa réflexion
de son sur
époque,
l’art et
présente
le rôle ledemonument
l’artiste. lui-même et sa propre histoire, ainsi que
Ce petit cahier-œuvre « privée » de Bourdelle confirme par ailleurs son intérêt pour la Po¬
logne et l’importance du Monument à Mickiewicz dans l’ensemble de sa création artistique. Comme
l’artiste l’a déclaré lui-même : « Il [le Monument à Mickiewicz] me tient plus au cœur que je ne

99 HISTOIRE DE L’ART N° 29/30 MAI 1995


saurais dire 51 » « Voilà bientôt vingt années que je travaille à ce monument et je le
'pense’ encore... 52 . »

Maria-Teresa DlUPERO prépare une thèse nouveau


régime sur Antoine Bourdelle (1861-1929) et la Pologne, à
l’Université
M. Dario Gamboni.
Lumière-Lyon II, sous la direction de

NOTES

* Je tiens à remercier M. Dario Gamboni qui m’a proposé Bourdelle sur la Pologne sont « Comment j’ai aimé et senti
d’écrire cet article et qui m’a guidée par ses conseils et commen¬ Mickiewicz » (décembre 1922), texte cité ci-dessus n. 2 (2' éd.

:
taires tout au long de sa rédaction. J’exprime ma reconnaissance dans Adam Mickiewicz et la pensée française 1830-1923. Témoignages
à Mmes Rhodia Dufet-Bourdelle et Elisabeth Mons qui m’ont des écrivains français sur Adam Mickiewicz choisis et publiés par St.
facilité l’accès au Musée Bourdelle et qui m’ont donné l’autori¬ P. Koczorowski, Paris, 1929, pp. 9-14; « A Slowacky, Au noble
sation de publier les dessins de Bourdelle. Mes remerciements pays de la Pologne » (3 avril 1910), Bulletin polonais, n° 262,
vont aussi à Mmes Evelyne Martin, Evelyne Pansu, Danielle 15 mai 1910, pp. 126-128 ; A Slowacky, A la Pologne par le Monu¬
Badarelli et Francine Courdavault. Je voudrais enfin remercier ment Mickiewicz (1920), texte inédit; « Le monument franco-
spécialement Mme Françoise Levaillant et M. Paul-Louis Rinuy polonais à Adam Mickiewicz. Son symbole l’Épopée de Défense »
pour leur aide précieuse dans la rédaction finale de ce texte. (intitulé par Bourdelle Symboles du monument français à Mickiewicz,
plusieurs versions) dans La vie, 9' année, n° 21, 15 décembre

:
1 Adam Mickiewicz ( 1 798-1 855), le plus célèbre des poètes polo¬ 1920, pp. 324-325; La Pologne politique, économique, littéraire et artis¬
nais. Étudiant à Vilnius (1815-1819), il organise des sociétés tique, n° 2, 15 janvier 1926 (7' année), pp. 33-35 ; le texte a été
.

