You are on page 1of 20
sanz vestce quinn cheméneutinue cftique»? Methodos Savoirs et textes 2 | 2002 Lesprit. Mind/Geist ‘Analyses etintorprétations. Qu’est-ce qu’une « herméneutique critique » ?' Dents THoUARD Résumés Contre herméneutique « philosophique », qui affirme le caractére contraignant dela structure du « préjagé », l'herméneutique « critique » entend réhabiliter la fonction du jagement ot revendique Ia légitimité d'une méthode. Cette correction est appelée par un double constat: les herméneutiques particuligres, en privilégiant l'adhérence 2 Tobjet, se sont engagées dans diverses formes de positivisme of la question du sens Gait suspendue au profit de savoirs historiques « objectifs » ; Therméneutique philosophique, en tant que théorie générale dela compréhension, sest détournée de la uestion de 'interprétation et de sa validité au profit dune enquéte sur les conditions Ontalogiques de toute comprehension. A partir de In proposition de Peter Szondi opposer a I's herméneutique philosophique » une « herméneutique matérielle » (61) et de Veffort de Jean Bollack pour réhabiliter le questionnement herméneutique dans la philologie et réciproquement (§2), on sinterrogera sur la possibilité de constituer tune herméneutique critique (§3) dans laquelle Vinterprétation s'accomplit dans Vexercice d'un jugement. Against « philosophical » hermeneutics, which asserts the constraint of the structure of « prejudice », « critical » hermeneutics aims at rehabilitating the function of Judgement and claims its legitimacy as a method. This correction follows a double statement : particular hermeneutics, preferring the adhesion to the object, engaged in different kinds of positivism in which the question of meaning was taken away at the benefit of « objective » historical fields of knowledge; philosophical hermeneutics, as a general theory of understanding, turned aside from the question of interpretation and its validity at the benefit of a quest on the ontological conditions of any understanding. From Peter Szondi’s proposition to oppose « material hermeneutics » (§1) to « philosophical hermeneutics » and Jean Bollack’s effort to rehabilitate the hermeneutical questioning in philology and the other way round (§2), we will question the possibility of building some critical hermeneutics (§3) in which interpretation is achieved in the exercise of a judgement. methods ewes org/l00etet a0 sanz Questce vine wherméneutque crique s? Texte intégral Si « herménentique » peut se dire en plusieurs sens, le qualificatif qu'on appose A cet « art » ou cette « théorie » de l'interprétation est déterminant. Parfois, il signale simplement une périodisation, en reprenant un schéma traditionnel sur lequel il conviendrait de sinterroger : aux herméneutiques « spéciales », liées a des disciplines distinctes comme la théologie, le droit ou la philologie, aurait succédé, a partir de Schleiermacher, une herméneutique « générale », s'étendant a toutes les expressions du langage, puis, A partir de Dilthey et surtout de Heidegger, une herméneutique « philosophique », ambition universelle, dont le représentant attitré est Gadamer. Ce schéma est celui que Ton rencontre le plus fréquemment dans les encyclopédies, les histoires de la philosophie, les résumés qu’en font eux-mémes les philosophes. On sait également que cette construction historiographique a été plusieurs fois contestée. Das les années 1960, les publications en fac-similé des Instrumenta philosophica series hermeneutica (Flacius Illyricus, Chladenius, G. F, Meier) par Lutz Geldsetzer ou les legons de Peter Szondi rappelaient qu'une herméneutique la fois philosophique et logique avait eu droit de cité 4 ’poque des Lumiéres. Cette rectification historique engageait la question de la légitimité d’un retour & une autre compréhension de Vherméneutique que celle qui occupait le terrain sous le label de « ‘herméneutique philosophique ». Une telle alternative fut esquissée par Peter Szondi lui-méme, mais la dénomination qu'il proposait d’« herméneutique matérielle » ne laissait pas d’étre problématique. Elle posait cependant la question de la possibilité d'une « herméneutique critique » Gritique s‘entend ici sans doute au sens d'une tradition de pensée contestant Yétat des choses au nom de principes contra-factuels. Elle s'oppose A Vherméneutique « philosophique » défendue par Gadamer, qui suppose que Vinterprate ne peut comprendre une ceuvre qu’en se soumettant a lexpérience de la « vérité » qui se joue en elle et en reprenant tout un ensemble de préjugés qui fournissent un accés a sa compréhension. Contre l'affirmation du earactére contraignant de la structure du « préjugé », une herméneutique « critique » entend réhabiliter la fonction du jugement et revendique la légitimité d’une méthode. Cette correction est appelée par un double constat : les herméneutiques particuliéres, en privilégiant Vadhérence a Yobjet, se sont engagées dans diverses formes de positivisme of la que: de savoirs historiques « objectifs » ; 'herméneutique philosophique, en tant que théorie générale de la compréhension, s'est détournée de la question de Vinterprétation et de sa validité au profit d’une enquéte sur les conditions ontologiques de toute compréhension. LA o0. une philologie positiviste réduit Therméneutique a la critique, Vherméneutique « philosophique » tend A évacuer la critique au profit d'une démarche a la fois plus englobante et plus radicale. Cette répartition des taches est doublement dommageable. Elle conduit d’une part & une étude des textes dont la théorie est importée du dehors, de la philosophie (d'inspiration heideggerienne ou analytique, post-structuraliste ou déconstructionniste) ou d'un autre paradigme dominant (psychanalyse, sociologie, linguistique non textuelle), de Yautre & une philosophie de Vinterprétation qui résiste mal a la tentation d’appliquer ses catégories et sa précompréhension aux objets qu'elle peut rencontrer, comme si elle savait par avance le sens des textes qu'elle aborde. Pour le formuler de fagon tranchée : n du sens était suspendue au profit metodo reves rg/100¢tt 220 sanz Questce vine wherméneutque crique s? une telle philologie réduite a la critique risque d’étre aveugle, une telle philosophie « herméneutique » d’étre vide car sans objet a force d’étre «universelle » Le probléme légué en partie par Peter Szondi est alors de concevoir une sortie hors de cette situation en faisant droit & rexigence d’objectivité de la philologie positiviste aussi bien qu’a la problématisation du sens de 'herméneutique « philosophique ». Comme je tacherai de le montrer, sa proposition reste prise dans une ambiguité initiale : Szondi a revendiqué un retour aux ressources théoriques de la philologie en revenant & histoire de 'herméneutique et particuligrement & Schleiermacher, mais il a cherché le motif critique, propre & contre-balancer 'anti-positivisme décidé de ’herméneutique philosophique, dans une autre philosophie plutdt que dans la philologie elle-méme. Or un tel motif se trouvait bien dans la philologie, qui s'est définie longtemps comme Yunion de Pherméneutique et de la eri pourra chercher & penser le rapport de la philosophie a la philologie. On peut ainsi se demander dans quelle mesure les recherches de Jean Bollack, qui a insisté sur la dimension herméneutique de la_philologi programme. Mais alors que Szondi renvoyait directement & une philosophie dans sa visée de remembrement de la théorie de la philologie, Jean Bollack a mis en avant une pratique philologique, un « art critique » plutdt qu'une « théorie herménentique ». A partir de la pi m’interrogerai sur les concepts philosophiques impliqués dans la perspective de la constitution d'une « herméneutique critique » ique®, En revenant & cette inspiration, on assument un tel sentation de ces deux positions, je Il. Herméneutique matérielle. Pour Peter Szondi, expression « herméneutique matérielle »* renvoyait assurément & la nécessité pour Vherméneutique de s‘appuyer sur des « matériaux », un corpus déterminé, au lieu de s'ériger directement en théorie générale, de rang supérieur, mais coupée d'une pratique. En ce sens, Szondi pronait un retour & une herméneutique spéciale contre le fourre-tout que pouvait devenir Vherméneutique philosophique, servant de caution & des « interprétations » arbitraires, f Yacte d'interpréter, comme | Holderlin, 11 invitait done les di spéculatives de Vherméneutique philosop! les textes et & revenir une herméneut ant Vimpasse sur les contraintes propres & -méme Vavait montré dans ses études sur ttéraires, séduites par les promesses jue, a effectuer un travail précis sur jue « philologique ». Cest ce qui conduisit Szondi, en forgant toutefois la lecture de Schleiermacher, & voir chez celui-ci une « herméneutique e », rapidement oubliée aprés I Toutefois, dans cette acception, le choix de « matériel », dont il ne semble pas quily ait eu de précédents', préte & confusion. Comme « matire » s’oppose & « forme », on pourrait se demander de quelle « herméneutique formelle » se distingue celle de Szondi®. Une herméneutique, méme si lle se soucie des textes dans leur particularité, peut-elle ne pas se préoceuper de « forme », assumer une généralité formelle minimale q \gue d'une simple collecte de régles pratiques ? Pour saisir les raisons qui ont pu conduire & un tel choix terminologique, il parait indispensable de se replacer dans un contexte relativement polémique, od la réhabilitation de la tradition que Yon percevait dans le projet herméneutique thr metodo reves rg/100¢tt a0 sanz Questce vine wherméneutque