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ANNALS DE LA FONDATION FYSSEN Du végétal a Vhumain JEAN-PIERRE CHAUMEIL, ‘Chargé de recherche ax CNRS Titulaire d'une thése de 3° cycle en ethnologie soutenue en 1982. T’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (E.HLE.S. ha direction de M™ S. Dreyfu Gamelon et publiée en 1983 aux éditions de PE.H.E.S.S., JP. Chaumeil est membre de l'Equipe de Recherche en Ethnologie Amérindienne (E.R. 324 du CNRS). Admis au CNRS. en 1984, il poursuit actuellement des recherches sur le chamanisme sud- amérindien et ses développements contemporains dans le cadre d'une these d'état, ainsi que sur Pethnologie et Phistoire des ensembles pluriethniques du centre Une conception « énergétique » de l’évolution en basse Amazonie péruvienne. Le concept d’énergie circulante ou « recyclante » dans les cosmologies amazoniennes a trouvé son entier développement, et d’une certaine maniére son exemplarité, dans les travaux de Reichel-Dolmatoff sur les Desana du Vaupés (1973, 1978). Liidée selon laquelle Péquilibre cos- 15 J-P. Chaumeil Amazone, De 1971 2 1987, il a effectué dix missions de recherche (dont deux, en 1980 et 1983, financées par la Fondation FYSSEN 8 laquelle il adresse ses plus vifs remerciements) chez les Yagua de l’Amazonie péruvienne auxquels il a consacrés plusieurs ouvrages : Historia y migraciones Yagua (Lima, 1981), Voir, savoir, pouvoir. Le chamanisme chez les Yagua du Nord-est péruvien (Paris, 1983), Between zoo and slavery. The Yagua of Eastern Peru in their present situation (Copenhague, 1984), et une monographie intitulée Nihamqwo (Lima, 1987), ainsi qu’une vingtaine articles parus dans des revues spécialisées. J-P. Chaumeil a assuré pendant deux années consécutives (1983-84 et 1984-85) une charge de conférences & PEcole Pratique des Hautes Etudes (E.P-ELE., V section, « Sciences religieuses »), dans le cadre de Ia Direction d'étude de Mme R. Hamayon, sur Pétude comparée des systémes chamaniques sudamérindiens, et participera cette année comme conférencier au Séminaire EES. organisé pat le Laboratoire d’Anthropologie Sociale sur « Symbolismes amérindiens : approches comparatives ». 16 Dur végétal dt Vhuomain + mique repose essentiellement sur le maintien et la mise en cicculation d'un pocentielénergétique fluide,limité et dilué dans la biosphire en circuit fermé, apparaiten effet comme tun trait conscient de la structure cosmologique de nombreuses socixés duu nond-est amazonien (J. Jackson, 1983). Une telle conception de Punivers en équilibre dyna- ‘mique rappele trop le mécanisme déliat du corps humain soumnisa 'stvité des fuides organiques (sang, sperm, lit, hhumeurs) pour qu’on ne rléve pas Panalogie. La personne humaine doit de méme, pour jouir d'une pleine santé, respecter un certain équilibre dans le dosage de ses comy suntes vitales. Crest ainsi que les Desana (op. cit.) expli- quent a maladie par un déséquilibre dans les proportions et Fintensité de Pénergie chromatique que tout individ dient en quantitéégale des la naissance, puisque transmise par le sperme et le sang de ses parents. Les Yekuana véné= zuéliens (D., De Barandiaran, 1980) ont développé quant & eux Tidée d'une hirarchisation des énergies vitales présentes dans tout étre vivant (depuis les minéraux jusqu’aux humains et aux civinités), de tlle sorte que la rencontre inopportune entre deux énergies de rangs diffé- rents est fatale pour celle de rang nférieur. On pourrait sans date interpréter dela méme manitre les maladies par rapt ames ow par pénétration de substances léales comme un déséquilibre par excts ou par défau d’énerpie vitae (voirle concept de maladie « chaude » ou « froide » dans A. Butt Colson etal, 1983). Defagon identique, out