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Les Avant-Gares Poétiques Espagnoles
Les Avant-Gares Poétiques Espagnoles
DOI : 10.4000/books.psn.1261
Éditeur : Presses Sorbonne Nouvelle
Lieu d’édition : Paris
Année d’édition : 1996
Date de mise en ligne : 12 avril 2017
Collection : Monde hispanophone
EAN électronique : 9782878547313
https://books.openedition.org
Édition imprimée
EAN (Édition imprimée) : 9782878541076
Nombre de pages : 170
Référence électronique
SALAÜN, Serge (dir.). Les avant-gardes poétiques espagnoles : Pratiques textuelles. Nouvelle édition [en
ligne]. Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 1996 (généré le 04 janvier 2024). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/psn/1261>. ISBN : 9782878547313. DOI : https://doi.org/10.4000/
books.psn.1261.
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1
RÉSUMÉS
Cet ouvrage représente le second volet des travaux du CRID (Centre de Recherche sur Idéologie et
Discours) sur les Avant-Gardes esthétiques espagnoles. Il s'intéresse plus spécialement à la poésie
qui a, plus intensément que les autres arts, joué un rôle dynamique dans l'Avant-Garde espagnole
des années 20. L'originalité des études réunies ici réside dans la volonté d'aborder, en priorité,
des œuvres appartenant à des auteurs et des courants représentatifs de cette Avant- Garde ;
l'Ultraïsme, le Créationnisme et le Surréalisme, trois «ismes» décisifs de l'histoire littéraire
espagnole entre 1918 et 1930. Le but de cette recherche n'est pas de revenir sur les aspects
théoriques, doctrinaux ou extérieurs de ces mouvements, mais d'analyser les «pratiques
textuelles» représentatives de ces Avant-gardes, pour en apprécier véritablement les éléments de
rupture ou de continuité.
2
SOMMAIRE
Présentation
Serge Salaün
Luis Cernuda ou l’écriture d’un autre désir a travers l’étude de La realidad y el deseo
Emmanuel Le Vagueresse
Introduction
Primeras Poesías (1924-1927), Egloga, Elegía, Oda (1927-1928), ou l’incertitude du désir
Un río, un amor (1929), Los placeres prohibidos (1931) ou le désir affirmé
Donde habite el olvido (1932-1933), Invocaciones a las gracias del mundo (1934-1935) ou la nostalgie du
désir
Conclusion
Présentation
Serge Salaün
française et européenne, revêt une importance décisive. Pendant ces années 10, 20 et
30, marquées par un cosmopolitisme intense qu’il n’est plus question désormais de
renier ou de sous-estimer (l’image d’une Espagne en marge de l’Europe, toujours en
retard d’une réforme et repliée sur ses valeurs, n’est plus guère de mise, surtout quand
on voit l’immense effort fourni par beaucoup de ces intellectuels espagnols liés aux
avant-gardes, véritables intermédiaires culturels entre l’Europe et la Péninsule3), la
confrontation entre la tradition hispanique et les innovations plus ou moins
étrangères, la « digestion » ou l’assimilation des influences successives qui déferlent en
Europe posent bien un problème essentiel. Comment la poésie espagnole, solidement
enracinée dans un passé vivant, jamais perçu — a la différence de la France et de son
alexandrin — comme obstacle à l’innovation ou au « progrès », pouvait-elle, sans avoir
à se renier, assimiler la mutation que les avant-gardes faisaient subir aux arts en
général, à la littérature en particulier, et même au langage lui-même. Comment la
poésie espagnole qui n’avait pas, au fond, à douter de l’efficacité moderne de son
appareil formel et rhétorique, pouvait-elle opérer, elle aussi, cette révolution du sens,
résoudre la crise de la représentation (liquidation du réalisme en art, du mimétisme
photographique, de la transparence du signe, de la crise de l’objet et du sujet, etc.) ;
l’enjeu était, répétons-le, important.
4 Les créateurs de l’époque, tout à fait indépendamment de leur appartenance plus ou
moins motivée à un « isme » ou à un autre4, n’ont pas souvent élaboré un discours
théorique homogène ou systématique, c’est même plutôt rare si l’on compare avec ce
qui se passe en France, mais leur pratique et leur écriture ne s’embarrassent pas d’états
d’âme et font preuve d’une grande souplesse et d’une indiscutable énergie. L’histoire de
l’influence du Futurisme en Espagne, par exemple, peut paraître d’une extrême
pauvreté si on la mesure en œuvre et en recueils ; elle est pourtant décisive dans le
souffle qu’il a provoqué (« les mots en liberté », voilà qui constituait bien un drapeau
suffisant) :
Yo nací —¡respetadme ! — con el cine,
bajo una red de cables y aviones
cuando fueron abolidas las carrozas
de los reyes y al auto subió el Papa.
Rafael ALBERTI
5 L’inventaire doctrinal des « ultraïstes » espagnols est fort mince (vers blanc, pas de
ponctuation et pas de rime) et il n’est que très rarement appliqué, même par les
membres les plus éminents du mouvement. Le conflit entre « ultraïsme » et
« créationnisme », en Espagne, trop souvent brouillé par des questions de personnes,
pourrait se résoudre en fait à un débat complémentaire entre une aspiration à la
modernité plus spirituelle que formelle (les tenants de 1’« Ultra ») et une aspiration à
une théorisation plus poussée (les créationnistes). Ce sont là deux façons tout à fait
compatibles de pratiquer la « modernité » littéraire ; les uns de façon plus viscérale et
ouverte, les autres avec des préoccupations plus techniciennes ou formelles. Les
« ultraïstes » ont fait souffler un vent de « jeunesse », de « liberté » et d’irrespect sur
toute l’Espagne, au nom de l’exigence d’une « nouvelle sensibilité », les
« créationnistes », qui prétendaient élaborer une esthétique cohérente, ont produit une
véritable doctrine de la métaphore et de la rupture logique, dans la ligne de Reverdy
(en plus systématique), qui préfigure celle d’André Breton (voir, en annexe, le texte de
Gerardo Diego sur l’image, un des apports les plus évidents de l’Espagne à l’avant-garde
littéraire, avec les Greguerías de Gómez de la Serna).
5
homosexuels (Cernuda, Lorca, Aleixandre7), parfois sous le coup d’un dépit amoureux
(Lorca, Cernuda), qui voient dans le Surréalisme, à la fois, la possibilité d’extérioriser
un désir et une hypothétique écriture de ce désir, en quelque sorte une légitimation
artistique et langagière de ce désir.
9 Le débat sur toutes les manifestations des avant-gardes poétiques peut donc se
poursuivre. On dispose aujourd’hui de la plupart des textes nécessaires, théoriques ou
poétiques, et le « matériel » français ou européen est d’un accès tout aussi aisé. Ce que
les participants au C.R.I.D. ont voulu apporter et qui se retrouve dans ce volume, c’est la
confrontation directe avec les textes, avec la « pratique textuelle » des poètes
espagnols, dans la droite ligne de 1’« explication de texte » ou de l’analyse de contenu
qui reste une grande spécialité française, même si elle connaît actuellement quelques
soubresauts ou quelque crise. Ne pas se satisfaire des étiquettes convenues, des dictats
de l’histoire littéraire devenus articles de foi (telle œuvre EST surréaliste...), mais
repérer au cœur de l’écriture et des formes, les manifestations verbales spécifiques des
avant-gardes, les influences ou les traces perceptibles du Surréalisme. L’entreprise
n’était guère facile parce qu’elle est encore rarissime sur ces corpus (et absente de la
tradition universitaire espagnole) et, également, parce qu’elle pose tout simplement le
problème de la méthode analytique de ces œuvres, le problème de l’adéquation de
l’instrument d’analyse à son objet. Dit autrement, la poésie (et le signe en général) a
bien opéré, pendant le premier tiers de ce siècle, une mutation radicale, mais il n’est
pas certain du tout que la pratique critique, même universitaire, ait su entreprendre la
même mutation.
10 Les cinq études réunies ici constituent bien une contribution originale, nouvelle, à la
connaissance des textes et des auteurs engagés dans une écriture avant-gardiste. Les
deux articles de Lidio J. Fernández, sur Juan Larrea et Gerardo Diego — deux figures
essentielles de l’époque, tant en théorie qu’en pratique — illustrent deux démarches
personnelles, deux tentatives d’acclimatation en espagnol des préceptes les plus
radicaux de la rupture poétique. L’article de Zoraida Carandell propose une lecture de
deux œuvres de Rafael Alberti qui ont reçu les étiquettes les plus variées, dont
l’étiquette surréaliste ; ici encore, la confrontation avec le texte permet d’apprécier la
réalité de l’adhésion d’Alberti aux principes et aux méthodes surréalistes, ses limites
aussi. Les deux études sur Luis Cernuda, enfin, illustrent de façon convaincante les
mécanismes formels de l’influence surréaliste. Isabelle Cabrol montre fort bien
comment, dans une œuvre directement inspirée par la lecture des poésies surréalistes
d’Aragon et de Desnos, cette influence s’exerce activement et débouche cependant sur
des poèmes extrêmement structurés (mètres et strophes), élaborés, aux antipodes de
tout automatisme. Quant à Emmanuel Le Vagueresse, l’analyse qu’il suggère de
l’écriture d’un désir « autre » chez Cernuda, à la confluence des avant-gardes, du
surréalisme et du retour à une poésie « lyrique » d’un moi problématique ou angoissé,
offre des perspectives séduisantes sur l’écriture et la motivation du langage poétique.
Cette quête, de la part de Cernuda — le premier qui « ose » véritablement formuler sa
différence —, d’un signe adéquat à un « autre » désir, au cœur même des mots et des
formes et non pas en termes de thème ou de « contenu », a pu constituer un modèle ou
une référence pour de nombreux poètes espagnols entre 1929 et aujourd’hui ; l’impact
de l’œuvre de Cernuda, capital, revendiqué par beaucoup de poètes a été peu étudiée et
pourrait trouver ici une orientation tout à fait féconde.
7
11 On peut voir également que les œuvres dont il est question dans ces études, inscrites
dans des « écoles », des courants ou des préoccupations fort différentes, ont toutefois
en commun de reposer pour l’essentiel sur la métaphore et, de façon plus générale
encore, sur les mécanismes d’association « arbitraire » qui enrichissent infiniment le
sens par un dialogue inépuisable entre des opérations mentales ou sensibles,
intellectuelles ou charnelles (la dynamique des signifiants), logiques ou « imaginaires »,
simultanément et/ou successivement. La métaphore apparaît bien comme l’instrument
décisif de la modernité poétique et, par extension, de la modernité du signe et de la
signification, pour quelque « isme » que ce soit, pour quelque finalité littéraire ou
extra-littéraire que ce soit. Sur ce plan, la continuité entre les premières avant-gardes
et le Surréalisme est une évidence.
NOTES
1. Quelques titres importants. BRIHUEGA, Jaime, Manifiestos, proclamas, panfletos y textos doctrinales
(las vanguardias en España, 1910-1931), Madrid : Cátedra, 1979. Panorama très complet des textes
théoriques de l’époque, avec une bonne introduction. L’auteur est plus un spécialiste des arts
graphiques que de la littérature, mais comme tout vient de la peinture... Du même auteur, Las
vanguardias artísticas en España. 1909-1936, Madrid, Cátedra, 1981 (la thèse de l’auteur, toujours
davantage centrée sur les arts graphiques. SORIA OLMEDO, Andrés, Vanguardismo y crítica literaria
en España, Madrid : Istmo, 1988. Trent’anni di avanguardia spagnola, ed. de Gabriele Morelli, Milan :
Jaca Book, 1987. Recueil d’articles divers : un bon bilan sur certains « ismes » et auteurs. MAINER,
José-Carlos, La Edad de Plata (1902-1939) ; Madrid : Cátedra, Col. crítica y estudios literarios, 1983.
Poesía de la vanguardia española (Antología), edición de Germán Gullón, Madrid : Taurus, 1981 ou 83
(bonne introduction et bon panorama général de la poésie de ces années-là). GARCIA GALLEGO,
Jesús, Bibliografía y crítica del surrealismo y la generación del veintisiete, Málaga : Diputación
Provincial de Málaga, 1989 (ce n’est qu’une bibliographie, mais qui se veut complète sur le
surréalisme et, au-delà, sur toute la période). El surrealismo, Ed. de Víctor García de la Concha,
Madrid : Taurus, col. El escritor y la crítica, 1982 (recueil d’articles sur le surréalisme espagnol :
un peu de tout, des choses intéressantes bien qu’un peu anciennes déjà). Surrealismo. Εl ojo soluble,
Málaga : Litoral, n° 174-175-176 (très belle — et très chère — revue de Malaga consacrée au
Surréalisme espagnol et français. Inégal, mais des articles, des illustrations et des textes
intéressants).
2. Les institutions autonomiques canariennes ont pratiquement achevé la publication intégrale
des œuvres des membres de cette « faction surréaliste » de Ténérife, ainsi que l’édition fac-similé
de leur revue, la Gaceta de arte. Pour la Catalogne, la lecture du catalogue extrêmement abondant
des éditions « Noa nos Llibres d’art » donne une idée de la richesse bibliographique disponible
sur la Catalogne et les avant-gardes espagnoles en général.
3. Que l’on pense à des individus comme Ramón Gómez de la Serna, Rafael Cansinos-Asséns,
Gerardo Diego, Enrique Díez Canedo, Juan Larrea, Enrique Gómez Carrillo, Vicente Huidobro et le
plus actif de tous, Guillermo de Torre, qui, en plus de leur production personnelle, ont divulgué
les théories et les œuvres modernes du monde entier et ont exercé une activité de traducteur
réellement impressionnante.
8
...a cualquier experiencia vital corresponde una experiencia verbal [...] Hoy he
llegado a la identificación de la vida con la poesía7.
16 Dans cette poignée de poèmes de Grecia, Larrea utilise les différents degrés de
formation des images que G. Diego s’emploie à définir dans l’article souvent cité,
« Posibilidades creacionistas » (Cervantes, octobre 1919). Le poème « Otoño » (Grecia,
sept. 1919) est un autre exemple très caractéristique de ces « possibilités
créationnistes » qu’inaugure Larrea : la recherche des sonorités, l’effet de la disposition
typographique avec des espacements blancs qui témoignent d’un rapport à l’oralité, les
vers en escalier et l’absence de ponctuation qui poussent à briser la masse syntaxique,
pour ce qui est du signifiant proprement dit. D’autre part, la suppression de la
narration conduit à pouvoir libérer l’image de ses entraves syntagmatiques et laissent
les tropes briller de leur propre éclat, but poursuivi par les créationnistes. On voit une
caméra de cinéma fixée sur une automobile en marche qui filme une route (« Otoño »,
vers 6-8), et les lettres vont simuler la perspective filmique :
IBAMOS FILMANDO
17 Le cinéma donnait ainsi du mouvement aux objets évoqués dans le poème. Une image
semblable se lit dans Imagen de Diego :
como si fuesen serpentinas
voy desenrollando las callejas antiguas (« Carnaval »)
18 Le poème « Esfinge » (titre original dans la revue Grecia du 10 nov.1919) fut édité
ensuite dans Versión celeste avec, à la place du titre, le graphisme de deux triangles
inversés avec un point (un œil) au centrse et un croissant de lune entre les deux. Un
titre qui ressemble bien aux hiéroglyphes qui traduisent dans la langue des images des
rêves dont la visée est l’inconscient. Une sorte de rébus en relation directe avec le désir.
19 Mais ce rébus reproduit mimétiquement d’autres référents textuels, en contribuant
sémiotiquement à l’élaboration d’une isotopie profonde. Ce graphème hiéroglyphe
demande instamment une décodification.
20 D’abord, on s’aperçoit qu’il est redondant, qu’il parcourt sémiquement le poème, le
traverse comme un signe éclaté du langage poétique. Il ne s’agit pas d’un calligramme ;
il ne possède pas l’harmonie imitative de ce dernier, mais il engendre l’effet esthétique
visuel similaire lorsqu’il s’insère dans Γ isotopie du poème, à l’instar, par exemple, des
papiers collés de Picasso. Ainsi, l’idéogramme se poursuit d’une certaine façon dans le
premier vers : « La esfinge me clava los ojos ». Il y a donc un composant visuel très fort.
21 Une première lecture de l’œil et du triangle dénotent le regard, en tant que signe du
dieu-sphynx. Ce « leitmotiv » est repris à partir du vers 7, mais avec des images
insolites. Les deux mots qui signalent le regard du sphynx sont « Ojo » et « Triángulo ».
