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L'AMERIQUE ENVOUTEE JEUX PAR LES DRAGONS II ne s'agit que d'un jeu, de hasard et o’habileté comme tant d'autres. Alors pourquoi « D and D » qui fait revivre donjons et dragons envodte-t-il toute I'Amérique ? Les sociologues ne trouvent qu'une explication : le besoin de se plonger dans des mondes imaginaires. p> Dans un Iabyrinthe bourré de monstres, de trappes et de couloirs secrets, Tim le guer- rier, Alan le yoleur, Stevens Fecclésiastique, Dana ‘le magi- cien et Rick le nain, rivalisent @astuces pour venir & bout des pieges et des dragons qui se dres- Sent sur leur passage et les em- péchent de découvrir les trésors cachés dans les recoins de ce lieu pour le moins sinistre. Pour pli- Sicurs heures. deux & trois fois par semaine, prés de 500.000 jeu- nes Américains changent ainsi de peau et quittent leurs préoccupa- tions du Xe sigcle pour épouser les aventures périlleuses de héros mythiques du Moyen Age. La métamorphose a lieu en quelques minutes lorsque les participants Sassoient autour d'une table pour jouer A un nouveau jeu, fort complexe, qui fait fureur aux Fratetinie Ml cagit de «Don. jons et Dragons »(") ou «D and D» comme lappellent les fana- tiques. L'un des joucurs baptisé le Maitre du Donjon (ou DM pour Dungeon Master) —dirige tout le jeu. Bien avant la partis ila eréé sur papier la carte échelle précise) d'un labyrinthe, d'un chateau, dune ville oi Ia partie va se dérouler. II y a dissi- mulé des trésors ou des objets magiques qu'il protége par des dragons, des géants ou des loups- garous, etc., selon son gré. Ces obstacles aux caractéristiques bien précises (chaque _monstre posséde une force, une vitesse de (1) Le wom anglais est ~ Dungeons and Dragons.” En toaduction literale die vom ignite» cachot =" mate pour com Server Tes" intistes Det D sous ‘tes quelle te ew est de plus ‘en phe Sonn, oud te “naduirons. par’”> Bon 132 déplacement, un type d'armure définis par ta regle du jeu) de- vront étre franchis par les joueurs. Le Maitre du Donjon est tout puissant, il va diriger la partie un peu comme un directeur de th tre mene ses comédiens. Les au- tres joueurs — il peut y en avoir de 2A 10 ov 20 — doivent par- tir & Ia recherche des « richesses fabuleuses» cachées dans les donjons en utilisant au mieux les qualités et les défauts des carac- teres quiils auront choisi d'inear- ner. On erée un caractére & Maide de 3 dés & six faces (les autres dés du jeu ont 4, 8, 12 ou 20 faces). Le chiffre obtenu par un coup de dés détermine le degré de force, d'intelligence, de sa- gesse, de santé. d'agilité et ascendant (pouvoir sur les au- tres) de chaque personnage. Pre- nons un exemple: siun joueur obtient 18 — le maximum — pour la premigre qualité, il sera super-puissant : sil obtient 3 — fe minimum — i aura a peine la force de livrer Bataille & un en- fant. Lorsque chaque joueur pos- séde ses caractéristiques, il choisit Te personage qu'il va représenter et qui épouse le mieux les quali- tés et les faiblesses que lui a attribuges Je hasard. Un_ parti pant ayant une force supérieure & 13 est d'office un guerrier ; s'il a recu une intelligence plus grande que 13, i sera de préférence un magicien ; T'ecclésiastique devra avoir un’ fort ascendant sur_ les autres, les voleurs seront agiles, es nains posséderont une santé & toute épreuve. Certains ca- ractéres peuvent réunir plusieurs particularit les les ecclésiastiques-magi- ciens, ete., seront_ des personna- ges puissants qui bénéficieront dravantages cumulés, Au début du jeu, chaque joueur regoit une quantité de pitces d'or. Le mon. tant est décidé par les dés qu'il pourra utiliser pour acheter des armes (dague, épée, armure, cor des, fleches, ‘etc.), “des charmes, des. poisons, des ‘maléfices, etc Chaque joucur a également la possibilité d’accroitre sa_caracté- ristique principale (la force pour un guerrier ou T'agilité