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MÉMOIRE ORIGINAL

Thérapies comportementales et cognitives centrées


sur les schémas de Young dans les troubles de la personnalité :
étude pilote sur 14 cas
S. HAHUSSEAU (1), A. PÉLISSOLO (2)

Young’s schema-focused therapies in personality disorders : a pilot study


Summary. Introduction. Personality disorders are very frequent in the general population, and especially in psychiatric
patients. Various types of psychotherapy are proposed to treat these disorders, directly or not, but some specific cognitive-
behavioural therapies (CBT) have been developed for all personality disorders or some of them such as borderline per-
sonality disorder. Among the most known models, one can quote Beck, Young and Linehan’s approaches. Young therapies
are based on the concept of « early maladaptive schemas », and associate cognitive-behavioural techniques and a very
specific work on emotions. The procedure consists in, initially, identifying the cognitive schemas involved in the current
disorders, as well as their sources in childhood, in particular through memories of traumatic or emotionally disturbing
events. The techniques used to modify these early maladaptive schemas include emotional catharsis and corrective emo-
tional experience methods (eg reparenting). Stydy design. We carried out an exploratory and naturalistic study of the
effects of this schemas therapy among 14 adult out-patients (12 women and 2 men) suffering of personality disorders
according to DSM IV criteria. The majority of the disorders belonged to the clusters C (50 %) and B (42.9 %). The early
maladaptive schemas, according to Young’s classification, were especially those of the types « distrust/neglect » (35.7 %),
« neglect feeling » (21.4 %) and « subjugation » (21.4 %). Results. The mean duration of the therapies was 13 month,
with 26.2 consultations per subject. The primary efficacy criterion selected was the Social Adaptation Scale (SAS-SR,
Weissman) score, showing a significant improvement at the end of the therapy (21.3 versus 27.9 ; p = 0.003). This favour-
able evolution was confirmed by the other scales used, assessing anxious, depressive and general psychopathology
symptomatology. Conclusion. As a conclusion, schemas therapies represent a rich and complete psychotherapeutic
approach, in particular for personality disorders. Further controlled studies on their efficacy and on the factors associated
to a good response are necessary.

Key words : Cognitive therapy ; Emotional therapy ; Personality disorders ; Schema therapy.

Résumé. Différents types de psychothérapie s’adressent, rapie cognitive centrée sur les schémas chez 14 patients
directement ou non, aux troubles de la personnalité mais des adultes (12 femmes et 2 hommes) souffrant de troubles de
programmes de thérapies comportementales et cognitives la personnalité selon les critères du DSM IV. Les troubles
sont conçus spécifiquement pour leur prise en charge. Les concernés appartenaient en majorité aux clusters C (50 %)
thérapies de Young sont basées sur le concept de « schéma et B (42,9 %). Les schémas précoces inadaptés, selon la
précoce inadapté », et s’appuient sur des méthodes compor- classification de Young, étaient surtout ceux des types
tementales et cognitives associées à un travail très spécifique « méfiance/abandon » (35,7 %), « sentiment d’abandon »
sur les émotions. Les techniques utilisées pour modifier ces (21,4 %) et « assujettissement » (3 patients). La durée
schémas reposent surtout sur la catharsis émotionnelle et moyenne des thérapies a été de 13 mois, avec 26,2 séances
l’auto-reparentage. Nous avons conduit, en situation de soin par sujet au total. Le critère principal d’efficacité, le score à
naturaliste, une étude prospective sur les effets de cette thé- l’échelle d’adaptation sociale de Weissman (SAS-SR), mon-

(1) Psychiatre, 12, Grande rue Nazareth, 31000 Toulouse.


(2) Service de Psychiatrie adulte et CNRS, UMR 7593, Hôpital Pitié-Salpêtrière (AP-HP), 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris.
Travail reçu le 11 octobre 2004 et accepté le 24 février 2005.
Tirés à part : S. Hahusseau (à l’adresse ci-dessus).