crique s? de Gadamer depuis les premiéres mises en garde de Habermas appelait, pour lui faire piéce, un vigoureux programme critique et matérialiste. « Herméneutique matérielle » se comprend 4 mon sens si 'on pergoit l’écho qu'il forme avec « matérialiste », que Szondi, quelles que fussent ses distances a 'égard de Lukacs, pouvait utiliser contre les tentations sinon spiritualistes, du moins volontiers conservatrices qu'il pressentait chez un Gadamer ou chez un Jauss, malgré les invocations modernistes de ce dernier. Cela impliquait alors une rigoureuse historicisation des formes littéraires, laquelle pouvait paraitre encore insuffisamment détachée de modéles téléologiques hégéliens recus & travers Lukics : le contenu historique ne pouvait étre absent de l'ceuvre, quoique assurément réfléchi en lui. Cette immersion de l'ceuvre dans lhistoire svaffirmant paradoxalement dans la perception de « l'histoire dans l'ceuvre » s‘opposait pour sa part & la lecture « immanente » d'un Emil Staiger, qui, sous pétait une forme d’humanisme classique qui figeait les ceuvres dans un panthéon de couvert d'une sorte de neutralité idéologique, édulcorait le contenu et gloires & admirer pour la qualité de leur langue®. Szondi évitait tout de méme le lourd qualificatif de « mat demeurait partiellement obscure, une fois disso: premiére. Enfin, argument matérialiste, fit-il oblique, ne prend lui-méme son sens chez ialiste », mais son « herméneutique matérielle » -¢ de sa motivation polémique Szondi que dans le dialogue qu'il entretenait avec 'Feole de Franefort, en particulier avec Adorno’. La « théorie critique » se réclamait d'une forme de matérialisme marxiste qui, allié aux apports de la psychanalyse, devait conduire a une « critique des idéologies » et des formes d’aliénation sociales et individuelles encouragées, voire produites par la société industrielle avancée devenue société de consommation et des loisirs. La dimension « critique » du programme herméneutique que Szondi oppose, dans ce contexte, aux tenants dune herméneutique « philosophique » est manifestement A prendre au sens de la « théorie critique » francfortoise : celle-ci visait A démasquer la fausse conscience des acteurs sociaux, & mettre en évidence les présupposi idéologiques ta chercheurs, afin de dégager les potentiels émancipateurs de la société, que la ites des discours savants, & souligner les auto-aveuglements des « dialectique des Lumigres » risquait de subvertir. Cest une visée d’auto- réflexion de la discipline passant par une critique sociale. Elle est cohérente avec Vhorizon matérialiste des Franefortois, dans la mesure oi elle se situe davantage dans les entours de la producti . Tout Veffort de Szondi ayant été justement d’introduire cette dimension eritique dans ique ou théorique qu’en celle- Yanalyse de leuvre. Or Vopération de Szondi est paradoxale : son mouvement en direction d'une herméneutique spéciale ou littéraire ne tradition philologique qu'il revendique et a commencé de redécouvrir, mais de la philosophie critique contemporaine, qui n'a pas de rapport & la philologie. Pourtant Szondi connaissait les ressources critiques de la philologie. Son apport théorique le plus net est du reste bien le texte « Sur la connaissance pas son argument critique de la philologique » qui introduisait aux Hélderlin-Studien. En revanche, quand il revient & Schleiermacher pour étayer son « herméneutique littéraire », il méconnait chez lui le statut systématique de Vherméneutique, laquelle sert essentiellement & clarifier la connaissance qui reléve proprement de la Dialectique®. Pour cette raison sans doute, et aussi parce que son intérét original pour les Lumiéres le conduit vers des herméneutiques générales logiques et non metodo reves rg/100¢tt 420 sanz Questce vine wherméneutque crique s? philologiques (Chladenius, Meier), Szondi ignore l'existence du théme critique qu'une telle herméneutique héritait de la philologie. La philologie, dans sa constitution moderne, s‘articulait alors en « herméneutique » et « critique », compréhension et jugement des textes, deux démarches complémentaires mais relevant d’opérations intellectuelles distinctes. Son exercice présuppose la prise en compte d'un (texte) particulier, qu'il convient d’apprécier, d’établir, d’éprouver. La rationalité philologique s’élabore a partir d’une situation oa la contingence est premiére, la régle, au besoin singulire (dans le choix de Vanomalie), étant & produire ; elle différe ainsi essentiellement de la rationalité formelle logico-grammaticale, qui procéde par construction de modéles, partant du général pour expliquer le particulier®, Or Szondi semble ne pas préter la moindre attention au théme critique propre I'herméneutique philologique, qu'il va done chercher ailleurs, dans la « théorie critique ». Cette impasse, qui s‘explique dans le contexte des tensions politiques et des enjeux théoriques années 1960, s‘exprime dans la formule ambigué d'une « herméneutique matérielle » par laquelle Szondi cherchait & définir sa démarche. Son apport effectif, & savoir la redécouverte des potentialités critiques d’une philologie vraiment pratiquée, au besoin secondée par les savoirs plus récents des sciences humaines, se trouvait ainsi partiellement recouvert par une théorie importée, qui masquait plutét Poriginalité de son projet. Les deux inspirations, philologique et philosophique, qui coexistent chez Szondi ont-elles trouvé une forme d'intégration plus aboutie ? La revendication simultanée d'un retour & Vherméneutique philologique et & une pratique disciplinaire assumant une critique idéologique de son rdle s‘est-elle réalisée ailleurs, notamment aprés la mort prématurée de Szondi ? Le contexte théorique a profondément changé depuis les années 1960, et en particulier dans le champ de Vherméneutique, la discussion ne se résume plus & un face a face entre « Vherméneutique philosophique » et la « théorie critique »"°. Les conditions pour une reprise de la question herméneutique, qui philosophie & venir que l'auto-compréhension des sciences humaines, sont ain: réunies : un contexte théorique pluralisé, une situation polémique pacifiée mais non assoupie"’, un besoin de réorganisation des partitions du savoir qui s'impose aprés essor des spécialisations et de ce que l'on pourrait appeler les « micrologies » (micro-histoire, spéciali istorique ou technique de la philosophie, répugnance A s'engager dans les synthéses) produisant ce que Habermas appelait naguére die neue Uniibersichtlichkeit, que Yon pourrait rendre par « le rétrécissement de "horizon ». intéresse non moins la Il. Herméneutique philologique. Dans ces conditions, on peut se demander sila réflexion de Jean Bollack sur sa pratique philologique va en direction d'une herméneutique critique, et dans ce cas, en quel sens. Le passage de Szondi a Bollack se justifie théoriquement par la proximité de leur perspective'*, qui entend, par la philologie, respecter la particularité des ceuvres contre les diverses appropriati dont elles font Vobjet. Cependant, dans la forme méme et le rythme de ces réflexions, la distance avec Szondi est grande. La oi celui-ci avait intégré, par Lukaes ou Adorno, le langage hégélien d’une philosophie qui se voulait coneréte et done dialectique, Jean Bollack est purement philologue et ne se hasarde pas ns ou neutralisations metodo reves rg/100¢tt s20 sanz 2 vest quine cherméseuteue citque»? dans le champ philosophique en tant que tel. Ot Szondi envisageait un programme qui fit piéce & Phégémonie gadamérienne dans le domaine des savoirs interprétatifs, s'appuyant sur une alliance circonstancielle avec la « théorie critique », Jean Bollack livre des réflexions fragmentaires, un « art critique » plutét qu'une théorie herméneutique explicite, une heuristique de la lecture. I] parait done légitime de voir en lui le représentant d'une « herméneutique philologique ». Cest loceasion de discuter le rapport de Vceuvre de Jean Bollack a hherméneutique congue comme théorie™. Je présenterai cette position a partir de trois remarques. Tout d’abord, a la différence des autres représentants du « conflit des interprétations » ot s‘affrontent les positions herméneutiques (ou anti-herméneutiques) au sujet du sens, Jean Bollack ne défend aucune philosophie explicite. La tiche de la philologie est de contribuer a la meilleure compréhension possible des textes, et non de confirmer ou d’exemplifier une théorie. Tl va de soi que le sens n’e dans le texte comme Voiseau dans sa cage. I] résulte de linterprétation, laquelle s‘engage en anticipant bien un sens, mais s‘abstenant par méthode de le déterminer par avance. Dans sa structure propre, la philologie est dialectique; c'est méme la contradiction qui la caractérise comme discipline herméneutique. Diun cété, elle s'appuie sur la particularité de la lettre et tire sa légitimité de ce retour & la contingence historique; mais d'un autre c6té, la lettre elle-méme dépend a son tour d'une interprétation, qui procéde, autant qu'il est possible, & partir d’elle-méme. Une telle interprétation n'est pas sans présuppositions : elle renvoie implicitement A un horizon théorique, & savoir une certaine idée de la littérature et de Vart; par ailleurs, elle ne peut pas faire abstraction du sens commun culturel d'une époque ni de sa propre situation historique. Elle se donne pourtant les moyens de les examiner en appliquant avec conséquence le principe du non-savoir, produisant 4 nouveaux frais la signification d'un texte en mettant entre parenthéses toute compréhension préalable. Le bien-connu redevient inconnu si