Les formes triangulaires finissent par sémantiser toutes les images : le titre, le sphynx,
les yeux, les feuilles, le sexe féminin, les ailes, les voiles... Ce qui donne l’impression
d’un tout bien échafaudé, chaque image se rattachant aux autres par l’un des sommets
des nombreux triangles.
22 Dans une lettre à G. Diego, Larrea donne quelques indices sur ce poème. Un premier
manuscrit disait : « Me ha mirado la esfinge con Ojos negros »8, et le vers 8 : « el
triángulo femenino y carnal ». Puis le poète s’est efforcé de donner des pistes de
décryptage, peut-être à cause de l’association vie - poésie, si chère à Larrea9. Le triangle
avec le sommet vers le haut connote la spiritualité (lumière solaire), alors que le
sommet vers le bas symbolise la lumière charnelle ou sensuelle, les amarres de la
14
involontaire » que Huidobro publiera dans sa revue Création (février 1924). Ici, Larrea
construit un tableau, car le choix des blancs et des pleins est soigneusement calculé
dans la page. L’effet visuel « cubiste » est indéniable. Voici les trois premiers vers :
Couchant Gare à vent
battant des ailes
un oiseau change le temps11.
29 Un peu plus tard, en 1926, Larrea signe avec le poète péruvien César Vallejo dans
Favorables Paris poema12, un Manifeste créationniste, qu’ils appellent Presupuesto vital et
dans lequel ils prônent une littérature où intelligence et sensibilité soient sollicitées à
parts égales. On peut y lire que dans le passé l’artiste utilisait l’une ou l’autre
séparément, comme si elles ne pouvaient cohabiter, alors que les deux contribuent
essentiellement à la création : « Esa energía cósmica e infatigable no perdona batalla
alguna [...] En el hombre por ella coexisten, con el animal, la matemática, la religión y el
arte » (ibid).
***
30 Les poèmes créationnistes de Juan Larrea dans la revue Grecia ont très significativement
posé le problème de la création poétique au moment même où la poésie espagnole
cherchait un nouvel élan. On peut considérer que cette douzaine de poèmes de Juan
Larrea ont ouvert la voie à des enrichissements considérables et des explorations
poétiques postérieures. Le but de tout poème est l’image créatrice. Les perspectives,
forcément incomplètes et parcellaires que l’on vient de lire, se présentent comme
autant de clés qui ouvrent sur des mondes nouveaux, insolites et merveilleux, à l’instar
de ces fameux vers de Huidobro : « Que el verbo sea comino una llave/que abra mil
puertas ». Le poème est pour Larrea un chapelet de métaphores, structure et maintien
de l’édifice, mais où d’autres modules imaginatifs peuvent à tout moment s’ajouter.
31 Larrea s’est acharné à donner à l’image le plus grand pouvoir évocateur. Il travaille le
vers comme le sculpteur cisèle sa statue d’ivoire, mais peut-être sans la finir, car le
lecteur est sollicité dans cette tâche. La seule réalité du poème est le mot sur le papier.
Par la magie de l’image, le mot devient la fleur toujours neuve, toujours différente du
jardin du poème.
32 Peu à peu, l’écriture transforma l’homme, et Larrea fut profondément bouleversé,
comme un pygmalion devant son poème. Et, cependant, la créature à laquelle il venait
de donner vie allait le décevoir lorsqu’il comprit que la poésie n’irait pas au-delà des
champs de signification institués par le langage. La langue fut son ennemie. Il tenta
alors d’en déjouer ses contraintes et ses codes (trop restreints) d’expression. Fatigué,
déçu, il entreprit d’autres voyages nous laissant cette poignée de poèmes écrits entre
1918 et 1919 comme une symphonie inachevée.
16
ANNEXES
DILUVIO
EVASIÓN
Acabo de desorbitar
al cíclope solar
Filo en el vellón
de una nube de algodón
a lo rebelde a lo rumoroso
a lo luminoso a lo ultratenebroso
Los vientos contrarios sacuden las velas
de mis carabelas
¿Te quedas atrás Peer Gynt ?
Las cuerdas de mi violín
se entrelazan como una cabellera
entre los dedos del viento norte
Se ha ahogado la Primavera
mi princesa consorte
Finis terre la
soledad del abismo
Aún más allá
17
(Grecia, 1919)
NOTES
1. « Vicente Huidobro en vanguardia », conférence éditée ensuite dans Torres de Dios : poetas,
Madrid, edit. nacional, 1983, p.84.
2. « Precisiones sobre Larrea », dans le quotidien Arriba, Santander, 10-6-1971.
3. L’explication que le poète donne sur le choix de la langue française peut paraître discutable :
« fue porque el autor encontraba más dúctil y matizado aquel idioma y, por lo mismo,
especialmente idóneo para expresar en claves estéticas sus estados de conciencia esencial,
desarticulados, turbios, difíciles », Córdoba (Argentina), oct. 1966, dans Prólogo à Versión celeste,
Madrid, Cátedra, 1989, p. 61.
4. David Bary, Larrea, poesía y transfiguración, Madrid, Planeta universidad, 1976, p.77-78.
5. Le mythe virgilien d’ Ulysse est évoqué par Larrea dans un autre poème écrit en 1927 à
l’occasion du IIIè centenaire de Góngora, sous le titre « Centenario », « Virgilio, ¿en dónde estás
Virgilio ? », dans Utoral, n° 5-6-7, oct. 1927.
6. La vie de Larrea fut déjà un voyage mythique en sol. Il était perpétuellement en partance vers
un soleil censé lui apporter une langue « neuve ». Les prémonitions de « Evasión » sont pour le
moins curieuses. Il part de Marseille vers le Pérou dans un navire appelé « Colombo ». Arrivé aux
bords du lac Titicaca, il écrit à G. Diego : « Con Europa quisiera dejar todas las viejas fórmulas de
civilización. Quedarme desenvuelto y desnudo para encontrarme digno de bañarme en el
manantial de la inocencia del mundo ». Dans Versión celeste, ed. cit., p.31.
7. Orbe, Barcelone, Seix Barrai, 1990, ed. Pere Gimferrer, p. 29-31 (Orbe fut écrit entre 1926 et
1931).
8. Versión celeste, ed. cit., p. 68.
18
9. L’idée du Sphynx tracassait Larrea depuis 1918 : « Sigo paseando mi indiferencia con toda la
prosopopeya de que es capaz un cerebro idiota. Soy una esfinge inmóvil, pero una esfinge hueca,
esfinge sin secreto diría si no temiese la frase de Wilde », Juan Larrea : cartas a Gerardo Diego
(1916-1980), édition d’Enrique Cordero de Ciria et J.M. Díaz de Guereñu, San Sebastián, 1986. (Cité
par Miguel Nieto dans Versión Celeste).
10. Miguel Nieto, Introduction à Versión celeste, ed. cit, p. 42.
11. Création, Paris, n° 3, fév. 1924. Poème inclu dans Version celeste, ed. cit, p. 344.
12. « Presupuesto vital », Favorables Paris Poema, n° 1, juillet 1926.
AUTEUR
LIDIO J. FERNÁNDEZ
Université d’Orléans
19
2. Image double : c’est la conjonction de deux référents. Le résultat est un plus grand pouvoir
suggestif.
3. Image triple : ici la distance est telle, qu’auparavant elle était considérée comme une
extravagance ; elle est à plusieurs interprétations. « Le créateur d’images (dit G. Diego) ne
fait pas de la prose déguisée » ; il ne décrit pas, il construit, c’est le poète-créateur-enfant-
dieu...
4. Image multiple : c’est la Poésie dans sa quintessence, quand il n’y a plus d’anecdote ni de lien
logique. C’est la Musique. Nous rentrons ici dans le domaine de « l’utopie artistique » selon
l’expression de P. Aullón de Haro, qui commente dans son livre (cf. note 5) la théorie sur
l’image créationniste de G. Diego. Ce sommet de poésie absolue ne fut atteint selon cet
auteur, que par deux livres : Altazor (V. Huidobro) et Version celeste (Juan Larrea), sorte
d’ascèse, d’élan vers cette « utopie artistique ».
19 Il n’est pas aisé de délimiter ces différentes images. Dans sa pratique créationniste,
Diego donne des exemples abondants des images doubles. Ces images ont en commun
une relation ironique entre les deux termes qui se traduit souvent par une certaine
incohérence sémantique. Il y a donc du sens neuf en quantité variable selon le dégré de
tension (on peut rappeler sur ce point le fameux texte de Reverdy : « Plus les rapports
de deux réalités raprochées sont lointains et justes, plus l’image sera forte »).
20 Si nous prenons l’exemple suivant :
(Limbo, p. 119)
21 les deux substantifs en accolade se remplacent mutuellement par combinaison, mais les
deux sont présents (d’où une certaine perte d’originalité, d’étonnement). Mais il ressort
que les aspects visuels et sonores de chaque signifiant, s’ajoutant aux signifiés, seront
attribués à l’autre et réciproquement : de même que les violons volent les insectes
jouent de leurs cordes.
22 De Manual de espumas est tiré cet exemple où le printemps est évoqué à la fois par les
enfants-jours qui jouent et par le vol des hirondelles en papier plié. On obtient ainsi des
enfants-hirondelles par contiguïté :
23 La fusion de plusieurs référents permet cette sorte d’évasion (c’est le terme qu’utilise G.
Diego), afin que chaque mot bien pressé distille des connotations diverses et insolites,
des sens nouveaux.
24 D’autre part, si l’image créationniste gomme souvent le sentiment au bénéfice d’un
certain ludisme ou jeu de devinette, elle ne préconise pas l’inhibition de l’émotion
esthétique, bien au contraire. La difficulté du décryptage de certaines métaphores ne
peut qu’accroître le plaisir du texte, même lorsqu’il n’y a pas de contiguïté sémantique
qui convienne aux deux réalités, car le but de l’image ne peut être l’incommunicabilité.
Dans cette « femme-paysage » du poème « Gesta », on crée par substitution et par
connexion de nouvelles « réalités » :
La mujer paisaje
desnuda como un circo
canta tardes antiguas
en las trémulas gargantas del ramaje
(Imagen, p.84)
25 On comprend que la cohérence n’est pas indispensable pour que surgisse l’émotion. Ici
la nudité de la femme renforcée par la métonymie « trémulas gargantas » contraste
avec l’habillement du paysage, le ramage. Il y a un ancrage spatio-temporel : il se situe
dans la nuit des temps et dans un lieu imaginaire, un cirque, lieu où s’exhibe une
certaine nudité des corps. Avec le syntagme « canta » se complète la mise en scène, le
chant prêtant son harmonie au paysage. L’arbitraire de la juxtaposition n’est
qu’apparent et obéit en fait à un lent travail de recherche.
26 Le titre même de son premier recueil, Imagen, n’est pas fortuit, puisque l’on s’aperçoit
que le poète fait souvent appel à des techniques audio-visuelles. Ses images déploient
ce qu’on appellerait un fort degré d’iconicité, en créant l’illusion de réalité, comme au
cinéma les images (purement lumineuses) produisent cette même illusion. Ainsi, les
rives du fleuve vues sur le bateau en mouvement : « Las márgenes se nos van./Bello
alarde de cinema./Un remolino de hélice/nos va a tragar... Rema. Rema. » (Id. p.28). Ou
encore ce travelling où le moi énonciateur s’identifie à la caméra qui filme : « Como si
fuesen serpentinas/voy desenrollando las callejas antiguas » (« Carnaval », p.97).
La brièveté de l’image
27 On constate que la métaphore créationniste est brève. Sur cet aspect G. Diego tresse
une théorie, qu’il appelle « micropoética de la Mínimas y de las Máximas »12, consistant
à conceptualiser une image par le mot, un mot (ce qui n’est pas nouveau en poésie), car
l’image n’existe pas sans le mot : l’image s’appuie sur le mot, comme un condensé
minimum d’esthétique. Créer une image consiste à viser d’emblée l’essentiel du signe,
support du sens, mais avec un minimum des mots. G. Diego affirme que « l’essence
poétique doit être brève ». Cette théorie paraît s’inspirer, en partie au moins, du
conceptisme poétique des grands auteurs du XVIIe espagnol (« Más obran quintas
esencias que fárragos », écrivait Β. Gracián). Le critique A. Leo Geist13 le signale
également : « La greguería anticipa el uso exuberante de la metáfora en la lírica y tal
vez se podrían buscar sus orígenes en el conceptismo del siglo de oro, en particular de
su filosofía de lo breve y de la ironía »14.
28 G. Diego prétend que le poète n’a pas la même fonction que le philosophe : « El poeta
trabaja con los átomos, mientras el filósofo observa los astros. Si se cambian los oficios
25
ambos desbarran deliciosamente »15. La métaphore est l’atome des idées ; c’est la
métaphore qui produit la magie dans les idées et c’est la forme brève qui convient le
mieux à l’expression de cette magie. Nous sommes donc très près de la greguería. En
effet, la grande majorité des images de Limbo et d’Image peuvent se lire comme des
greguerías. A ce propos, A. Leo Geist ajoute : « Se supera la realidad desmenuzándola, se
la subvierte triturándola. El propio concepto de disolución apunta asimismo a la
reducción a los mínimos elementos componentes » (Ibid, p.144).
29 Il s’en suit une appréciable parenté de l’image créationniste de Diego avec la greguería.
Comme celle-ci, elle est brève, concise et porte une forte dose d’ironie ; elle a en outre
souvent une structure ternaire :
Y bajo un gran manzano
el que nunca tocó senos de mujer
sopesaba los frutos con sus manos
(« Limbo », p.104).
30 Elle possède l’association irrationnelle, les jeux des mots, la paronomase, les
métathèses, la création des mots, mais aussi le dépouillement de tout mot inutile,
l’économie d’adjectifs, etc. En voici un exemple tiré de Limbo : « La lluvia tiembla/como
una oveja » (poema « Frío », p.121).
31 L’intérêt de la greguería est précisement d’évoquer le plus en utilisant le moins. Dans
l’image qui suit, le verbe fait l’économie des substantifs, tels que « teclas » ou encore
« dientes » : « Y aquí en mi corazón/se ha cariado el piano » (poème « Ajedrez », p. 122).
L’hermétisme de l’image
32 L’image de G. Diego est souvent hermétique. Elle rend difficile le sens qui lie d’une
certaine façon la chaîne syntagmatique dans le poème. Autrement dit, on assiste à un
fort renversement isotopique. C’est la conséquence de l’image en liberté, des paroles en
liberté. L’interprétation et le décodage de nombre des images créationnistes est une
tâche qui s’avère en ce sens assez stérile. Le poète suggère d’ailleurs que le lecteur ne
passe pas son temps à vouloir en comprendre le sens. Ainsi nous présente-t-il ses
images à la façon des tableaux cubistes. Au lecteur de remettre les morceaux dans le
bon sens. La lecture d’un poème doit se faire comme la toile qu’on regarde ou la
musique qu’on écoute. Vouloir trouver partout des symboles n’est pas non plus la
bonne lecture : « Sí, hoy hay que inaugurar/el encendido símbolo sin símbolo » (Imagen,
p.132). Mais Diego n’abolit pas les symboles ; il faut d’abord se laisser porter par la
féerie des mots (comme l’avait déjà signalé Mallarmé), par l’allusion, la contemplation,
la rêverie.
33 On peut conclure ce paragraphe par le rappel de quelques règles poétiques simples que
Diego et Larrea mirent en pratique dans la revue Grecia à partir de 1919. La métaphore
doit être irrationnelle ; elle doit promouvoir la rêverie et éviter son rattachement à une
quelconque séquence logique. L’image doit rompre avec le contexte, éveiller, suggérer,
chercher l’autonomie et fuir les topiques.
26
44 Le poème est formé de sept images dont les deux premières et l’avant-dernière se lisent
comme des greguerías. Dans « La lluvia tiembla/como una oveja », le sème de trembler
n’a de sens que si « lluvia » = « oveja » ; on saisit mieux le transfert dans le
« crépitement de la laine-eau ». Les trois termes de la comparaison qui suit : « frío »,
« hojas », « libros nuevos », peuvent s’associer de différentes façons, mais la logique ne
nous aide pas (cependant la froideur accompagne parfois les livres neufs). Deux images,
deux mots, forment les vers 8 et 9 : « mano » et « río ». Leur intérêt est crucial, car ils
donnent la clé du poème. Ils sont brefs et juxtaposés au centre du poème, mais séparés
par un très grand espace blanc. Cette distance peut évoquer la solitude de cette
campagne mais aussi celle de l’humain (« mi mano »). On observe en même temps que
« río » se charge, par une sorte de glissement sémique, du froid lu précédemment,
renforcé par la rime interne (« frío/río »). Mais comme entre les deux termes nous
avons « mi mano », la main finit par adopter la forme d’une rivière, image qui peut
paraître un peu surréaliste. Cependant elle est cohérente et significative : la main,
organe du sens du toucher, se glisse sur l’anatomie des corps et des objets, comme la
rivière le fait sur la terre.
