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Peyras 2004
Peyras 2004
To cite this article: Laurent Peyras , Daniel Boissier & Paul Royet (2004): Approches de l'analyse de risques en génie civil
Exemple des barrages, Revue Française de Génie Civil, 8:8, 931-952
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Approches de l’analyse de risques
en génie civil
* Cemagref
Unité de recherche « Ouvrages hydrauliques »
BP 31, Le Tholonet, F-13612 Aix-en-Provence cedex 1
{laurent.peyras@cemagref.fr; paul.royet}@cemagref.fr
RÉSUMÉ. En replaçant l’analyse de risques dans le contexte industriel général qui l’a
consacré, on propose tout d’abord de rappeler les principaux concepts liés au risque et à son
analyse. Ensuite, on établit une synthèse des différentes approches existantes : les méthodes
internes comprenant les modélisations physique et fonctionnelle, les méthodes externes
incluant les approches statistique et experte. Pour chacune de ces familles de méthodes, on
cite les applications remarquables en génie civil et on développe leur pratique dans le
contexte d’ouvrages d’art particuliers du génie civil, les barrages.
ABSTRACT. Considering risk analysis in the industrial context we first present the main
concepts dealing with risk and its analysis. Secondly we build up a synthesis of the different
existing approaches: internal methods including physical and functional modelling, external
methods including statistical approach and expertise. For each of them, we list the main
applications in civil engineering and we develop their use in the peculiar case of dams.
MOTS-CLÉS : risque, analyse de risques, génie civil, barrage.
KEYWORDS: risk, risk analysis, civil engineering, dam.
1. Introduction
10-2
Fréquence 10-4
annuelle
de plus de
10-6
X décès
par
inondation 10-8
10-10
10-12
10-14
101 102 103 104
Nombre de décès par inondation
Il apparaît ici que l’analyse de risques n’est pas une discipline à proprement
parler, mais plutôt une activité de l’ingénieur qui s’efforce d’évaluer le paramètre
risque. De fait, il existe plusieurs approches pour accomplir cette activité, qui sont
clairement identifiées et formalisées dans l’industrie et qui sont également utilisées
en génie civil. Elles peuvent être groupées en deux familles (Zwingelstein, 1995) :
les méthodes internes et les méthodes externes d’analyse de risques.
Les méthodes internes reposent sur la connaissance profonde du fonctionnement
du système étudié (un ensemble de composants interconnectés dans l’industrie, un
ouvrage en génie civil). A partir de modélisations, il est alors possible de prévoir
son comportement futur et d’analyser ensuite les risques. Selon le type de modèle
décrivant le système, on distingue deux approches :
1. La modélisation physique
Cette approche repose sur la modélisation physique des processus continus ou
discrets de dégradation du système, en prenant en compte les équations régissant les
phénomènes internes. Elle implique une connaissance approfondie du système et sa
représentation sous la forme de modèles physiques et mathématiques, appuyés par la
simulation numérique.
2. La modélisation fonctionnelle par la sûreté de fonctionnement
Dans cette approche, les systèmes sont étudiés sous l’angle des fonctions qu’ils
doivent remplir et pour lesquelles ils sont conçus. Le principe de la modélisation
fonctionnelle consiste à déterminer les interactions entre les composants d’un
système et son environnement, de façon à établir de manière formelle les liens entre
les défaillances des fonctions, leurs causes et leurs effets. Une fois le modèle de
fonctionnement établi, on cherche à évaluer des mesures de la sûreté de
fonctionnement qui peuvent être, selon le contexte et les données disponibles,
déterministes ou probabilistes.
Il existe différentes techniques qui permettent la modélisation fonctionnelle des
systèmes : l’AMDE (Analyse des Modes de Défaillance et de leurs Effets),
936 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004
Poussée des
sédiments
Action des
sous-pressions
De récents travaux menés sous l’égide du Comité français des grands barrages
ont proposé une méthodologie semi-probabiliste aux états-limites pour les barrages
poids (Royet et al., 2002) : les intensités des actions permanentes à prendre en
compte sont déterminées à partir de leur valeur nominale ou de leur valeur
caractéristique si on connaît leurs incertitudes ; les valeurs représentatives des
actions de l’eau (valeurs caractéristique, quasi-permanente, de calcul et accidentelle)
sont déterminées directement dans les situations de projet ; les différentes intensités
des résistances (de service, de calcul et accidentelle) sont définies à partir de la
résistance caractéristique ; enfin, les conditions d’états-limites sont exprimées à
partir des actions issues des différentes combinaisons (quasi-permanente, rare,
fondamentale et accidentelle), à partir des résistances caractéristiques pondérées par
leur coefficient partiel et d’un coefficient de modèle propre à l’état-limite. En
reprenant l’exemple du glissement (figure 2), la condition d’état-limite s’exprime
alors, au format semi-probabiliste proposé, de la façon suivante :
[N . (tan φ)k / γm ] / T > γd avec :
N et T les intensités de la résultante calculées à partir des combinaisons
d’actions ; (tan φ)k l’angle de frottement caractéristique, γm le coefficient partiel lié à
l’angle de frottement et γd le coefficient de modèle lié à l’état-limite de glissement.
auxquelles il faut s’attendre une fois cet état-limite atteint. Selon le format adopté
pour les valeurs des actions et des résistances, on obtient par la modélisation
physique une approche déterministe ou probabiliste du risque.