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L’Encéphale, 2006 ; 32 : 298-304, cahier 1 Thérapies comportementales et cognitives centrées sur les schémas de Young

tre une amélioration significative en fin de thérapie (21,3 ver- Le but de la thérapie est la transformation du schéma
sus 27,9 ; p = 0,003). Cette évolution favorable est confirmée en trois étapes :
par les autres échelles utilisées, évaluant la symptomatologie – identification du schéma et du mécanisme d’adapta-
anxieuse, dépressive et générale. En conclusion, les théra- tion face à celui-ci ;
pies cognitives centrées sur les schémas sont des approches – techniques émotionnelles de changement des sché-
psychothérapeutiques riches et complètes, en particulier mas cognitifs (notamment l’auto-reparentage) ;
pour les troubles de la personnalité, qui devraient faire l’objet – thérapie cognitivo-comportementale classique,
maintenant d’études contrôlées pour mieux connaître leur notamment la restructuration cognitive et l’affirmation de
efficacité et leurs conditions d’application. soi (figure 1).
Il n’existe pratiquement aucune étude évaluant l’effica-
Mots clés : Thérapie cognitive ; Thérapie émotionnelle ; Thérapie
cité sur les troubles de la personnalité de cette approche
des schémas ; Troubles de la personnalité.
psychothérapique centrée sur les schémas de Young.
L’objectif de notre étude préliminaire était donc d’observer
INTRODUCTION l’impact sur une population ambulatoire d’une approche
psychothérapeutique centrée sur les schémas de Young.
Les troubles de la personnalité sont très fréquents dans
la population générale, et encore plus chez les patients
psychiatriques. Les psychothérapies restent globalement RÉSUMÉ DES TECHNIQUES THÉRAPEUTIQUES
le traitement de choix de ces troubles (14). Les quelques UTILISÉES
études contrôlées réalisées jusqu’à présent dans ce
domaine suggèrent que certaines thérapies analytiques Les thérapies ont été réalisées selon le programme sui-
peuvent être efficientes, mais les données sont plus nom- vant (6) :
breuses concernant les thérapies comportementales et
– Lors de la première séance, lors de la prise de contact
cognitives (TCC), pour lesquelles il existe aujourd’hui des
et du recueil des données initiales, l’accent est mis sur
programmes bien codifiés pour les troubles de la person-
l’alliance thérapeutique. Pour ce faire, le thérapeute pra-
nalité (8, 15, 16). Les résultats des programmes de thé-
tique une écoute active avec reformulation, généralement
rapies cognitives sont encourageants, notamment dans le
en termes de « sentiments ». Un contrat thérapeutique
domaine des personnalités borderline, même si très peu
fixe la nécessité d’effectuer des tâches hors séance, dont
d’études sont réalisées de manière contrôlée (3, 8, 10).
la tenue d’un cahier de thérapie dans lequel le patient col-
Une étude contrôlée récente a notamment permis de mon-
lige de façon quotidienne ses moments négatifs à l’aide
trer l’intérêt d’une thérapie centrée sur les schémas chez
des « trois colonnes » de Beck.
des personnalités borderline suivies pendant trois ans, en
comparaison d’une thérapie psychodynamique (5). – Lors de la seconde séance, la revue de tâches permet
au thérapeute de poursuivre la reformulation « empa-
Trois grands courants au sein des TCC proposent des
thique », mais aussi de dégager un problème cible : la
programmes thérapeutiques pour les troubles de la
répétition d’un sentiment douloureux (correspondant au
personnalité : l’école de Beck qui reste la plus classique
schéma en cause). Le patient est incité à graduer subjec-
et qui propose un modèle assez proche de celui utilisé
tivement (sur 10) la souffrance que ce sentiment génère.
dans les autres troubles psychiatriques (2, 4), l’école de
Les tâches prescrites sont la poursuite du recueil des souf-
Linehan dont les thérapies dites « comportementales
frances présentes et notamment la narration écrite des
dialectiques » sont centrées sur le traitement des person-
expériences amoureuses : circonstances de rencontre,
nalités borderline (9, 11, 17), et l’approche de Young et al.
ressentis initiaux per et post-relation, évolution et circons-
(19). Celle-ci, transcatégorielle, prend en compte les fac-
tances de fin de la liaison.
teurs environnementaux précoces en partie à l’origine de
la plupart des troubles de la personnalité. Elle permet, au- – Ce travail est lu lors de la troisième séance. Le thé-
delà des sous-types de personnalités pathologiques, rapeute continue de reformuler les sentiments éprouvés
d’appréhender de façon plus dimensionnelle l’ensemble et, au travers de questions sur l’éventuelle répétition de
de ces troubles en postulant un continuum schéma pré- circonstances ou de ressentis dans ces différentes histoi-
coce inadapté - personnalités pathologiques. res, il permet d’accroître chez le patient la perception cons-
ciente du caractère stéréotypé de ses conduites et de ses
Par ailleurs, le travail sur les schémas permet de con-
affects. La tâche prescrite pour la séance suivante est la
tourner un certain nombre de limites rencontrées dans les
rédaction d’une biographie familiale et personnelle.
techniques cognitives et comportementales de change-
ment adaptées aux troubles de l’axe I, comme les difficul- – À la quatrième séance, la biographie est lue par le
tés particulières des personnalités pathologiques (2, 6) : patient et le thérapeute peut commencer à susciter la
– à s’engager dans une relation de collaboration avec catharsis émotionnelle. Pour ce faire, il commente les faits
le thérapeute ; relatés en se plaçant du point de vue de l’enfant que le
– à identifier les problèmes cibles ; patient a été.
– à accéder à leurs émotions et cognitions en favori- – Cinquième séance à dixième séance : ces séances
sant notamment l’empathie du thérapeute et l’optimisme sont consacrées à la technique d’auto-reparentage pen-
du patient. dant et en dehors des séances comme tâche à domicile.