45 La sixième image (vers 10 et 11) est encore une greguería : « Aquella cabeza se desinfla
silbando ». Ici, métaphore, métonymie et ironie se conjuguent en quelque sorte à parts
égales. Quant à la dernière image, la reprise de l’énonciateur par le déictique « mis »
nous pousse à penser que le « moi » s’est métamorphosé en livre, ou peut-être en
arbre : « mis hojas ». Enfin, entre les feuilles tombe « une larme morte », fluide dégagé
par le corps (froid), ainsi associé au froid.
46 Il reste que l’enchaînement sémantique est ténu et, au-délà du descriptif, on est obligé
d’aller chercher les connotations à la base même des signifiants et de leur
environnement audio-visuel et sonore. Dans « Frío » on trouve au moins quatre axes
sémantiques distincts, à peine réliés par « mano » et « río », avec leur blanc (silence)
29
ANNEXES
para una imagen simple y nueva, tiene que usar cien viejas para renovar las que han
perdido ya toda su eficacia.
3° Imagen doble. La imagen representa, a la vez, dos objetos, contiene en sí una doble
virtualidad. Disminuye la precisión, aumenta el poder sugestivo. Se hallan aisladas en
los clásicos; los creacionistas las prodigan constantemente.
4°, 5°, etc. Imagen triple, cuádruple, etc. Advertid cómo nos vamos alejando de la
literatura tradicional. Estas imágenes que se prestan a varias interpretaciones, serían
tachadas desde el antiguo punto de vista como gravísimos extravíos, de ogminosidad,
anfibología, extravagancia, etc. El creador de imágenes no hace ya prosa disfrazada;
empieza a crear por el placer de crear (poeta-creador-niño-dios); no describe,
construye; no evoca, sugiere; su obra apartada va aspirando a la propia independencia,
a la finalidad de sí misma...»
Imagen múltiple. No explica nada; es intraducibie a la prosa. Es la Poesía, en el más
puro sentido de la palabra. Es también, y exactamente, la Música, que es
substancialmente el arte de las imágenes múltiples; todo valor disuasivo, escolástico,
filosófico, anecdódico, es esencialmente ajeno a ella. La Música no quiere decir nada (a
veces parece que quiere; es que no sabemos despojarnos del hombre lógico, y hasta a las
obras bellas, desinteresadas, les aplicamos el por qué). Cada uno pone su letra interior a
la Música, y esta letra imprecisa varía según nuestro estado emocional. Pues bien: con
palabras podemos hacer algo muy semejante a la Música, por medio de las imágenes
múltiples.
Por supuesto, estamos muy lejos de pretender esa imitación estúpida, esa competencia
en el placer meramente orgánico, buscada por las escuelas del verso sonoro, isócrono y
bailable. Para rivalizar con ella, hemos de valemos de nuestros propios medios, si no
queremos caer en el ridículo. Es evidente la posibilidad teórica de esta realización. Ha
de ser, empero, costoso en la práctica aceptar a vaciar nuestras emociones en estos
moldes diáfanos, impalpables...»
Gerardo DIEGO,
Cervantes, octubre de 1919.
FRÍO
La pared indinada
no se cae
La lluvia tiembla
Mi mano
Brío
Aquella cabeza
31
se desinfla silbando
MOVIMIENTO PERPETUO
La sortija La sortija
NOTES
1. « Vicente Huidobro y el creacionismo », Cosmópolis, n°1,1919, p.68-73.
2. Ultraísmo, existencialismo y objetivismo en literatura, Madrid, Guadarrama, 1968, (p.53-54). Cet
essai de De Torre est écrit après son ouvrage de référence Literaturas europeas de vanguardia,
Madrid, 1925. Le grand théoritien de l’ultraïsme espagnol est revenu sur la polémique Huidobro -
Reverdy et leur paternité du mouvement, dans presque toutes ses études (et plus spécialement,
dans Tres conceptos de la literatura hispanoamericana, Buenos Aires, Losada, 1963).
3. De Torre, op. cit., pp.80-81. Voici les éditions des trois recueils créationnistes de Gerardo
Diego : Imagen (Poemas) (1918-1919), Madrid, Impr. Gráfica Ambos mundos, 1922 : Limbo
(1919-1921), Las Palmas, El Arca, 1951 : Manual de espumas, Madrid, Impr. Ciudad Lineal, 1924.
Editions utilisées : Imagen, Madrid, Aguilar, col. « Crisol », 1987. Limbo, dans Poesía de creación,
Barcelona, Seix Barrai, 1974. Manual de espumas, Madrid, Cátedra, ed. de M. Arizmendi, 1986.
« Limbo », au départ, n’était qu’un poème dédié aux ultraïstes de Grecia. Le poète réunit ensuite
24 poèmes ne faisant pas partie de Imagen. « Limbo es como un apéndice o paralipómenos de
Imagen : « No sé por qué no incluí en Imagen varios poemas publicados o inéditos » (G. Diego, dans
Versos escogidos, Madrid, Gredos, 1970, p.33).
4. « Problemas teóricos y estética experimental del nuevo lirismo », Cosmópolis, n° 32, 1921. On a
l’impression que G. de Torre avait maille à partir avec Huidobro. Il était très gêné de devoir
reconnaître son rôle de pionnier de l’avant-garde. Ainsi écrit-il : « Tanto el conocimiento como el
32
influjo de Huidobro, quedaron diluidos como uno más, entre otros que planeaban al comienzo del
decenio de 1920. De hecho, solamente y en sus comienzos se declararon deudores de la lección
huldobriana dos poetas surgidos con el ultraísmo : Juan Larrea y Gerardo Diego » (Ultraísmo..., op.
cit., p.55-56).
5. Andrés Soria Olmedo, Vanguardismo y crítica literaria en España, Madrid, Istmo, 1988.
6. « Posibilidades creacionistas », Cervantes, Madrid, oct. 1919, pp. 23-28. « En torno a Debussy »,
Revista de Occidente, Madrid, XV, 1926, p. 394-401. Et « Devoción y meditación de Juan Gris », Ibid,
XVI, 1927, pp.160-180.
7. Espejo de agua, Buenos Aires, Orion, 1916 et Madrid, 1918. Horizon Carré, Paris, Paul Birault, 1917.
Poemas árticos, Madrid, Impr. Pueyo, 1918.
8. Cornet à dés, Paris, Gallimard, 1917. (Citations par l’édition de 1945).
9. Literaturas europeas de vanguardia, Madrid, Caro Reggio, 1925, pp. 104-105. Le chap. Il est
consacré au créationnisme. De Torre salue le très original Cornet à dés qui contient, dit-il, en
essence toutes les idées fondamentales du cubisme et de sa filiale, le créationnisme (p. 105).
10. Dans les deux derniers titres (posthumes du créationnisme), Diego reprend une esthétique
qu’il croyait sans doute trop vite oubliée. Ceci explique qu’en 1974, il publie encore des poèmes
écrits entre 1920 et 1930, dont les très connus : « Metamorfosis », « Valle Vallejo », « Hablando
con Vicente Huidobro », etc.
11. « Posibilidades creacionistas » art. cit., p. 23.
12. « Mínimas », dans Meseta, n° 1, enero, 1928.
13. Op. cit. p.31.
14. « Gerardo Diego da expresión al gusto por lo pequeño, prevalente durante la época, en una
serie de « mínimas estéticas » que él contrasta con las máximas morales. Las mínimas toman la
forma de lo que definen, es decir constan de una o dos frases sobre un sujeto pequeño » (A. Leo
Geist, op. cit., p. 143). Et un peu plus loin il affirme le « carácter revolucionario o subversivo de la
pequeñez » (op. cit. p. 144), toujours à propos de l’image de G. Diego. Pour sa part, P. Aullón de
Haro, n’a pas manqué de faire le rapprochement avec le haiku japonnais, dont les liens formels
avec la greguería sont évidents : tous les deux (écrit P. Aullón de Haro) ont en commun une
économie des moyens expressifs, et une capacité de saisir l’ironie, le subtil et le fragment (op. cit.,
pp.260 et ss).
15. « Mínimas », art. cit., p.5.
16. La pipa de Kif, Madrid, Espasa Calpe, 1964, p. 110
17. Francisco Gutiérrez Cossío, dit « Pancho », est né à Pinar del Río (Cuba), en 1894. Fils de
parents espagnols, il vient vivre en Espagne étant encore enfant. Il fait les Beaux Arts à Madrid en
1914, et expose pour le Salon des Indépendants à Paris, en 1923, avec un abstrait. Il travaille à côté
des peintres avant-gardistes de Paris et sympathise avec les cubistes. En 1932 il décide de rentrer
en Espagne et change de style : retour à la tradition. Il cultive le portrait (La madre del artista,
1942), mais surtout les natures mortes et les marines « dont la transparence et fluidité
témoignent d’une grande liberté d’expression » (Dict. de peinture espagnole et portugaise, Larousse,
1989). Diego connut Cossío vers 1920 et fut très touché par l’exposition de Cossio à l’Ateneo, en
avril 1921 (tableau « Traineras » très remarqué par la presse locale). Plus tard, Diego sera en
possession de « Veleros » de Cossio). G. Diego vit quelque temps à Paris et fait la connaissance des
peintres cubistes. Il connut vers 1922 un autre peintre « cantabrique », très authentique
représentant du cubisme espagnol. Il s’agit de Maria Blanchard, qui vit à Paris dès 1910, et qui
aura sur le poète une grande influence : « Largas conversaciones con V. Huidobro y Juan Gris, y
además con María Blanchard, Léger y otros artistas, críticos y poetas en el París de aquel año
hicieron posible que yo aprendiese cuanto necesitaba (...) Los rapports, las gradaciones desde el
tema u objeto de la naturaleza hasta su transfiguración en unidad y calidades autónomas
plásticas y cromáticas ya en sentido abstracto, ya por el contrario concretador si se partía de lo
geométrico, me abrían cada día inéditas perspectivas que luego en la paz feliz de la playa
33
AUTEUR
LIDIO J. FERNÁNDEZ
Université d’Orléans
34
Zoraida Carandell
1 La critique a souvent parlé de Sobre los ángeles comme d’un chef-d’œuvre du surréalisme
espagnol. Pourtant, Alberti a dénié l’influence du surréalisme sur son œuvre. Tout au
plus a-t-il admis que « la cosa estaba en el aire ».
2 Ce qui est certain, c’est que la fin des années vingt représente un tournant important
dans sa poésie. Comme Lorca, Alberti se démarque du vers traditionnel et il l’indique
dans La arboleda perdida :
Ya el poema breve, rítmico, de corte musical, me producía cansancio1.
3 Sous l’influence de Góngora, il crée dans Cal y canto « una poesía de pintor, plástica,
lineal, de perfil recortado ». Cette poésie, « sometida a las presiones y precisiones más
altas » est aussi conceptuelle que travaillée.
4 Pression et précision se relâchent lentement dans Sobre los ángeles. Du poème liminaire,
« Entrada », en tercets d’heptasyllabes, aux vers libres et longs de la fin du recueil, Sobre
los ángeles repense le travail poétique et en amplifie les formes. Sermones y moradas
consacre ce passage du « vers » du chant à la « prose » du sermon, du coffre de cristal
au cri illisible.
5 « Llegué a escribir a tientas, con automatismo no buscado ». De son propre aveu,
l’Alberti de Sobre los ángeles devient « hôte des brouillards » ; dans Sermones y moradas, il
va se confier à cet « automatismo no buscado ». Si écriture automatique il y a, elle n’est
sans doute pas une finalité artistique, mais un moyen transitoire d’expression poétique.
6 En effet, cette écriture est le signe d’une crise intérieure. Dans Sobre los ángeles un
« cuerpo deshabitado » chante l’âme détruite. Il ne reste plus, dans le « Sermon de las
cuatro verdades » que des sermons et des demeures : le sujet poétique est absent de la
35
Figures du dédoublement
9 La figure de l’ange surgit dans Sobre los ángeles comme une émanation du moi, à la fois
obstacle et médiation. En combattant l’ange, le poète découvre en lui « irresisitibles
fuerzas del espíritu, moldeables a los estados más turbios y secretos de mi
naturaleza »3. L’ange albertien, selon la définition de Jung est « la remontée, dans la
conscience, de quelque chose de nouveau qui se lève des profondeurs de
l’inconscient »4. L’ange est l’inconnu et le nouveau des surréalistes. Le sujet poétique
crée des nuées d’anges dont il devient la victime :
Viento contra viento.
Yo torre sin mando, en medio5.
10 Le sujet poétique est l’instigateur et la victime des forces de son esprit. Il a donné à
l’ange sa puissance d’extermination et en est vaincu. Il ne peut désormais parler que de
sa propre destruction et cette parole ressemble à une « dictée de l’inconscient » : tour à
tour violence et renoncement, elle est la médiatrice d’une force supérieure.
11 Cette défaite du sujet poétique donne à Sobre los ángeles une tonalité élégiaque. Le
« cuerpo deshabitado » pleure la mort de l’âme comme dans « Visita » :
Humo. Niebla. Sin forma,
saliste de mi cuerpo,
funda vacía, sola.
12 Sermones y moradas renouvelle cette même plainte : « mi alma es sólo un cuerpo que
fallece por fundirse y rozarse con los objetos vivos y difuntos »6. Il n’y a plus de sujet
poétique, il ne reste qu’une sensation, et celle-ci, dans un poème comme « 5 » est
entièrement émoussée7. Or la sensation va devenir l’unique forme de témoignage, le
seul filtre du souvenir.
36
Fragmentation et confusion
17 Dans la mesure où l’écriture automatique émane d’une crise du sujet, elle se caractérise
par sa fragmentation. A la fin de Sobre los ángeles, il ne reste parmi les décombres que
unos ojos perdidos,
una sortija rota,
o una estrella pisoteada.
18 Ces trois vers sont les plus courts de « Los ángeles muertos ». Ce sont les seuls souvenirs
d’une réalité antérieure, et celui qui les a vus n’a que le souvenir de leur apparence ;
par rapport aux vers de plus de vingt syllabes qui suivent, ce sont des fragments de
sens. Les vers restants décrivent un monde déjà détruit, qui est « debajo de la gota de
cera que sepulta la palabra de un libro », comme dans le « Sermon de las cuatro
verdades ».
19 C’est cette même infra-réalité que l’on retrouve dans le poème liminaire de Sermones y
moradas. Ce poème montre un « sótano por dentro », à travers des vers indistincts. Le
poème en prose consacre une réalité nouvelle et enterre la bague, l’étoile et les yeux
des « anges morts » dans la fosse commune des autres objets. La destruction du moi
devient destruction du monde, et destruction du vers. Le vers court est noyé dans le
vers long, dans une écriture d’où le sujet s’absente, et où nous perdons nos repères. Il a
cessé de distinguer l’objet de notre recherche de ceux qui le cachent à notre vue.
20 A travers ces deux poèmes demeure, identique, l’interpellation ; « Buscad, buscadlos »,
dans « Los ángeles muertos » est repris dans le « Sermon de las cuatro verdades » par
cet « autrui » au pluriel que le sermon apostrophe. Ces impératifs sont un appel à
chercher à distinguer, parmi les objets, l’objet poétique par excellence. La « trouvaille »
surréaliste ne tire sa beauté que de l’ordinaire qui l’entoure : « una rosa es más rosa
devorada por las orugas... »
37
La lecture associative
25 « Siempre hay cielos reacios a que las superficies inexploradas revelen su secreto ».
Sermones y moradas s’offre à nous comme un texte à déchiffrer. « El sermon de las cuatro
verdades » — qui est l’incipit du recueil et qui est un poème clé9 — se veut la révélation
de « lo que es un sótano por dentro ». Il s’adresse à « los que hayan oído, tocado, y
visto » ; en effet, la révélation n’est pas ici connaissance. Seul celui qui a perçu peut
savoir : Le souvenir transforme la perception en « verdad ». Pour déchiffrer ces
« cuatro verdades », il faut répérer des signes en suspens, c’est-à-dire trier des
éléments comparables.
26 Il est possible de trouver différents « réseaux de signification ». Ces éléments peuvent
être ce que Riffaterre appelle des « accessoires »10. Il s’agit d’éléments référentiels se
rapportant à une réalité autonome et qui donnent un fil conducteur extérieur au texte.