manquement aux rgles de maintien de Pénergie cosmique sera-t-l inter préé comme un affaiblissement global des ressources mises {la disposition des hommes. Ces erners pourronten effet soustraire de environnement naturel ce dont ls ont besoin Acondition de rinjecter dans le circuit, par divers procédés, tune forme d’énergic équivalente a celle libérée. Génératrice de vieau sens générique, énergie substance ‘st ainsi censéeinriguer Pensemble des organisms vivants. Cependant, application d’un tel principe vital généraliséau monde animé ninduit nulle confusion entre la trés grande dliversivé des esptces vivantes, comme Patteste la tichesse des taxinomies indigenes. Toutes les socigtés dstinguent en effet entre le végétal, Panimal ec Vhumain, Mais tandis que certaines d entre elles n’établissent aueun len de continuité entre les trois termes de a série - comme cela semble e cas des Embera dur Choco colombien (G. Vasco, 1985) pour J-P. Chaumeil : Du végétal & Vhumain Iquitos eo Te BRAZIL a2" Derniers représentants de la famille linguistique Peba-Yagua, les Yagua occupen un vasce territoire compris dans le triangle formé par les fleuves Pucumayo-Yavari-Napo, avec I'Amazone pour axe médian. Ils globalisene 3500 per- sonnes environ réparties en une soisancaine de groupes locaux. La chasse et Lessartage constituent Ia base de lour Apr teanquille qui le processus @humanisation est posé comme résultat d'une série de disjonction entre ééments originellement tans (opposition nature/culture)- d'autres les situent dans ‘un continuum allant des étres les plus « simples», rangés du coté dela nature, vers ceux plus « complexes » dont les humains, eres de culture sen es, incarnent le modele le plus achevé, Il serait tentant de voir dervitre ce systéme agraduel de passage du « simple au complexe » Pébauche une « théorie » évolutionniste plaquée sur Paxe nature- culture, Or, telle ne semble pas ére la conception générale. Chez les Jivaro-Achuar de PEquateus par exemple (Ph Descols, 1986 : 399-400), lécare differentel entre les Inumains (» étres complets”) et les res de la nature se mesure au degré de communicabilié (la possblité ou non instaurer Véchange verbal, de sociabilté ou de distance cosmologique, en dehors de voute idée d'évolution. Chez les Bororo du Brésil central (C. Crocker, 1985 : 121-122), etre humain et certaines especes animales occupent le centre d'un continoum opposant deux principes compl rmentaites (arae/bope)’ toute forme de vie. Les autres orga- nismes vivants oscillent un péle autre du continuum sans forcément synchroniser leurs deux principes complé- ‘mentaires. Nous aurions en somme ici expression d'un dualism et d'un complémentarisme universe de type-yin- ‘yang, sais point didée d'évolution. En revanche, che les 18, Du végétal @ Pbumain Yagua de Amazonie péruvienne, auxquels nous eonsaere- rons les pages qui suivent, l'idée d'une transformation progressive des espéces vivantes 4 partir de leur essence végétale semble solidement anerée. Une telle conception trouve par ailleurs écho dans les mythes, dans Pidéologie de |h gestation-procréation et dans Vordre séquentiel des visions chamaniques (cf infra). acquisition de la parole comme critére qPhumanisation est ici subordonnée « Péclatement » de Pénergie vitale en enttés individual’ sées, communes dans leur perfection aux seuls eres de langage. Par contrasteavec Pexemple Achar, est moins la facuté de parole qui etic discriminante que existence ou nnon de I” instance qui la fonde. On s'attachera done at mécanisme de transformation de Vénergie généralisée en énexgies autonomes (ou « Ames») comme base du processus dhumanisation et de réparttion des espces dans le systtme de représentation Yagua. Lunivers comme équilibre