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Revue Française de Génie Civil


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Approches de l'analyse de risques en génie civil


Exemple des barrages
a b a
Laurent Peyras , Daniel Boissier & Paul Royet
a
Cemagref Unité de recherche « Ouvrages hydrauliques », BP 31, Le Tholonet, F-13612,
Aix-en-Provence cedex 1 E-mail:
b
Université Blaise PASCAL—Clermont II CUST/LERMES, 24, avenue des Landais BP 206,
F-63174, Aubière cedex E-mail:
Published online: 05 Oct 2011.

To cite this article: Laurent Peyras , Daniel Boissier & Paul Royet (2004): Approches de l'analyse de risques en génie civil
Exemple des barrages, Revue Française de Génie Civil, 8:8, 931-952

To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/12795119.2004.9692635

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Approches de l’analyse de risques
en génie civil

Exemple des barrages


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Laurent Peyras* — Daniel Boissier** — Paul Royet*

* Cemagref
Unité de recherche « Ouvrages hydrauliques »
BP 31, Le Tholonet, F-13612 Aix-en-Provence cedex 1
{laurent.peyras@cemagref.fr; paul.royet}@cemagref.fr

** Université Blaise PASCAL – Clermont II


CUST/LERMES
24, avenue des Landais, BP 206, F-63174 Aubière cedex
d.boissier@cust.univ-bpclermont.fr

RÉSUMÉ. En replaçant l’analyse de risques dans le contexte industriel général qui l’a
consacré, on propose tout d’abord de rappeler les principaux concepts liés au risque et à son
analyse. Ensuite, on établit une synthèse des différentes approches existantes : les méthodes
internes comprenant les modélisations physique et fonctionnelle, les méthodes externes
incluant les approches statistique et experte. Pour chacune de ces familles de méthodes, on
cite les applications remarquables en génie civil et on développe leur pratique dans le
contexte d’ouvrages d’art particuliers du génie civil, les barrages.
ABSTRACT. Considering risk analysis in the industrial context we first present the main
concepts dealing with risk and its analysis. Secondly we build up a synthesis of the different
existing approaches: internal methods including physical and functional modelling, external
methods including statistical approach and expertise. For each of them, we list the main
applications in civil engineering and we develop their use in the peculiar case of dams.
MOTS-CLÉS : risque, analyse de risques, génie civil, barrage.
KEYWORDS: risk, risk analysis, civil engineering, dam.

Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004, pages 931 à 952


932 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004

1. Introduction

La prévention des risques a toujours été une préoccupation essentielle des


ingénieurs du génie civil, que ce soit lors de la conception des ouvrages, de leur
construction, de leur exploitation et éventuellement de leur démantèlement. Ce souci
permanent d’obtenir des ouvrages fiables, disponibles, sécuritaires... bref des
ouvrages sûrs, n’a pas pour autant été formalisé par les concepts de l’analyse de
risques. Ainsi, des générations d’ingénieurs du génie civil ont fait et font de
l’analyse de risques sans utiliser nécessairement le cadre et les termes qui ont été
consacrés dans le contexte industriel et appliqués en sûreté de fonctionnement.
Aujourd’hui, deux éléments sociaux interdépendants influencent les objectifs de
recherche et développement en génie civil. Tout d’abord, l’activité du génie civil se
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positionne prioritairement dans le cycle de vie de l’exploitation d’ouvrages existants


plutôt que dans celui de la conception et la construction d’ouvrages neufs. Les
préoccupations des ingénieurs du génie civil se concentrent ainsi largement sur
l’optimisation de la maintenance et l’augmentation de la durabilité. Ensuite, la
pression croissante de la société, confrontée aux risques naturels et technologiques,
induit une demande forte de transparence et d’affichage des risques. Par conséquent,
on constate une volonté nette de la communauté scientifique du génie civil de se
positionner dans le domaine de l’analyse de risques. A ce titre, on peut citer
l’émergence en France d’un Groupement d’Intérêt Scientifique « maîtrise des
risques en Génie Civil » (GIS MR-GenCi) qui regroupe des acteurs universitaires et
professionnels, de l’assurance aux bureaux d’études, autour de la problématique de
la prévision et de l’évaluation des risques.
Certains secteurs du génie civil présentent plus d’avance que d’autres. Ainsi, la
sûreté de fonctionnement, à partir d’approches déterministes ou fiabilistes, est
pratiquée depuis de nombreuses années dans le génie civil du nucléaire et de
l’offshore ; par ailleurs, on tend à analyser à partir des statistiques les ouvrages à
grand linéaire tels que les réseaux enterrés ou les routes. En revanche, en génie civil
traditionnel (ouvrages d’art, bâtiment... et de façon générale pour les ouvrages
entrant dans le champ d’application des Eurocodes), on privilégie les approches
physique et experte de l’analyse des risques.
Le domaine particulier des barrages dans le génie civil est intéressant car il
sollicite la mise en œuvre de tout l’éventail d’approches de l’analyse de risques. Les
modèles physiques sont déployés pour la connaissance fine des mécanismes, les
modèles statistiques sont utilisés en analyse des données d’auscultation et
l’expertise est largement mise à contribution en analyse préliminaire et en synthèse
d’études approfondies. Enfin, la sûreté de fonctionnement appliquée aux barrages
est actuellement en plein développement.
On présente dans cet article les différentes approches de l’analyse de risques
appliquées aux barrages et, en particulier, les avancées scientifiques récentes dans
Analyse de risques en génie civil 933

les domaines de la sûreté de fonctionnement, de l’aide à l’expertise et des approches


aux états-limites.
En préliminaire, il est important de poser les concepts liés au risque, les
différentes approches d’analyse de risques (non inclus le management des risques)
et les liens avec la sûreté de fonctionnement. C’est l’objet de la première partie de
cet article dans lequel on replace l’analyse de risques dans le contexte général
industriel qui l’a consacrée. On présente dans les parties suivantes les quatre
approches de l’analyse de risques : les modélisations physique et fonctionnelle
relevant des méthodes internes d’analyse de risques, les approches statistique et
experte relevant des méthodes externes. Pour chacune de ces approches, on cite les
applications remarquables dans le génie civil et on développe les pratiques et les
avancées dans le domaine des barrages.
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2. Les concepts fondamentaux liés au risque