Il arrive que cette réalité soit reflétée ou produite par le témoignage des sens, comme
nous l’avons déjà vu. L’accessoire est alors l’objet poétique recherché. Nous le
distinguerons des métaphores filées, qui ne trouvent pas de justification isolément,
mais par rapport à une isotopie. Elles donnent au texte un fil conducteur interne et
créent un code linguistique. En outre, la métaphore est la figure essentielle d’une
écriture de la confusion : elle abolit les différences entre les objets et les donne à voir
sous un même angle.
38
27 Les accessoires sont des fils conducteurs extérieurs au texte. Leur fonction première est
de fonder le texte par un renvoi au réel. « Merveilleux quotidien » ou « collage »11,
l’accessoire instaure un jeu de miroirs entre le langage et le réfèrent. Enfin, l’accessoire
rompt la cohérence du récit : il est le reliquat d’un univers antérieur.
28 L’intertextualité constitue un cas particulier d’accessoire. On peut penser que la
« rima » XLVII de Bécquer :
Yo me he asomado a las profundas simas
de la tierra y del cielo.
Y les he visto el fin o con los ojos
o con el pensamiento.
Mas ¡ay ! de un corazón llegué al abismo
y me incliné un momento,
y mi alma y mis ojos se nublaron
¡tan hondo era y tan negro !12
29 éclaire de manière intéressante le « Sermon de las cuatro verdades ». Mais plutôt
qu’elle ne l’éclairé, elle l’inscrit dans une tradition littéraire. Elle nous permet de parler
du « thème de l’abîme du moi » dans ce poème.
30 De façon plus imprécise, on peut parler ici de l’influence de l’Apocalypse de Jean : les
quatre chevaliers ou fléaux sont ici repris par les quatre vérités qui annoncent la
destruction totale du « sótano ». Cet intertexte a le mérite d’expliquer le ton impérieux
du texte, ainsi que son aspect prémonitoire — « yo os prevengo ». Dans le « Sermon de
las cuatro verdades », la vision ou révélation d’une destruction totale s’érige en
« verdad » et en objet d’une herméneutique.
31 Il est donc possible de repérer ces intertextualités, mais, en revanche, il est plus
difficile de donner une signification à ces observations. Parodiques ou non, ces
intertextes font appel à d’autres voix et leur renvoient la responsabilité de ce qui est
dit.
32 D’autres accessoires accentuent cette polyphonie énonciative. C’est le cas de
l’accessoire « Altamira » : en effet, au moment où Alberti a écrit Sobre los ángeles, il a
visité cette grotte qui va servir de modèle au « sótano por dentro ». Les peintures
rupestres ont été pour lui une révélation :
Parecía que las rocas bramaban. Allí, en rojo y negro, amontonados, lustrosos por
las filtraciones del agua, estaban los bisontes, enfurecidos o en reposo. Un temblor
milenario estremecía la sala13.
33 Dans la grotte sont enfermées ces peintures et leur force primitive. La grotte est l’image
de la force primitive du moi, et elle est en même temps un microcosme, avec un ciel et
un enfer, les images de la lutte et de la mort. Elle est, comme le « sótano por dentro »,
l’image d’un monde disparu. Elle constitue, en termes surréalistes, une trouvaille.
34 L’accessoire « Altamira » constitue une preuve externe de la vérité du « Sermon ».
Alberti fait sienne une démarche propre aux surréalistes et ce dès Sobre los ángeles, où
l’utilisation des accessoires va de pair avec la fabrication d’accessoires nouveaux.
35 Le poème « Expedición », dans la troisième partie de Sobre los ángeles, finit sur « Pero he
aquí a Eva Gundersen ». Le nom de cette jeune fille suédoise est un élément « réel » qui
vient contredire le poème. Eva Gundersen constitue la trouvaille, le « he aquí » la
39
l’écriture automatique. Et cela n’a pas de sens de chercher des métaphores filées pour
comprendre « de quoi » parle le texte, si ce n’est pour se le représenter.
50 Telle que nous l’avons faite, c’est-à-dire par réseaux de sens, et pour rendre le texte
représentable, la lecture associative se heurte au problème du non représentable. Partir
d’une lecture linéaire, et non d’une représentation que l’on reconstitue grâce à des
champs permet de poser le problème fondamental de l’écriture automatique :
l’éclatement et la désunion que nous avons tenté de reconstituer par une lecture
associative, mais dont seule une lecture « dissociative » peut rendre compte.
La lecture dissociative
64 La poésie de la succession montre les images les unes après les autres. Il est impossible
de se représenter dans l’unité « papeles de estraza », qui est à la fois une synecdoque et
43
une métaphore. Tout ce que nous voyons, c’est « papeles » « de » « estraza », mais pas
l’unité « papeles de estraza ».
65 A l’inverse d’une poésie de l’instant, la poésie de la succession opère une
métamorphose des images. Si l’image chez Alberti se définit par un choc de
représentations, elle n’est pas tant métaphore (qui pose l’identité du comparant et du
comparé) que métamorphose.
66 En effet, l’image dans le « Sermón de las cuatro verdades » tourne autour de quatre
mots clés : « perder » « buscar » « devolver » « convertir ». L’image est transformation,
c’est pourquoi elle disparaît ; elle fait partie d’une poésie du temps où tout est muable.
La prémonition et le souvenir n’appréhendent, avec la seule aide des sens, qu’une
apparence des objets ; celle-ci est fragmentaire et successive.
67 Le poème n’est pas un instant, mais un procès ; il décrit « la conversion de unas manos
en cilicio ante el horror de unos ojos parpadeantes », mais ces mains et ces yeux sont
anonymes : ils sont séparés, autonomes, réunis seulement par un mouvement saccadé
qui est un signe de leur intermittence.
68 Ce processus de l’image est aussi celui du texte. Le poème fait son propre commentaire.
Il raconte son déroulement, nous montre le processus de sa création sans parvenir à un
résultat fini. Les « cuatro verdades » participent de cette écriture successive ; elles se
succèdent sans retour en arrière, ce qui nous fait dire que chacune d’entre elles
constitue une tentative nouvelle de « verdad » et joue le même rôle que la précédente.
Cette écriture irréversible subit l’influence, chez Alberti et chez les surréalistes
français, de la technique cinématographique.
71 Quand la succession est un mode d’écriture, elle va de pair avec un autre phénomène :
la vitesse. En effet l’écriture successive s’acharne après son objet : « perseguiría como
un loco la belleza idiomática ». Son caractère dominant est la rapidité. Celle-ci produit
un rythme qui lui donne sa dimension poétique. Cette même hâte dicte la lecture, et
celle-ci ne peut être à voix haute car elle excède le rythme de la parole.
72 La vitesse d’écriture est responsable de la longueur amplifiée du poème. Dès Sobre los
ángeles avec « Los ángeles de la prisa » :
Seis ascuas,
oculto el nombre y las caras,
empujándome de prisa.
73 Face à la crise du sujet poétique, deux attitudes sont possibles : le silence, et c’est
l’attitude de la conscience épuisée, ou la parole qui ne peut s’arrêter.
¡Paradme todo, un momento !
Nada.
No querían
que yo me parara en nada.
74 Cette précipitation de l’écriture est aussi un signe d’épuisement de la conscience
poétique : la parole effrénée rejoint ici le silence. Seulement elle met le lecteur à
l’épreuve. La vitesse de la lecture de poèmes comme le « Sermon de las cuatro
verdades » est considérable, impossible dans une lecture à voix haute. Sans s’attacher à
la signification, elle survole les signes, cherche des repères, trouve dans la phrase et la
« strophe » une unité de sens suffisamment précise, et considère le poème comme un
objet visuel. Elle est surtout sensible à un rythme d’écriture et l’adopte.
Conclusion
75 Contrairement à Sobre los ángeles, qui ne doit pas grand’chose au surréalisme, Sermones y
moradas est nettement influencé par ce courant. Le poème liminaire, le « Sermón de las
cuatro verdades » nous semble un exemple remarquable d’écriture automatique, à
condition d’admettre, comme Riffaterre, qu’il suffit qu’un poème ressemble à de
l’écriture automatique pour qu’on puisse le considérer comme tel. A partir de là, nous
avons essayé de déchiffrer ce poème d’après trois méthodes complémentaires : la
lecture associative des accessoires et des métaphores qui est une quête du sens et de la
représentation et qui se heurte au non représentable ; la lecture dissociative qui met
l’accent sur la fragmentation des images et du sens, même dans le sein de la phrase, car
celle-ci n’est pas représentable, mais auto-référentielle. Les images et le texte ainsi
produits sont partie intégrante d’une poétique de la succession. Cette poétique de la
succession pourrait sans doute rendre compte d’autres poèmes surréalistes, mais pour
des motifs différents. Les surréalistes cherchent à atteindre l’arbitraire grâce à
l’écriture automatique. Chez Alberti, l’écriture automatique est le moyen transitoire
d’expression que se donne un sujet poétique torturé pour répondre au problème du
« cómo hablar ». Cet « automatismo no buscado » ouvre pourtant une période poétique
d’Alberti que Poeta en la calle va confirmer, celle d’une écriture « impersonnelle » qui ne
s’accomplit pas dans la représentation.
45
ANNEXES
Y como en las superficies sin rosas siempre se desaniman cascotes y ladrillos que
dificultan la pureza de las alpargatas que sostienen el aburrimiento, el mal humor y
cansancio del hombre, idlos aproximando cuidadosamente al filo de aquella concavidad
limosa donde las burbujas agonizantes se suceden de segundo en segundo.
Porque no existe nada más saludable para la arcilla que madura la muerte como la
postrera contemplación de un círculo en ruina.
Yo os prevengo, quebrantaniños y mujeres beodos que aceleráis las explosiones de los
planetas y los osarios, yo os prevengo que cuando el alma de mi enemigo hecha bala de
cañón perfore la Tierra y su cuerpo ignorante renazca en la torpeza del topo o en el
hálito acre y amarillo que desprende la saliva seca del mulo, comenzará la perfección de
los cielos.
Entre tanto, gritad bien fuerte a esa multitud de esqueletos violentadores de cerraduras
y tabiques, que aún no sube a la mano izquierda del hombre la sangre suficiente para
estrangular bajo el limo una garganta casi desposeída ya del don entrecortado de la
agonía.
La cuarta y última verda es ésta.
Cuando los cascabeles son mordidos por las sombras y unos pies poco seguros intentan
comprobar si en los rincones donde el polvo se desilusiona sin huellas las telarañas han
dado sepultura a la avaricia del mosquito, sobre el silencio húmedo y cóncavo de las
bodegas se persiguen los diez ecos que desprende el cadáver de un hombre al chocar
contra una superficie demasiado refractaria a la luz.
Es muy sabido que a las oscuridades sin compañía bajan en busca de su cuerpo los que
atacados por la rabia olvidaron que la corrupción de los cielos tuvo lugar la misma
noche en que el vinagre invadió los toneles y descompuso las colchas de las vírgenes.
No abandonéis aquel que os jura que cuando un difunto se emborracha en la Tierra su
alma le imita en el Paraíso.
Pero la de aquel hombre que yace entre las duelas comidas y los aros mohosos de los
barriles abandonados, se desespera en el fermento de las vides más agrias y grita en la
rebosadura de los vinos impuros.
Escuchad. Ésta es su voz.
— Mi casa era un saco de arpillera, inservible hasta para remendar el agujero que abre
una calumnia en la órbita intacta de una estrella inocente.
No asustaros si os afirmo que yo, espíritu y alma de ese muerto beodo, huía por las
noches de mi fardo para desangrarme las espaldas contra las puntas calizas de los
quicios oscuros.
Bien poco importa a la acidez de los mostos descompuestos que mi alegría se consuma a
lo largo de las maderas en las fermentaciones más tristes que tan sólo causan la muerte
al hormigón anónimo que trafica con su grano de orujo.
En frío, ya sabéis lo que es un sótano por dentro.
Sermones y moradas (1929-1930), ed. Losada, 1961.
48
NOTES
1. Rafael Alberti, La arboleda perdida, Barcelona Seix Barrai 1987 p. 298 pour cette citation et celles
qui suivent.
2. ibid., p.268-269.
3. id. ibid.
4. « The coming into consciousness of something new arising from the deep unconscious », cité
dans Theodora Ward, Men and Angels, New York, Viking Press, 1969, p.59.
5. Rafael Alberti « Los ángeles bélicos » ν. 1-2 Sobre los ángeles Madrid Cátedra Letras hispánicas
ed. Brian Morris 1992. Nous renvoyons à cette édition pour les autres citations de Sobre los ángeles.
6. Rafael Alberti, « Sermon de las cuatro verdades » Sermones y moradas, O.C. Aguilar, Madrid,
1988, éd. Luis García Montero p. 451-456. A moins que nous indiquions le contraire, toutes les
citations qui suivent sont extraites du « Sermon de las cuatro verdades ».
7. Dans son édition de Sobre los ángeles, Brian Morris remarque l’influence des Ejercicios espirituales
de Loyola sur un poème comme « 5 », consacré aux cinq sens.
8. voir Ferdinand Alquié, Philosophie du surréalisme, Paris, Champs Flammarion, 1977 p. 131-154
9. Sur l’importance de l’» incipit » chez les surréalistes, voir Je n’ai jamais appris à écrire ou Les
Incipit de Louis Aragon, Albert Skira, coll. « Les sentiers de la création », Genève 1969
10. voir Michel Riffaterre, La production du texte, Paris, Seuil, 1979, 285 p. chapitres « La
métaphore filée dans la poésie surréaliste », p.217 à 234 et « Incompatibilités sémantiques dans
l’écriture automatique », p.235 à 251.
11. Voir André Breton, Les pas perdus, Paris, Gallimard, La Pléiade, et Louis Aragon, Les Collages,
Paris, Hermann, 1965.
12. Gustavo Adolfo Bécquer, Rimas, Madrid, Aguilar, col. Literatura, 1987, p.83.
13. La arboleda perdida, t.1, p.268.
14. Voir Riffaterre, op. cit.
15. Rafael Alberti, Sobre los ángeles y Yo era un tonto y lo que he visto me ha hecho dos tontos ed. Brian
Morris, Madrid, Cátedra Letras Hispánicas, 1992.
16. Voir aussi Louis Aragon, Chariot sentimental, Oeuvres poétiques complètes, t.1.
17. Voir André Breton, Les pas perdus, toc. cit..
18. Voir Louis Aragon, Je n’ai jamais appris à écrire..
19. Rafael Alberti, La arboleda perdida, p.298.
49
Nous sommes à une époque de création esthétique où l’on ne raconte plus des
histoires plus ou moins agréablement, mais où l’on crée des œuvres qui, en se
détachant de la vie, y entrent parce qu’elles ont une existence propre, en dehors de
l’évocation ou de la reproduction des choses de la vie.2
2 En intitulant son troisième recueil Un Río, un Amor, Cernuda rompt avec une telle
conception de la poésie éloignée de la vie, ainsi qu’avec ses premières œuvres. Son
écriture passe effectivement d’une perfection formelle (Perfil del Aire [1924], Egloga,
Elegía, Oda [1927-1928] ; les titres sont évocateurs...) à une expression plus immédiate et
à une « repersonnalisation » de la voix poétique. Ce changement se dessine sur fond de
crise existentielle — expérience de la liberté et de l’amour, suivie de son échec — et de
rencontre avec le mouvement surréaliste français. Entre 1928 et 1929, Cernuda vit en
effet à Toulouse où il entre en contact avec la nouvelle poésie, et son propre
témoignage sur cette période de rupture est essentiel pour l’analyse de Un Río, un Amor :
La mención de Eluard es sintomática de dicho momento mío, porque el surrealismo,
con sus propósitos y técnicas, había ganado mi simpatía. Leyendo aquellos libros
primeros de Aragon, de Breton, de Eluard, de Crevel, percibía cómo eran míos
también el malestar y osadía que en dichos libros hallaban voz.3
3 Cernuda est incontestablement attiré par les possibilités de libération du langage
qu’offre l’activité surréaliste, et il va participer à son tour au processus de rénovation
de la poésie qui, une fois de plus, se met en marche en Espagne. D’autres poètes
choisissent aussi cette direction, comme Aleixandre, Alberti et Lorca qui entre 1928 et
1930 écrivent respectivement Pasión de la tierra, Sobre los Angeles, et Poeta en Nueva York ;
leurs projets sont influencés par le surréalisme, et il est clair qu’aux théories de l’art
pur commencent à se superposer de nouveaux manifestes venus de l’étranger.