Yon s‘astreint A partir d'une non-compréhension premiére™, reconstruisant pas & pas la syntaxe des textes en s‘ouvrant aux multiples constructions possibles. Cest en examinant des possibilités parfois invraisemblables que Yon peut se déprendre des attentes de la lecture - les anticipations qui ont sans doute une fonction importante d’appropriation culturelle, mais produisent aussi un recouvrement du sens et une banalisation des textes. Dans le travail préalable d'une ouverture virtuelle & toutes les constructions, lige 4 un soupcon systématique & lendroit de toutes les solut passant pour évidentes, la philologie se donne les moyens d’analyser ses propres attentes de sens : ils ne se préoceupent pas du contenu des textes, & la différence des théologiens -et des philosophes. Ce moment formel est libérateur. Il ne s’agit pas d'un parti-pris arbitraire pour la lectio difficilior, mais d'une critique de toute « facilité » au point que, terme, toute lecon en devient «difficile, le texte perd son évidence culturelle au profit de la lettre. Ce premier mouvement, tout négatif en apparence, fait ressortir V'aspérité de la lettre a partir de laquelle la reconstruction du sens peut étre entreprise. La sigi ique de la philologie réside dans cette réflexion premiére sur les attentes du sens, les différentes formes du sens commun dont on ne peut prendre conscience que par un geste méthodique radical de retour Ala lettre. Il y @ manifestement une affinité entre le geste de la philosophie moderne mettant entre parenthéses les présuppositions de la pensée, chez Descartes, Kant ou Husserl, et cette insistance de la philologie sur le moment critique : Le Clere, pas ication metodo reves rg/100¢tt 620 sanz vest quine cherméseuteue citque»? dans son Art critique, a manifestement repris A son compte le doute cartésien, comme Schleiermacher et Schlegel ont transposé le questionnement kantien au monde culturel. Mais Voriginalité du geste philologique moderne, que Jean Bollack assume et radicalise, tient au rappel de la particularité et de histoire : la pensée qui s’énonce reste lige d'une facon ou d'une autre a son inscription dans une langue. Cest ce qui rend légitime examen de la lettre, méme quand il s’agit d'une vérité révélée ou d'un ensemble de concepts philosophiques, par définition traduisibles et communicables au-dela de leur inscription premiére. Si la philologie peut exercer de temps autre un droit de regard sur la philosophie, c'est au sens oi elle lui rappelle l'historicité de son discours, au méme titre que la critique biblique s'est attachée A reconstituer le premier contexte d’apparition et de diffusion de la parole «révélée. Pour échapper a cet effacement subreptice, Jean Bollack retrouve et surtout met en pratique le principe connu des Alexandrins ou des Renaissants' que le texte seul peut fournir le critére de sa juste compréhension et doit done étre interpré esthétique » qu'il donne lui-méme. En contestant les différentes stratégies d’appropriation des textes anciens ou poétiques, Jean Bollack montre & quel point pour lui le respect de la particularité des textes et Vidéal d'une rationalité de l'interprétation sont solidaires. Si on peut discuter une interprétation, la contester ou la réfuter, c'est que 'on s'est engagé, en vertu de la structure du conflit, dans la reconnaissance de régles communes. Au cours de la confrontation, les horizons d’attentes et les présuppositions de lecture peuvent étre énoneés, contredi contraire Vindifférence, la non-discussion, qui neutralise les textes en les soumettant & des représentations préalables qui leur sont extérieures. Par la double défense du « principe de discussion » et de la singularité des textes, Jean Bollack esquisse une herméneutique de « Ventendement du singulier », égale distance d'une méthode universelle qu'il suffirait d’appliquer A des objets particuliers et de Yabandon « impressionniste » A Varbitraire singulier, formalisme et empirisme faisant, comme on sait, bon ménage. Cest en alliant le respect de Vobjet & Vexigence de la méthode qu'une telle philologie peut prétendre a la scientific Dans la mesure oi elle est issue d'une pratique philologique, Vherméneutique de Jean Bollack entretient un rapport déterminé & « V'herméneutique philosophique » : comme celle-ci, elle rappelle la dimension langagiére des manifestations culturelles, y compris les plus abstraites, comme la philosophie; mais elle s'y oppose décidément, en observant que lherméneutique de Gadamer, dans sa prétention & luniversalité, s'est constituée en philosophie générale de Vinterprétation, évacuant toute dimension critique. En revendiquant la légitimité des préjugés, elle s'oppose A la démarche méthodique et eritique de la philologie moderne qui suspend précisément les préjugés, afin de faire ressurgir le sens de la lettre en tant qu'elle résiste aux appropriations. Cest de la philologie que l'herméneutique de Jean Bollack recoit les instruments pour une prise en compte du particulier dans sa contingence. En ce sens, la proximité de sa démarche avec la « théorie critique », sielle a pu jouer un réle dans les années 1960, est égarante, puisqu’elle ne permet pas d’apercevoir en quoi son herméneutique est critique en tant que philologique. Dans I'fcole de Franefort, la «critique» renvoie & la lucidité qui est exigée par rapport aux formations idéologiques, elle est une extension de la critique sociale aux représentations. He n’a en tant que telle aucun lien intrinséque A la démarche interprétative, selon le « canon ou étayés. Cest au té, clest-A-dire A la réfutabilité metodo reves rg/100¢tt 720 sanz 6 vest quine cherméseuteue citque»? mais vise & dissoudre la fausse conscience et l’auto-illusion, Ce qui lui correspond, dans le travail de Jean Bollack, concerne la «critique des interprétations», qui vise d’une part 4 reconstituer une forme de débat entre les différentes lectures, discussion qui a rarement lieu effectivement, mais que les apparats critiques et la littérature secondaire permettent en principe de reconstruire; d’autre part & faire apparaitre des constantes dans les démarches apparemment singuliéres des interprétes, dont les positions s‘organisent d’elle: mémes en typologies, s‘inscrivant dans des traditions intellectuelles nationales ou confessionnelles, souvent commandées par des enjeux politiques ou sociologiques. Cette analyse est secondée par des formes de travail plus historiographiques, portant sur « l'histoire des interprétations » et accomplies dans horizon d'une «histoire sociologique de la philologie» qui doit sans doute davantage & l'incitation de Pierre Bourdieu qu’a une reprise de la « critique d idéologies » francfortoise. Mais cet aspect ne dit rien de la pratique proprement herméneutique de Jean Bollack, ni n’explique en quoi celle-ci_ serait effectivement « critique ». Toute discipline peut s‘adjoindre une part d’auto- analyse sociologique ou se livrer & un examen de conscience idéologique & travers une historiographie spécifique : elle n’en devient pas pour autant critique. En revanche, si ’herméneutique de Jean Bollack peut bien prétendre au qualificatif de « critique », c'est d’abord en tant qu'elle est une herméneutique philologique : c'est dans « philologie » qu'il y a « critique » et « herméneutique ». La vérité d'un contenu n'est pas présupposée, c'est au contraire le texte qui doit étre compris en premier lieu, reconstitué et interprété; V'interprétation n’a pas pour visée de traduire plus clairement une vérité exprimée obscurément ou dans une langue devenue opaque, elle cherche & saisir la signification du texte, indépendamment de sa valeur de vérité putative. Le sens critique de la philologie tient dans cette inversion de perspective inaugurée par Vhumanisme italien. Seule 'évolution de Vherméneutique en herméneutique « générale » puis « philosophique » Va désolidarisée du theme critique qui était porteur de rationalité*®. II suffit de se souvenir du réle éminent qu’ont pu exercer, au seuil des Lumidres, les philologues en s’attaquant & Yautorité des textes fondateurs de Vordre de VAncien Régime, & savoir non seulement la Bible, mais les Classiques grees et latin, les documents historiques ou diplomatiques fondateurs de Videntité et de la légitimité des nations modernes : Richard Simon avee son Histoire critique du Vieux Testament ou Pierre Bayle avec son Dictionnaire historique et critique n’ont pas qualifié en vain leurs ouvrages de « critique s»'”. Cette critique renvoyait 4 un examen dela lettre comme transmission d'une tradition, interrogée dans ses titres. On se demande ainsi sila « donation » de Yempereur Constantin & la Papauté est un document authentique (L. Valla) ou si Yauteur du Pentateuque peut bien étre Moise (Hobbes, Spinoza), avant de s’enhardir & scruter les contradictions des synoptiques (D. F. Strauss, Renan). Cette attitude consistait essentiellement dans Yexercice dun jugement dont Vherméneutique ultérieure a cru pouvoir se passer. En rappelant que le comprendre n’est pas exclusif d’un jugement, Jean Bollack s'oppose directement & Yhétérologie dominante du discours herméneutique de la modernité"’. Enfin, jinsisterai sur le sens de la pratique : Vherméneutique vient du comprendre et non Tinverse. La possession d’une théorie herméneutique ne garantit en rien la compréhension effective. La réflexion marque le moment de metodo reves rg/100¢tt a0 sanz 8 vest quine cherméseuteue citque»? Vélucidation des voies par lesquelles on parvient & comprendre. Elle peut aboutir & un certain nombre de procédés ou de ragles, pour l'essentiel connues depuis ’Antiquité et partagées par des cultures différentes"?. Le risque réside alors précisément dans T'illusion de la possession d'un tel savoir empirique. Or devenues « évidentes » ou « bien connues », ces régles risquent fort d’étre en méme temps méconnues. Le gain en réflexivité qu’a représenté aux XVIIe et XVIIle sid supplémentaire qu’a représenté la tentative de Schleiermacher de conférer & la les laboration d'une herménentique « générale », le progrés compréhension une théorie propre, philosophiquement réfléchie, ont eu pour contre-partie une relative routinisation des pratiques et surtout un déplacement de Vaccent en direction de la dimension ontologique et fondamentale du « comprendre »*°, au détriment de la précision requise pour toute compréhension déterminée. L’herméneutique est devenue plus forte et bient6t hégémonique, dénongant la naiveté de tout savoir qui feindrait d'ignorer les structures de « pré-compréhension » et l'ancrage ontologique qui le rendent possible, au prix toutefois d’un certain abandon de son savoir technique. On en est ainsi arrivé la situation oi, au XXe siécle, 'herméneutique avait, ade rares exceptions prés, rompu tout lien avec une connaissance effective. Lintérét de Vherméneutique philologique de Jean Bollack est de rappeler les droits de la pratique et, finalement, ce qu’« herméneutique » veut dire. Avant de renvoyer & une position philosophique, ce mot prend son sens dans la pratique du séminaire, of lacte de comprendre est une affaire intersubjective. Dans les séminaires de Lille, on put ainsi parcourir, depuis Homére et Anaximandre ou Parménide jusqu’ Celan ou A Frénaud, le chemin d'une « histoire de la littérature », en méme temps que lon redécouvrait Vhistoire des pratiques de lecture et de la philologie, traversant les figures d’Aristarque, de Sealiger, de Wolf ou de Bernays. Pour une telle redécouverte, il fallait la naiveté qui accompagne toute pratique. Sans un usage quotidien des textes, une herméneutique philosophique est sans objet et sans direction. Mais si la revendication philologique est essentielle & la critique, Vauto-réflexion herméneutique est, de son c6té, le rappel constant, face aux tentations positivistes des philologies part problématisa Jean Bollack oppose la particularité, sur laquelle elle butte; aux philologues, les ulidres, que le sens ne se donne pas hors de sa ion. A Vherméneutique philosophique, tentée par les généralités, exigences d'une réflexion. Cest par le double refus du positivisme et de Yontologisation que la pratique philologique peut nourrir une herméneutique critique. Mais la tache d'une herméneutique est non seulement de « comprendre », mais de « comprendre la compréhension ». Tout en prenant acte de la réserve de Vherméneutique philologique par rapport a la philosophie, on doit s'interroger sur horizon philosophique qui rend possible une telle pratique. Ill. Herméneutique critique. Par sa radicalité ontologique et son opposition & la méthode, « Therméneutique philosophique » a provoqué dans les sciences humaines un rejet du questionnement herméneutique et favorisé un retour & des conceptions naives de Vobjectivité; il s'agit maintenant d'indiquer une alternative possible a partir de la philologie. A c6té de Yherméneutique logique, qui revient & metodo reves rg/100¢tt 9720 sanz vest quine cherméseuteue citque»? Vambition argumentative de I’« herméneutique générale », une herméneutique critique nous parait avoir sa place, visant l'individualité des oeuvres. Elle doit fournir Varticulation entre la reconnaissance de la singularité des ceuvres (la lettre) et Vaffirmation de procédures universalisables et communicables (en tant que science), mais aussi entre des modéles holistes (percevoir l'eeuvre comme un tout) et analytiques (entreprendre la reconstruction des lectures) ; autrement dit, sa visée est d'intégrer le moment d’adhésion de l'herméneutique (Uabsence de présupposition) et le moment de distanciation de la critique (comme exercice d'un jugement en situation). Mais si les raisons de rejeter le modale gadamérien sont obvies : dissolution de la singularité du texte dans une ontologie du langage, pri tradition qui s‘actualise dans les ceuvres, conception normative de la tradition comme modéle de formation du goat, fonction constitutive des préjugés, le profil d'une « herméneutique critique » demeure problématique. « Critique » se dit aussi en plusieurs sens. Tl est done nécessaire de tenter de ras traits pertinents d'une telle « herméneutique critique » 1.Dans la « théorie critique », qui peut-étre considérée, A travers Marx (ou travers Kant, pour la seconde génération francfortoise), comme une héritigre des Lumiéres, le questionnement est d’abord politique : il s'agit de démasquer des usurpations opérées par des pouvoirs qui ne disent pas leur nom mais sabritent derrigre des idéalités ou des valeurs consensuelles comme par exemple les notions de « liberté », de « beauté » ou d'art « classique ». La dissolution des apparences est sans doute constamment nécessaire, au sens de la dialectique transcendantale kantienne, traquant les illusions de la raison qui sont souvent de connivence avec les pouvoirs. Mais dans le projet de Szondi une herméneutique non « philosophique » susceptible d'une application pratique, cette dimension a recouvert celle de la critique proprement philologique & laquelle par ailleurs il entendait revenir. Cest pourtant en elle que s‘exprime la portée cognitive de la philologie, en tant qu’elle qualifie son mode de savoir comme étant & la fois interprétatif et judicatif. L’herméneutique peut atre « critique », A mon sens, non en s‘inspirant directement de la « théorie critique » (I ou ID, mais en revenant aux ressources théoriques de la philologie qui est en elle-méme une tradition critique. Cette exigence a été exprimée, mais non mise en ceuvre par Sondi; au contraire, chez Jean Bollack, elle a été pleinement assumée. Les insuffisances de la « théorie critique » pour notre propos tiennent précisément au préalable politique qui privilégie des ceuvres « eriti moins leur « potentiel d’émancipation » : en ce cas, les qeuvres qui ommodent d'un état de fait ou le justifient (par opposition aux ceuvres qui contestent ’état des choses présent) risquent d’échapper 4 la compréhension; ou bien, on leur prétera par avance un caractare émaneipateur, lié & la qui esthétique suivant un principe problématique : autant une aeuvre est promesse @émancipation, autant elle vaut esthétiquement. Mais si toute grande réalisation intellectuelle ou artistique, par la maitrise et la réflexion qui s'y montrent, met en forme une « critique », c’est en un sens sensiblement différent : si Aristote, Shakespeare, Corneille ou ‘Thomas Mann, pour prendre des grandeurs trés différentes, sont critiques, c'est autrement que ne le sont Cyrano, Voltaire ou Rimbaud. Il parait difficile d’en faire des « classiques de Yémancipation ». En rabattant une réflexion propre aux qeuvres sur une visée émancipatrice, on s'interdit de saisir en quoi la forme esthétique elle-méme est minence d’une embler les jue s» ou du ification metodo reves rg/100¢tt 20720 sanz Questce vine wherméneutque crique s? critique. Jean Bollack, quoique engagé d’abord dans la reconstitution d'une tradition critique, a su distinguer ces deux aspects, la critique du contenu et la réflexion de la composition. En résumé, il faut considérer que la philologie n'est pas critique au sens politique, et que I'herméneutique n'est pas une « théorie critique » de la littérature : la visée d’émancipation ne saurait étre tenue pour un caractére discriminant des ceuvres & interpréter, faute de quoi on se limiterait & une «légende dorée» de martyrs de la critique ou l'on se condamnerait & des contorsions allégoriques pour tirer des ceuvres du répertoire un potentiel émancipateur qu’elles sont parfois bien en peine d’avouer. 2.Cette critique de la «théorie critiquey et de la tentation de rabattre trop rapidement la dimension politique (fit-elle rebaptisée « éthique ») sur la philologie ne signifie pas qu'il serait possible ou souhaitable de promouvoir Vidéal d’une science « neutre par rapport aux valeurs ». Le questionnement politique est pertinent et méme nécessaire, mais & son niveau. Préter A des ceuvres une forme critique et done émancipatrice, mais une conscience conservatrice, conduit s'interroger sur le sujet formel de cette émancipation — ou bien peut-on étre « émancipé » A son corps défendant ? et alors par quelque ruse de la raison historique ? Ce sont 1a des conséquences auxquelles il est difficile d’adhérer. Avant de préter aux formes des vertus occultes, il importe de les avoir interprétées pour ce qu'elles sont. Pour cela, la philologie et "herméneutique qui la réfléchit apportent un certain nombre d'indications tant sur les distances dans Vinterprétation (les rapports aux différents contextes) que sur les régles qu'elle suit. Je chercherai a les formuler en revenant sur la description de Yc herméneutique philologique » donnée au §2. En premier lieu, comme art critique de la lecture, la philologie s'est déterminée depuis Vhumanisme comme une discipline fondamentalement historique. Elle montre comment, dans le texte, plusieurs niveaux d'histoire se recomposent en une forme singulidre : celle-ci ne refléte pas tant les différentes strates contextuelles qu'elle ne les réfracte, réfléchit ou refait. Une aeuvre qui transforme un contexte par sa seule existence ne peut par conséquent pas étre interprétée @ partir du contexte oi elle s'insére. La reconstitution des réseaux qui forment le