2.1. Le risque et l’activité d’analyse de risques

Le concept de risque possède un grand nombre d’acceptions et la confusion est


souvent faite avec le concept de probabilité, que ce soit dans le langage courant ou
dans les références techniques. Néanmoins, dans le contexte industriel, on trouve un
consensus clair sur la définition du risque, qui vise à associer deux entités à partir
desquelles il est plus généralement défini : probabilité et conséquence (Leroy et al.,
1992). Ainsi, certains auteurs parlent d’un potentiel de conséquences résultant d’un
danger ou encore d’une mesure du niveau de danger (Modarres, 1993). On préfère
ici retenir une définition plus générale proposée par (Villemeur, 1988) qui a
l’avantage de ne pas prendre en compte uniquement les approches probabilistes de
l’analyse de risques :
« Le risque est une mesure d’un danger associant une mesure de l’occurrence
d’un événement indésirable et une mesure de ses effets ou conséquences. »
Le risque attaché à un danger est donc évalué par une fonction à deux variables.
Pour l’obtenir, on recherche :
– une mesure de l’occurrence d’un danger (une défaillance dans l’industrie, un
état-limite en génie civil) ; l’approche probabiliste cherche à obtenir une probabilité
d’apparition du danger (sur une période de référence donnée) et nécessite d’avoir
une connaissance des facteurs aléatoires (variables ou fonctions) ; l’approche
fréquentielle s’intéresse aux taux de défaillance du système et de ses composants et
aux fréquences (nombre d’événements se produisant par unité de temps) ;
l’approche déclarative propose des classes de possibilité d’apparition du danger ou
des délais d’apparition ;
– une estimation des effets ou conséquences du danger s’il se produisait ; cette
estimation correspond généralement à un coût humain, économique ou
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environnemental (nombre de morts, coût économique...), mais on rencontre


également des estimations qualitatives décrivant la gravité des effets ; on distingue
généralement le coût direct, lié à l’arrêt de la production ou de la fonction, et les
coûts indirects liés aux conséquences sur l’environnement.
Le risque est souvent exprimé par la multiplication de ces deux quantités. Une
représentation désormais classique a été introduite dans le domaine du nucléaire
dans le milieu des années 1960 et consiste en un affichage dans un plan
probabilité/conséquence. A titre d’exemple, la figure 1 donne une estimation de la
probabilité annuelle de plus de X décès par inondation attachée à un polder au Pays-
Bas (ICOLD, 2003).
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10-2

Fréquence 10-4
annuelle
de plus de
10-6
X décès
par
inondation 10-8

10-10

10-12

10-14
101 102 103 104
Nombre de décès par inondation

Figure 1. Courbe fréquence/conséquence appliquée au risque inondation (ICOLD,


2003)

A partir de la définition du risque vue précédemment, l’activité d’analyse de


risques consiste logiquement à répondre aux trois questions suivantes (Kaplan,
1997) :
1) qu’est-ce qui peut conduire à des situations de danger ?
2) quelles sont les chances pour que ces situations se produisent ?
3) si elles se produisent, à quelles conséquences doit-on s’attendre ?
La première question revient à rechercher les scénarios (Si) pouvant conduire à
une défaillance. Ensuite, l’analyse de risques va évaluer la possibilité d’apparition
de chaque scénario Si à partir d’une mesure d’occurrence (dans une approche
probabiliste, il s’agira de la probabilité Pi associée à Si). La troisième question
s’attache à décrire et à estimer les conséquences Ci liées au scénario Si.
Analyse de risques en génie civil 935

Ainsi, l’activité d’analyse de risques consiste à évaluer le risque R défini par


l’ensemble des triplets (Modarres, 1993) : R = < Si , Pi , Ci >.
Si le risque est une notion intrinsèque, son évaluation dépend en revanche de la
qualité des données introduites. On peut ainsi associer à cette évaluation un attribut
qui représente la qualité de la connaissance que l’on a de la prévision du risque
(Boissier, 2000). Pour améliorer cette qualité, il faut améliorer la qualité de chacun
des membres des triplets : la connaissance précise des scénarios, l’estimation de leur
probabilité d’apparition et l’évaluation des conséquences.

2.2. Les différentes approches disciplinaires pour l’analyse de risques


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Il apparaît ici que l’analyse de risques n’est pas une discipline à proprement
parler, mais plutôt une activité de l’ingénieur qui s’efforce d’évaluer le paramètre
risque. De fait, il existe plusieurs approches pour accomplir cette activité, qui sont
clairement identifiées et formalisées dans l’industrie et qui sont également utilisées
en génie civil. Elles peuvent être groupées en deux familles (Zwingelstein, 1995) :
les méthodes internes et les méthodes externes d’analyse de risques.
Les méthodes internes reposent sur la connaissance profonde du fonctionnement
du système étudié (un ensemble de composants interconnectés dans l’industrie, un
ouvrage en génie civil). A partir de modélisations, il est alors possible de prévoir
son comportement futur et d’analyser ensuite les risques. Selon le type de modèle
décrivant le système, on distingue deux approches :
1. La modélisation physique
Cette approche repose sur la modélisation physique des processus continus ou
discrets de dégradation du système, en prenant en compte les équations régissant les
phénomènes internes. Elle implique une connaissance approfondie du système et sa
représentation sous la forme de modèles physiques et mathématiques, appuyés par la
simulation numérique.
2. La modélisation fonctionnelle par la sûreté de fonctionnement
Dans cette approche, les systèmes sont étudiés sous l’angle des fonctions qu’ils
doivent remplir et pour lesquelles ils sont conçus. Le principe de la modélisation
fonctionnelle consiste à déterminer les interactions entre les composants d’un
système et son environnement, de façon à établir de manière formelle les liens entre
les défaillances des fonctions, leurs causes et leurs effets. Une fois le modèle de
fonctionnement établi, on cherche à évaluer des mesures de la sûreté de
fonctionnement qui peuvent être, selon le contexte et les données disponibles,
déterministes ou probabilistes.
Il existe différentes techniques qui permettent la modélisation fonctionnelle des
systèmes : l’AMDE (Analyse des Modes de Défaillance et de leurs Effets),
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l’AMDEC (AMDE complétée par une analyse de la Criticité), les méthodes de