pour un voleur) en diminuant le reste de ses autres qualités. Chacun, enfin, détermine par un coup de dés Ie niveau des « dommages » ou bles- sures quil peut supporter. Les personnages sont représentés par des petites figurines de plomb — souvent fort belles — qui vont se déplacer sur la carte du cha. teau A une vitesse variable, un guerrier portant armure avancera moins vite qu'un voleur sans équipement. Un joucur poursuivi aura done tendance & se débar- rasser de ses armes pour avancer plus vite. La fagon dont chaque personage réussit ou échoue de- ge, le degré d'aide ou au conteaire 'd’hostilité é par chaque caractére rencontré dans le donjon, sont également détermings par les dés. Tout au long du jeu. en fonction des ob- stacles surmontés, le joueur re- goit des points « expériences > qui viennent aceroitre ses. caractéris- tiques propres. Bien souvent, les Personnages ont plusieurs solu- tions pour se sortir d'une passe ils doivent donc, & cha- en fonction des parti- de leur caractére, de celles des adversaires, évaluer leurs probabilités de suc prendre la décision Ia meilleure. On ne gagne ow on ne perd ju mais complétement. On sort sim- plement plus puissant ou plus faible d'une partie qui peut durer des heures, des mois, voire des semaines, des net de ta régle du quieffleurer les sub. tilités. et_la complexité de Don- jons et Dragons. Pour s’en con- vainere, i suffit' de feuilleter les 48 pages de la régle du jeu «de base », laquelle est complétée par une regle du jeu «avancée >, & laquelle viennent encore s'ajouter un livre de descriptions des ca ractéristiques de 350 mohstres que peut utiliser ie Maitre du Donjon, un manuel de définitions des caractéres médiévaux que peuvent épouser les joueurs, et tun guide au service du Maitre du Donjon pour Vaider & fabriquer je théltre des aventures et a le parsemer de pigges et de trappes. Rien ne pouvait laisser prévoir le succés de ce jeu. Tl n'y a jamais eu de campagne publicitaire pour le lancer. Le manuel et les cing dés qui composent le jeu de base riattirent guére [oil dans les boutiques spécialisées, et feuille ter le livre expliquant les régles a da décourager plus d'un ache- Les passionnés de D et D vont jusqu’a revetir I'habit de leur per- ‘sonnage moyenageux. teur potenticl. Et pourtant, au- jourd’hui, des centaines de’ mil liers de jeunes, de New York a Los Angeles, jouent parfois de 8 A 10 heures de suite comme Gest Te cay de Jost Weisel, un lycéen californien tr&s brillant de Bans, qui passe de 20 % 30 heu- res par semaine & jouer et a étu- dier de nouvelles. stratégies. A iversité de Iowa, les étu- diants amateurs de D et D jouent tous les jours. Au California Institute of Technology & Pasa- dena, en Californie, des groupes se réunissent deux’ fois par se- maine, le vendredi et le diman- che, et les joueurs se bouscu- Tent pour entrer dans les inter- minables parties auxquelles par- ticipe parfois ordinateur de Vinstitut. Aux universités de Chi cago, de Columbia, de Dart- mouth, de Colby, on a créé des clubs d'étudiants’ qui consacrent leurs loisirs & Det D. On joue a Harvard, & UCLA (University of California Los Angeles). Au nord de la Californie, Etat ou il y a le pluy dadeptes, il y a méme un collége, Ie college de Anza, prés de San José, qui donne un cours de six semaines pour initier les futurs joucurs. Des clubs se sont eréés spontanément dans les bou! tiques de jeux de Virginie, du Wisconsin, du Maryland et_ de Californie, Et un des premiers tournois de D et D_a eu liew en mai dernier 4 Washingion durant uune convention consacrée i li svience fiction. Certains groupes ont voulu donner une autre di- mension au jeu et ont quitté espace restreint d'une pice pour aller jouer sur le terrain. La, c'est un dédale de tunnels oi passent les tuyaux de chauffage qui sont utilisés comme site des aventu: res; ailleurs, c'est’ le labyrinthe des sous-sols de