contexte, linguisti politique ou autre, fournit simplement les conditions pour sai tracé par laeuvre en sa nouveauté et son unicité. Par 18, dans son attention a la lettre des textes, la philologie renvoie a un principe de particularité :le mode de connaissance herméneutique suppose la confrontation a un particulier dont la compréhension doit étre tirée, autant qu'il est pos: principe propre a la philologie historique, on aisément une régle d'immanence. Sile «canon» interprétatif est donné par laeuvre, c'est que l'objet de V'interprétation est le texte, en tant qu'il fait sens, c’est-A-dire en tant qu'une signification rend compte de sa singularité. La régle qui en découle renvoie a une des maximes les plus éprouvées de la tra jue, . II s'agit de chercher a résoudre les difficultés posées par un texte (hapax, apparents contresens, contradictions, variations) dans et par le texte lui-méme, en étendant cette exigence d’abord formulée pour les passages dits «obscurs» Al’ensemble du texte”. Mais la radicalisation de ce principe chez Jean Bollack dépasse la forme qu'il a pu recevoir dans Vherméneutique romantique, avec le principe de organicité de 'ceuvre dont 'idéal singulier est Yobjet de Vinterprétation, un modéle réactualisé en particulier chez Walter ion herméneuti metodo reves rg/100¢tt seo sanz Questce vine wherméneutque crique s? Benjamin. Elle engage une historicisation radicale. On suppose, d'une part, que la particularité a une valeur ontologique propre, irréductible 'universel d'un sens ou d'une philosophie de l'histoire. D’autre part, le principe d'immanence implique la possibilité pour linterpréte de se mettre au niveau du texte pour entreprendre sa reconstruction rationnelle. Cette reconstruction, son tour, peut étre confrontée A d'autres, elle s‘articule dans une argumentation qui la fait participer & ’élaboration intersubjective d'une connaissance communicable et discutable. Cest ce qu'exprime la formule que j'ai employée plus haut de «Ventendement du singulier» : est requise une rationalité méthodologique pour le particulier. La particularité de objet méme de l'interprétation est cependant une signification, qui renvoie & une composition singuliére. Cest la que s‘instaure une relation spécifique entre linterpréte et son objet : celui-ci ne l'intéresse qwautant qu'il est porteur d'une subjectivité, Les effets de sens déposés dans un texte sont certes autonomisés, mais c'est précisément aussi en tant que tels qu'ils sont subjectivité. Nous n’avons affaire qu’ des traces, mais ce qui fait ceuvre est le principe de composition qui a été suivi : linterprétation part de la particularité cristallisée dans la lettre, pour remonter au sens, qui résulte d’une certaine opération. On peut nommer cette opération « subjectivité » ou encore « réflexion ». La singularisation dune opération dans une lettre la rend communicable : le geste de la réflexion est Vobjet de l'interprétation en tant qu'il est constitutif du sens. Entre le sens apparent et le sens réfléchi, qui prend en compte les motivations de la composition, s‘inscrit le travail de linterpréte. I] est nécessaire en cela de distinguer le sens fixé dans la lettre du mouvement de réflexion qui Va produit. Le sens constitué par Vauteur et reconstitué par Vinterprate sur un mode présomptif n'est tel que parce que l'on peut supposer une opération premidre, un sens « constituant » qui puisse en rendre compte. En s‘attachant & retrouver la «subjectivité» des textes, leur « potentiel critique » par rapport & une situation préalable et aux préjugés partagés, Jean Bollack a nettement indiqué que l'interprétation ne pouvait s'en tenir au sens obvie, mais visait au contraire A reconstituer la réflexion dans Yq@uvre a partir de la composition. Tl est aussi important de distinguer les niveaux que d’éviter @introduire une distorsion entre le « pragmai présupposent et s‘articulent, c’est qu'il n'y a pas de sens hors du « faire-sens ». Une ceuvre n'est pas a elle-méme son propre commencement, mais présuppose une situation déterminée, historique, sociale, culturelle, et d'autres textes, dont elle se nourrit et avec lesquels elle entre dans une sorte de compétition. La pure répétition d'un modéle condamnant inexorablement & faire moins bien, V'écriture vise a introduire un décalage, une forme de nouveauté, une difference qui doit aussi et peut-étre d'abord étre comprise par rapport aux textes préexistants connus ou supposés tels. L’écriture se nourrit ainsi des autres écritures. La « tradition » ou les « influences » n'ont de sens que dans leur reprise, une fois redisposées dans un nouvel ensemble, cette redi elle imperceptible. L/historicité constitue ainsi une « tradition » non par son « actualisation » herméneutique, comme chez Gadamer, mais par Vhistoire d’une réflexion critique dont les aeuvres figurent les différentes possibilités, selon une progression contradictoire -il importe de faire autrement- mais contingente, les tours et retours ne manquant pas. Jean Bollack nomme parfois cet art de la «reprise» de textes antérieurs une « réfection », indiquant par 14 qu'll s'agit bien dune « réflexion conerate », opérée A méme le faire d'une ceuvre. Mais il parle ion fat- metodo reves rg/100¢tt 2720 sanz Questce vine wherméneutque crique s? également de « resémantisation », au sens ot un syntagme d'un texte antérieur, quand bien méme il serait « cité » sans modification, assume de ce fait inévitablement une nouvelle signification’. Or ce geste est bien constitutif d'un sens nouveau, celui de l'ceuvre de rang 2, qui utilise des matériaux puisés dans une oeuvre de rang 1 : cette opération ne peut étre suspendue, ni pour ce qui est de Vceuvre, livrant le secret de sa « signifiance »*, ni pour ce qui est de Vinterpréte qui aurait alors un objet autrement inatteignable que « l'intention de Vauteur ». Il parait clair, au contraire, que la « réfection » ou la « resémantisation » sont des procédés de constitution d'un sens nouveau, et que ce sens nouveau peut et doit étre interprété pour lIui-méme, dans sa complexité™, Un texte se détache d'un ensemble quil réfléchit en posant sa distance, se constituant ainsi en une forme singuligre. On pourrait parler a cet égard d'une morphogenése des ceuvres. La forme devient de ce fait susceptible d'une interprétation qui vise & reconstituer comment elle fait sens. II n'est pas doté de signification en vertu de ses composants : le principe frégéen de compositionnalité du sens* répandu en logique et en linguistique ne permet pas de le saisir dans sa singularité, Par ailleurs, une description externe ne le distinguerait pas d’un ensemble de signes, de traces, d'inscriptions arbitraires, La signification, en revanche, présuppose une réflexion qui rend compte de sa mise en forme. La réflexion n'est cependant pas communicable en dehors de la forme particulidre du texte ou de V'ceuvre. Viobjet de l'interprétation est de reconstituer plausiblement ce mouvement de pensée A partir des seules traces textuelles : il est done indirect. La tradition idéaliste, de Hegel & Dilthey, a déterminé cette dimension comme relevant de « lesprit », qu'il était tentant @hypostasier comme élément commun présupposé par toute interprétation et assurant par avance de sa possibilité*®. En cela elle a méconnu qu'il ne saurait s‘agir A chaque fois que de la subjectivité singuliére d'un texte, que rien wautorise & subsumer sous un «esprit». Le modale d'une empathie ou Einfiihlung de Vherméneutique diltheyenne, voyant dans Videntité de la vie ou dans des constantes psychologiques la condition de possibilité de la compréhension, est de ce fait extérieur &Vherméneut jue. Pour autant, ily a lieu de s'interroger sur le concept de subjecti plique, tant du cOté de V'interpréte que du cété du texte. Test manifeste qu'une certaine forme de subjectivité est présupposée du cdté des textes qui sont objet du philologue : c'est d'ailleurs bien parce qu'il y a une telle subjectivité, y compris dans les textes les plus anciens comme les fragments des « Présocratiques », qu’ily a « quelque chose» a interpréter ». Cest ce qui me semble devoir résulter des différents travaux de « I'Eeole de aux textes de 'époque archaique. On aurait a faire, dans le cas contraire, & un simple document & reconstituer : témoignage historique ou dépét d’une révélation divine, mythique ou inconsciente, ou encore expre conscience collective. Or s'il s'agit d'interpréter, un rapport s’établit, dans le texte et nulle part ailleurs, entre deux sujets, qui ne sont sans doute pas « sujets » au méme titre, mais «sujets» cependant. Les objections ne manquent pas : on rappelle qu'il est difficile de parler de « sujet » avant Socrate, voire avant Descartes ou Kant :il y aurait ld un anachronisme insouciant, une volonté de modernisation arbitraire, en somme une naiveté épistémologique. Pourtant, il ne s’agit pas de postuler Videntité a soi d'un sujet transcendantal, Jean Bollack ne préte pas des catégories modernes aux auteurs antiques comme ont pu le jon d'une metodo reves rg/100¢tt 33/20 sanz » Questce vine wherméneutque crique s? faire les néo-kantiens, Cohen ou Natorp’”. En revanche, il est clair que cela implique un refus déterminé : il s'est opposé avec énergie a la construction de catégories pseudo-historiques comme la « pensée mythique » ou la « pensée archaique », dont leffet, appliqué aux textes des premiers philosophes, était de dénier par avance toute forme de réflexivité ou d'objectivation a des figures dont le geste fondamental était pourtant bien une sortie hors du mythe. Les diverses formes du nietzschéisme, chez