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Interventions Analyse fonctionnelle Analyse fonctionnelle


thérapeutiques « diachronique » « synchronique »

Expériences vécues Prédispositions génétiques

Techniques
émotionnelles
Schémas précoces inadaptés Situations

Restructuration Perception erronée de soi,


cognitive des autres et du monde

Affirmation Stratégies
de soi compensatoires

Cognitions

Sensations Symptômes Émotions


actuels

Comportements

FIG. 1. — Représentation schématique de l’analyse fonctionnelle et des thérapies correspondant à l’approche de Young
des troubles de la personnalité.

La facilitation mnésique induite par l’activation émotionnelle – À l’avant-dernière séance, le thérapeute propose au
permet au patient de mobiliser des souvenirs de l’enfance patient d’établir un bilan de la thérapie, dans lequel le
dans lesquels il a dû éprouver le même sentiment (exposi- patient doit reprendre ses notes initiales et établir les dif-
tion au souvenir). On lui demande d’intervenir en imagina- férences comportementales, cognitives ou émotionnelles
tion dans ce souvenir de façon à « consoler » l’enfant qu’il qu’il perçoit chez lui, puis il est incité à détailler les tech-
a été et à le défendre. Les sentiments douloureux généra- niques qui lui ont semblé utiles de façon à pouvoir les réu-
teurs de tristesse et d’un sentiment d’impuissance sont rem- tiliser une fois la thérapie terminée. Les autoquestionnai-
placés par un épuisement puis du calme intérieur assorti res sont redemandés.
d’un sentiment de contrôle. Le patient ne réattribue plus ces – Lors des deux dernières séances, un bilan de la thé-
ressentis négatifs aux circonstances immédiates extérieu- rapie est effectué, le thérapeute renforce positivement le
res mais à lui-même et à ses distorsions affectives. patient et la fiche de secours est affinée. Des séances de
Une fois que cette technique est un outil sûr pour le suivi sont planifiées en accord avec le patient, à un mois,
patient, on effectue en séance une « conceptualisation », trois mois, six mois et un an.
c’est-à-dire un diagramme sur lequel sont résumés ses
besoins affectifs qui n’ont pas été satisfaits, le sentiment
douloureux ou schéma précoce inadapté que cela a créé MÉTHODOLOGIE DE L’ÉTUDE
en lui, puis les croyances inconditionnelles puis condition-
nelles qui en ont découlé, et enfin les conséquences com- Il s’agit d’une étude prospective non contrôlée, évaluant
portementales de son schéma dans les trois piliers de son les effets d’une thérapie cognitive centrée sur les schémas
existence (profession, amitié, relation amoureuse). au sein d’un groupe de patients ambulatoires présentant
– Lors des séances suivantes, et grâce au repérage un trouble de la personnalité.
précédent sur les comportements sociaux dysfonction-
nels, le patient est incité à faire des épreuves de réalité Sujets
pour vérifier la validité présente de ses croyances. Le pro-
tocole classique du travail d’affirmation de soi est utilisé. Il s’agit de patients, hommes et femmes de 18 ans et
Il s’agit d’un travail comportemental sur les notions de plai- plus, consultant le même thérapeute pour une nouvelle
sir et d’autosatisfaction. prise en charge spécifique en thérapie cognitive. L’inclu-