Ces modèles du comportement sont largement utilisés dans le domaine des
barrages. A titre d’illustration, la figure 3 présente la déformée en plan d’un barrage
voûte soumis à un phénomène de gonflement par mécanisme d’alcali-réaction,
obtenue par modélisation tridimensionnelle aux éléments finis élastiques de volume
(Bourdarot, 2001). La mise en œuvre de modélisations telles que celle-ci permettent
alors de prévoir le comportement d’un barrage dans différents scénarios
(gonflement, charges hydrostatiques associées à une période de retour, sollicitation
sismique...).
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7 : DRAIN
HORIZONTAL
9 : VOILE 10 : FONDATIONS
D’INJECTION AVAL
La méthode la plus largement rencontrée dans les études est celle des Arbres
d’Evénements (Event Tree Analysis) qui est mise en œuvre pour modéliser les
mécanismes de rupture : un mécanisme est représenté sous forme d’un scénario,
constitué de séquences d’événements se déroulant chronologiquement et construit
inductivement à partir d’un événement initiateur jusqu’aux événements finaux (la
rupture en général). La figure 5 illustre la modélisation par un arbre d’événements
du scénario de rupture d’un barrage en remblai par surverse consécutive à un séisme
exceptionnel (CEA, 2000). A partir de l’événement initiateur (le séisme associé à
une fréquence), on enchaîne les séquences chronologiques de modes de défaillance
qui conduiraient à la ruine de l’ouvrage.
Enfin, la méthode des arbres des conséquences (Fault Tree Analysis) est utilisée
pour la modélisation fonctionnelle d’équipements spécifiques des barrages, à
Analyse de risques en génie civil 943
Rupture du barrage
par surverse
Perte de contrôle du
niveau de la retenue
Maintien du contrôle du
Séisme (0,22-0,3g / M6,25-6,5) niveau de la retenue
Fréquence annuelle : 10-5 / an
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OUI
1 P1 P2 P 3 P4 C1
P4
OUI
NOEUD P
3
NON
SEQUENCE 2 P 1 P 2 P 3 (1-P 4) C2
OUI 1-P 4
P2 OUI
3 P 1 P 2 (1-P 3) P 5 C3
P5
NON
1-P
3
Evénement
hydrologique NON
4 P 1 P 2 (1-P 3) (1-P 5) C4
exceptionnel SCENARIO - 1-P 5
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P1 (succession de OUI
séquences) P 5 P 1 (1-P 2 )P 3 P 6 C5
6
OUI
P
3
NON
6 P 1 (1-P 2 )P 3 (1-P 6) C6
NON 1-P 6
1-P 2 OUI
7 P 1 (1-P 2 )(1-P 3) P 7 C7
P7
NON
1-P 3
NON
8 P 1 (1-P 2 )(1-P 3) (1-P 7) C8
1-P 7
HYDROLOGIE SEISME
EROSION INTERNE
Barrage scénario de scénario de Total, pf
scénario de renard , pe
surverse, ph liquéfaction, ps
Viddalsvatn 1,2 . 10-6 1,1 . 10-5 5,5 . 10-4 5,6 . 10-4
Dravladalsvatn 4,0 . 10-4 1,5 . 10-6 5,0 . 10-5 4,5 . 10-4
-7 -7 -6
Svartevatn 1,0 . 10 2,0 . 10 6,0 . 10 6,3 . 10-6
m NGF Piézomètre P1
506
504
502
500
498
Mise en eau
496
494
492
84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99
Date (temps)
Figure 7. Mesures brutes d’un piézomètre d’un barrage en remblai (Bonelli et al.,
1998)
La figure 7 montre les résultats de l’analyse par le modèle statistique HST-P des
mesures d’un piézomètre d’un barrage en remblai (les mesures brutes apparaissent
dans la figure 7). Les fonctions H(z), P(τ), S(θ) et T(τ) permettent de présenter la
contribution à la piézométrie de chacun des facteurs explicatifs considérés
individuellement. Dans ce cas particulier, les variations de la piézométrie sont dues
essentiellement au niveau de la retenue, avec une tendance favorable à la baisse au
cours du temps (Bonelli et al., 1998).