N’oublions pas qu’à partir de 1922, les surréalistes français voyagent en Espagne et
qu’ils exportent leurs idées subversives sur la société et la littérature4. Un poète comme
Cernuda ne peut alors que souscrire à la nouvelle conception de l’acte créateur que
Breton analyse, en 1929 précisément : « Il est vrai que la question poétique a cessé ces
dernières années de se poser sous l’angle essentiellement formel5 »
4 A partir du moment où les surréalistes (après les Dadaïstes) partent à la recherche de Γ
anti-littérature, le débat entre deux conceptions antithétiques de la poésie est ouvert.
Pourtant, il n’y aura pas de clivage dans la pratique sur un point essentiel : qu’il y ait
engagement ou pas au-delà de la question formelle, la poésie demeurera dans les deux
cas une recherche sur le langage6. Un Río, un Amor s’inscrit au cœur de cette transition
entre la poésie absolue et le surréalisme puisqu’à partir de 1929, le poète cesse de
célébrer la beauté de l’univers, et le point de départ de sa création devient le conflit
entre le Moi et le monde objectif qui lui est hostile. Dès lors, on le comprend, il n’est
plus question de poésie détachée de tout engagement (qu’il soit personnel ou
historique) ; mais s’agit-il pour autant de se soumettre aux règles du surréalisme qui
proclament toute absence de contrôle de la raison et de conscience esthétique ? En
situant Un Río, un Amor au sein d’une époque en mutation et riche en débats théoriques
dont Cernuda s’inspire et s’éloigne, nous tenterons de répondre à cette question en
examinant en premier lieu le système métrique, puis la démarche analogique d’une
écriture riche en contrastes, laquelle nous amènera à envisager le langage poétique de
Un Río, un Amor comme lieu du surréel 7 ; de cette façon, nous suivrons une optique
chère aux surréalistes puisque, si l’on en croit les déclarations de Breton, leur
préoccupation essentielle est de transcender toute contradiction par le langage :
51
Tout porte à croire qu’il existe un certain point de l’esprit d’où la vie et la mort, le
rél et l’imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l’incommunicable, le
haut et le bas cessent d’être perçus contradictoirement8.
11 Au fil des textes, la longueur de la ligne progresse et l’on s’éloigne de l’isométrie initiale
par le détournement de vers traditionnels, la maîtrise technique étant mêlée à la
subversion de ces « vers-monuments » de la poésie espagnole. Le poème « ¿Son todos
felices ? » (p. 166) offre un éventail de vers allant de 5 à 21 syllabes : le signifiant
suggère de cette façon la progression du message, le désordre métrique apparent
correspond au désarroi dans lequel se trouve le poète, en proie à un irrémédiable
isolement (vers 9-10 et 19). Par ailleurs le système combinatoire, à l’origine de
l’économie des moyens, dépasse le domaine de la métrique pour toucher l’organisation
syntaxique. La répétition permet d’exprimer le désaccord entre le monde social et la
voix poétique, le cri de révolte et le nihilisme étant servis par la réduplication (« El
honor de vivir con honor gloriosamente »), le polyptote (« El patriotismo hacia la
patria sin nombre »), l’anaphore (« Abajo/Abajo ; Gritemos sólo/Gritemos a un ala
enteramente »), la réduplication (abajo todo, todo), et enfin l’anadiplose qui produit un
enchaînement et une accélération du rythme (« excepto la derrota,/Derrota hasta los
dientes, hasta este espacio helado »). Cri désespéré d’un être entouré de « barbelés », ce
poème dont les formes classiques sont au service de la violence et d’un engagement —
davantage existentiel que social — s’éloigne de l’écriture automatique et traduit un
« contrôle » évident des mots par son auteur, tout comme « Duerme, muchacho » (p.
162) dans lequel on devine la revendication de la liberté sexuelle à travers les lignes et
les images (« cuerpos torturados, La revolución, hambre del sediento »). Là encore on y
recense des quatrains, des combinaisons verticales de vers classiques, des trouvailles
sonores (« Dormitan tan minúsculas.../Dormi tan tan pequeñas... »), et enfin le
détachement du vers final comme synthèse et chute du poème (« Hoy sin embargo está
también cansado »). Comme chacun des poèmes de Un Rio, un Amor, « Duerme,
muchacho » témoigne d’une écriture dans laquelle l’innovation est toujours teintée de
maturité, la libération de réticence ; Cemuda prouve par là-même que la spontanéité
peut aller de pair avec l’intention créatrice, et réalise le dépassement d’une
contradiction dans le domaine du langage. Autrement dit, une telle démarche
synthétique interdit une lecture unique de Un Río, un Amor, et l’on ne saurait se
cantonner à une interprétation exclusivement surréaliste, même s’il est entendu que
celle-ci reste le point de départ obligé.
13 Il est clair que cette première théorie fonde la conception surréaliste de l’image, et bien
que Breton, en 1924, mette en avant une évolution, sa dette envers Reverdy est
indéniable :
Si l’on s’en tient, comme je le fais, à la définition de Reverdy, il ne semble pas
possible de rapprocher volontairement ce qu’il appelle « deux réalités distantes ».
Le rapprochement se fait ou ne se fait pas, voilà tout. [...] Pour moi (l’image) la plus
forte est celle qui présente le degré d’arbitraire le plus élevé15.
14 Dans Un Río, un Amor, le processus métaphorique de substitution est à mi-chemin entre
la préméditation et l’arbitraire, comme en témoignent les images obscures relevées çà
et là au fil des poèmes : « Estar cansado tiene plumas » (p. 152), « Las manos aburridas
que cazan terciopelos o nubes descuidadas » (p. 151), « Duda con manos de duda y pies
de duda », (p. 162), « Verdades o mentiras/Son pájaros que emigran cuando los ojos
mueren » (p. 163), et ainsi de suite. Bien sûr, il manque sous la plume de Cernuda une
composante chère aux surréalistes, l’humour, mais l’image peut devenir à l’occasion —
grâce au rapprochement linguistique — le lieu des possibles (« A través de una noche
en pleno día », p. 151). Les exemples qui précèdent nous invitent donc à lire l’Image
cernudienne à la lumière des théories surréalistes et créationnistes, et à y voir en
premier lieu une réunion de ce qui dans l’ordre du vécu est éloigné, un instrument
grâce auquel le poète laisse libre cours à son imagination et opère un glissement entre
deux univers, en projetant sa subjectivité sur le monde extérieur. La métaphore
métamorphose ainsi chaque partie du monde en objet protéiforme. D’ailleurs, un
verbe-clef du recueil n’est-il pas « transformar » (« La canción del oeste », p. 166, vers
8), symbole de la démarche analogique à laquelle se livre le poète dans les premiers
vers par exemple de « Como la piel » (p.168) ? L’image est représentation de
l’imaginaire, mais elle est aussi création linguistique, ce qui signifie qu’elle repose sur
un mécanisme formel identifiable : ici, le poète a recours au processus de condensation
dès les premiers vers — nécessaire à la rapidité de la métaphore —, grâce à l’image par
détermination (« gritos del viento, mundo de angustia, mundo de alambre, plumas de
vergüenza », etc ;), par coordination (ventana huérfana con cabellos habituales), à
l’image verbale (gritos... prostituyendo los espejos vivos). Plusieurs procédés
s’enchaînent jusqu’à l’accumulation : du substantif à la préposition, en passant par
l’adjectif et le verbe, tout dans le langage fait image. L’effet tient ensuite à la
combinaison des mots entre eux, et la répétition est là encore le ressort principal de
l’organisation syntaxique. Dans les derniers vers de « Como la piel », l’image du néant
est ainsi suggérée par la réitération de termes clefs comme « fondo », « nada »,
« grito », véritable chute de mots qui expriment le vide :
Sin saber que en el fondo no hay fondo,
No hay nada, sino un grito,
Un grito, otro deseo....
15 Si la nouveauté des mécanismes formels est l’une des conditions du caractère inédit de
l’image, Cemuda n’hésite pas pour autant à reprendre des procédés traditionnels tels
que l’emploi de l’adjectif ; dédaignant les préceptes de Reverdy16, le poète espagnol
choisit de se situer en marge de ses inspirateurs et fait de l’adjectif un emploi exacerbé :
« transparentes, inmóviles, callados, vagos, grises, sinuosa, errantes, pálido » font
partie de tous les épithètes qui brossent dans « Cuerpo en pena » un tableau aux
couleurs éteintes et aux contours flous. Cernuda prouve par là-même que l’adjectif peut
être détourné de sa fonction habituelle et servir l’imprécis, qu’il peut être en outre
source d’impertinence sémantique, par l’hypallage et l’oxymore, où noms et épithètes
56
sont dissociés sémantiquement bien que rapprochés sur le plan de la syntaxe (dans « La
canción del oeste », on trouve par exemple l’image « desastres suntuosos »). Nouveau
défi lancé par le poète qui, toujours fidèle à l’harmonie baudelairienne, prouve là
encore que la modernité passe par la juxtaposition de l’innovation et de la tradition...
16 Un cas limite de l’analogie est celui du « poème-image », tel que « Linterna roja » (p.
157) où la mise en abîme d’images se manifeste en premier lieu au sein du vers : les
rapports de contiguïté y sont multipliés à l’envi grâce à l’enchaînement de plusieurs
pivots grammaticaux, à preuve le premier vers : « Albergue oscuro con mendigos de
noche ». On retrouve ailleurs la même construction de rapprochement, dans « Decidme
anoche » (p. 149) par exemple : « Incesante fantasma con mirada de hastío » ; ou bien
dans « Daytona » (p. 155) : « Olvidado fantasma con su collar de frío », ce qui nous
permet d’établir un schéma syntaxique de ces images et de prouver que l’écriture
procède bien par automatismes grammaticaux :
niveau II préposition CON (insistance sur la mise en relation et sur le rythme binaire)
por la calle de niebla », dans « Remordimiento en traje de noche »). A cette symbolique
traditionnelle et codifiée se superpose aussi un nouveau système symbolique propre à
Cernuda formé de termes récurrents tels que « flor, arena, lluvia, nubes, plumas,
pájaro, mendigos, jirones, ceniza », symboles tour à tour de désir, de liberté, de plaisir
et d’impossibilité de vivre pleinement celui-ci. Qui dit symbole dit anticipation,
suggestion et équation logique18, mais faut-il forcément opposer l’emploi du symbole à
l’activité surréaliste ? Celle-ci ne fonctionne-t-elle pas à partir de motifs récurrents
puisés dans le subconscient et le monde des rêves ? L’image des « dormeurs », des
« errants » et des « fantômes », des « noyés », des « corps mutilés » et des « mains
coupées » sont tout autant de motifs surréalistes travaillés, entre autres, par
Apollinaire, Aragon, Breton, Eluard et Lorca, Dalí et Buñuel, dans le domaine de la
poésie, de la peinture ou bien encore du cinéma. De telles obsessions typiquement
surréalistes — en ce sens qu’elles détruisent les lois de la physique, de la logique et du
langage — frisent le symbole ; on les retrouve d’ailleurs dans Un Río, un Amor, par
exemple dans « Durango » (« Por sorpresa los muros/Alguna mano dejan revolando a
veces ;/Sus dedos entreabiertos/Dicen adiós a nadie », p. 154) ou dans « Habitación de
al lado » (« Y los durmientes desfilan como nubes/Por un cielo engañoso donde chocan
las manos », p.151). Provocant la surprise par leur nouveauté ou revenant à plusieurs
reprises sous forme de motif-symbole, la métaphore dans Un Río, un Amor est bien un
mélange provocateur d’inédit et de déjà-vu grâce à la répétition, ce qui nous amène à
conclure que l’image repose autant sur le signifiant que sur le référent, même si on ne
peut nier que derrière les mots une représentation est toujours présente : l’Analogie —
comme démarche de rapprochement systématique — réveille en nous les mondes de
l’inconscient et du rêve avec toutes leurs obsessions dans un recueil qui a souvent pour
décor l’envers du réel.
terme « noche » (29 occurences) avec lequel rivalise le terme « luz » (27 occurences)
révèle un univers poétique en noir et blanc, ainsi que la présence en arrière-plan d’un
nouvel art qu’affectionne le poète, le cinéma : le poète le reprend non pas en tant que
thème mais de façon implicite par la technique du collage héritée des dadaïstes. Voilà
comment le cinéma américain est présent dans « Sombras blancas » (p. 144) — dont le
titre est inspiré du film de Robert Flaherty White Shadows in the South Seas — ainsi que
dans « Nevada » (p. 147) : Cemuda en révèle les sources dans Historial de un libro :
En París había visto la primera película sonora cuyo título Sombras blancas en los
mares del sur, también me dio ocasión para el tercer poema de la colección [...] Uno
de los letreros de cierta película muda que vi en Toulouse, me deparó esta frase
para mí curiosa : « en (no recuerdo el nombre de lugar que se mencionaba) los
caminos de hierro tienen nombre de pájaro », y la usé, como en un collage, dentro
del poemilla « Nevada »19.
22 Ce titre qui renvoie à un lieu précis annonce-t-il un poème narratif où l’anecdote aurait
droit de cité, ou bien s’agit-il d’un « poème-chanson » qui mélangerait préméditation et
mots trouvés au hasard, jeu sur le langage et écriture automatique ?
NEVADA
En el Estado de Nevada,
Los caminos de hierro tienen nombres de pájaro,
Son de nieve los campos
Y de nieve las horas.
Las noches transparentes
Abren luces soñadas
Sobre las aguas o tejados puros
Constelados de fiesta.
Las lágrimas sonríen,
La tristeza es de alas,
Y las alas, sabemos, dan amor inconstante.
Los árboles abrazan árboles,
Una canción besa otra canción ;
Por los caminos de hierro
Pasa el dolor y la alegría.
Siempre hay nieve dormida
Sobre otra nieve, allá en Nevada.
23 Le poème démarre sur une image dont l’apparence anodine est doublée d’arbitraire :
dans un pays lointain, les chemins de fer ont un lien avec les oiseaux par le langage
(« tienen nombres »). Le mot Nevada est repris dès le premier vers, et le choix du terme
n’est pas le fruit du hasard puisqu’ayant oublié le nom inscrit sur l’affiche de cinéma, le
poète l’a choisi, probablement pour son pouvoir d’évocation de la mythologie du rêve
américain. Pourtant, son efficacité ne se résume pas à son réfèrent mais s’étend à ses
effets sonores : ce nom qui désigne un Etat des Etats-Unis est d’origine espagnole et seul
un texte de cette même langue pouvait jouer sur la variation « Nevada/nieve ». Lorsque
le poème glisse de « Nevada » à « Son de nieve los campos/Y de nieve las horas », la
relation entre nom propre et nom commun devient explicite : tout est union dans ce
lieu merveilleux où même les noms sont en accord avec la géographie. Cette unité est
corroborée par la mise en parallèle de couples antithétiques (« las lágrimas sonríen...
Por el camino de hierro/Pasa el dolor y la alegría ») et par les constructions en miroir,
symboles de l’amour avec un autre qui est identique, l’amour homosexuel (« Los
árboles abrazan los árboles,/Una canción besa otra canción)20. En résumé, nous
pouvons dire que « Nevada » se rapproche de la chanson, tant par sa construction
syntaxique et par les procédés mnémotechniques que par la simplicité de ses thèmes.
60
En l’écrivant, Cernuda prouve que tout poème peut être développé à partir d’une image
arbitraire dès lors qu’elle entre dans un nouveau texte et que ses résonnances
poétiques sont exploitées. Spontané ou prémédité, « Nevada » rend compte d’un travail
sur les mots : l’activité poétique frise le jeu, si rare chez Cernuda, mais si proche des
pratiques surréalistes...
24 Du « détournement » de titres de chansons à celui de titres de films, en passant par
l’emprunt de noms propres, tout est susceptible d’être récupéré pour un collage. Une
forme extrême de ce glissement intertextuel de mots est celle de la parodie d’un
système littéraine telle qu’on la trouve dans « El caso del pájaro asesinado » (p. 152) ; ce
titre semble annoncer un fait divers, et l’on se croirait presque dans un roman policier,
pour peu que l’on oublie toute lecture symbolique :
Nunca sabremos, nunca,
Por qué razón un día
Esas luces temblaron levemente ;
Fue una llorosa espuma,
Una brisa más grande, nada acaso.
Sólo las olas saben.