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sion reposait sur l’existence d’un trouble de la personna- scores de cette échelle varient entre 10 et 40, d’une adap-
lité, selon les critères du DSM IV, et sur l’acceptation d’une tation parfaite à une inadaptation maximale. Par ailleurs,
prise en charge de plusieurs mois ainsi que de la procé- les échelles de mesures suivantes ont été utilisées :
dure d’évaluation. Seuls les patients souffrant de comor- – le Beck Depression Inventory (BDI) pour l’évaluation
bidités psychotiques ont été exclus. Les traitements médi- des symptômes dépressifs (1) ;
camenteux psychotropes étaient acceptés durant l’étude, – le Global Health Questionnaire (GHQ-28) (13) ;
à condition que leurs doses n’aient pas été modifiées – le Symptoms Check-List (SCL-90) pour évaluer les
récemment avant la thérapie et pendant la thérapie. autres effets psychopathologiques éventuels de la théra-
pie (12).

Déroulement de l’étude
Analyses
Une évaluation psychopathologique et psychométri-
que, ainsi qu’une analyse fonctionnelle détaillée, étaient L’analyse principale a consisté à comparer, avant et
réalisées lors de l’inclusion. Les objectifs thérapeutiques, après thérapie, les résultats obtenus à l’échelle SAS-SR
centrés sur les schémas dysfonctionnels, étaient fixés à l’aide d’un test non paramétrique de comparaisons de
individuellement comme dans les prises en charge habi- moyennes (test de Wilocoxon). Le même test a été appli-
tuelles. Le nombre des séances et la durée du suivi qué pour les analyses complémentaires portant sur les
n’étaient pas prédéfinis, mais la fin de la thérapie était déci- échelles BDI, GHQ-28 et SCL-90. Par ailleurs, à visée
dée, en accord entre le thérapeute et le patient, lorsque exploratoire, les corrélations entre les variations des dif-
les objectifs établis initialement lors de l’analyse fonction- férents sous-scores de l’échelle SCL-90 et la durée de la
nelle étaient atteints et considérés comme stables. Le thérapie ont été calculées à l’aide du coefficient rho de
rythme habituel de la thérapie était fixé à une séance tou- Spearman. Les analyses statistiques ont été effectuées à
tes les deux semaines. Les évaluations psychométriques l’aide du logiciel SPSS 11.
ont été répétées en fin de thérapie.
La thérapie mise en œuvre comprenait plusieurs stades
RÉSULTATS
(7, 19) :
– phase 1 : création d’une alliance thérapeutique, ana- Description initiale
lyse fonctionnelle synchronique et diachronique, dévelop-
pement de l’autocontrôle du patient par le biais des tâches L’échantillon est composé de 14 sujets, 12 femmes et
hors séances (cahier de thérapie). Travail du thérapeute 2 hommes, avec une moyenne d’âge de 36,5 ± 12,5 ans
sur ses propres émotions et cognitions négatives face au (21 à 59 ans). Neuf patients sont mariés ou vivent en cou-
patient ; ple (64,3 %), trois sont célibataires (21,4 %) et deux divor-
– phase 2 : travail sur les schémas précoces inadap- cés (14,3 %). Dix patients (71,4 %) ont une activité pro-
tés. Repérage des émotions et des cognitions négatives fessionnelle.
permettant une reviviscence émotionnelle et prescription La répartition des diagnostics de troubles de la person-
éventuelle des techniques émotionnelles de catharsis nalité selon les critères du DSM IV est présentée dans le
émotionnelle et auto-reparentage ; tableau I. En cas d’association de deux (ou plus) diagnos-
– phase 3 : travail cognitif et comportemental propre- tics différents, celui qui apparaissait cliniquement comme
ment dit : restructuration cognitive des pensées automa-
tiques dysfonctionnelles, affirmation de soi, méthodes de
TABLEAU I. — Diagnostics des troubles de la personnalité
résolution de problèmes, autosatisfaction-plaisir, etc.
selon les critères du DSM IV (n = 14).