W. F. Otto, K. Reinhardt, W. Capelle ou Heidegger, rendaient aux yeux de beaucoup inconcevable que l'on suppose une telle conscience dans des textes qui devaient bien au contraire nous offrir immédiatement le dépdt d'une sagesse premiére, indemne des errements postérieurs de la métaphysique et de la modernité*. Pour prendre la mesure de cette dimension, on pourrait formuler un principe herméneutique original : autant un texte est interprétable, autant il interpréte lui-méme, autant il a de subjectivité. inscription d'une subjectivité dans un texte signale un écart entre celui-ci et une norme collective des valeurs imposées, sociales ou religieuses. Le texte se constitue en objet singulier en se détachant par une réflexion. I] est inutile pour cela de présupposer un auteur doté d'une intention préalable ou un sujet psychologique bardé d'une biographie ou, comme dirait Boris Vian, « bourré de complexes ». La subjectivité se constitue dans le texte & mesure que celui-ci prend forme en se distinguant : Vintention ne renvoie pas A un personage extérieur, qui serait auteur, mais & cette distance dans le texte. On s'est figuré, au XIXe siécle, qu'une ceuvre était le produit d’un auteur, dont la connaissance devait l’éclairer d'une fagon ou d’une autre, au point que Vherméneutique a progressé de la vie A Yoeuvre, jusqu’ Dilthey et au-dela; puis Yon s’est avisé, au XXe siécle, que lceuvre pouvait bien dépasser V'intention de son auteur, car 'on ne comprenait plus que des étres & Yordinaire plutot médiocres fussent responsables de chefs-d’ceuvre. La grandeur des ceuvres devait done étre rapportée 4 autre chose : une profondeur de la langue, une activité inconsciente, expression d'une idéologie, un équilibre formel improbable survenu comme par hasard, ou bien Y'on a cessé de eroire que les ceuvres pouvaient avoir quelque «grandeur» ou importance particulidre. Mais cette critique de « l'intention de 'auteur » se réglait sur un modle sainte- beuvien plutdt imaginaire; on s‘affrontait souvent A des moulins a vent en plaquant un psychologisme post-romantique sur des tentatives autrement différenciées. Tl convient sans doute de prendre la défense de la catégorie herméneutique de Vintentio auctoris rappelant qu’elle ne signifiait alors rien de plus que le «sens littéral»®, C’était une fagon de dire que la signification, done l'interprétation, est foreément dans la lettre, et que ce complexe, et lui seul, correspond a une intention de signification, Elle avait en outre l'avantage d’inelure au besoin la dimension de la « responsabilité », inscrivant le texte dans un rapport de subjectivités. Quand Friedrich Schlegel, apparemment en avance sur le XXe sidcle, substitue Vinterprétation du texte A Vintention de V'auteur, il ne fait qu’expl concept que l'on commengait de ne plus comprendre. Postuler une subjectivité das lors non seulement n'est pas absurde, mais est méme requis par la démarche interprétative. Elle est la lettre méme en tant qu'elle fait sens. L’objectivation dans la lettre ne Vexclut pas, mais s'appuie au contraire nécessairement sur elle, Lherméneutique ala lettre pour objet en tant qu’en elle se signifie une distance. On peut appeler cette réflexion «subjectivité»”. Ce qui distingue un texte comme relevant d'une opération herméneutique est courante aux XVIle et XVIIIe sidcles, en metodo reves rg/100¢tt 34720 sanz Questce vine wherméneutque crique s? ainsi sa constitution fondamentalement herméneutique. Celle-ci renvoie sans doute en premier lieu au caractére herménentique du langage Ini-méme et aux interprétations ou « pré-compréhensions » qui agencent la perception. Linterpretandum est cet égard toujours de soi interpretans. Mais cette condition ne suffit pas, car il convient de distinguer nettement entre les différentes « pré-compréhensions » relevant d'une structure ontologique, organique, grammaticale ou idéologique, et « l'interprétation » prétée au texte qui constitue celui-ci en une singularité. Cest cette interprétation du texte (au génitif subjectif, comme réflexion inscrite en lui) qui rend possible Vinterprétation du texte (comme tentative de reconstitution de cette premiére réflexion). La subjectivité qui rend le texte interprétable et non directement explicable en vertu d’un schéma transcendant ou d'un cadre causal général est précisément ce & quoi peut étre rapporté I « préjugés » qui fournissent effectivement un accas positif 4 la compréhension du texte, on considére ordinairement soit les préjugés de l'interpréte (Gadamer), soit les préjugés dont le texte porte la trace, qu'il faut alors lever (Habermas) ; il convient d’étre plus attentif au préjugé du texte en tant que jugement dont le texte témoigne et qui le constitue en subjectivité, sans pour autant réduire toute manifestation textuelle relevant de linterprétation A une littérature critique ou faire de cette réflexion comprise comme signifiance la visée premiére de Yinterprétation. La prise en compte de ce jugement du texte et dans le texte permet une reprise non psychologisante du concept d'intentio auctoris, renvoyant ds lors A cette subje que l'interprétation ne peut pas ne pas supposer. L’herméneutique critique V'est ainsi doublement : en tant qu’elle exerce un jugement et distingue entre les interprétations; en tant qu’elle répond & un jugement de V'ceuvre. Une telle subjectivité n’est-elle que dans un «travail» ? Elle le présuppose, sans doute, mais surtout elle se fixe dans un texte dont on peut et doit rechercher le sens. herméneutique engage cette relation entre sujets, redéfinie par chaque tentative d'interprétation. Cette relation est cependant asymétrique au sens od Vinterprate «croit» 18 of le sujet du texte n'est plus «en travail» : ily va bien d'un réveil, d'une suscitation. Il convient de le souligner, contre le motif, cher & art de la réflexion. Parmi les s'épuise en aucune de ses qeuvres, en aucun de ses textes. Mais la situation d’une herméneutique moderne philologique et critique, qui accorde avec Le Clere ou Schleiermacher que c’est l'interprétation qui peut établir sile texte est « sacré » et non la révélation qui commande Vinterprétation, est inverse. Il y a une inégalité fondamentale entre les deux formes de subjectivité engagées dans l'acte interprétatif, dont ne prennent suffisamment compte ni les démarches objectivantes, qui veulent ne voir dans le texte qu'un ensemble de rapports objectifs entre signifiants, ni les herméneutiques « philosophiques », qui font du texte le lieu d'une expérience ontologique de la langue. Si la dimension subjective du texte est une partie constitutive que doit rappeler V'interpréte, la fiction d'un « dialogue herméneutique » est égarante”, dans la mesure oi Tun des partenaires ne « répond » que par ce qui est déja inserit dans le texte, alors que le « lecteur » coincide, mais lui seul, avec son «travail», le processus interprétatif. La reconstitution de la logique eréatrice part nécessairement du texte tel qu'il est transmis. Le dialogue est asymétrique. Le « tu » de Veuve s'est tu; il ne parle plus qu’a travers elle, Cest V'interpréte qui metodo reves rg/100¢tt 35/20 sanz Questce vine wherméneutque crique s? «< essaye » les réponses, tenu par une responsabilité envers la subjectivité du texte. Cest cette structure complexe qu'il convient de déméler, sans s‘abandonner A des métaphores vides. Sila relation interprétative comporte une dimension «éthique», c'est dans la mesure oi linterpréte se sait responsable vis- A-vis de la subjectivité singuliére du texte, en tant qu'il est interprétable. Cest la question : « Mais qu’as-tu voulu dire ? » posée a l'autre dans le texte. Il reste & élaborer sur le plan théorique et méthodologique une réflexion herméneutique susceptible de se laisser enseigner par les pratiques interprétatives et de leur apporter une orientation. Une de pratique et de légitimation requis par l'interprétation allige & une redétermination des catégories herméneutiques principales est A cet égard nécessaire. Plus encore, une telle herméneutique «critique» se doit d’articuler les différents niveaux évoqués ici dans un ensemble théorique. Elle sinspirera sans doute de la premiére lecon de la philologie, la critique textuelle, avec une prédilection pour la recension au détriment de la conj laissant se déployer un fort scepticisme l'endroit du sens trop vite reconnu. Cette négativité repose dans le savoir-faire le plus ordinaire de la philologie, il suffit de la mettre en ceuvre non seulement pour les tiches traditionnelles de constitution des corpus et d’évaluation des lecons, mais en étendant ces taches aux divers vecteurs de l'expression articulée, La suspension du jugement appelée par attention exclusive a la forme constitutive du sens n’est pas exclusive de lexercice second d'un jugement; elle en est méme la condition. Le jugement critique intervient aussi bien pour évaluer oeuvre elle-méme dans la distance que celle-ci instaure par rapport & ses conditions que pour 'apprécier par rapport & son contexte. La premigre téche renvoie A objet méme de Vherméneutique : Vinterprétation suppose une subject seconde, en revanche, ne rapporte plus l'ceuvre a elle-méme, mais A un contexte dans lequel celle-ci prend position : dans quelle mesure cette inscription dans un rapport produit-elle une succession sensée ? Peut-on reconstituer la logique, méme fragmentaire, de telles séquences ? elles sont les questions qui oveupent Vherméneutique qui ne comprend pas seulement les ceuvres A partir des différents contextes, mais entend reconstituer le contexte formé par les cuvres 8 partir de celles-ci. Lié & ce probléme, un troisiéme aspect de la cri convoqué : Vanalyse des préjugés de lecture et des conditionnements idéologiques dont la tradition interprétative mais aussi les ceuvres portent la trace. Ce travail, en partie extérieur A Vherméneutique proprement dite, est nécessaire A son auto-réflexion : les préjugés ne sont pas seulement les conditions positives de toute compréhension, selon une thése que l'on peut partiellement concéder 4 Gadamer; ils ne sont pas systématiquement une distorsion du sens et le signe de V'intervention sournoise du pouvoir, mai: peuvent fort bien l’étre, comme on doi sont des constituants du sens parmi d'autres, dont la spécificité et la difficulté propre est d’étre le plus souvent inexprimés. Une herméneutique cri s‘emploie Ales expliciter. inction des niveaux cture, autrement dit, en ité de Voouvre. La Notes 1 objet de ce texte est d’ouvrir une discussion sur les principes de l'interprétation et @esquisser une réflexion commune sur ce que pourrait étre une herméneutique critique. Je remercie tous ceux qui ont déja, par leurs objections et remarques sur les metodo reves rg/100¢tt 36720 sanz Questce vine wherméneutque crique s? premiers états de ce texte, contribué a sa clarification : J. Bollack, L. Crescenzi, P. Judet de La Combe, Chr. Kénig, P. Llored, F. Mariani-Zini, H. Wismann; et pour leurs indications: C. Berner, F. Blaise, Arn. Pons, F Rastier, W. Wogerbauer. 