25 A la façon des collages tels que les réalisent les dadaïstes puis les surréalistes, le thème
de ce poème pourrait être extrait directement d’un journal, si le décalage entre le ton
sérieux (« asesinado ») et l’aspect dérisoire (« pájaro ») n’était pas un indice qui oriente
vers la lecture parodique du style journalistique ou du roman policier. Le poète fait
croire au sérieux de l’anecdote, en donnant quelques précisions sur le temps et les
circonstances (« un día/hoy, temblaron... »), vaine tentative puisqu’en même temps
l’écriture se complaît dans l’imprécision totale : le champ sémantique de l’incertitude
est développé au long du poème (« levemente, nada, acaso, nada se sabe, sólo las olas
saben, ignorante, quizá, acaso, alguién quizá ») pour être parachevé dans le dernier
vers : « Todo, es verdad, inseguro ». L’imprécision est telle qu’au vers 11 la donnée du
problème est remise en question : « Fue un pájaro quizá asesinado ». Ce dont il est
question a-t-il réellement eu lieu ? Bien sûr, l’énigme est l’un des ressorts du roman
policier. Mais on est ici en-deçà du mystère : l’imprécision prouve que, partant de rien,
le langage poétique peut créer un texte, et faire croire au « contenu ». Alors si « El caso
del pájaro asesinado » n’était qu’une variation sur le Néant, une exploitation surréaliste
des mots qui renvoient à ce qui n’est pas ? C’est en tout cas une des lectures possibles
de ce texte où la parodie est à l’œuvre, par le détournement d’un certain langage. Une
deuxième interprétation, à un niveau symbolique cette fois, mettrait au contraire en
valeur le message existentiel et le motif de l’oiseau derrière lequel se dessinerait la
figure d’un nouveau « poète assassiné ». Multiplicité des lectures, à la mesure des
différentes facettes d’un même texte...
26 « Nevada », « Daytona », « el oeste », « el sur », « Virginia » tous ces mots glanés dans
Un Río, un Amor — qui sont davantage dotés de connotations mythiques que de
référence à une réalité concrète21 — suggèrent un idéal de fuite, inaccessible dans le
Réel, auquel seule la poésie peut prétendre : le Temps étant celui de l’absence, la seule
plénitude appartient au rêve. Entre alors en jeu le dualisme cernudien « Réalité/Désir »,
dont rend compte l’opposition des déictiques spatiaux et temporels (« aquí/Allá » et
« hoy/un día ») présente dans « No intentemos el amor nunca » (p. 156, ν. 3, 9, 21 et 27),
ce poème qui dit la recherche d’infini et qui EST lui-même réalisation de l’esthétique de
l’évasion. Le passé simple et l’imparfait, renvoyant à un passé lointain et mythique
(« no tuvo sueño, quiso vivir, decía, cantaba, alcanzaba »), sont en accord avec le ton
61
donné dès les premiers vers qui parodient les débuts de contes — l’emploi du verbe
« contar » n’est d’ailleurs pas anodin :
Aquella noche el mar no tuvo sueño.
Cansado de contar, siempre contar a tantas olas,
Quiso vivir hacia lo lejos,
Donde supiera alguien de su color amargo.
27 Comme dans « El caso del pájaro asesinado », « No intentemos el amor nunca » simule
une action autour de laquelle se déroule le texte : le départ du poète vers un paradis
perdu où les objets seraient dotés d’une charge érotique (« barcos entrelazados
dulcemente) », où le concret et l’abstrait s’uniraient de façon troublante (« traje de
olvido », « color amargo »). L’évasion est tout aussi linguistique que thématique, et si le
personnage se laisse bercer par le chant des mots, c’est le texte qui devient à son tour
métaphore du départ en introduisant l’élément merveilleux dans le poème : « Su voz
atravesando luces, lluvia, frío,/Alcanzaba ciudades elevadas a nubes, /Cielo Sereno,
Colorado, Glaciar del Infierno ». Car s’il est à nouveau question des Etats-Unis avec le
Colorado, où se situent les deux autres régions ? Le lecteur peut croire un moment,
comme dans un conte, à l’existence de ces nouveaux pays dont le nom seul émerveille,
mais malgré l’emploi trompeur des majuscules, il s’agit bien de pures inventions ; pris
au sens littéral, ces mots convient le lecteur à pénétrer dans un monde fantastique à
mi-chemin entre l’enfer et le paradis... Le langage réussit bien le dépassement du réel
vers le surréel, tandis qu’en dehors des mots, le désir de fuite aboutit à l’échec. La seule
porte de sortie est alors la chute finale dans le Néant : « Adonde nadie/Sabe nada de
nadie./Adonde acaba el mundo ».
alexandrin heptasyllabe
heptasyllabe alexandrin
alexandrin heptasyllabe
heptasyllabe
heptasyllabe alexandrin
heptasyllabe
31 Voici un exemple de perfection formelle pour un texte qui paradoxalement dit l’échec
de la voix poétique : réalisation de l’irréalisé, transformation de la « realité » en
« désir » par le signe, telle est la réussite de Cemuda dans « Desdicha », et au-delà, dans
chacun des poèmes de Un Río, un Amor. Notre cheminement textuel et « contextuel » a
tenté de mettre en valeur cette réussite en prouvant que même s’il se laisse tenter par
63
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BELLON CAZABAN, Juan Alfredo. La poesía de Luis Cernuda. Estudio cuantitativo del léxico de La
Realidad y el Deseo, Granada, Universidad, Secretariado de publicaciones, 1973.
CAPOTE BENOT, José María, El surrealismo en la poesía de Luis Cernuda. Sevilla, Publicaciones de la
Universidad, 1976.
HARRIS, Derek. : « Ejemplo de fidelidad poética. El superrealismo de Luis Cernuda », La Caña Gris,
1962, pp.102-108.
— : La poesía de Luis Cernuda. Traduction de Luis Cernuda : A study of the Poetry, Tamesis Books
Limited, 1973, Granada, Universidad, Servicio de Publicaciones, 1992.
MORRIS, C.B., « Un poema de Luis Cernuda y la literatura surrealista », Insula, n°207, oct.1971, p.3.
ONIS, Carlos Marcial, « Luis Cernuda », El surrealismo y cuatro poetas de la generación del 27, Madrid,
José Porrúa Turanza (Ensayos), 1974, pp. 209-244.
PAZ, Octavio, « La palabra edificante », Cuadrivio, Barcelona, Seix Barrai, Bilioteca de Bolsillo,
1991, pp.115-139.
— : « Apuntes sobre la Realidad y el Deseo », Corriente alterna, México, 1988, pp. 11-16.
REAL RAMOS, César, Luis Cernuda y la generación del 27, Salamanca, Ed. Universidad, 1983.
SILVER, Philip, De la mano de Cernuda, Madrid, Fundación Juan March/Cátedra, Crítica literaria,
1989.
VELAZQUEZ CUETO, Gerardo, « Para una lectura de Un Río, un Amor de Luis Cernuda », Insula,
n°455, oct.1984, pp. 3 et 7.
VILLENA, Luis Antonio de, « Luis Cernuda y el fuego superrealista », Insula, n°337, déc.1974, p.4.
NOTES
1. « Remordimiento en traje de noche », « Quisiera estar solo en el sur », et « Sombras blancas »
paraissent sous le titre « Cielo sin dueño » (Litoral (Málaga), 8. Mayo de 1929). « Cuerpo en
pena », écrit comme les trois poèmes précédents au mois de mai, est publié quelque temps après
(Revista de Occidente (Madrid), 26. Noviembre de 1929).
2. « Sur le cubisme », Nord-Sud, 1.15 mars 1917, Nord-Sud, Paris, Flammarion, 1975, p.20.
3. « Historial de un libro », in La Realidad y el Deseo, Madrid : Alianza editorial, 1991, p.388.
4. Le 17 novembre 1922, André Breton donne une conférence sur Les pas perdus à l’Ateneo de
Barcelone ; le 18 avril 1925, c’est au tour d’Aragon de présenter à la Residencia de Estudiantes de
Madrid le programme de la révolution surréaliste et d’annoncer : « Nous sommes les agitateurs
de l’esprit. »
5. A. Breton, « Second Manifeste du surréalisme (1929) », Manifestes du surréalisme, Paris,
Gallimard, 1992, p. 119.
6. « Il est aujourd’hui de notoriété courante que le surréalisme, en tant que mouvement organisé,
a pris naissance dans une opération de grande envergure portant sur le langage », A. Breton, « Du
surréalisme en ses œuvres vives (1953) », in Manifestes du surréalisme, « op. cit. », p. 165.
7. Cet article est axé sur les mécanismes formels des poèmes, le nouveau code linguistique
élaboré dans le recueil indiquant une telle démarche : d’une part, l’expression affranchie des lois
de la logique peut difficilement être interprétée comme si la préoccupation majeure du poète
était de produire un sens manifeste ; la permanence de formes traditionnelles, quant à elle,
conduit à une appréhension directe du contenu, à savoir une approche des composantes du
poème.
8. A. Breton, « Second Manifeste du surréalisme », op. cit., p.p.72-73.
9. Les indications de page renvoient à : L. Cernuda, Poesía completa, Volumen I, éd. de Derek Harris
et Luis Maristany, Madrid : Siruela, 1993.
10. Le poète, fidèle à une conception de la « poésie de la vérité », laisse parfois libre cours à la
révélation du désir et de l’acte amoureux ; certains poèmes sont ainsi empreints d’érotisme,
comme « No sé qué nombre darle en mis sueños » (« La lámpara eras tú,/Mis labios, mi sonrisa,/
Formas que hallan mis manos en todo lo que alcanzan », p.161) ou « Carne de mar » (« Sí, los
cuerpos estrechamente enlazados,/Los labios en la llave más íntima », p.164).
11. Ce traitement poétique de la ville est en contradiction avec celui des futuristes qui dix ans
auparavant avaient célébré la ville moderne, exaltation à laquelle Cernuda fait d’ailleurs
65
allusion : « Aquellos años la ciudad grande era tema literario muy a la moda », Historial de un libro,
op. cit., p.390.
12. C’est moi qui souligne.
13. « Ya en Madrid, durante el verano de 1929, continué escribiendo los poemas que forman la
serie, terminándola. Antes había tenido cierta dificultad en usar el verso libre ; con el impulso
que entonces me animaba, la dificultad quedó vencida, llegando a veces, tanto en Un Río, un Amor
como en Los Placeres Prohibidos, a utilizar versos de extensión considerable, en realidad
versículos ». L. C, Historial de un libro, op. cit., p.392.
14. R Reverdy, Nord-Sud, n°13, mars 1918. op. cit., p.73.
15. A. Breton, « Premier Manifeste du surréalisme », op. cit., p.p.48 et 50.
16. « Les adjectifs viennent ajouter à ce rapprochement un sentiment qui rétrécit l’image et nuit
à sa netteté », P. Reverdy, Self-Defence, op. cit, p. 119.
17. Op. cit., p.41.
18. Cf. D. Harris : « Este confesado empleo de símbolos revela la escasa adhesión de Cernuda a las
normas estrictas del surréalisme. El símbolo, con sus implicaciones conceptuales, sufrió anatema
por parte del surrealista verdadero... », « Ejemplo de fidelidad poética : Él superrealismo de Luis
Cernuda », op. cit., p.106.
19. L.C., Historial de un libro, op. cit., p.392.
20. Cf. « Todo esto por amor », p. 160, ν. 14-17 ; « No sé qué nombre darle en mis sueños », p.160,
v.1 ;» Vieja ribera », p.165, v.10-11.
21. « La afición al cine hacía que me interesaran los Estados Unidos, ya que las películas
norteamericanas eran las más cotizadas entonces, y la vida allá la que más cercana parecía al
ideal juvenil, sonriente y atlético, que no pocos mozos se trazaban entonces. Nombres de
ciudades o de Estados de aquel país dieron pretexto a algunos de mis versos. », L. C, Historial de un
libro, op. cit., p. 393.
22. P. Eluard, « Toutes les larmes sans raison », L’amour la poésie, in Capitale de la douleur, N.R.F., éd.
Gallimard, 1991.
23. L.C., Historial de un libro, op. cit., p. 391.
NOTES DE FIN
*. Cf. I. Cabrol, L’écriture poétique de Luis Cemuda dans Un Río, un Amor (1929). La modernité comme
synthèse des esthétiques nouvelles, maîtrise, Université de la Sorbonne Nouvelle PARIS III, 1993.
AUTEUR
ISABELLE CABROL
E.N.S.
66
Introduction
1 Si Luis Cernuda, dans les années vingt et trente, a pu créer, et créer une poésie toute
personnelle, c’est, n’en doutons pas, grâce à un renouveau poétique, en Espagne
particulièrement, qui donne son importance à l’image, à la mise en forme des émotions,
sans que pour cela cette rénovation de l’écriture, formellement parlant, ne relègue au
second plan des émotions tout humaines. Avec Cernuda, cette tendance se manifeste au
plus haut degré, de même qu’un dédain pour la facilité de construction ou d’expression
dont est nettement empreinte sa production.
2 Les six recueils sur lesquels on a choisi de se pencher, Primeras poesías, Egloga, elegía, oda,
Un río, un amor, Los placeres prohibidos, Donde habite el olvido, Invocaciones a las gracias del
mundo, forment ce que l’on a pu considérer comme une autobiographie poétique et
sensuelle où la modernité réside aussi bien dans l’arrière-plan psychanalytique que
dans les outils littéraires, ces recueils délimitant au total une approche cohérente et
évolutive de l’auteur générique de La realidad y el deseo1.
3 Rarement chez un poète l’expression des sentiments ou de l’expérience vitale n’a pris
autant de relief que chez Luis Cernuda. La « particularité » du poète, cet « amour
obscur », peu classique ou du moins peu révélée dans l’Espagne du temps, nous nous
proposons de l’étudier de manière diachronique2 à travers l’évolution de ses propres
définitions, de ses éclaircissements, c’est-à-dire de tout un référentiel ; à travers aussi
des indices formels hardis qui « trouent » en quelque sorte le texte en faisant surgir, le
plus souvent métaphoriquement ou de manière métalinguistique, le (s) sens caché (s),
se cachant de moins en moins ; à travers enfin la présence de thèmes, distincts selon les
âges et les recueils et qui tous enserrent cette délimitation du désir.
67
gardes, est intéressante, bien qu’elle ne puisse pas se substituer à l’analyse du texte, lui
apportant tout au plus des éléments d’évaluation du point de vue de la création
(d’images surréalistes par exemple). Dans Primeras poesías, qui est saturé, comme on l’a
dit, d’images plus hardiment homoérotiques dans sa deuxième mouture, on peut
néanmoins voir des effets de cette imagerie, pour peu que le lecteur s’y intéresse. Il est
captivant, et même émouvant, de déceler un amour qui n’ose pas dire son nom, selon le
mot d’Oscar Wilde3, à travers des formes poétiques d’un classicisme d’encore assez bon
aloi, quoique heurté par des influences guilleniennes et bien entendu quelques images
avant-gardistes.
8 Dans cet entre-deux corrigé, comme on l’a vu, par la suite, et dans un sens qui réaffirme
l’utilisation d’un langage de tous les jours, réside peut-être, formellement, l’hésitation à
dire un autre désir, mi-nié mi-accepté. Par rapport à la liberté grandissante des recueils
suivants, ces poèmes sont bien sages, ponctués, alignant régulièrement des groupes de
cinq quatrains, utilisant beaucoup le classique heptasyllabe, créant de petites pièces
tout d’une masse de dix vers, ainsi que deux sonnets, ce qui est à noter : on se hasardera
à faire remarquer que le sonnet, qui disparaîtra (car trop classique ?) des autres
recueils, est tout de même à la fois le plus classique des poèmes et celui qui peut avoir
le contenu le plus original. On pense à son utilisation si audacieuse au XXe siècle
justement. Si Luis Cernuda « n’est pas encore » homosexuel, il est du moins déjà poète,
et l’on verra par la suite que les deux états (poète, homosexuel, deux différences) ne
font que s’apparier de plus en plus, ce qui donne cette couleur si vraie aux écrits de
Cernuda. Dans le recueil Egloga, Elegía, Oda, la facture est, elle, très classique (exemple :
Egloga se compose de dix strophes rimées de treize vers ou Oda de dix strophes rimées
de quatorze vers, même si elles sont, tout comme celles de l’Egloga, de mètres distincts,
la subversion et la perversion naissant du fait qu’il ne s’agit pas d’églogue stricto sensu).