Nombre de sujets %
Évaluations
Cluster A
L’évaluation clinique initiale a comporté la description Schizoïde 1 7,1
diagnostique des troubles de l’axe I et de l’axe II selon les Schizotypique 0 0
critères du DSM IV, la recherche des principaux antécé- Paranoïaque 0 0
dents et événements de vie marquants, et la mise en évi- Cluster B
dence des schémas cognitifs précoces inadaptés selon Histrionique 1 7,1
la classification de Young. Antisocial 0 0
En l’absence d’outils consensuels permettant d’évaluer Borderline 3 21,4
de manière simple les effets de la psychothérapie sur les Narcissique 1 7,1
Non spécifié 1 7,1
troubles de la personnalité eux-mêmes, nous avons choisi
comme critère principal d’évaluation une mesure de Cluster C
l’adaptation sociale, dont on sait qu’elle représente un Dépendante 3 21,4
marqueur sensible de la sévérité des troubles. Ainsi, le Évitante 2 14,3
questionnaire Social Adaptation Scale-Self Rating (SAS- Obsessionnelle-compulsive 0 0
Non spécifié 2 14,3
SR) (18) a été rempli avant la thérapie et à son issue. Les

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au premier plan a été conservé. La répartition se fait avec Le détail des sous-scores de l’échelle SCL-90, qui per-
une majorité des troubles du cluster C (50 %) et du met d’étudier l’évolution des différentes dimensions symp-
cluster B (42,9 %), et un seul diagnostic du cluster A tomatiques, est présenté dans le tableau III, qui montre
(7,1 %). une amélioration de l’ensemble de la symptomatologie
Concernant les diagnostics associés de l’axe I, moyenne.
4 patients ont des antécédents d’épisode dépressif La durée des thérapies étant variable selon les patients
majeur (28,6 %), 2 de toxicomanie (14,3 %), 1 de trouble car adaptée sur des critères individuels, il nous a paru
panique (7,1 %) et 1 de trouble du comportement alimen- intéressant de savoir si elle pouvait être associée à
taire (7,1 %). l’amélioration obtenue sur certaines échelles. Seul le
Selon l’approche et la classification de Young, les sché- score total de l’échelle SCL-90 est corrélé significative-
mas précoces inadaptés retrouvés après l’analyse fonc- ment avec la durée du traitement (rho = 0,53 ; p = 0,05),
tionnelle initiale sont, par ordre de fréquence : et 4 de ses sous-scores ont des corrélations élevées mais
– méfiance/abandon : 5 patients (35,7 %) ; avec seulement une tendance à la significativité
– sentiment d’abandon : 3 patients (21,4 %) ; (tableau III).
– assujettissement : 3 patients (21,4 %) ;
– imperfection : 2 patients (14,3 %) ; TABLEAU III. — Évolution des sous-scores de l’échelle SCL-90
– dépendance : 1 patient (7,1 %) ; avant et après thérapie (moyennes et test de Wilcoxon),
et corrélations de l’amélioration obtenue avec la durée
Les scores moyens obtenus aux échelles d’adaptation de la thérapie (coefficient rho de Spearman).
sociale, de dépression et de psychopathologie générale
sont présentés dans le tableau II. Avant Après p rho p