dynamique : énergie circulante ‘Comme beaucoup de sociétés amazoniennes, les Yagua congoivent univers sous les tests d'une gigantesque ‘machine physiologique. Celle-larticuleentre eux plusieuts rmondes superposés & aide dun faisceau da arteres » cosmiques (trajectoire solare, voie latée, foude, et), le ‘out maintenu en équilbre par unfluxconstane énergie. A instar du mécanisme sanguin, cete énergie vtale bamwoo, ‘manant du Feu céleste, se propage dans ls divers mondes par Vintermédiaire du soleil x é (diffuseur dénergie) chaque fois que Pastre décroit pour entamer sa longue rév0- lution au-dessous de Ia terre. A Vineerception du soleil, chaque monde se charge d'un potentiel énergétique indis- ppensable aux formes de vie qu'il développe. Lorsque Paste touche la terre, il injecte ume quantité donnée d'énergje (waduit comme un acte de fécondation) qui coure & Pétat brut sous la surface de la terre. Cette énergie souterraine inflwée par les « pores » de la terre est ensuite asprée & la surface par les racines absorbantes des plantes et demeute stockée a Fimérieur des végétaux dont elle fournit la ««nourriture » sous forme de séve (équivalent végétal du sang). Toutefois, la difference des cutigenes batasara qui absorbent intégralité de énergie aspirée, certains végétaux ‘aptent beaucoup plus d'énergie quis n’en consomment | | | | | | JeP. Chaumeil pour leur propre eroissance : ce sont les plantes-pouvoir hariewaéara, repérables 4 leur odeur pénétrance et & leur saveur amére hritvera, pare lesquelles figurent les halla noggnes sino les remides paita et les poisons awatia Arrétons-nous un instant sur le concept de bamtwo. Dans son acception Ia plus large, soit comme principe cosmologique abstrait, hamwo désigne le flux énergie nécessaire 4 Véquilibre dynamique du monde comme & toute forme de vie susceptible de s'y déployer. A cet égard, ct par contraste avec ses développements.ultérieurs, ‘bamoo éhappe sur le plan grammatical & la marque du pluril puisqu'l es ici envisagé comme principe englobant Ponivers du vivant, siskatia, « ee-quicvit ». Pompée du sous-sol, "énergie bammaoo irigue chaque espce végétale sous forme de seve rééia et de stock vital bamewo que les ‘Yagua traduisent dans ce cas par « mére » végétale(diffé- rent sur fe plan lexical de rinéna « mire génicice »). Usuel Jement traitées au singulier, les « mares » des plantes peuvent néanmoins prendre la marque dw pluril, batoa lorsqu’elles sont comprabilsées par les chamanes comme enttésclserétes sous la forme d'espritsauxilaires (lles sont alors le plus souvent anthropomorphisées). Une fois emmagasinée dans le végétal, énergie hamwo se répand son tour, par voie assimilation, dans les diffé- rentes espéces animales, puis humaines (les Yagua distin- sguent phisieurs catégories d’humains) sous forme non plus de substance brute, mais de fluides organiques, de « force » concentrée dans les dents et les os et d’« ames » logées & Fintérieurdu corps qu’elles« animent »,siskatia. AVheure de la mort eependant, les Ames humaines, au nombre de cing, quittent définitivement le corps fntve. Deux dentre alles, bunisét ct buiitn, gouvernant respectiverent la vision et la motrcié, gagnent en compagnie desprits psychopompes la « terre des morts », stuée dans le ciel ‘empyrée, poor se fondre & nouveau en énergie céleste qui sera plus tard réinjectée dans le circuit, Les Ames restantes, abaryden, vagabondent alentour dela sépulture en quéte de sang humain (rappelant & cet égard nos vampires dracu- Kens), avant de se méamorphoser en diverses espices animales. En somme une fraetion de Vénergie vitale de homme qui se nourrt, durant son existence, de chair animale, retoorne ’énergie animale aprés la mort, une fois repue de sang