Analyse de risques en génie civil 947
On définit l’expert comme une personne disposant d’un savoir et d’un savoir-
faire ; son raisonnement fait appel à ses connaissances théoriques (connaissance fine
du système dont il est expert) et à la longue expérience dont il tire des précédents et
son savoir-faire (Zwingelstein, 1995). Dans une approche d’analyse de risques
basée sur l’expertise, l’expert adopte un raisonnement par analogie : il cherche à
948 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004
En synthèse, l’analyse de risques par expertise est mise en œuvre dans les
contextes où la modélisation physique ou fonctionnelle n’est pas possible (à un coût
raisonnable) et où les données sont peu abondantes. L’expert est alors le seul
capable de prévoir l’évolution d’un système et ses défaillances potentielles. Certains
domaines du génie civil, à l’instar des ouvrages de la SNCF ou encore des barrages,
ont formalisé cette approche par le développement d’outils d’aide à l’expertise basés
sur la capitalisation des connaissances experte et du retour d’expérience.
7. Synthèse
des barrages, la pratique est restée à l’écart des méthodes aux états-limites et le
format des justifications reste déterministe. De récents travaux introduisent une
méthodologie semi-probabiliste aux états-limites pour les ouvrages poids et
constituent une première étape vers ce format de la sécurité, désormais
communément admis dans le génie civil traditionnel (ouvrages d’art et bâtiment).
La sûreté de fonctionnement est utilisée depuis plusieurs années dans le génie
civil à risques technologiques forts, comme celui du nucléaire ou de l’offshore. Ces
secteurs disposent de données abondantes sur le comportement des ouvrages et
permettent une analyse fiabiliste des risques. La sûreté de fonctionnement est
apparue plus récemment dans le domaine des barrages. Par une approche
systémique et par la modélisation fonctionnelle, elle met en évidence les scénarios
de rupture et les composants d’un barrage les plus critiques et, à l’échelle d’un parc
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entier, les ouvrages les plus dangereux. Compte tenu du caractère unique de chaque
barrage et de la complexité des mécanismes, le traitement fiabiliste n’est pas probant
et les mesures de sûreté de fonctionnement obtenues s’appuient fortement sur
l’expertise. La sûreté de fonctionnement est une approche d’analyse de risques
puissante, efficace pour la hiérarchisation des programmes de travaux et pour
l’optimisation de la maintenance (inspections, auscultation) en vue d’améliorer la
sécurité d’un ouvrage. De par le coût important de ce type d’analyse, elle reste
réservée aux grands barrages.
Les statistiques sont utilisées dans quelques domaines particuliers du génie civil
où les données sur les défaillances sont abondantes. Parmi ceux-ci, on trouve les
ouvrages à grand linéaire, tels que les routes ou les réseaux enterrés. Cette approche
de l’analyse de risques est couramment utilisée dans le domaine des barrages pour le
traitement des données d’auscultation, pour lesquelles on cherche à établir des
corrélations entre les mesures des instruments et des facteurs explicatifs. Elle
constitue une approche puissante pour l’analyse de risques approfondie. Les
analyses obtenues donnent des résultats de grande précision et sont déterminantes
pour la connaissance de la sécurité des ouvrages.
L’expertise est largement impliquée dans l’analyse de risques des barrages, en
contrôle et validation des autres approches, mais aussi en expertise pure pour les
analyses rapides ou de premier ordre de grandeur (incidents ou accidents). De
récents travaux ont été menés pour développer l’analyse de risques par expertise. Ils
sont basés sur la capitalisation de la connaissance experte et du retour d’expérience,
sous forme de bases de données de scénarios et d’historiques de vieillissement. Ces
bases de données sont destinées à être intégrées dans un outil d’aide à la décision
destiné aux experts, pour l’aide à l’analyse de risques des barrages en service.
Ce panorama des approches de l’analyse de risques appliquée aux barrages
montre l’intérêt et les limites des différentes approches, selon que l’on recherche des
résultats précis (modélisation physique des comportements et approche par les
statistiques), des résultats de premier ordre de grandeur ou rapides (approche
experte), des niveaux de sécurité (modèles physiques aux états-limites) ou des
Analyse de risques en génie civil 951
8. Bibliographie
Downloaded by [Lakehead University] at 12:31 08 June 2013
Leroy A., Signoret J.P., Le risque technologique, Paris, PUF, Que sais-je ?, n° 2669, 1992.
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Peyras L., Diagnostic et analyse de risques des barrages – Développement de méthodes d’aide à
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janvier 2003.
Peyras L., Royet P., Boissier D., Vergne A., “Development of a Scenario-based Decision
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Royet P., Peyras L. (sous la direction de), Justification des barrages poids, Comité français
des Grands Barrages, Groupe de travail « Calcul des barrages poids », janvier 2002.
Downloaded by [Lakehead University] at 12:31 08 June 2013
Villemeur A., Sûreté de fonctionnement des systèmes industriels, Paris, Eyrolles, 1988.
Zwingelstein G. Diagnostic des défaillances – Théorie et pratique pour les systèmes
industriels, Paris, Hermès, 1995.