TABLEAU II. — Scores initiaux aux échelles (n = 14). Somatisation 1,50 0,70 0,003 0,48 0,08
Obsession 1,84 0,80 0,002 0,51 0,06
Post- Sensitivité 2,07 1,03 0,002 0,47 0,09
Préthérapie p
thérapie
Échelle moyenne (test de Dépression 2,47 0,99 0,002 0,47 0,09
moyenne
± ET Wilcoxon) Anxiété 1,66 0,72 0,001 0,13 0,65
± ET
Hostilité 1,67 0,59 0,003 0,28 0,33
SAS-SR 27,9 ± 5,9 21,3 ± 5,9 0,003 Phobie 1,04 0,39 0,009 0,20 0,50
BDI 17,3 ± 7,0 8,5 ± 8,8 0,01 Paranoïa 1,79 0,82 0,003 0,40 0,16
SCL-90 (score total) 17,3 ± 6,0 7,5 ± 6,6 0,001 Symptômes 1,41 0,56 0,001 0,17 0,56
GHQ-28 46,1 ± 28,0 22,4 ± 17,4 0,003 psychotiques
Divers 1,85 0,90 0,004 0,44 0,12

Total 17,3 8,50 0,001 0,53 0,05


Parmi les événements de vie rapportés par les patients
comme ayant pu participer au développement de leur trou-
ble, on trouve le fait d’avoir été des enfants non désirés
(42,9 %), une séparation des parents au cours de Évolution qualitative
l’enfance (35,7 %), et des antécédents d’abus sexuels
(14,3 %). Les techniques comportementales et cognitives de
En début de thérapie, 4 patients étaient traités par anti- repérage des émotions négatives et de restructuration
dépresseur (28,6 %), 1 par méthadone et 1 par benzodia- classique ont pu être appliquées à tous les patients de
zépine. l’échantillon. La prise de conscience d’un schéma pré-
La durée moyenne de la thérapie est de 13,0 ± 4,4 mois, coce inadapté a été possible chez 12 patients sur 14
avec une moyenne de 26,2 ± 9,0 séances par sujets. (85,7 %). Les techniques émotionnelles ont pu être uti-
lisées dans leur intégralité chez la moitié des patients.
La plupart des patients n’ayant pu en bénéficier avaient
Évolution dimensionnelle été repérés initialement comme ayant un fonctionne-
ment alexithymique, même si cette dimension n’a pas
Les scores des différentes échelles obtenus en fin de fait l’objet d’une évaluation psychométrique. D’autres
thérapie, avec la comparaison des moyennes des deux résultats qualitatifs ont pu être observés : résolution des
passations, sont présentés dans le tableau II. Concernant difficultés de couple chez 2 patients dont ce problème
l’objectif principal d’amélioration de l’adaptation sociale, constituait un des motifs principaux de consultation,
on note une diminution significative du score de l’échelle réduction de la consommation de cannabis et des doses
SAS-SR en fin de thérapie (27,9 puis 21,3 ; p = 0,003). Les de méthadone chez un patient présentant une person-
scores moyens des autres échelles connaissent tous la nalité borderline, et disparition des poussées d’eczéma
même évolution, l’amélioration la plus significative étant chez une patiente présentant une personnalité dépen-
obtenue pour l’échelle GHQ-28 (p = 0,003). dante.