9 On est frappé, dans la chair même de la poésie cernudienne de ces deux recueils, de
l’atmosphère certes close, mais close et enserrée de la masculinité, ce qui apparaît
notamment dans l’abondance des sonnets masculins ou avec terminaison en o. Les
exemples sont légion ; au hasard : « Morir cuotidiano, undoso/de los hombros en
reposo./ Un abismo deleitoso... »4, qu’il s’agisse de substantifs non connotés
spécialement ou d’adjectifs qualificatifs se rapportant plus sûrement à de l’humain en
général. On notera aussi le jeu, qui peut exister, de l’homophonie entre « hombros » et
« hombres » (cf. « los hombros en reposo »), l’un suggérant l’autre bien entendu dans
un clair-obscur lexical bien pratique. Dans les Primeras poesías, la femme est absente,
elle n’est pas encore remplacée par l’homme mais par un « nadie » asexué (« sin goces
ni sonrisas,/que no amanece nadie », p.75, poème III). Ces exemples s’inscrivent dans
un ensemble plus vaste où l’incertain (« vaga promesa »), le vague, l’euphémistique
(« no acercarán amistades », « amorosa presencia »), le flou, signifient l’incertitude
même du désir et l’impossibilité de la manifester : on pense (p.88, poème XVIII, strophe
2) à l’évocation de la « noche incierta » ; cette façon de faire porter la charge
sémantique d’un sentiment, d’un particularisme, sur un élément extérieur, comme la
nuit, est quasi-systématique chez Cernuda et devient une forme rhétoriquement très
précieuse pour signifier son désir en même temps qu’elle est un des premiers signes
d’une réécriture. Les figures proprement et clairement masculines sont peu
nombreuses et cachées sous l’espèce de la Mythologie (« Un ídolo corona negra frente/
sobre voraz sonrisa... », p.89, poème XIX), mais la référence à un « Narciso enamorado »
ne peut que nous faire réfléchir sur la nature homoérotique du désir... Seules quelques
figures très claires du désir transpercent le flou du poème comme elles traverseraient
69
le flou de la conscience : p.89, poème XIX, c’est donc la référence à l’idole, et aussi la
suite : « Cual anhelo/al ébano del vientre tendió el vuelo/y en su nido se duerme
blandamente ? ». On peut y voir un début de « come out »5 homosexuel dans cette
évocation. Le désir qui n’ose pas dire son nom voit son évocation la plus réussie dans
l’usage des oxymores (p. 76 « sombra luciente » dans le poème IV) qui, plus que toute
autre figure de rhétorique, laisse transparaître la nature contradictoire voire
aporistique de ce désir (i.e. : un homme, qui n’est pas une femme, amoureux d’un autre
homme ; comment réaliser ce désir ? On sera frappé aussi de l’utilisation de structures
négatives (« Soledad sin amor », poème XIX ; « No se siente/el mundo, que un muro
sella », poème XXII) qui exprimeraient un amour impossible sur cette terre.
10 S’il y a affirmation de quelque désir, c’est bien d’un désir particulier et unique (cf.
l’affirmation paradigmatique du poème VII, p.79 : dans la strophe 3, après « no quiero »,
on lit : « Quiero [...] tus brazos » qui représente la longue série d’apostrophes qui sont
comme autant de bornes, toujours plus nombreuses, dans La realidad y el deseo, à mesure
que la voix poématique se fera plus personnelle, multipliera les premières personnes
grammaticales non masquées derrière des tiers historiques, religieux, anecdotiques,
comme Luis Antonio de Villena, par exemple, affectionne de le faire)6. D’ailleurs, même
si le je est parfois représenté sous l’espèce d’un autre : « y el tiempo mira un cuerpo que
se suena/en el cristal fingido irreparable »7, il reste « je ». De la même façon, le « tu »
n’a jamais été si proche du « je » (ou désiré l’être) dans cette volonté de faire corps avec
ce « je », dans cette volonté que l’autre soit enfin reconnu comme l’image de soi-même.
De la même façon, le désir « narcissique » n’est jamais autant homoérotique,
étymologiquement parlant, que lorsque l’amour n’a pas d’autre objet que soi-même,
que son propre corps ; ainsi, dans ces recueils, ce qui est surtout regretté, c’est un
« autre » double de soi, sa mimesis. Les interdits, eux, sont représentés par des adjectifs
comme « infranqueable », comme s’il s’agissait d’un pas impossible à faire, les
interrogations devenant de plus en plus nombreuses (« Y bajará la luna/a posarse en
qué mano ? », p.85, poème XIV).
11 La stérilité d’un tel amour (« la desierta belleza sin oriente », cachée sous une formule
générale et sous un dire très poétique) surgit parfois, de même qu’un autre aspect de ce
désir, son originalité et son caractère rebelle apparaissant dans l’utilisation
d’hypallages hardis, même pour la langue espagnole : « Existo, bien lo sé,/porque le
transparenta/el mundo a mis sentidos/su amorosa presencia »8. C’est surtout
l’abondance des formes qui fait sens. Mais ce « sentido postrado », grande idée de ce
recueil où éclate la solitude, dans un espace et un temps spécifiques, n’apparaît jamais
aussi clairement que dans le surgissement d’une formule telle que « secreto placer » (p.
80, poème VIII), soulignée par l’enjambement, ou « su secreto » (p.84, poème XII).
12 La poésie et ses « trucs » rhétoriques sont utilisés également avec force recours dans
Egloga, Elegía, Oda, recueil qui mérite néanmoins un intérêt moindre parce qu’il
n’apporte pas dans sa structure éminemment classique, quasi-gongorienne, de grandes
innovations dans cette écriture du désir ; à peine la beauté, mais dans son sens très
générique, se concrétise-t-elle, que l’on voit poindre un monde qui invite au plaisir.
Néanmoins, ce qui importe, c’est que dans Oda apparaît pour la première fois une réelle
figure humaine (« De mármol animado », p. 107) où, comme auparavant, c’est la forme,
en une belle formule très révélatrice, qui fait surgir la vérité : « y su forma revela/un
mundo eternamente presentido ». Le double du poète, désiré autant que le propre du
poète par lui-même, surgit à la fois soi-même et autre, dans une strophe telle que celle-
70
l’essence de la poésie, selon Mallarmé12, alors ces thèmes, qui peuvent paraître
prosaïques, trouvent leur sens poétique en ceci qu’ils sont utilisés pour cerner, si on les
relie les uns aux autres, un désir autre. En soi, par exemple, la solitude, le secret, le
silence, la culpabilité, l’interdit, ne veulent pas dire grand chose. Ensemble, et répétés
avec la sourde insistance de l’obsession, de place en place concrétisés, ils configurent ce
désir. Y sont étroitement mêlés, à un niveau déjà purement syntaxique, le corps du
poète et le corps désiré, au point de vue de l’amour homosexuel, dans sa pratique et ses
fins, et assoient l’écriture de ce désir.
16 On poursuit ainsi une approche qui fait la part belle aux métaphores personnelles et
aux mythes obsédants. S’il s’agit de biographie spirituelle en poésie, on se sent autorisé
à le faire. Ainsi, dans Primeras poesías et Egloga, Elegía, Oda, l’homosexualité est-elle
entourée de l’idée de monde clos complètement distinct de la réalité extérieure,
étrangère (d’où la chambre) où la captivité entre les murs représenterait la captivité de
l’être dans son désir différent (« oh ventilador cautivo », p.74, poème II ; « debatiéndose
aislado », poème III). Le sème de la solitude, du froid (« en este salón tan frío », « ciñe el
frío ») renforce cette idée d’un désir qui ne peut se manifester, qui est stérile, qui rend
du moins stérile son unique possesseur différent des autres. D’où l’idée d’être seul,
contre tous ces autres qui ont le même désir, eux. Naît par là même la peine qui colore
ou commence de colorer toute l’écriture cernudienne qu’il s’agira d’évaluer tout au
long de son parcours poétique en : indolence, pessimisme, dégoût...
17 On peut ranger dans ce sème la déréliction, l’abandon (« soledad sin amor », p.89,
poème XIX) qui sont l’exacerbation ou l’exténuation des thèmes précédents de la
claustration solitaire. D’autres sèmes apparaissent qui sont liés à ceux-ci, mais en
négatif, comme le « fugace », le fait de n’être pas heureux de par sa nature
« oxymorique » sur terre. Cernuda y insistera bien, mais seulement plus tard, quand il
le verra dans la pratique. Pourtant, la nature ou une certaine candeur, ingénuité,
virginité (cf. poème XIV, à la page 85) voudrait signifier que tout est possible dans
l’absolu, mais impossible dans la Société. Tout cela est très symptomatique de la lutte
cernudienne. Cela voudrait dire aussi qu’un tel désir est normal, mais ce qui surgit
surtout c’est un sème multiple qui délimite absolument l’homosexualité pour peu que
l'on y prenne garde. Elle est composée pour l’instant du secret, déjà cité (« aunque
aliente su secreto », « las palabras que velan el secreto placer »), du silence (« nadie
suspira », « qué silencio »), du nocturne et de l’obscur (comme le caché, le celé :
« crepúsculo », « sombra invasora », « luces embozadas », « noche (incierta) »,
« oscuridad temblando ») où l'on remarque que les thèmes s’entrecroisent à l’envi et
finissent par faire naître, ensemble, et le flou plus ou moins volontaire et le mystère
totalement assumé, lui qui, pour le moment, représente pour la Société son désir
encore non défini. Par la suite, les thèmes changent pour définir cet amour, dès lors
qu’il sera avoué et assumé.
18 Pour conclure, on dira qu’à travers ces deux recueils, homosexualité et poésie sont
encore deux inconnues, à part l’ode de Egloga, Elegía, Oda qui reflètent surtout, sur les
trois niveaux de l’évolution personnelle du discours, des signes formels ou poétiques et
d’un champ sémantique constitutif du désir homoérotique, une indécision, une lutte
intérieure sous les traits d’un rêve adolescent qui ne trouve point son objet, mais qui
crée une poésie qui n’en est pas moins belle, tout au contraire. On y voit comme une
poussée des « trucs » des avant-gardes. De la même façon, c’est la langue poétique, bien
évidemment métaphorique, qui permet de « laisser entendre » — suprême habileté et
72
voir auparavant comment se matérialisent ces pensées et ces sensations dans le corps
même du texte.
22 b. Un río, un amor est composé de poèmes courts, ou assez courts, comme ceux de Los
placeres prohibidos, où la forme devient de plus en plus libre. Les trois premiers poèmes
sont trois quatrains, mais bientôt apparaissent des strophes polymétriques, en une
irrégularité spatiale déjà fort impressionnante. De même pour Los placeres prohibidos, où
l’on allonge un peu le plaisir, et l’amertume, où l’on alterne vers classiques et vers que
l’on peut déjà qualifier « de la fracture » — historiquement, cela n’est pas
nécessairement sot —, vers longs comme un jour sans plaisir réel (exemple : « Qué ruido
tan triste el que hacen dos cuerpos cuando se aman », p.149, dans le poème éponyme)
ou vers qui se « prolongent » d’une ligne à l’autre en coupant le souffle du lecteur — en
l’emportant ?... On pense à tout le poème De qué país, pages 155-156. On citera aussi,
sans l’étudier plus en détail, le jeu des enjambements : un seul exemple suffira parmi
d’autres : « He venido para ver los mares/dormidos (...) », dans He venido para ver, p.
162).
23 Mais c’est bien dans les realia exprimées que son désir apparaît le mieux. Dans Un río, un
amor, c’est par l’intermédiaire de cette construction formellement rigoureuse de
paysages urbains (les mêmes que ceux de Walt Whitman14, du Lorca de Poeta en Nueva
York15, tous deux, de même sensibilité) que l’on retrouve cette évocation toujours
nocturne, toujours secrète, presque toujours citadine, de la recherche homosexuelle. Il
n’y a d’ailleurs pas mille façons, si l’on suit ici la Marguerite Yourcenar de Alexis ou le
traité du vain combat16, de dire l’essentiel de ce désir. Il y a bien ici quelques lieux
exotiques et ensoleillés, mais ce sont les Etats-Unis de Walt Whitman17, tout aussi
sensuel. C’est le Sud qui est annoncé, ce Sud si cher aux homosexuels, dans une idée de
liberté et de sensualité que reprendront des écrivains aussi différents que Wilde18, Loti,
Gide19, Paul Bowles, Jean Genet20, Luis Antonio de Villena, Tony Duvert, et bien d’autres,
qui trouvent en Méditerranée un terreau pour assouvir leur passion (cf. Quisiera estar
solo en el sur, p. 116). On pense aussi à cet état du Nevada où, plus métaphoriquement
que jamais, « los árboles abrazan árboles » et où « hay nieve dormida/sobre otra nieve »
(cf. Nevada, pp. 119-120). On pense aussi à Durango, pages 125-126, où se fait jour très
clairement l’idée de l’amour homosensuel : « Las palabras quisieran expresar los
guerreros,/ bellos guerreros impasibles ». Daytona semble être (pp. 126-127) un des
rares lieux possibles du bonheur libre qui se clôt sur cette strophe universelle : « Mirad
como sonríe hacia el amor Daytona ». On citera enfin la Virginie, autre lieu mythique
pour le poète, et deux poèmes très sensuels, Carne de mar, même si la sensualité essuie
un échec dans la personne d’un énigmatique « él » pas invité au festin (cf. p.136) et La
canción del oeste, pages 137-138 (« Lejos canta el oeste »).
24 Ce bonheur lointain est de toute façon toujours contrebalancé. Le recueil qui ouvre le
poème, par exemple, Remordimiento en traje de noche, est en cela assez paradigmatique,
Cernuda ayant dit lui-même qu’il voulait y faire passer « cierta parte de aquella que no
había dicho hasta entonces »21. Sans insister de nouveau sur les mêmes thèmes qui
reviennent dits de la même façon, peu ou prou, on veut insister sur le progrès de ce
dire vers la clarté. Le corps n’est pas aussi absent qu’on pourrait le penser, puisque le
poème Cuerpo en pena, fort long, lui est consacré. Certes, la révélation hésite encore
(« hacia la flor sin nombre », p. 118), mais dans Como el viento c’est la douleur de la
solitude qui est bien réelle. Le sème de l’obscurité, lui, peut apparaître dans un titre
programmatique comme Oscuridad completa, mais la clarté sur l’état du poète est
74
années plus tard). Mais avant que d’aboutir à ce nouveau manifeste, qui présente donc
ces deux propositions de manière limpide24, voyons comment Luis Cernuda annonce
ostensiblement cet amour. A présent, pour lui, rien n’est plus aisé. Pour le reste, il faut
bien préciser que la forme poétique, pour exprimer une profession de foi, est avant
tout, et fort heureusement, cryptographie, perversion du langage zéro, tout comme
l’homosexualité est « perversion », ou plutôt « pervertissement » de l’amour commun,
zéro, banal.
29 Mais revenons au dire le plus évident du désir du poète : le titre générique du recueil,
Los placeres prohibidos, repris dans le premier poème Diré como nacisteis, érotise donc le
poème et fait se condenser tous les aspects thématiques de l’homosexualité. Il se veut
l’illustration, de la même manière que la pièce poétique tout entière, de la défense d’un
« habeas corpus », au sens de « droit du corps », le plus imprescriptible, face à une
société raillée et presque vomie par tous les pores :
quien insulta esos frutos, tinieblas en la lengua,/ es vil como un rey, como sombra
de rey/arrastrándose a los pies de la tierra/para conseguir un trozo de vida25
30 Ce désir s’achève sur une violence extrême, la violence du désir assumé et exacerbé.
Tous les autres poèmes du recueil n’en sont que des variations qui insistent sur le côté
éphémère du plaisir, de la lutte, toujours à recommencer, où la présence du « tu », en
tant que double impossible (« con solo su presencia ha dividido en dos un cuerpo », p.
147, Telarañas que cuelgan de la razón), aide à cette réalisation du désir homoérotique,
aide à lutter. De même que la présence d’amis : « amigos, me ahogué en fin », « los
amigos de color celeste » (cf. p. 163 : He venido para ver). On pense, cinquante ans plus
tard, à la solidarité dans la condition gay exprimée par les paroles du chanteur pop
bitannique Morrissey26. Un poème comme No decía palabras, qui range le désir du côté le
plus corporel, est très symptomatique de cette écriture homoérotique : « mitad y mitad,
sueño y sueño, carne y carne ;/ iguales en figura, iguales en amor, iguales en deseo »
(pp.149-150), le prouve, alors que l’aspect beaucoup plus prosaïque de la rencontre
homosexuelle est, elle, matérialisée par : « Un roce al paso,/ una mirada fugaz entre las
sombras,/ bastan para que el cuerpo se abra en dos ».