l’Arbre des Conséquences ou d’Evénements... Elles sont partie intégrante de la
sûreté de fonctionnement.
Les méthodes externes s’appliquent dans des contextes où la modélisation des
mécanismes (physiques ou fonctionnels) n’est techniquement pas possible ou pas
adaptée au niveau de préoccupation, compte tenu de sa complexité ou de son coût.
En fonction des informations disponibles, on distingue les méthodes basées sur
l’analyse statistique et celles basées sur l’expertise.
3. Les statistiques
Cette approche nécessite un retour d’expérience riche et parfaitement
documenté, ce qui peut être le cas dans des parcs d’ouvrages homogènes (ou de
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matériels industriels identiques) ou pour les systèmes disposant de mesures


abondantes. Les méthodes statistiques appliquées aux données du retour
d’expérience (données statistiques au sein d’un parc homogène ou séries de mesures
chronologiques attachées à un système) permettent d’établir des corrélations entre
les défaillances et les symptômes et d’anticiper ensuite les comportements.
4. L’expertise
En présence d’un nombre réduit (voire unique) d’ouvrages et en absence de
modèle de comportement, l’expert humain est le seul éventuellement capable de
prévoir l’évolution d’un système. L’expertise revêt une importance particulière en
génie civil.

3. Analyse de risques par modélisation physique

La modélisation physique constitue l’approche privilégiée de l’analyse de


risques dans le génie civil traditionnel. Elle s’intéresse aux mécanismes et aux lois
de comportement des matériaux et des structures. Ces dernières années, elle connaît
des développements importants dans le domaine du calcul numérique : éléments
finis, éléments discrets. La modélisation physique permet d’apprécier la sécurité
d’un ouvrage vis-à-vis d’un phénomène préjudiciable ou de prévoir l’évolution d’un
comportement. On propose ainsi un classement des modèles physiques en deux
catégories : les modèles d’états-limites (intervenant dans les méthodes aux états-
limites) et les modèles d’étude du comportement.

3.1. Les modèles d’états-limites

Les modèles d’états-limites s’attachent à représenter soit les pertes de


fonctionnalité d’un ouvrage (les états-limites de service), soit les modes de ruine ou
les pertes d’équilibre statique (les états-limites ultimes). Au moyen d’équations
régissant les conditions d’états-limites, on évalue le niveau de sécurité d’une
Analyse de risques en génie civil 937

structure vis-à-vis de chaque phénomène préjudiciable dans les conditions réelles


d’exploitation.
Dans l’approche déterministe, le projeteur s’attache à vérifier que les contraintes
développées dans la structure restent inférieures aux contraintes admissibles du
matériau ou de la structure (Calgaro, 1996). Ce format de justification prévaut
actuellement dans le domaine des barrages. Les principales actions externes prises
en compte dans la justification des barrages sont le poids propre (tenant compte de
la géométrie et de la composition de l’ouvrage, généralement bien maîtrisées), la
poussée des sédiments se déposant dans la retenue, le cas échéant les actions liées à
des dispositifs particuliers (tirants d’ancrages, recharge aval...), les actions variables
de l’eau (les poussées hydrostatiques amont et aval, les sous-pressions) et l’action
accidentelle des séismes. Les intensités des actions de l’eau sont obtenues dans les
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différentes configurations de remplissage de la retenue (le niveau normal


d’exploitation, les plus hautes eaux correspondant à la crue de projet, la retenue
vide, la vidange rapide pour les remblais). Les résistances de matériaux sont
obtenues par jugement d’expert à partir de résultats d’essais sur les matériaux.
On rencontre différents états-limites dans les recommandations. Pour les
barrages poids, on justifie le non-glissement de l’ouvrage sur son sol d’assise, le
non-cisaillement du corps du barrage et la non-traction du parement amont. Les
conditions d’états-limites s’expriment à partir d’un modèle physique de l’état-limite
et font intervenir un coefficient global de sécurité. La figure 2 montre l’exemple de
la justification de l’état limite de glissement d’un barrage poids (Royet et al., 2002).

N : composante normale de la résultante


des actions sur la fondation
T : composante tangentielle de la résultante
des actions sur la fondation
tan φ : angle de frottement de l’interface barrage/fondation

condition de l’état-limite de glissement :


N . tan φ / T > F avec : F = 1,5 pour la retenue normale
F = 1,3 pour les plus hautes eaux
Poids propre
Poussée
hydrostatique
amont

Poussée des
sédiments

Action des
sous-pressions

Figure 2. Etat-limite de glissement dans les barrages poids


938 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004

Dans l’approche probabiliste, les actions et résistances sont considérées comme


des variables aléatoires, auxquelles sont associées des lois de probabilité. La
probabilité d’atteindre un état-limite est définie comme la probabilité que la
résistance soit inférieure aux sollicitations pendant une durée de référence et on
vérifie que cette probabilité reste inférieure à une valeur donnée à l’avance
(Calgaro, 1996). On ne connaît pas de domaine du génie civil utilisant dans la
pratique quotidienne un format de justification purement probabiliste. En revanche,
dans les règlements du génie civil traditionnel (fascicules du CCTG, Eurocodes), les
états-limites sont justifiés à partir de méthodes semi-probabilistes. Sur la base d’une
méthodologie probabiliste, ces méthodes introduisent une part de déterminisme
prise en compte par des coefficients partiels et une part statistique prise en compte
par la définition statistique des valeurs représentatives des paramètres auxquels
s’appliquent les coefficients partiels.
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De récents travaux menés sous l’égide du Comité français des grands barrages
ont proposé une méthodologie semi-probabiliste aux états-limites pour les barrages
poids (Royet et al., 2002) : les intensités des actions permanentes à prendre en
compte sont déterminées à partir de leur valeur nominale ou de leur valeur
caractéristique si on connaît leurs incertitudes ; les valeurs représentatives des
actions de l’eau (valeurs caractéristique, quasi-permanente, de calcul et accidentelle)
sont déterminées directement dans les situations de projet ; les différentes intensités
des résistances (de service, de calcul et accidentelle) sont définies à partir de la
résistance caractéristique ; enfin, les conditions d’états-limites sont exprimées à
partir des actions issues des différentes combinaisons (quasi-permanente, rare,
fondamentale et accidentelle), à partir des résistances caractéristiques pondérées par
leur coefficient partiel et d’un coefficient de modèle propre à l’état-limite. En
reprenant l’exemple du glissement (figure 2), la condition d’état-limite s’exprime
alors, au format semi-probabiliste proposé, de la façon suivante :
[N . (tan φ)k / γm ] / T > γd avec :
N et T les intensités de la résultante calculées à partir des combinaisons
d’actions ; (tan φ)k l’angle de frottement caractéristique, γm le coefficient partiel lié à
l’angle de frottement et γd le coefficient de modèle lié à l’état-limite de glissement.