2 Pour une élaboration de ce probléme, je me permets de renvoyer 4 mon texte « Critique et herméncutique », qui introduit le volume Critique et herméneutique dans le premier romantisme allemand, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 1996, p. 9-54 3 P. Szondi ne utilise qu'un petit nombre de fois, avec une relative prudence qui indique sans doute la conscience qu'il pouvait avoir de son caractére insatisfaisant; voir P. Szondi, Einleitung in die literarische Hermeneutik, Franefort, Suhrkamp, 1975, P. 11, 25, 185. 4 Voir U. Nassen (64.), Studien zur Entwieklung einer materiellen Hermeneutik, Munich, W.Fink, 1979. Le volume, par ailleurs utile, prend l'expression au sens de Szondi, comme « doctrine de l'interprétation des textes littéraires susceptible de trouver une application dans la pratique ». L’éditeur U. Nassen ne suggére aucune piste, ni dans Yintroduction, ni dans sa contribution (p. 120-131) ; si l'intervention de N. Altendorfer renvoie 4 Vherméneutique et A l'éthique de Schleiermacher, celle de Harro Miller sur Benjamin (« Materialismus und Hermeneutik », p.212s.) renforce la confusion. F. Rastier a tenté de retrouver une «tradition» & cette herméneutique, voir F. Rastier, « Liherméneutique matérielle », in J.-F. Mattei (éd.), Le Discours philosophique, Paris, PUF, 1998 (L’Eneyclopédie philosophique universelle, t. IV), p. 1902-1915. Le terme a peut-tre été suggéré 4 Szondi par ses études sur le jeune Friedrich Schlegel, lequel aspirait dans sa «philosophie de la philologie» (notes herméneutiques de 1797) A réunir une philologie « formelle », limitée aux mots, dont Te modéle était pour lui I’école hollandaise de Leyde (Tibére Hemsterhuys, David Ruhnken), et une philologie « matérielle », prenant en compte la totalité historique d'un contexte, sur les traces de ce que Winekelmann avait pu faire pour l'art antique; voir F. Schlegel, « Philosophie de la philologie », in Critique et herméneutique dans le premier romantisme allemand, Lille, PUS, 1996, op. cit., p. 183-240. 5 Car une telle « herméneutique formelle » est tout A fait concevable, comme I'a montré J.-M. Salanskis, L’Herméneutique formelle, Paris, CNRS, 1991 6 On peut supposer que le terme d’« herméneutique formelle » est consciemment évité Szondi pour ne pas risquer une confusion avee la « lecture immanente » d'un Staiger. Sur la situation polémique de Szondi, voir J. Bollack, « Un futur danse passé. Liherméneutique matérielle de Peter Szondi », in La Gréce de personne, Paris, Seuil, 1997, p.117-127, et W. Wogerbauer, « Emil Staiger », in Chr. Kénig et al. (éds.), Wissenschaftsgeschichte der Germanistik in Portrat, Berlin-NY, W. de Gruyter, 2000, p. 239-249. 7 Voir en particulier P. Szondi, Briefe, 64. par Chr. Kénig et Th. Sparr, Franefort, Suhrkamp, 1993. 8 Voir « L’herméneutique de Schleiermacher », publié en 1971 dansla revue Critique. Schleiermacher a enseigné en fait alternativement Vherméneutique « générale » (comme en 1809-1810), essentiellement subordonnée a la logique (la Dialectique), et Vherméneutique spéciale du Nouveau ‘Testament en s'appuyant au début sur les traités d'Ernesti et de Morus, dont le caractére «littéraire» est second, mais effectivement présent. La portée philosophique de Vherméneutique ne peut guere étre appréciée chez lui indépendamment de sa Dialectique (trad. Paris, Cerf, 1997). La place de I’herméneutique dans sa philosophie a été manifestement surévaluée par les, lectures cherchant & faire de lui un ancétre de l'herméneutique philosophique. Pour tune présentation des relations entre dialectique, éthique et herméneutique, voir C. Berner, La Philosophie de Schleiermacher, Paris, Cerf, 1995, 9 Sur la relation inédite dans l'histoire intellectuelle entre la philologie et la critique de la raison, je renvoie a mon étude « Critique philologique et philosophie chez Le Clere, Heumann et Kant », Revue Philosophique, 1999, p. 151-168, 10 La pluralisation du champ de 'herméneutique depuis une quinzaine d’années a eu pour effet de relativiser d'autant l'emprise de « I'herméneutique philosophique », plus présente désormais sur le terrain éditorial que dans la discussion de fond. Le constructivisme de Hans Lenk, l'interprétationnisme de Gtinter Abel, les discussions autour de la philosophie du signe de Josef Simon, ou le grand mouvement de redécouverte de « lherméneutique générale » des XVIle et XVllle siécles par des chercheurs comme A. Bibler, L. Cataldi Madonna, W. Alexander, R. Sdzuj, et O.R. Scholz, avec I'accomplissement théorique livré par ce dernier dans Verstehen und Rationalitit (1999, 20012), ont substantiellement transformé les conditions de la discussion, non seulement en Allemagne, mais en ouvrant également des ponts avec la philosophie anglo-saxonne, Quine, Lewis ou Davidson. Il y va dans ces entreprises metodo reves rg/100¢tt ari20 sanz Questce vine wherméneutque crique s? philosophiques de la redétermination d'un concept de « rationalité » que l'on ne Saurait réduire a « l'explication scientifique ». Le theme critique n'est pas central, & moins que l'on tiene déja pour «critique» le simple fait d'exiger des raisons et une argumentation pour les hy pothéses que l'on avance. 11 Jentends par IA que Ton pergoit mieux maintenant les solidarités, masquées haguere par les oppositions idéologiques, entre par exemple Adorno et Heidegger; la floraison d'un nictaschéisme et d'un heideggerisme «de gauche » a sans doute joué un rdle, de méme que les efforts pour combler la séparation entre une philosophie « continentale » herméneutique et une philosophie « transatlantique » analytique, dont les derniers développements autour dune « rationalité herméneutique » sont significatifs (voir note 9 ei-dessus), le regain d'intérét pour les sources communes de la « philosophic autrichienne » d'oi proviennent largement la phénoménologie et la Philosophie analytique (voir J. P. Cometti-K. Mulligan. [éds.], La Philosophie autrichienne, Paris, Vrin, 2001), ou encore des entreprises philosophiques comme celle de E. Tugendhat ou de K-O. Apel. 12 Si tous deux sont entigrement contemporains, ayant été collegues & Université Libre de Berlin, leur réflexion herméneutique ne Vest pas, Aprés la disparition de Szondi, Jean Bollack a entrepris, avec certains des éléves de Szondi, V'édition de ses ceuvres et de ses cours, ll a également beaucoup fait pour introduire son auvre en France, en publiant plusieurs volumes de traduetions (Peter Szondi, Poésie et poétique de Vidéalisme allemand, Paris, Minuit, 1975 [TEL Gallimard, 1991] ; Poésie et postique de la modemité, Paris-ille, MSH-PUL, 1981 [édité par M. Bollack] ; Introduetion @ Therméneutique litéraire, Pavis, Cerf, 1989 [traduit par M. Bollack]), en organisant, avec Mayotte Bollack un colloque sur son oeuvre (M. Bollack [6d.], L'Acte eritique. Sur Teeuure de Peter Szondi, Paris-Lille, MSH-PUL, 1985), en explicitant enfin ses positions dans le texte déja évoqué, « Un futur dans le passé. Uherméneutique matériclle de P. Szondi », in La Gréce personne, loc. cit, Mais il n'a entrepris véritablement un effort de clarification de sa pratique qu’ partir des années 1970, pour aboutir seulement dans les derniéres années du sigcle passé, avec la composition du recueil La Grice de personne en 1997, le livre d'entretiens réalisé avec Patrick Llored en 2000, Sens contre sens. Comment lit-on ? (Lyon, La passe du vent), qui contient le rappel de certains thémes herméneutiques ainsi que 'explicitation de ses prises de position dans Te champ des sciences humaines, enfin avec la « poétique » parue en allemand, ensemble de réflexion sur la poésie moderne partir de Veruvre de Paul Celan, Paul Celan. Poetik der Fremdheit (Vienne, Zsolnay , 2000). 