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DISCUSSION agents thérapeutiques souvent nécessaires au long cours


ou de manière plus ponctuelle, comme les traitements
Il faut souligner tout d’abord les limites méthodologi- médicamenteux, les arrêts de travail, les hospitalisations,
ques de cette étude : absence de groupe contrôle, faibles et tout autre événement imprévu, fréquents dans cette
effectifs et évaluation des résultats uniquement basée sur pathologie, risquant de modifier les projets thérapeutiques
des autoquestionnaires. Cependant, l’approche de type en cours.
naturaliste choisie fait que les patients inclus et les moda-
Les recherches à développer aujourd’hui concernent
lités du suivi sont probablement représentatifs des prises
donc naturellement les effets des thérapies comporte-
en charge ambulatoires effectuées en pratique de ville en
mentales et cognitives elles-mêmes, avec la nécessité de
France, alors que très peu d’études de cette nature ont
développer des études contrôlées sur de grands effectifs,
été publiées jusqu’à présent. La méthode thérapeutique
mais également leurs conditions d’application réelle et les
appliquée, la thérapie cognitive centrée sur les schémas
facteurs prédictifs de leur efficacité. L’objectif de ces
de Young, est par ailleurs très standardisée pour l’ensem-
recherches serait de pouvoir au mieux, sur des bases
ble de l’échantillon, et n’a jusqu’à présent fait l’objet que
scientifiques, planifier l’organisation des soins d’un patient
de très peu d’études empiriques.
donné en fonction de son profil individuel. À ce titre, le
Le résultat principal de cette étude est l’amélioration modèle de Young, encore peu connu, nous semble cons-
nette obtenue sur le score d’adaptation sociale sur une tituer une approche à la fois riche et souple pour le traite-
période d’un an environ en moyenne. Cette amélioration ment de nombreux types de troubles de la personnalité.
ne conduit pas à une normalisation totale du fonctionne-
ment social puisque le score moyen de l’échelle SAS-SR
reste élevé en fin de thérapie, mais on peut penser que
d’autres changements pourraient apparaître sur une
Références
période plus longue car dépendant de conditions de vie
qui ne peuvent pas se modifier toutes simultanément
(environnement affectif, professionnel, social, etc.). L’évo- 1. BECK A, STEER R, GARBIN M. Psychometric properties of the Beck
lution des scores de dépression et de psychopathologie depression inventory : twenty-five years of research. Clin Psychol
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générale montre que le travail cognitif et émotionnel effec-
2. BECK A, FREEMAN A, DAVIS D et al. Cognitive therapy of perso-
tué a un impact très large sur de nombreuses dimensions nality disorders. New York : Guilford Press, 2003.
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J Person Disord 2004 ; 18 : 251-71.
cognitives et comportementales, notamment des techni- 4. COTTRAUX J, BLACKBURN I. Thérapies cognitives des troubles
ques émotionnelles de Young, chez des patients souf- de la personnalité. Paris : Masson, 2001 : 244.
frants de troubles de la personnalité doivent être confirmés 5. GIESEN-BLOO J, ARNTZ A, VAN DIJCK R et al. Schema-focused
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importants et avec des suivis prolongés après l’arrêt de disorder : results of a RCT of 3 years of therapy. Paper presented
at the 34nd Annual Congress of the European Association for Beha-
la thérapie. L’utilisation d’une échelle évaluant les sché- vioural and Cognitive Therapies, Manchester, 8-11 th September
mas comme le questionnaire de Young (4), qui n’a pas pu 2004.
être effectuée ici chez tous les patients pour des raisons 6. HAHUSSEAU S. Psychothérapie d’un trouble de la personnalité du
pratiques, serait également nécessaire. cluster B selon la méthode de Young. J Ther Comport Cogn 2001 ;
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et de leur impact sur la morbidité, mais aussi un problème Bacon, 2002 : 218.
d’une grande complexité. La rigidité de ces troubles et leur 11. LINEHAN M. Traitement cognitivo-comportemental du trouble de
hétérogénéité font qu’il n’existe pas aujourd’hui une pro- personnalité état-limite. Med Hyg (Chêne-Bourg), 2000 : 607.
cédure thérapeutique unique susceptible de traiter dans 12. PARIENTE P, GUELFI J-D. Inventaires d’auto-évaluation de la psy-
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comportementales et cognitives appliquées pour la plu- led trial of the effectiveness of short-term dynamic psychotherapy
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