traduit partiellement en polonais dans Ognisko (journal polonais


bi-hebdomadaire), n° 378, 8' année, Paris, 27 avril 1928, p. 1 ;
Poète Votes, Mickiewicz (28 avril 1929), texte inédit ; Frères de la Po¬
secrètes
volumes
tisme
en
Konrad
l’amour,
kiewicz
exilpolonais.
enWallenrod
acontre
delavécu
Russie
souffrance
Poésie
leàAtsar.
Paris
(1824).
(1828)
cause
(1822
Auteur
etoùdeetleIlilson
III'
est
1823),
sacrifice
devint
del’auteur
activité
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Y Ode
illeabsolu
devient
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Aïeux
jeunesse
spirituel
poèmes
pour
le(1833),
chef
(1820),
la ilpatrie.
patriotiques
des
duestévoquant
deroman¬
émigrés
envoyé
deux
Mic¬ logne, L’art polonais, texte inédit, manuscrits conservés aux Ar¬
chives du Musée Bourdelle, dossier « La Pologne », écrits de
Bourdelle sur la Pologne.
polonais et publia Le livre de la nation et des pèlerins polonais (1832). 8. C’est le cas entre autres de Jadwiga Bohdanowicz (?-1943),
En 1834 paraît son chef-d’œuvre, Monsieur Thadée. Nommé pro¬ Janina Broniewska (1886-1946), Maria Lednicka-Szczytt
fesseur de littérature latine à Lausanne (1839-1840), il enseigna (1893-1947) et Stefan Zbigniewicz (1904-1942).
aussi les littératures slaves au Collège de France à Paris
(1840-1844). Homme de lettres et d’action, il est rédacteur de 9. Tels que le Comité franco-polonais, le Comité Michelet-
la Tribune des peuples à Paris, qu’il fonde en 1849, il organise les Mickiewicz, le Comité de patronage de la fête nationale de la
légions polonaises contre l’Autriche (1848). Venu à Constanti¬ Constitution polonaise du 3 mai 1791, le Comité de patronage
nople y organiser une légion antitsariste, il meurt subitement en de la Société « Les amis de la Pologne » (documents aux Archives
pleine activité patriotique. Il est considéré comme un héros natio¬ du Musée Bourdelle, dossier « La Pologne »).
des
nal en
Polonais.
même temps que le plus grand poète dans la conscience
10. Citation de Bourdelle dans L. H. Morstin, Spotkania z
2. A. Bourdelle, « Comment j’ai aimé et senti Mickiewicz », La Ludzmi [ Les rencontres avec des gens], Cracovie, 1957, p. 100 (tra¬
vie, 15 janvier 1923, n° spécial, pp. 17-19. Le texte a été traduit duction de l’auteur).
en polonais dans Tygodnik Ilustrowany, Varsovie, n° 18, 4 mai
1929, p. 350. 1 1 . Bien que l’historique du monument ne soit pas encore défi¬
La vie, revue bimensuelle, fondée en février 1911 et rédigée par nitif, on peut tenter de proposer quelques hypothèses.
les Leblond, a souvent manifesté son intérêt pour la Pologne.
Voir, par exemple, deux numéros spéciaux sur la Pologne inti¬ 12. Voir Fragment de la première esquisse avec Pégase (1908-1909, terre
tulés Les forces de la Pologne (9' année, n° 21 15 décembre 1921) crue, Paris, Musée Bourdelle); Première esquisse du Monument à Mic¬
et L’Europe et le génie de la Pologne (10e année, n° 3, 1" février
,

kiewicz avec Pégase (1908-1909, plâtre, Paris, Musée Bourdelle).


1921).
3. A. Bourdelle, « Comment j’ai aimé et senti Mickiewicz », 13. A. Bourdelle, Maquette «primitive» (1909-1910, bronze,
texte cité, p. 17. Paris, Musée Bourdelle).
4. Ibid., p. 18. 14. L’archivage du Musée Bourdelle étant encore en cours de
réalisation, nous n’avons trouvé à ce jour aucun document pré¬
5. Ibid., p. 17. cis sur cette présentation.
6. Voir le statut du Comité franco-polonais, Paris, mars 1909 15. Catalogue officiel. Société nationale des beaux-arts exposition du
14 avril au 30 juin, Paris, Grand Palais, 1920, p. 95, n° 1395
,

(Archives du Musée Bourdelle, dossier « La Pologne »). Sur l’his¬ « Tête du poète Adam Mickiewicz (fragment du monument à
:

toire de l’émigration polonaise à Paris au début du XX' siècle,


on peut se reporter au récent ouvrage de Franciszek Ziejka, Paryz la résurrection de la Grande Polska (Pologne). »
mlodopolski [ Paris de la « Jeune Pologne »], Varsovie, PWN, 1993,
fondé sur les sources d’archives déposées à la Bibliothèque polo¬ 16. Catalogue des ouvrages de peinture, sculpture, dessin, gravure, archi¬
naise à Paris; F. Ziejka traite, entre autres, du Comité franco- tecture, arts décoratifs exposés au Grand Palais, du 13 avril au 30 juin
polonais (pp. 114-122) et consacre un chapitre au monument à 1921 , Paris, Société nationale des beaux-arts, p. 201, n° 1575
Mickiewicz de Bourdelle (pp. 137-153). Cependant, nos propres « Fragment du monument au poète Mickiewicz, L’Épopée de
:

recherches nous amènent à diverger sur certains points essentiels. Défense polonaise », plâtre; n° 1576 « Esquisse du monument
entier », plâtre.
:

7. En 1909, Bourdelle a effectué avec Paul-Albert Bartholomé


un voyage en Pologne ils ont participé au jury d’un concours 17. Lettre de M. Rataj à Bourdelle, Varsovie, 3 mars 1926.
pour la réalisation d’un monument dédié à Frédéric Chopin qui (Archives du Musée Bourdelle, dossier « La Pologne », corres¬
:

devait être érigé à Varsovie. Les écrits les plus importants de pondance de Bourdelle.)

100 LF. MONUMENT À MICKIEWICZ DE BOURDELLE


18. Catalogua. Le Salon des Tuileries Au Palais du Bois Paris, 1927, 33. A. Bourdelle, A Slowacky. A la Pologne, texte cité, p. 5.
p. 16, n° 295 « Fragment du monument de l’Epopée de la

.
Défense polonaise et à son grand poète Adam Mickiewicz »,
bronze. 34. A. Bourdelle, « Comment j’ai aimé et senti Mickiewicz »,

:
texte cité, p. 18.
19. Comme l’artiste justifie lui-même cet emplacement dans 35. Ibid.
« [...] la petite place dite Médicis et qu’on pourrait nommer d’un
nom de Liberté ». Lettre de Bourdelle à M. Bouju, Paris, 15 juin 36. Ibid.
1926. (Archives du Musée Bourdelle, dossier « La Pologne », cor¬
respondance de Bourdelle.) 37. A. Bourdelle, texte cité, p. 19.
20. Rapport à Mr le Préfet, Paris, 26 janvier 1926. Signature
illisible. (Document Hôtel d’Albert, Bureau des monuments, dos¬ 38. N° 174 du catalogue de Mellerio « Il avait dans sa main
sier « Monument à Mickiewicz », de Bourdelle.) droite sept étoiles
tranchants... » et de sa bouche sortait une épée aiguisée à deux

:
21. Voir une lettre du préfet de la Seine G. Massié au secré¬
taire d’Etat aux Beaux-Arts (Direction générale des arts et lettres. 39. A. Bourdelle, texte cité, p. 17.
Travaux d’art), Paris, 15 juillet 1953. (Hôtel d’Albert, Bureau
des monuments, dossier « Monument à Mickiewicz ».) 40. Ibid., p. 18.
22. A. Bourdelle, « Le monument franco-polonais », texte cité, 41. Ibid.
p. 33.
23. Pour les lithographies de Redon citées dans le texte voir 42. Voir par exemple A. Bourdelle, Ecrits sur l’art et sur la vie,
recueillis par G. Varenne, Paris, Plon, 1955 ; A. Bourdelle, « La

:
A. Mellerio, Odilon Redon, Paris, Société pour l’étude de la gra¬

:
vure française, 1913, n° 102 Pégase captif et n° 127 Cheval ailé. matière et l’esprit dans l’art », La revue de France, 15 octobre 1921 ,
1" année, pp. 718-738. Voir aussi certains cours à l’Académie
:

24. A. Bourdelle, « Comment j’ai aimé et senti Mickiewicz », de la Grande Chaumière, notamment celui du 21 avril 1910
texte cité, p. 18. (texte dactylographié) et du 20 février 1910 (notes manuscrites
de Bourdelle). (Archives du Musée Bourdelle.)
25. Ibid.
43. A. Bourdelle, « La matière et l’esprit », texte cité, p. 717.
26. Citation de Gustave Moreau de 1897, dans Catalogue de pein¬
tures, dessins, cartons, aquarelles, exposés dans les galeries du Musée Gus¬ 44. Ibid.
tave Moreau, Paris, Éditions des Musées nationaux, 1974, p. 43.
Bourdelle
textes consacrés
utiliseausouvent
monument
— enMickiewicz
parlant de—la lePologne,
motif de dans
la fleur,
les 45. Ibid., pp. 731-733.
tel qu’on le retrouve chez les symbolistes. Ainsi pour Odilon 46. A. Bourdelle, cours du 30 juin 1910 à l’Académie de la
Redon, l’art est une fleur qui « s’épanouit librement hors de toute Grande Chaumière, notes manuscrites reprises probablement par
règle ». (O. Redon, A soi-même. Journal (1867-1915). Notes sur la un de ses élèves, p. 6. (Archives du Musée Bourdelle.)
vie, l’art et les artistes, Paris, Librairie José Corti, 1979, p. 77.)
Dans le texte A Slowacky. A la Pologne, Bourdelle compare ses 47. A. Bourdelle, cours du 24 février 1910. (Notes manuscrites
œuvres à des fleurs qu’il apporterait à la Pologne « Il ne leur de Bourdelle, Archives du Musée Bourdelle.)
faut ni eau ni terre. Rien ne fanera leurs couleurs, leurs parfums
:

n’ont de goût qu’à l’âme [...]. » (A. Bourdelle, A Slowacky. A la 48. A. Bourdelle, cours du 30 juin 1910. (Notes manuscrites de
Pologne, texte cité, p. 9.) Bourdelle, Archives du Musée Bourdelle )
27. A. Bourdelle, « Comment j’ai aimé et senti Mickiewicz », 49. A. Bourdelle, cours du 7 avril 1910. (Notes manuscrites de
texte cité, p. 19. Bourdelle, p. 15, Archives du Musée Bourdelle.) Il a évoqué
l’importance de cet attribut dans ses écrits, nombreux, dessins
28. Ibid. et sculptures. Voir par exemple les textes Les amis de la Pologne
et A Slowacky. A la Pologne, ainsi que les cours de Bourdelle à la
29. N° 1 1 et n° 21 du catalogue de Mellerio. Voir sur cette ico¬ Grande Chaumière, entre autres celui du 10 février 1910.
nographie D. Gamboni, La plume et le pinceau. Odilon Redon et (Manuscrits conservés aux Archives du Musée Bourdelle.) Le
la littérature, Paris, Éditions de Minuit, 1989, pp. 42-43. compas est un attribut de La femme au compas (1908, bronze, Paris,
:

Musée Bourdelle). Il apparaît par exemple dans le dessin Le maître


30. O. Redon, A soi-même, op. cit., p. 106. de l’œuvre (1920, encre et gouache, Paris, Musée Bourdelle) et
dans beaucoup d’autres.
31. A. Bourdelle, « Comment j’ai aimé et senti Mickiewicz »,
texte cité, p. 18. Il est probable que Bourdelle ait été inspiré par 50. A. Bourdelle, « Comment j’ai aimé et senti Mickiewicz »,
un passage du livre La Pologne vivante de M. A. Leblond (1910) texte cité, p. 18.
intitulé « Les Trois Polognes contemporaines. Leur unité. »
Selon l’explication des Leblond « Depuis 1815 on a coutume 51. Lettre de Bourdelle à L. Mickiewicz, Paris, 21 janvier 1912.
:

de considérer à part Les Trois Polognes qu’on appelle la Pologne (Archives du Musée Bourdelle, dossier « Monument à Mickie¬
:

autrichienne, la Pologne russe et la Pologne allemande en acco¬ wicz », correspondance de Bourdelle.)


lant à chacune le nom de son oppresseur. » (M. A. Leblond, La
Pologne vivante, Paris, Librairie académique, 1910, p. 5.) 52. Citation de Bourdelle de 1928, d’ après L ’Excelsior, 23 février
1928, coupure de presse. (Archives du Musée Bourdelle, dos¬
32. A. Bourdelle, texte cité, p. 18. sier « Monument à Mickiewicz », dossier de presse.)

101 HISTOIRE DE ,’ART N° 29/30 MAI 1995

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