3.2. Les modèles d’analyse du comportement des matériaux et des ouvrages

De nombreux modèles d’analyse du comportement des matériaux et des


ouvrages sont utilisés en génie civil : modèles physiques, mécaniques,
hydromécaniques, modèles couplés... Ils permettent d’évaluer les déplacements et
déformations, les contraintes, les transferts de flux (érosion, percolations)... Par la
modélisation des lois de comportement, il est alors possible d’estimer les évolutions
futures d’un ouvrage sous l’effet d’un mécanisme et de mesurer les deux paramètres
qui vont permettre de déterminer le risque : le temps nécessaire ou le niveau de
sollicitations pour que l’ouvrage atteigne un état-limite, et les conséquences
Analyse de risques en génie civil 939

auxquelles il faut s’attendre une fois cet état-limite atteint. Selon le format adopté
pour les valeurs des actions et des résistances, on obtient par la modélisation
physique une approche déterministe ou probabiliste du risque.
Ces modèles du comportement sont largement utilisés dans le domaine des
barrages. A titre d’illustration, la figure 3 présente la déformée en plan d’un barrage
voûte soumis à un phénomène de gonflement par mécanisme d’alcali-réaction,
obtenue par modélisation tridimensionnelle aux éléments finis élastiques de volume
(Bourdarot, 2001). La mise en œuvre de modélisations telles que celle-ci permettent
alors de prévoir le comportement d’un barrage dans différents scénarios
(gonflement, charges hydrostatiques associées à une période de retour, sollicitation
sismique...).
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Figure 3. Modélisation des effets du gonflement sur un barrage voûte/déformée en


plan (Bourdarot, 2001)

En synthèse, la modélisation physique est mise en œuvre pour l’analyse de


risques d’un barrage (ou d’un ouvrage de génie civil plus généralement) dont on
cherche à vérifier la stabilité vis-à-vis d’un mécanisme de rupture ou à étudier le
comportement. Elle fournit alors des résultats de grandes précisions. Cette approche
est utilisée en analyse de risques approfondie pour l’étude d’un mécanisme
particulier sur un ouvrage donné.

4. Analyse de risques par la sûreté de fonctionnement

La sûreté de fonctionnement est définie comme la science des défaillances.


Historiquement, elle est issue du domaine industriel et a connu ses premiers
développements à partir de 1960 dans des contextes à risque technologique
(nucléaire, aéronautique...), avant d’être utilisée dans l’industrie de production. Son
objet est de prévoir, connaître, mesurer et maîtriser les défaillances des systèmes.
Elle vise donc à évaluer la sûreté de fonctionnement d’un système (industriel ou de
génie civil), c’est-à-dire l’aptitude dudit système à accomplir une ou plusieurs
fonctions requises dans des conditions données (Villemeur, 1988).
940 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004

4.1. Les approches fiabilistes de la sûreté de fonctionnement en génie civil

L’analyse de la sûreté de fonctionnement d’un ouvrage repose sur la prévision


de l’évolution de sa performance (aptitude au service, sécurité structurale,
durabilité), en fonction de l’environnement et des sollicitations auxquelles il est (et
sera) soumis. Les approches d’évaluation de la sûreté de fonctionnement peuvent
être déterministes ou fiabilistes, en fonction des données disponibles. Pour un
ouvrage disposant de données statistiques abondantes et présentant des mécanismes
simples et bien maîtrisés ou un parc important d’ouvrages homogènes, les approches
probabilistes (fiabilistes), basées soit sur la connaissance des facteurs aléatoires, soit
sur la détermination des taux de défaillance des composants de l’ouvrage, peuvent
être utilisées.
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Cette approche de la sûreté de fonctionnement est appliquée dans le génie civil


du nucléaire et l’industrie offshore et permet l’analyse fiabiliste des risques
(Crémona, 2003). On trouve également des applications ponctuelles à des ouvrages
particulièrement bien fournis en données, au moyen d’essais expérimentaux ou par
des modèles de comportement, à l’instar de l’évaluation de la sécurité du pont de
Tancarville développée dans (Crémona, 2003). L’approche probabiliste (fiabiliste)
trouve ses limites dès lors que les données sont en quantités insuffisantes : mesures
expérimentales difficiles, données statistiques peu nombreuses... Les calculs des
probabilités sont alors basés sur des hypothèses de loi et des estimations de
moments trop simplistes, rendant les résultats critiquables ou inexploitables.