13 Jem'inspire librement, dans cette section, d'une présentation faite au Literaturhaus de Berlin le 12 mai 2001 lors dune table-ronde consacrée & Sens contre sens, dans le cadre de CitéPhilo 14 Le principe n'est pas neuf, mais il fallut sans doute attendre Schleiermacher et F. Schlegel pour le voir affirmé dans toute sa portée. Ce qui change est ce que l'on en fait, 15 Voir par exemple ci-dessus L. Bianchi, « Interpréter Aristote par Aristote », et les références a la philologie dAristarque, p. 276s., et note 16. Spinoza en a donné une formulation propre dans son Tructacus theologico-politicus, cap. Vii: « La connaissance de I'Beriture doit tre tirée de I'Eeriture méme, de méme que la connaissance de la nature dela nature méme » (tr. Ch. Apphun, p. 139). Voir M. Walther, « Spinomas Kritik der Wunder - ein Wunder der Kritik ? Die historisch-kritische Methode als Konsequenz des reformatorischen Schriftprinzips », Zeitschrift fr Theologie und Kirche 87, 1990, p. 68-80. 16 Pour une large part, herméneutique « philosophique » reprend le rapport au texte qui prédominait dans 'herméneutique théologique dogmatique ou dans une philologie affirmant fortement le statut normatif des classiques. Le constat est évident chez Gadamer; voir par exemple Ia critique qu’en fait K-O. Apel, Transformation der Philosophie I, Francfort, Suhtkamp, 1973, . 47 8. 17 Jeme contente de renvoyer sur ce point, outre aux travaux de J. Le Brun et de F. Laplanche, 4H. Graf Reventlow-W. Sparn-I. Woodbridge (éds.), Historische Kritie und biblischer Kanon in der deutschen Aufklarung, Wiesbaden, 1988. 18 Par « hétérologie », j'entends la position théorique qui considére que la relation @'appartenance ontologique prime sur l'exercice des fonctions du sujet. Elle est le trait commun d'une herméneutique d'inspiration heideggerienne, mais, plus généralement, d'une herméneutique de structure théclogique. La « destruction » des catégories de « métaphysique », « raison >, « subjectivité » ou « identité » renvoie A un primat de l'autre sur le méme qui n'est pas moins problématique que la position critiquée. 19 Voir les éléments d’herméneutique comparée dans M. Tardieu (éd.), Les Regles de metodo reves rg/100¢tt 38720 sanz Questce vine wherméneutque crique s? Vinterprétation, Paris, Cerf, 1987, 20 Ce souei, présent chez Dilthey, sexprime directement dans les cours du jeune Heidegger, Ontologie (Hermeneutik der Faktizitat), GA 63, 1988, qui annongaient Vélaboration du « comprendre » en un « existential » dans Sein und Zeit (§ 31-34). 21 Cette extension est opérée_systématiquement dans 'Herméneutique de Schleiermacher, qui recommande d'emblée de faire « comme si » l'ensemble du texte ait « obseur ». Peter Szondi en a réaffirmé avec force le caraetére heuristique dans son essai « Sur la connaissance philologique », in Poésie et poétique de la modernit je, MSH-PUL, 1981 sidans J. Bollack-H. Wismann, Héraelite ow la séparation, Paris, Minuit, 1972, seconde édition 1995 ; J. Bollack, « Lecture de l'antique », in Poésie contre poésie Celan et la littérature, Paris, PUF, 2001, p. 196-204, 23 La « signifiance » ne présente pas, par ailleurs, une détermination suffisante pour indiquer Tobjet de Vherméncutique, ni dans sa définition «pragmatiquer de «communicabilité », ni dans lacception kristévienne d'une « productivité » des textes dans un réseau indéfini, Le terme est récent en frangais, sans tradition d'emploi bien anerée, Souvent, il apparait pour rendre le terme allemand de « Bedeutsamkeit », distinct de la « Bedeutung », la signification proprement dite. Ml renvoie alors A un terme propre de herméneutique (voir Vétude de G, Scholtz, « Bedeutsameit. Zur Entstehungsgeschichte eines Begriffs der hermeneutischen Philosophie », in Zwischen Wissenschaftsanspruch und Orientierungsbediirfnis, Francfort, 1991, p. 254-268). ‘Traditionnellement, il traduit l'emphase, a savoir linsistance, l'exeés de sens dont doit rendre compte 'herméncute biblique : les Feritures ne livrent tout leur sens que si Yon est en mesure de déterminer précisément selon quelle extension on doit comprendre ses expressions. Pour un texte dont l'auteur est le Saint Esprit, la lecture emphatique est séricusement recommandée dés que le texte parait excessivement banal. Le concept regoit une détermination nouvelle a Vaube du XIXe siécle, dans un contexte esthétique, of il renvoie a une forme de « capacité a faire sens » conférant aux quvres un caractére relativement inépuisable, en vertu de leur propre constitution sémantique et non plus des intentions du Saint Auteur. Ainsi pour F. Schlegel, « Vidéal de la poésic romantique est la plus grande Bedeutsamkeit » (KA XVIIL, 217, n, 271). Une infinité du sens est exprimée par la, dans la mesure méme ob elle reste felativement inexprimable. Elle fournit le prétexte A une compréhension infinie qui caractérise en propre les ceuvres classiques. Enfin, chez Dilthey,, le terme assume une fonction spécifique au sein d'une philosophic de 'historicisation radicale : est « signifiant », pour Dilthey,, ce qui se rapporte constitutivement a une totalité, par exemple un événement historique Voit son importance/signifiance décidée en fonction de son réle dans la totalité historique. La « Bedeutsamkeit » désigne ainsi une valeur relative dans une totalité elle-méme relative 24 Voir dans la « resémantisation » V'expression d'une «prétention a la validitéy de tonalité habermassienne ne rend pas compte dela singularité dans la constitution de Voouvre. Si les oeuvres ont un « contenu de vérité », dont il faudrait pouvoir déterminer la nature (dans J. Bollack, Poésie contre poésie, Paris, PUF, 2001, p. 327, il sa stement d'une vérité singuliére qui a pris forme, et qui dure ainsi, et non d'une vérité éternelle que 'ceuvre ne ferait qu'exprimer), il ne parait pas, en revanche, que cette « vérité » soit du méme genre que celle en jeu dans une rationalité communicationnelle, ne serait-ce que parce qu'elle parait indissociable de sa forme esthétique. Autre chose est la prétention a la validité des interpretations de Veeuvre, autre chose est la prétention de l'ceuvre elle-méme. La premiére est une visée de l'universel, la seconde en revanche la revendication universelle du droit de la particularité. La redescription de la philologie bollackienne dans les termes de la «seconde école de Francfort » ne me parait pas plus éclairante que dans ceux de la premiére. Autant la «critique des interprétations» reléve bien dune rationalité contradictaire et pourquoi pas communicationnelle, autant « T'interprétation critique » ne Vest qu’en restant philologique, lige A une lettre qu'elle doit d'abord servir, au besoin contre les multiples appropriations dont elle a fait objet. Il y a la deux niveaux de discussion distincts. 25 Selon ce principe, le sens d'une phrase ou de toute expression résulte du sens de ses composants; voir G. Frege, « Das Gedankengefiige », in Logische Untersuchungen, Gittingen, 1966, p. 36. 26 Le modele le plus excessif et le plus naif d'une telle herméneutique se rencontre chez Friedrich Ast, £léments de grammaire, herméneutique et critique (1808), Landshut (trad. in Critique et herméneutique dans le premier romantisme allemand, op. cit., p. 287- 314), mais son intérét est justement de faire ressortir les facilités que s'octroie volontiers l'déalisme herméneutique. metodo reves rg/100¢tt 9720 sanz Questce vine wherméneutque crique s? 27 Cela malgré certains effets d'actualisation, en particulier a propos e'Epicure et de Vappréciation de la contingence des phénoménes météorologiques dont la portée anti- sy stématique a pu étee exagérément soulignée ; voir Jean Bollack-André Laks, Epicure @ Pythoclés, Lille, PUL, 1979 ; ef. A. Renaut, « Philologic, philosophie », Temps de la réflexion 1, 1980, p. 393-415 Pour que l'on se représente effectivement oi peuvent tendre de telles nostalgies d'une compréhension plus « authentique » des Présocratiques, il suffit de rappeler Vaccueil fait en 1935 au volume Die Vorsokratiker de Wilhelm Capelle, part chez Krdner, a Leipzig :« Die fren griechischen Denker vor Sokrates, m1 denen Nietzsche als mu ewigen typischen Gestalten der Welterkenntnis aufsah, sind uns Keine tote Vergangenheit : hier liegt der Ursprung der Philosophie als unvoreingenommener Betrachtung und Erkenntnis des gesamten Dascins (..) » (Der Freihetskampy, Dresde, 22 décembre 1935). 29 Voir K. Petrus, « Die intentio auctoris in Hermeneutiken des 17. und des frithen 18. Jahrhunderts », Philosophisches Jahrbuch 103, 1996, p. 339-358 30 A plus forte raison, quand sagit de textes modernes ou contemporains, une telle “Csubjectivité » peut elle-méme étre diversement réfléchie, voire aboutir & des formes Gélaboration extrémement complexes, comme c'est le cas chez Celan Uherméneutique accompagne cette complexité en proposant une théorie adéquate de la subjectivite poétique « eélanienne » dans sa double face de «je historique» témoin des événements et responsable devant une mémoire, et « tu lyrique », la main qui écrit, dans la langue, sous Te contréle du premier. Voir Jean Bollack, Paul Celan. Poetic der Fremdheit, p. 15-43, une discussion dont les termes sont posés, ce n’est sans doute pas un hasard, en référence au Nietzsche de Ia Naissance de la tragédie et a sa condamnation ¢'Archiloque 31 Voir P. C. Bori, L'Interprétation infinie, Paris, Cerf, 1991 32 Chez Gadamer, un tel « dialogue» présuppose subrepticement une Substantification de a tradition : c'est elle qui me parle a travers le texte Pour citer cet article Référence électronique Denis Thouard, « Qu'est-ce qu'une « herméneutique critique » ? », Methodos [En ligne], 2| 2002, mis en ligne le 05 awl 2004, consulté le 14 septembre 2012. URL http:/methados.rewes.org/100 ; DOI : 10.4000/methados. 100 Auteur Denis Thouard C.NRS,, UMR « Sawoirs et textes » Articles du méme auteur La question de la « forme de la philosophie » dans le romantisme allemand. [Texte integra aru dans Methodos, 1 | 2001 Droits d'auteur Tous droits réservés metodo reves rg/100¢tt 20720

You might also like