31 Dans ce désir de vérité, naturel, inhérent à l’être, inchangeable (cf. Déjame esta voz, pp.
154-155), mis à part un ou deux poèmes, c’est le je et le tu qui parlent, et la quête de
vérité dans cet amour autre, dont le poète sait à présent qu’il est illusoire et ne résout
rien, n’en est que plus émouvante : « si el hombre pudiera decir lo que ama,/(...) yo
sería al fin aquel que imaginaba », dans le poème éponyme, pp. 150-151. L’autre idée,
c’est la liberté : « Libertad no conozco sino la libertad de estar preso en alguien », p.151
ou « la libertad del color de mis ojos », p. 163 dans He venido para ver.
32 Le poème Los marineros son las alas del amor a pu devenir le poème fétiche de
l’homosexualité pour réunir densément, par l’intermédiaire du sème « rubio », répété
cinq fois, appliqué sensuellement et poétiquement, un érotisme puissant et canaille, lié
à un groupe « connoté » du point de vue homosexuel depuis toujours, les marins : « y
sus ojos son rubios lo mismo que el amor/rubio es también, igual que son sus ojos »,
jusqu’à la fin : « quiero sólo ir al mar donde me anegue,/ barca sin norte,/ cuerpo sin
norte hundirme en su luz rubia », pp. 152-153. On citera aussi dans le même ordre
d’idées « rubio igual que la lluvia,/sombrío igual que la vida es a veces » (Quisiera saber
por qué esta muerte, p. 153) où la blondeur semble aussi représenter une possibilité
d’ouverture par rapport au monde sobre des désirs cachés, toujours latents.
76
secretos », pour conclure par : « Hundo mi cabellera,/ busco labios, miradas,/ tras las
inquietas hojas de estos cuerpos esbeltos » (pp. 192-193). Por unos tulipanes amarillos, pp.
194-195 qui, au milieu du recueil, débute véritablement la série des très longs derniers
poèmes, est une pièce fondamentale. Le narrateur, sorte de nouveau Nathanaël des
Nourritures Terrestres de Gide — on sait en sus que ce dernier influença Cernuda —, s’y
exprime bien sûr à la première personne, manie l’apostrophe pour signifier l’arrivée du
désir, divinisé (« alegre mensaje de algún dios,/ no sé qué aroma joven »), incarné dans
« el etéreo resistente », donc encore assez irréel, qui va faire glisser le poète dans la
sensualité, tel le « pétalo voluptuoso » qu’il est tout entier, tels surtout ces « densos
tulipanes amarillos » métaphoriques, en accord avec la nature.
55 Le message est clair ; ces tulipes sont « erguidos como dichas entre verdes espadas », en
une image phallique évidente que l’on doit voir, après avoir essayé de les éviter tout au
long de cette étude. On y lit bien « por un aletear de labio a labio/sellé el pacto » avec le
mâle visiteur, « rubio mensajero » (même structure que : « nuestra palabra anhela/el
muchacho semejante a una rama florida »). Le reste est anecdotique : c’est la rancœur
qui arrivera bientôt (« Arrastrado en la rafaga,/el claro visitante ya no estaba,/ sólo una
ligera embriaguez por la casa vacía »). Les corps ont laissé transpirer les âmes
(« dejaban escapar el terso espíritu ») et transmis « el peso de una dicha hurtada al
rígido destino » (pp. 194-195).
56 Destin de l’homosexuel, triste, amer, constat aigri sous l’espèce de la poésie... On voit
néanmoins que l’attaque du pédéraste contre la Société castratrice se fait encore une
fois sous le sceau de la poésie33. On remarque aussi que l’homosexualité se veut de
nouveau solidarité (« hermano mío », « tu carne como la mía ») et le lecteur, quoi qu’il
en ait, se sent solidaire et interpellé : « Sabes sin embargo que mi voz es la tuya,/que mi
amor es el tuyo » (pp.196-199). Ce désir, quoique su vain, s’adresse toujours aux mêmes
« amantes » (« ante vuestros ojos, amantes »), parfois dans une évocation de la
mythologie (« pies de jóvenes sátiros,/ danzad más presto cuando el amante llora », pp.
199-202, Dans ma péniche), toujours avec une idée de liberté, même furtive, à la fin.
Même si renaît la tristesse, sous forme là encore d’apostrophe (cf. Himno a la tristeza), on
peut toujours lire : « Luchamos por fingir nuestro anhelo », exactement comme dans ce
dernier poème A las estatuas de los dioses. Soit : un désir de « justicia imposible » qui
passe par les Dieux. Derrière les louanges exaltées aux Dieux d’avant l’homo- ou
l’hétérosexualité, celle-là reste évoquée : « aún no habían mordido la brillante maldad/
sus cuerpos llenos de majestad y gracia », p.212).
57 Mais, pour ce qui est de l’écriture du désir, c’est bien l’antépénultième poème, El joven
marino, (pp.202-208), presque albertien dans son titre, qui est paradigmatique. C’est le
plus long poème du recueil qui déroule lentement, en cent-quarante-sept vers distincts,
la volupté la plus « naturelle », la plus pure dans son érotisme sain, manifeste d’un
amour homoérotique presque divin. En effet, le marin est mort... On pense à cette
vision, mortifère en fin de compte, de la mer, où le corps du marin est magnifié,
« possédé » (sic) par un autre élément masculin, ne nous en cachons pas (« el uno con el
otro », p.207). Pourquoi le marin, d’ailleurs ? On l’a déjà suggéré : cela fait partie de
cette imagerie homosexuelle qui mêle allègrement stéréotypes de calendriers gays,
défilés de Jean-Paul Gaultier34, films de R.W. Fassbinder, livres de Jean Genet et autres.35
58 Citons au hasard les érotiques : « pie desnudo », « tu quebrada cintura contra el
argénteo escudo de su vientre », « aquella remota belleza,/ en tu cuerpo cifrada como
feliz columna » (p.203) où il y a un rappel de l’amour caché. C’est le rappel sempiternel
81
de « una juventud nueva » incarnée au plus profond, au plus intime des hommes (« una
juventud nueva corría por las venas de los hombres invernales », p.204). De même que
cette expression nous rappelle l’existence du mal (« en un lánguido país del perezoso
sur », p.205).
59 Si le marin est exalté36 par son étroit contact, naturel, avec la mer, qui est le
prolongement superbe de cette nature dans ce dernier recueil (il est comparé à
plusieurs éléments naturels et beaux comme « una rosa abandonada sobre el mar », p.
208), il s’agit bien là de la même idée, et dans cet ultime recueil elle a bien le dessus. Ne
glosons plus, rejoignons le poète dans sa dernière vision (page 205, fin du poème, El
joven marino) :
cuantas veces te vi,/ acariciados los ligeros tobillos por el ancho círculo de tu
pantalón marino,/ el pecho y los hombros dilatados sobre la armoniosa cintura,/
cubierto voluptuosamente de lana azul como de yedra,/ el desdén esculpido sobre
los duros labios,/ anegarte frente al mar en una contemplación/más honda que la
del hombre frente al cuerpo que ama.
Conclusion
60 Que Cernuda ait « caché » son désir parce qu’il vivait dans un pays et à une époque qui
n’étaient pas prêts à l’accueillir est finalement secondaire. Que pour laisser entendre,
puis dire ce désir, il ait choisi — comme une vocation vous choisit — la poésie, et ce très
tôt, celle-ci étant intimement liée à sa particularité sensuelle, voilà qui est plus
intéressant. Non seulement la poésie — ou l’état de poète — se trouve être ce qui est le
mieux à même de faire corps avec une autre marginalité, l’homosexualité, mais encore
l’écriture poétique, par essence « autre », par essence « cryptage », se trouve être ce qui
peut le mieux exprimer en chiffre un désir indicible par de nombreux côtés. L’idée de
forger une nouvelle forme, l’idée d’un nouveau « dire » poétique, adapté à la situation,
est alors la grande invention de Cernuda, son apport à la rénovation de la voix
poématique. Cette démarche, au passage, requiert une participation active du lecteur
dans cette dialectique cryptage-décryptage déjà éminement moderne.
61 Si l’évolution de Luis Cernuda est patente dans la définition et l’éclaircissement de son
homosexualité au fur et à mesure de l’écriture de ses poèmes, si la forme est elle aussi
plus claire à mesure que le désir l’est et décide de se dire, devenant peut-être moins
poétique par là même, si les thèmes se répètent enfin, se lassant un peu, tout comme
s’est lassé le désir, reste que ce désir est le même et la révolte contre la Société et ses
normes également.
62 Mais ainsi Luis Cernuda, homme et poète, nous montre-t-il que toute poésie est
marginalité et révolte et cette révolte prend-elle une valeur beaucoup plus générale. Si
l’art a été donné aux hommes pour leur éviter de mourir de la vérité, Cernuda se bat
pour tous les hommes grâce à sa poésie. Et ce combat de première ligne, on serait
presque tenté de dire d’avant-garde, est mené d’abord par les mots, par ces distorsions
formelles courageuses que nous avons débusquées, puis mises en relief. Ce perpétuel
attentat à la pudeur qu’est Cernuda a trouvé et forgé son langage, neuf comme ce qu’il a
à nous dire. Son combat de poète et d’homme prend alors une dimension universelle
qui nous concerne et nous touche tous. Pensons à l’Himno de la page 210 :
Escucha cómo avanzan las generaciones/sobre esta remota tierra misteriosa
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NOTES
1. Edition utilisée : Madrid : Clásicos Castalia, segunda edición, 1983
2. Car c’est la seule valable pour en apprécier les contours changeants et la progression à une
époque, rappelons-le, qui bannit, surtout au Sud, tout désir homosexuel affirmé
3. « ‘L’amour qui n’ose dire son nom’ est, en ce siècle, la grande affection d’un aîné pour un
homme plus jeune [...]. Elle est incomprise en ce siècle, si incomprise qu’on peut l’appeler
‘l’amour qui n’ose dire son nom’ [...]. Le monde raille cette affection et parfois, à cause d’elle, vous
met au pilori »- extrait du deuxième procès d’Oscar Wilde dans la Préface de Léo Lack à : Oscar
WILDE, Le Portrait de Mr. W. H., Paris : Jean-Jacques Pauvert, 1973, pp.12-13
4. Page 76, poème IV.
5. Le « come out » ou « coming out » (en anglais : se découvrir, se prononcer) est une sorte de
profession de foi d’une personnalité homosexuelle qui reconnaît explicitement ou publiquement
son appartenance à cette communauté spécifique et sa volonté d’assumer cette condition
6. Villena choisit souvent ce système : cf. « Giovanni Antonio Bazzi, ‘Il Sodoma’ », pp. 209-210, in
Odas, Huir del invierno (1977-1981), ou « Marlowe », p. 323 in III/Les Etoiles, La muerte únicamente
(1981-1984)-Luis Antonio DE VILLENA Poesía 1970-1984, Madrid : Coleccion Visor de Poesía, 1988.
7. Page 89, poème XIX.
8. Page 79, poème VII.
9. Page 105, Elegía.
10. « You cannot choose but know my love,/ For he a shepherd’s crook doth bear,/ And he is soft
as any dove,/ And brown and curly is his hair./ [...] Ah ! Thou hast young Endymion,/ Thou hast
the lips that should be kissed »- O. WILDE, « Endymion », Poems, Complete Works, London and
Glasgow : Collins, 1990, p.750.
11. Pagel 10, Oda..
12. « Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la jouissance du poëme qui est faite de
deviner peu à peu : le suggérer, voilà le rêve »- « Réponse à l’enquête sur l’évolution littéraire »,
Préface de Daniel Leuwers à : Stéphane MALLARME, Poésies, Paris : Le Livre de Poche, 1977, p. XI-
XII.
13. Pour reprendre l’expression de Miguel J. FLYS pp.37-38 in Introducción a La realidad y el deseo
de Luis Cernuda, op. cit.
14. « La ville toute proche aux constructions si denses, le fût des cheminées,/ les scènes infinies
de l’existence, les usines, les ouvriers qui rentrent chez eux »- Walt WHITMAN, Poème 11, Images
du Président Lincoln dans nos mémoires, Feuilles d’herbe, Paris : Les Cahiers Rouges, Grassset, 1990, p.
207
15. Cf. Ciudad sin sueño (nocturno de Brooklyn Bridge), pp.151-155 ou Grito hacia Roma (desde la Torre
del Chrysler Building), pp.215-217-Federico GARCIA LORCA, Poeta en Nueva York, ed. de M.C.
MILLAN, Madrid : Cátedra, Letras Hispánicas, 1987.
16. « Justement parce que j’aurais pu trouver, dans cette ville inconnue, des occasions plus
faciles, je me crus tenu de les repousser toutes »- Marguerite YOURCENAR, Alexis ou le traité du
vain combat, Paris : Folio, Gallimard, 1987, p.66.
17. « A la crête comme dans le creux des vagues, sur les champs par milliers, la plaine des
prairies »- W. WHITMAN, Poème 14, Images..., op. cit., pp.208-210.
18. « Je m’étonnais d’abord de le trouver en Algérie [...].Adorer le Soleil, ah ! c’était adorer la vie.
L’adoration lyrique de Wilde devenait farouche et terrible »- André GIDE à Propos de Wilde in
83
Oscar Wilde, In memoriam (Souvenirs), suivi de « le De profundis », Paris : Le Mercure de France, 1989,
p.30.
19. « A Kairouan [...], au moment de rentrer dormir à l’hôtel, je me souviens d’un groupe d’Arabes
couchés en plein air sur les nattes d’un petit café. Je m’en fus dormir tout contre eux. Je revins
couvert de vermine »- A. GIDE, L’immoraliste, Paris : Folio, Gallimard, 1988, p. 170.
20. cf. sa liaison avec le jeune Abdallah, sa fuite au Maroc, à Larache, où il fut d’ailleurs enterré-
« Un siècle d’écrivains », Jean Genet, documentaire français de Michel VAN ZELE, France 3, le 22
février 1995.
21. Introduccion de Miguel J. Flys, p.35
22. Page 132, Todo esto por amor.
23. Page 139, ¿Son todos felices ?
24. Soit « los tiernos niños,/ [...] el adolescente,/ [...] el hombre » ; « tiernos niñitos, yo os amo ;/
os amo tanto, que vuestra madre/creería que intentaba haceros daño » : ici il y a un humour, une
revendication toute simple, contre les mauvaises interprétations de la Mère/Société (P.158).
25. Page 146, Diré como nacistéis.
26. « There is a place/reserved/for me and my friends/and when we go/we all will go/so you
see/I’m never alone//all that we hope/is that when we go/our skin/and our blood/and our
bones/don’t get in your way/making you ill/the way they did/when we lived »- Steven Patrick
MORRISSEY, « There’s a place in hell reserved for me and my friends », in Kill Uncle, London : Emi
Records, 1991.
27. Page 159, Como leve sonido.
28. « estoy cansado del estar cansado », p.124, Estoy cansado.
29. Op. cit., page 55.
30. « L’ange Heurtebise, d’une brutalité/Incroyable, saute sur moi. De grâce/Ne saute pas si fort/
Garçon bestial, Fleur de haute/Stature »- J. COCTEAU, Poème II, L’ange Heurtebise, in Vocabulaire,
Plain-Chant et autres poèmes (1922-1946), Paris : NRF Poésie, Gallimard, 1983, p.129.
31. « y clama al mundo sordo su verdad implacable », p.181, poème XVI.
32. Pagel 90, Soliloquio del farero.
33. « mírales como enderezan su invisible corona/mientras se borran en la sombra con sus
mujeres al brazo », p.197, La gloria del poeta.
34. Le couturier s’est servi de cette imagerie très à la mode au milieu des années quatre-vingt
dans toutes les formes d’art de consommation populaire. Il a d’ailleurs été photographié en pull
marin par PIERRE ET GILLES (Jean Paul, 1990), lesquels ont choisi pour couverture de leur
catalogue : Le marin (modèle : Philippe Gaillon, 1985)- Pierre et Gilles, Cologne : Benedikt Taschen,
1993.
35. On pense à Querelle de Brest de Genet (L’Imaginaire, Gallimard) et son adaptation
cinématographique par le metteur en scène allemand (Querelle, avec Brad Davis, Laurent Mallet,
Jeanne Moreau). D’autres histoires de marins homosexuels circulent, de Billy Budd, marin de
Herman Melville (L’Imaginaire, Gallimard), adapté à l’opéra par Benjamin Britten, sujet d’une
chanson de Morrissey, jusqu’aux dessins de l’auteur illustrant Thomas l’imposteur de Cocteau (Ed.
Jacques Damam, Paris-Bruxelles) ou le célèbre Livre Blanc (éd. P. Morihien, 1953).
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AUTEUR
EMMANUEL LE VAGUERESSE
CRID
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