4.2. La sûreté de fonctionnement dans le domaine des barrages

Le contexte des barrages est intéressant car il permet d’appréhender l’intérêt et


les limites de ce que peut apporter la sûreté de fonctionnement aux ouvrages d’art à
caractère unique, présentant des mécanismes complexes. Pour ces ouvrages, on ne
peut en général pas disposer de données suffisantes pour engager une démarche
fiabiliste, que ce soit au moyen d’une modélisation simple des mécanismes et
d’essais expérimentaux sur les matériaux, ou par référence à une population
homogène d’ouvrages de même type.
La sûreté de fonctionnement appliquée au contexte des barrages date du début des
années 1990 et fait l’objet actuellement de nombreux développements, impulsés
essentiellement par les pays nord-américains (Etats-Unis et Canada) et nord-européens
(Norvège, Suède, Pays-Bas). Deux manuels techniques font référence dans le
domaine : le récent bulletin de la Commission internationale des grands barrages
(ICOLD, 2003) et le guide de la Canadian Electricity Association (CEA, 2000).
Malgré l’intérêt que suscitent ces approches au niveau international pour
l’analyse de risques, on ne compte toutefois que peu d’applications à des études de
sûreté de fonctionnement de barrages. Dans ces applications, on retrouve des
pratiques communes : travail d’équipe d’experts pluridisciplinaires, examen des
Analyse de risques en génie civil 941

principaux aléas (hydrologique et sismique), modélisation des scénarios de rupture,


implication forte du jugement expert dans l’analyse quantitative. On présente ci-
après les différentes étapes d’une étude-type de sûreté de fonctionnement de
barrage.
1. L’analyse fonctionnelle appliquée aux barrages
L’analyse fonctionnelle recherche toutes les fonctions accomplies par le barrage
et ses composants, pour ensuite identifier leurs modes de défaillances, leurs causes
et effets. Elle est menée en deux étapes : l’analyse fonctionnelle externe et l’analyse
fonctionnelle interne (Peyras, 2003).
L’analyse fonctionnelle externe s’intéresse aux interactions entre le système (le
barrage, sa fondation et ses ouvrages annexes) et son environnement. Elle permet de
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déterminer les fonctions de contrainte accomplies par le barrage, en réaction à son


environnement (sollicitations, circulations de flux hydrauliques, contacts...), et les
fonctions principales qui traduisent l’objet du barrage (production hydroélectrique,
fourniture d’eau, écrêtement des crues...).
Après l’analyse globale du système, l’analyse fonctionnelle interne recherche les
fonctions de conception accomplies par les composants du barrage. Pour cela, une
analyse structurelle est conduite et liste tous les composants constitutifs du barrage,
repère leur position géographique au sein de l’ouvrage et détermine les interactions
avec les autres composants (figure 4).

3 : NOYAU 5 : FILTRE et DRAIN


2 : REMBLAI 4 : CRETE
CENTRAL
AMONT
6 : REMBLAI
AVAL

7 : DRAIN
HORIZONTAL

9 : VOILE 10 : FONDATIONS
D’INJECTION AVAL

Figure 4. Analyse structurelle d’un barrage en remblai à noyau central (Peyras,


2003)

Au final de l’analyse fonctionnelle, on dispose, d’une part, d’une description


précise de l’ouvrage, de ses composants et des liens entre composants et
environnement, d’autre part, d’une liste des fonctions principales et de contrainte du
barrage et des fonctions de conception de chaque composant.
942 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004

2. Modélisation de la sûreté de fonctionnement des barrages


Après l’analyse fonctionnelle, l’objectif de cette étape est de modéliser les
modes de défaillance des barrages. Trois techniques de la sûreté de fonctionnement
peuvent être utilisées principalement pour la modélisation fonctionnelle. Tout
d’abord, l’AMDE (FMEA – Failure Modes and Effects Analysis) est une méthode
particulièrement efficace pour l’analyse des modes de défaillance et permet de
structurer, sous forme de tableaux, les informations sur les dégradations : les pertes
de performance, leurs causes, leurs effets. En toute rigueur, elle est appliquée en
préliminaire à d’autres techniques de modélisation des scénarios de défaillance ou
d’analyse quantitative, mais paradoxalement, elle fait l’objet de peu d’applications
dans les études de sûreté de fonctionnement de barrages. On présente sur la
tableau 1 un extrait d’un tableau AMDE concernant la défaillance d’une fondation
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injectée d’un barrage poids (Peyras, 2003).

Tableau 1. Analyse AMDE (extrait) relative à la fondation amont injectée d’un


barrage poids (Peyras, 2003)

La méthode la plus largement rencontrée dans les études est celle des Arbres
d’Evénements (Event Tree Analysis) qui est mise en œuvre pour modéliser les
mécanismes de rupture : un mécanisme est représenté sous forme d’un scénario,
constitué de séquences d’événements se déroulant chronologiquement et construit
inductivement à partir d’un événement initiateur jusqu’aux événements finaux (la
rupture en général). La figure 5 illustre la modélisation par un arbre d’événements
du scénario de rupture d’un barrage en remblai par surverse consécutive à un séisme
exceptionnel (CEA, 2000). A partir de l’événement initiateur (le séisme associé à
une fréquence), on enchaîne les séquences chronologiques de modes de défaillance
qui conduiraient à la ruine de l’ouvrage.
Enfin, la méthode des arbres des conséquences (Fault Tree Analysis) est utilisée
pour la modélisation fonctionnelle d’équipements spécifiques des barrages, à
Analyse de risques en génie civil 943

fonctionnement proche des systèmes industriels : les composants électromécaniques,


les vannes clapets, les générateurs de secours... De façon déductive, on recherche les
événements successifs susceptibles de provoquer l’événement final indésirable.

Rupture du barrage
par surverse

Perte de contrôle du
niveau de la retenue

Vannes de l’évacuateur de Surverse du barrage


crues fermées et non sans rupture
manœuvrables

Maintien du contrôle du
Séisme (0,22-0,3g / M6,25-6,5) niveau de la retenue
Fréquence annuelle : 10-5 / an
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Vannes de l’évacuateur de crues


manœuvrables

Analyse de l’aléa Analyse de la réponse du système

Figure 5. Scénario de rupture d’un barrage en remblai modélisé par la méthode


des arbres d’événements (CEA, 2000)