humain, « force nourrissante » du corps. Du végétal & Uemain Ainsi autovalimem, le circuit énergétique s'autorepro~ dluirait inclefinimene sl n'y avait cette source tojours possible de déperdicion d'énergle que sont les transgres- sions d'imerdits. Des rtuels de réparation deveont alors dere eélebrés pour suppléer énergie détillane. En ce sens, ces rituels peuvent apparaitre comme des micro-méca- nismes de reproduction d’énergie. Dans ce systéme complexe oit Phomme partcipe ala fois comme détenteur ames et producteur de rieuls il est pas indifferent de relever que les Yagua s’autodénomment iitbamwo, « les gens », mais aussi la « personne », « Petre humain » (dans ce demir eas, le terme peut prendre la marque du pluie, ‘iba, « plusieurs personnes yagua »,Aibamwo s'appli- quant la totalité yagua), que on pourrait encore gloser comme « gens-soeil » ou « énergie-solel » (i= solel. On retrouve ainsi le concept hamwo d’un bout & Pautre du circuit, depuis sa défintion Ia. plus abstaite (principe cosmologique) son expression la plus concrete : les “Yagua, & Ia fois comme « totalté ethnique » et comme unitéde vie ;Pindivida sorte demodele réduitdela coraieé cosmique congue & son image. Du végétal & 'humain : ébauche d'un systéme classificatoire, L’énergie solare, avons-nous dit, sinfitre par les «pores » de la tere pour atteindre le coeur des plantes of: alle séjourme avant de se répandre dans les autres especes vivantes. La eapacité de stockage dénergi des végéraux serait rapprocher de leur postion de « producteur » dans la chaine alimentaire. Toutefois es végétaux qui, rappelons- le, n'ont point d’ame formée mais une essence commune par espace (premiere fission de énergie généralisse basée sor la disparité des vertus aspirantes des racines, sorte de cordon ombilcal enfoui dans le ventre de Ia terr), sont surtout répués détenir du savoir ndatara, en quantité proportionnelle & leur charge énergétique. Bien que la correspondance entre énergie et savoir ne fasse objec d'au- cane glose particulgre dela part des indigenes, il ne semble pas que on puisse Pexpliquer par le rle « producteur » des végétaux. En effet, selon la conception Yagua,le végétal ‘est issu de Funion fécondante de lénergie solaire avec le « corpstterre » mékaindi, En somme, le végétal appara comme le résultat Wane premitre gestation au cours de 19 J-P. Chaumeil (voir sur o@." alors se laquelle il ese « nour! » comme un embr hime L- Racine, 1986 : 31 et suivante) Fou tourner vers ks nombreuses vertus (¢hérapeutiques,Iétales, hallucinogenes) des plantes pour voir en elles le creuset swvoir ? Toujours esti qu’au filde leur lene évolution, ls ‘organisms vivants perdent inexorablement de ce savoir comologique, mais gagnent en retour, parallélement au processus cle coagulation d'énergie, un certain nombre de faculeés (sensoriells, motrees,incellectuelles) ainsi qu’une morphologic et des comportements propres. Sans trop entrer dansles détails les Yagua placentimmé- lacement audessus des végétaus une classe e'eres « mix végétaux/mi-animaux », trop proches par h substance de Vanivers végétal et souterrain pour mener une existence pkeinement autonome. Le faible développement de leur composante énergétique ne leur autorise qu'une mnotricité héscante, comme soumise & un automatisme inréfléchi Peincure clanique de Varbre-d-sarbacane Leur vue et leur intelligence sont encore 3 état d” ébauche. La dentition, Possature et le systéme sanguin sont inexis- tants, Leur appareil phonatoire des plus archaigues permet quelques crs, a la différence des végétaux qui sont dits < muets », nenékiara malgré leur eapacité émettre certains signauxe sonores (captés par les chamanes). Les Yagua classent dans cette catégorie les arthropodes (inver~ sébrés) tels que myriapodes, arachnids, insectes, et les 20 Du végétal i Uumain anndides (terricoles) commeles sangsues et ls vers de terre ‘qui sont, avec les chenilles et les insectes zoophytes, les formes les plus primitives (« rampantes ») de Panimalité selon les Yagua. Sl nvexiste aucun terme indigene suscep- wible de tence compte globalement de cette eatégorie ewes vivants, les Yagua emploient néanmoins 3 leur égard, et de facon exclusive, le type de construction nom de Vorganisme-support J banwo / nom générique de Fanimal ex: larve du palmier Mauritia flexuosa, ndasebamswo- ndase hamevo tin palmer J «mite» 1 larve (g6nérique) Mauritia ver du tabae stindebinabamwwontinu stindebina bamwo ntionn plant de tabac/ «mere» —/ ver (généri- que) Cesanimaux,qui se nourrissentet croissent au détriment ales organismes qui les supportent, maintiennent envers ces deeniers un rapport de « mére » hamwo, traduisanten cel leur imerdépendance, pour ne pas dire une certaine identité dle substance. Il ne faudrait eependant pas confondre ce dernier concept de « mére-parasite » avec celui de «mere » des végétaux, tel que nous Pavons défini antérieu- rement. Dans le cas précis du palmier Manritia— mais cela pourrait s'appliquer plus largement ~ il est intéressant de noter que la larve riinu, jusqu’alors indissociable de sa composunte végétale, change de nom une fois transformée, adult, en une espice précise de coléopttre aktu, dout auronomie et capable de se reproduire et engendrer du Un pas décisf vers Panimalité widest franchi avec Pap pavition du squelette wind’ ct de la dentition babéde tectari, organes de concentration dane « force vitale » hparie (verme_indiféremment employé pour « force esprit » et « force muscular»). Les animaux de cette JeP. Chaumeil classe (parm lesquels on compre les poissons; les reptiles et Jes batraciens) ne disposent pas eneore dune densité énergie suffisante pour donner lew 4 une Ame propre iment dite. En revanche, grice au bénéfice de ka « force », ears facultés sensorielles et motrces se développent. Les comps se recouvrent «calles, de cuirasse, de carapace, se prolongent ce nageoires, de pattes (qui ploient encore sous le poids du corps), s'arment de dents coupantes, de crochets, ete. L'acuité visulle s'affine, méme si eeraines espaces de poissons sont dives « aveugles » nes'yo. La dentition permet émission de sonsarticulés quine sont pas encore intellgibles pour les humains (excepté les chamanes).. La présence d'« Ame » dans Porganisme introduit la ‘woisitme classe «animaux (mammifores, oiseaux) et amorce ascension progressive vers|’humanité. La earacté- ristique essentielle de cette classe, par contraste avec les précédentes, est Vidée d'une certaine « vertcalité » des especes, exprimée par le verbe nridrane, « se lever », « se mettre debout » : ln station « sur pattes » (bisamann= twamati « les quatre-pares » eves « &tres-ilés » répaet— de sarépa = «ile ») par opposition & la position « rampante ». L’ime animale, widimbaydtw affine pat ailleurs le systéme sensoriel (notamment Pouie, Fodor et Ia vue) et les qualités motrices des organismes jusqu’’ leur cctroyer une agiitéinégalé et art de voter, mais demeure relativement embryonnaire au niveau inellectuel, soumise ‘u'elle est & lemprise constante de pulsions instineives. Non que les Yagus n’accordent aucune marque de civil aux quadruptdes et volatiles, mais a plupart d'entre eux se ‘complaisent dans la luxure et pratiquent couramment Pin- ceste, bafouant ainsi les principes les plus élémentaires de socibilté etl gle d’exogamie. Les Yagua répertorient en effet les animaux par « race » dte (notion d'espice). A la ifférence des humains ~ distribués en clans exogames portant le nom danimaux ou de