T'université, Lors que le 15 aodt dernier, James Dallas Egbert. un étudiant en in- formatique de 16 ans, extréme- ment brillant, a disparu du cam- pus de T'université du Michigan, on sut plus tard que était -une fugue, mais les enquétcurs étaient persuadés que sa disparition était lige au jeu D et D. D'autres joueurs se fabriquent les costu- mes de leurs personnages. A Aus- tin, au Texas, les passionnés se retrouvent chaque semaine: ils sont vétus de costumes dur Mayen Age et poitent des armies 1épli ques des années de époque. sculptées dans du rotin, A Rock: ville dans le Maryland, un groupe qui s'est baptisé Dagorhir, joue dans les bois ct les champs du comté de Montgomery. A Tuni- versité de Caroline du Nord, on se plaint que les joueurs surchar gent ordinateur en y introdui- sant des scénarios de jeu tres complexes. En décembre, un club de Long Beach va organiser avec Jes Joueurs de Tuniversité de UCLA une partie sur le terrain ott chacun des parti porter le costume de son’ carac tere Comment expliquer le succ’s de (age des joueurs s‘étale de 13 & 40 ans)? Bien qu'il soit d'un ap- prentissage difficile, D et D a un certain nombre de qualités qui ont attiré les jeunes Améri Drabord, c'est tun jeu od Ia part de chance équilibre assez bien la part de réflexion. Les bons joueurs, ceux qui savent analyser Teurs probabilités de réussite ou déchee, sont vite récompensés et voient la puissance de leur per- sonnage s'accroitre. Ensuite, D et D Jaisse une grande part a Vim: gination, et c'est sans doute Tune de ses plus grandes qualités. Une partie resemble presque & une piéce de théitre of les joucurs he se contentent pas de déplacer des pions, mais jouent de vérita- bles rdles. Le temps d'un jeu, les joucurs quittent par Mesprit. le monde du XXe sigele pour entrer dans celui d'un Moyen Age ima- ginaire oi des magiciens et des mhonstres coexistent, ol les régle de la chevalerie sont & respecte ott la cruauté ne porte pas i conséquence, Les participants sont sans doute aitirés par le suspense qui regne tout au long d'une partie. ls ne savent jamais & Tavance les pie- ges quiils vont rencontrer. Le jew est tres ouvert ; de nouveaux per- sonnages peuvent se joindre a nimporte quel moment. Les joueurs apprennent aussi & res- pecter et 4 obéir au Maitre du Donjon qui fait figure de « Pere Mystique et Magique ». Pour beaucoup de jeunes, D et D est devenur plus qu'un jeu. Cest tun véritable hobby oi ils englou- tissent toutes leurs économies. Le jeu de base n'est pas cotteux — 2 peine SO F — mais les joueurs avertis achétent les manuels_ per fectionnés, les jeux de dés les plus luxueux, et surtout les figu rines de plomb représentant les personages ou les monsires. De nombreux jeunes passent des heu- es peindre ces petites figures de métal. Certains _ passionnés possédent plus de 150 figurines. Diautres se fabriquent les. costu- mes de leur personnage et il n'est pas rare qu'un joucur inves- tisse de 2000 & 3000 F pour sa- tisfaire sa passion, alors qu'en théorie un bloc de papier, un crayon et cing dés de plastique suffisent Les premiers étonnés du succés de leur jeu, ce sont sans doute les deux inventeurs, Gary Gigax et Dave Arneson. Tis ont créé la premiere version pour leur pro- pre plaisir en 1974. A lépoque, Gary Gigax était cordonnier. 1 est aujourd'hui président-directeur général de TSK Hobbies, société qui édite et vend D et D et a fait en 1978 un chiffre daffaires de 1 milliard de francs. La compa- gnie de Gary Gigax public éga- Tement une revue mensuelle bap tisge Dragon, qui tient les pase sionnés au courant de ses der- niers développements, et elle édite deux autres jeux dérivés de Det D: «Le Monde des gam- ma> et «Métamorphoses ». Le jeu est vendu en France (Jeux Descartes). mais en version ori- ginale seulement. La traduction est A P'étude. Francoi: HARROIS-MONIN & 13

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