2. Mesure de la sûreté de fonctionnement des barrages


Les études d’analyse de risques mettent en évidence la difficulté d’obtenir des
mesures de la sûreté de fonctionnement des barrages ou de leurs composants :
mécanismes en jeu très divers et complexes, unicité de chaque ouvrage et de sa
fondation, informations sur les incidents et les défaillances peu abondantes et pas
nécessairement disponibles... Ainsi, une approche fiabiliste de la sûreté de
fonctionnement est peu probante et le jugement de l’expert reste à la base de
l’évaluation des probabilités. Le travail d’évaluation des probabilités est réalisé dans
le cadre d’équipes pluridisciplinaires constituées par des experts du domaine et
animées par un spécialiste de la sûreté de fonctionnement.
L’analyse quantitative proposée dans les études de sûreté de fonctionnement de
barrages est conduite à partir d’arbres d’événements. Les probabilités de transition
associées à chaque séquence (nœud) de l’arbre proviennent du jugement des experts
et, lorsque le mécanisme étudié le permet, la probabilité d’occurrence de
l’événement initiateur (le premier nœud de l’arbre) est obtenue à partir d’un modèle
probabiliste de l’aléa, à l’instar de la méthode du Gradex en hydrologie pour le
scénario de surverse (Duband et al., 1988). La probabilité totale associée au
scénario résulte ensuite du calcul des probabilités rattachées à chaque événement de
l’arbre (figure 6). De par l’aspect déclaratif de l’estimation des probabilités par les
experts, on obtient alors des probabilités subjectives (ou déclaratives) d’occurrence
d’un scénario.
944 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004

Evénement Evénement A : Evénement B : Evénement C : Probabilité


initiateur Rupture par Glissement dans Rupture par Conséquences
du scénario
surverse du le barrage aval surverse du
barrage amont barrage aval POINT
TERMINAL

OUI
1 P1 P2 P 3 P4 C1
P4
OUI
NOEUD P
3
NON
SEQUENCE 2 P 1 P 2 P 3 (1-P 4) C2
OUI 1-P 4
P2 OUI
3 P 1 P 2 (1-P 3) P 5 C3
P5
NON
1-P
3
Evénement
hydrologique NON
4 P 1 P 2 (1-P 3) (1-P 5) C4
exceptionnel SCENARIO - 1-P 5
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P1 (succession de OUI
séquences) P 5 P 1 (1-P 2 )P 3 P 6 C5
6
OUI
P
3

NON
6 P 1 (1-P 2 )P 3 (1-P 6) C6
NON 1-P 6
1-P 2 OUI
7 P 1 (1-P 2 )(1-P 3) P 7 C7
P7
NON
1-P 3
NON
8 P 1 (1-P 2 )(1-P 3) (1-P 7) C8
1-P 7

Figure 6. Evaluation des scénarios de défaillance d’un aménagement hydraulique


constitué de deux barrages en remblai par arbre d’événements (CEA, 2000)

Finalement, compte tenu de la forte implication de l’expertise dans l’analyse


quantitative, les mesures de sûreté de fonctionnement obtenues présentent un
caractère intrinsèquement subjectif : elles peuvent ainsi être utilisées pour
déterminer les scénarios de rupture et les composants les plus critiques pour un
barrage donné, et à l’échelle d’un parc entier, les ouvrages les plus dangereux.
Toutefois, elles peuvent difficilement être déplacées de leur contexte pour établir
des comparaisons de risques avec des barrages d’un autre parc, voire d’autres
systèmes du génie civil ou industriels.
4. Synthèse et conclusions d’une étude de sûreté de fonctionnement de barrage
On donne à titre d’exemple les résultats d’une étude de sûreté de fonctionnement
menée sur trois barrages norvégiens en enrochements de conception analogue
(tableau 2). Le calcul des probabilités a été réalisé par la construction d’arbres
d’événements pour chaque scénario envisagé, puis par l’évaluation par un panel
d’experts des probabilités subjectives associées à chaque nœud de l’arbre. Les
périodes de retour correspondant aux différentes intensités de crues et de séismes
ont été obtenues par des modèles probabilistes et des données statistiques relatifs à
ces deux aléas (sismique et hydrologique).
Analyse de risques en génie civil 945

HYDROLOGIE SEISME
EROSION INTERNE
Barrage scénario de scénario de Total, pf
scénario de renard , pe
surverse, ph liquéfaction, ps
Viddalsvatn 1,2 . 10-6 1,1 . 10-5 5,5 . 10-4 5,6 . 10-4
Dravladalsvatn 4,0 . 10-4 1,5 . 10-6 5,0 . 10-5 4,5 . 10-4
-7 -7 -6
Svartevatn 1,0 . 10 2,0 . 10 6,0 . 10 6,3 . 10-6

Tableau 2. Probabilités annuelles de rupture de trois barrages norvégiens


selon trois scénarios (Johansen et al., 1997)

En synthèse, les études de sûreté de fonctionnement appliquées aux barrages


constituent une approche puissante d’analyse de risques permettant la quantification
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de la sûreté. Elles sont particulièrement efficaces pour l’amélioration de la


connaissance d’un ouvrage et de ses points faibles et pour la gestion patrimoniale
(mise en place de programmes de travaux et optimisation de la maintenance).
Cependant, le coût de telles études est important et cette approche reste réservée aux
grands ouvrages.

5. Analyse de risques à partir des statistiques

Quelques domaines particuliers du génie civil permettent une démarche


d’analyse de risques à partir des statistiques. Il s’agit toujours de contextes où les
données sur les défaillances des ouvrages sont abondantes et on trouve des
traitements dans les ouvrages à grand linéaire, tels que les routes (Courilleau, 1997)
ou les réseaux enterrés (Laffréchine, 1999). Dans ces domaines, on recherche les
corrélations entre les défaillances (fissuration ou déformation d’une chaussée ;
fissures, cassures ou fuites d’une canalisation) et un certain nombre de facteurs
explicatifs (âge, matériaux de la structure, environnement du système...). Une fois
établie l’influence des principaux facteurs, il est alors possible de prévoir les
défaillances d’un ouvrage en fonction de la valeur des paramètres qui lui sont
propres (son âge, sa composition, son environnement).
Le domaine des barrages constitue un contexte particulier, où les défaillances
sont bien heureusement rares et où l’auscultation des ouvrages est une pratique
ancienne. Ainsi, l’analyse statistique est couramment utilisée pour le traitement des
données d’auscultation (déplacements, piézométrie, pression interstitielle, débits de
drainage ou de fuite, ouvertures de fissures...). On dispose ici de nombreuses
mesures relevées à différents pas de temps (figure 7), difficiles à interpréter par
analyse directe, et on essaie alors de déterminer les corrélations entre des
combinaisons de facteurs explicatifs.
Initialement développé par EDF pour l’analyse des déplacements des barrages
en béton, le modèle statistique HST est le plus largement répandu. Il s’agit de
corréler les données d’auscultation à trois facteurs explicatifs :
946 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004