végétaux — les animaux Saccouplent & Pintérieur de leur dte. Ausommetdu régneanimal cependant, il est des espces ui dominent toutes les autres ; ce sont les gros mammi- feres et es fins qui sont pensés dévenir, Ii humains, cing Ames, modele de la eréation dans de plus parfait, de plus achevé, Toutefois, outre Pexogamie Du végétal a Poumain + clanique, Pune des distinctions fondamentales des humains par rapport cette demiare classe d’animau tient dans une ‘meileare harmonisation de leurs Ames, ce qui eur vaut le privilege exclusf dela bipédie bérubrimdda (« sur picds » et non plus « sur pattes») Parallélement a la station debout loppent le langage humsin et Pintelligence, demeurée& Métatrudimen- taire chez Panimal. ‘Des cing ames humaines, la premigre buenisét apparait dlans la pupile dds Pouverture des yeux: chez le nouveau llecomrnandela vision ec intelligence dontlesitge est lecerveau ria, cerme qui désigne aussi la seve végétale (of. supra) La seconde ame burt campeau soramee du crane (Gincipu) et gouverne fa motricié. Non donnée a la mais sance, elle est acquise és que Fenfant marche « debout ».. Les trois ames restantes (extériorisées seulement apres la mort, of. supra) se rapprochent de Panimalité par leur impulsivié et leur vampirisme exacerbé. Filles ne sont pas sans rappeler le concept d's ime-animal » des Indiens fuarani, opposé 4 I'« Ame-parole », associée aux végétaux (Nimuendaju, 1978 : $5 ; M. Bartolomé, 1977 : 74 ; E. Schaden, 1974 : 112). Par ailleurs, et contrairement aux Desina pour qui Pame humaine est un élément interchan- sgeable et impersonnel, tout en étant le plus vital (G. Reichel-Dolmatoff, 973 : 89), ime chez les Yagua est fortement individualisée. Sion consiére & présent Paxe evolution, on passe done, sans discontinuité apparente, dda concept rts abstrait énergie comme substance généra- lisge ceux de « mére » puis d’me comme entté la plus individualisée ; soit du végétal & Phumain par animaux interposés. On retrouve ce méme processus & Poeuvre dans la ythologie oi le végétal est Forigine des cans, Ces en effet en frappant un amas de détritus végétaux que les Jomeaux mythiques eréérent les « gens » en les appelant par leur nom elanique d'origine végétale ou animale, Dans le symbolisme yagua, les déchets végétaux sont associés & tune matrice placentaire. Cette méme idée est acerédiée par les visions chamaniques lors des prises répésées de drogues 1en déailé des visions révéle une méme progression «du végétal 4 Phumain, dont voici le modéle général (Chau- mil, 1985) a J-P. Chaumeil chandelle | premiére vision commune § Fensem- ardente | ble des prises 'hallucinogenes, ren- ° voie au concept d'éncrgie cleste : (feu cateste) | povillons... | végétaux), associés au végétal ou au monde souterrain (pré-végétal ?) d | serpents | (2oéphales, : | SMentés..) j | Jumeaux | premiers ancteres humains, reavoie } au cycle des Jumeaux mythiques, créateurs ou transformateuss del'hu- D : : rmanité ares fates achewés, enters humains Lintéressant est que le seul de communicabilié avec les esprts des plantes est précisément ateint lorsque ceux-ci sont visvalisés par les chamanes sous leur apparence hhumaine. Mais cst dans les théories indigénes de la conception, de la gestation et de la proeréation que V'ana- logie est plus frappante Le processus de fécondation cher les Yagua est lig aux manifestations lunaires (autre forme d’énergie cosmique associge au solell, neveu de la lune dans la mythologie) et s'exprime chez la femme par? interruption des menstrues. Dis lors, Fembryon est « nourri » par Je sperme de homme (équivalent du ait maternel pour le nouttisson), ce quia pour effet Pactivation des rapportssexuels pendant Ja grossesse. Pour « ouvrir » (favoriser) ce