– le niveau du plan d’eau dont l’effet hydrostatique est noté « H » ;


– la date dans l’année ou l’effet saisonnier, noté « S ». Ce facteur prend en
compte l’influence des écarts de température entre saisons froides et saisons
chaudes, mais aussi l’exploitation saisonnière de la retenue ;
– le facteur temps « T » lié à l’âge du barrage.
Il a connu des évolutions récentes avec la prise en compte du facteur pluie « P »,
facteur particulièrement important dans les barrages en remblai et, plus récemment
encore, avec la prise en compte du caractère différé de certains effets (Bonelli,
2003). Ces modèles permettent de séparer et de quantifier les effets réversibles (cote
du plan d’eau, pluies, saison) et les effets irréversibles liés à l’âge de l’ouvrage
(temps) : dissipation des pressions interstitielles de construction, colmatage du tapis
drainant, évolution de la perméabilité des matériaux... Il est alors possible d’établir
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un diagnostic du comportement du barrage et de prévoir son évolution future.

m NGF Piézomètre P1
506
504

502
500

498
Mise en eau
496
494
492
84 85 86 87 88 89 90 91 92 93 94 95 96 97 98 99
Date (temps)

Figure 7. Mesures brutes d’un piézomètre d’un barrage en remblai (Bonelli et al.,
1998)

La figure 7 montre les résultats de l’analyse par le modèle statistique HST-P des
mesures d’un piézomètre d’un barrage en remblai (les mesures brutes apparaissent
dans la figure 7). Les fonctions H(z), P(τ), S(θ) et T(τ) permettent de présenter la
contribution à la piézométrie de chacun des facteurs explicatifs considérés
individuellement. Dans ce cas particulier, les variations de la piézométrie sont dues
essentiellement au niveau de la retenue, avec une tendance favorable à la baisse au
cours du temps (Bonelli et al., 1998).
Analyse de risques en génie civil 947

Effet H (m) Effet S (m)

Z Retenue (m NGF) θ Angle saisonnier


Effet P (m) Effet T (m)
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τ Temps réduit τ Temps réduit

Figure 8. Analyse statistique de la piézométrie d’un barrage en remblai (Bonelli


et al., 1998)

En synthèse, l’analyse de risques à partir des statistiques est mise en œuvre en


génie civil dès lors qu’il est possible d’établir des corrélations entre les défaillances
et des facteurs explicatifs. Cela suppose en corollaire de disposer de données
abondantes sur les défaillances des ouvrages, à l’instar des réseaux à grand linéaire.
Dans le domaine des barrages, les statistiques sont utilisées couramment pour
l’analyse des phénomènes présentant une dérive au cours du temps. Elles permettent
la prévision de l’évolution du comportement d’un ouvrage (prévision des
déplacements, des pressions interstitielles…) et l’anticipation des phénomènes
indésirables. Il s’agit d’une approche puissante pour l’analyse de risques attachés
aux mécanismes à caractère irréversible.

6. Analyse de risques par l’expertise

On définit l’expert comme une personne disposant d’un savoir et d’un savoir-
faire ; son raisonnement fait appel à ses connaissances théoriques (connaissance fine
du système dont il est expert) et à la longue expérience dont il tire des précédents et
son savoir-faire (Zwingelstein, 1995). Dans une approche d’analyse de risques
basée sur l’expertise, l’expert adopte un raisonnement par analogie : il cherche à
948 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004

prévoir les évolutions futures des dégradations d’un ouvrage soumis à un


mécanisme, en examinant le comportement d’ouvrages de même type déjà connus
de lui. L’expert peut alors évaluer le temps nécessaire pour que de nouvelles
dégradations apparaissent et les conséquences associées, puis anticiper les
évolutions et définir les dispositions correctives pertinentes : réparation,
confortement, mesures d’urgence…
Face à un parc d’ouvrages hétérogènes ou d’ouvrages homogènes en petit
nombre, dans des contextes d’ouvrages mal connus, les données disponibles sont
souvent en petite quantité, incomplètes et imprécises (Boissier, 2000). La façon la
plus simple d’évaluer les évolutions des ouvrages est alors d’examiner les lois
d’évolution d’ouvrages existants de même conception et ayant connu des
mécanismes analogues. Quelques gestionnaires de parcs d’ouvrages hétérogènes
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pratiquent cette approche basée sur le retour d’expérience et appuyée par


l’expertise, à l’instar de la SNCF sur son parc de tunnels en briques (Crémona,
2003).
L’expertise est largement utilisée en analyse de risques des barrages : d’une part,
en expertise couplée aux autres approches pour le contrôle et la validation (le calage
des hypothèses sur les actions et résistances pour la modélisation physique,
l’évaluation des probabilités subjectives pour les approches par sûreté de
fonctionnement, la vérification des données d’auscultation pour les modèles
statistiques) ; d’autre part, en expertise pure (Zwingelstein, 1995), basée sur les
seules connaissances et expériences des experts. Ce dernier type d’expertise se
présente lorsque les experts interviennent sur des ouvrages mal documentés ou en
analyse d’urgence (ou de premier ordre de grandeur) reposant sur l’examen des
données de terrain et de l’inspection visuelle.
De récents travaux ont été menés pour développer l’analyse de risques par
expertise (Peyras, 2003). Ils ont consisté à construire, d’une part, des bases de
connaissances sur les mécanismes, d’autre part, des bases de données d’études de
cas de barrages ayant connu des dégradations. Par référence à des ouvrages de
même type et soumis à des mécanismes analogues, ces bases de données sont
destinées à aider les experts dans leurs missions de diagnostic et d’analyse de
risques. Cette démarche d’aide à l’expertise, résumée à la figure 9, est donc basée
sur la capitalisation de la connaissance experte et du retour d’expérience.
Ces travaux ont conduit à développer des modèles génériques, pouvant s’adapter
à tous les types de barrages et tous les mécanismes, permettant de représenter la
connaissance experte sous forme de scénarios et d’archiver les études de cas sous
forme d’historiques de vieillissement. Les bases de données de scénarios et
d’historiques de vieillissement sont ensuite destinées à être manipulées au moyen
d’outils informatiques d’aide à l’expertise (Peyras, 2002).
Analyse de risques en génie civil 949
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Figure 9. Démarche d’aide à l’expertise basée sur la capitalisation de la


connaissance experte et du retour d’expérience (Peyras, 2003)

En synthèse, l’analyse de risques par expertise est mise en œuvre dans les
contextes où la modélisation physique ou fonctionnelle n’est pas possible (à un coût
raisonnable) et où les données sont peu abondantes. L’expert est alors le seul
capable de prévoir l’évolution d’un système et ses défaillances potentielles. Certains
domaines du génie civil, à l’instar des ouvrages de la SNCF ou encore des barrages,
ont formalisé cette approche par le développement d’outils d’aide à l’expertise basés
sur la capitalisation des connaissances experte et du retour d’expérience.

7. Synthèse

On a présenté dans cet article les quatre familles d’approches de l’analyse de


risques, valables dans l’industrie comme en génie civil : la modélisation physique, la
modélisation fonctionnelle par les méthodes de la sûreté de fonctionnement, les
statistiques et l’expertise. Pour chacune d’elles, les applications aux barrages et
leurs récents développements sont examinés.
La modélisation physique constitue l’approche de base de l’analyse de risques
dans le génie civil. Elle s’intéresse aux lois de comportement et aux états-limites.
Dans le contexte des barrages, la modélisation des comportements des matériaux et
des structures est couramment utilisée en analyse de risques approfondis, et avec
l’essor des méthodes de calculs numériques, permet des simulations des évolutions
des ouvrages de grande précision. En revanche, dans le domaine de la justification
950 Revue française de génie civil. Volume 8 – n° 8/2004

des barrages, la pratique est restée à l’écart des méthodes aux états-limites et le
format des justifications reste déterministe. De récents travaux introduisent une
méthodologie semi-probabiliste aux états-limites pour les ouvrages poids et
constituent une première étape vers ce format de la sécurité, désormais
communément admis dans le génie civil traditionnel (ouvrages d’art et bâtiment).
La sûreté de fonctionnement est utilisée depuis plusieurs années dans le génie
civil à risques technologiques forts, comme celui du nucléaire ou de l’offshore. Ces
secteurs disposent de données abondantes sur le comportement des ouvrages et
permettent une analyse fiabiliste des risques. La sûreté de fonctionnement est
apparue plus récemment dans le domaine des barrages. Par une approche
systémique et par la modélisation fonctionnelle, elle met en évidence les scénarios
de rupture et les composants d’un barrage les plus critiques et, à l’échelle d’un parc
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entier, les ouvrages les plus dangereux. Compte tenu du caractère unique de chaque
barrage et de la complexité des mécanismes, le traitement fiabiliste n’est pas probant
et les mesures de sûreté de fonctionnement obtenues s’appuient fortement sur
l’expertise. La sûreté de fonctionnement est une approche d’analyse de risques
puissante, efficace pour la hiérarchisation des programmes de travaux et pour
l’optimisation de la maintenance (inspections, auscultation) en vue d’améliorer la
sécurité d’un ouvrage. De par le coût important de ce type d’analyse, elle reste
réservée aux grands barrages.
Les statistiques sont utilisées dans quelques domaines particuliers du génie civil
où les données sur les défaillances sont abondantes. Parmi ceux-ci, on trouve les
ouvrages à grand linéaire, tels que les routes ou les réseaux enterrés. Cette approche
de l’analyse de risques est couramment utilisée dans le domaine des barrages pour le
traitement des données d’auscultation, pour lesquelles on cherche à établir des
corrélations entre les mesures des instruments et des facteurs explicatifs. Elle
constitue une approche puissante pour l’analyse de risques approfondie. Les
analyses obtenues donnent des résultats de grande précision et sont déterminantes
pour la connaissance de la sécurité des ouvrages.
L’expertise est largement impliquée dans l’analyse de risques des barrages, en
contrôle et validation des autres approches, mais aussi en expertise pure pour les
analyses rapides ou de premier ordre de grandeur (incidents ou accidents). De
récents travaux ont été menés pour développer l’analyse de risques par expertise. Ils
sont basés sur la capitalisation de la connaissance experte et du retour d’expérience,
sous forme de bases de données de scénarios et d’historiques de vieillissement. Ces
bases de données sont destinées à être intégrées dans un outil d’aide à la décision
destiné aux experts, pour l’aide à l’analyse de risques des barrages en service.
Ce panorama des approches de l’analyse de risques appliquée aux barrages
montre l’intérêt et les limites des différentes approches, selon que l’on recherche des
résultats précis (modélisation physique des comportements et approche par les
statistiques), des résultats de premier ordre de grandeur ou rapides (approche
experte), des niveaux de sécurité (modèles physiques aux états-limites) ou des
Analyse de risques en génie civil 951

mesures de sûreté de fonctionnement (approche par la Sûreté de Fonctionnement),


selon que l’on dispose de nombreuses données (modèles statistiques) ou de peu de
données (approche experte). Le contexte des barrages montre également les limites
du traitement fiabiliste de l’analyse de risques, inhérentes aux ouvrages à caractère
unique, présentant des mécanismes complexes et pour lesquels on ne peut obtenir de
données suffisamment abondantes, que ce soit par une modélisation simple des
mécanismes ou par des essais sur les matériaux, ou que ce soit par référence à une
population homogène d’ouvrages de même type. Dans le contexte des barrages,
l’expertise et, quand cela est possible, les modèles probabilistes sur les aléas sont à
la base de l’évaluation des mesures de sûreté de fonctionnement.

8. Bibliographie
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géotechnique, n° 105, 2003.
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