processus, les femmes yagua absorbent des décoctions extraites de bulbes de cypéracées (Soucher, plante herbacée), dont certaines vvatigtés servent encore pour faite Paccouchement, mais aussi comme contraceptif et abort lest intéressane de ‘oter que cette méme plant est utlsée par les chamanes, 22 Du végétal & Vhumain Souchet (Cypéracées) pour « ouvir » le eycle des prises ehalucinogenes (Chau meil, 1983 : 99) et par Pessarteuravantles semis pour favo- rise la eroissance des futurs cultigénes. Un méme végétal a donc pouvoir d's ouvir», tout 4 [a fois, la terre, les femmes et les chamanes. L’association entre développe- ‘ment foetal et ervissance végétale jouit par ailleurs une certaine diffusion en Amazonie. Chez. les Desana par exemple (Reichel-Dolmatolf, 1978 : 259), yahsdro, mot ui se réfere ala croissance végétale et la germination des feuilles, contientP idée de « verdeur » (immavurité) et de développement de Ja vie dans la matrice. A partir exemples océaniens, L. Racine (1986 : 31-32) a bien souligné la récurrence dientté entre le modele de gesta- tion végétal et humain, { | | i | | 4 \ J-P. Chaumeil : Peincure corporelle appliquée & un enfant en cours iniciacion ‘Durant toute la période de gestation et apréslanaissance de enfant jusqu"a Pacquisition de la marche, on se réfere a Ini par un seul terme générique ndara, sans distinction de sexe (on se rappellera exemple cié plus haut concernant a larve riinu). Juste aprés la parturition, le pare ~ dans une tmoindre mesure la mére —observe une période de couvade nesiskatia, «sans vie », « inerte», durant laguelle il doit svabstenir de chasser, de consommer du gros gibier et de imalteater les animaux familiers sous peine de nuire & la santé de Penfant. Peut-on rapprocher cette pratique (par ailleurs fore répandue en Amazonie) avec Paspect « pré= hhumain » du nouveau-né, op proche du monde animal avec leque il partage de nombreuses similitudes, tout en Giant relativement éloigné de univers végétal car défi dlécenteur d'un embryon dime ? és que Penfant marche (période qui correspond par ailleurs a la pereée des dents et & Papprentissage de la parole), il regoit un nom personnel associé & son clan lors Du végétal a Vhumain d'un grand situel qui marque son entrée dans la sociéé comme membre & part entre, “Tout se passe done comme si individu, dans sa propre coneeption,suivatfidélement le modéle de transformation de Tespéce qu’ représente, depuis la formation de Vembeyon sous sa modalicé végétale, pus animale, jusqu’d son éelosion humaine. On auraitainsi a Peeuvre une théorie indigene de Pévokution oi dimensions ontogénique et phylogénique se recouvrent. Ses) coromaia © eouaoon 7 * i BRAZIL Distribution des commumautés Yagua an Pérow. Note Cette bréve étude ne prend pas en compte les classifica tions ethmobotaniques et ethnozoologiques yagua = notamment les données relatives a la « parenté » des organismes vivants — qui, tout en constituant un systéme en 50i, sont connectées et éclairent le modéle dégagé ci= dessus, De méme ne sont pas intégrées les données mit ‘ques concernant la différenciation et les métamorphoses, 4 partir d'une bumanité primordiale, des diverses entités et classes naturelles. 23 JeP. Chaumeil : Dur végétal a Mhumain BIBLIOGRAPHIE BARTOLOME M.A., 1977, Orekuera roybendi, ‘Mexico + Instituto Indigenista Interamericano. BIDOU P,, 1977, « Notte et tre Tawuyo », Actes dt XLI Congyds International des Américanistes, vol. 2 105-120 BUTT COLSON A. & ARMELLADA C. de., 1983, An Amerindian derivation for Latin American Creole Ilnesses and their treatment », Social Science and Medi- cine, 17, (17) : 1229-1248, CHAUMEIL J-P., 1983, Voir, savoir, pouvoir. 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