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Le temps en prison :
un jeu de rythmes en quête de sens
Année : 2014
« Le temps en prison : un jeu de rythmes en quête de sens »
« Je déclare sur l'honneur que ce mémoire a été écrit de ma main, sans aide extérieure non
autorisée, qu'il n'a pas été présenté auparavant pour évaluation et qu'il n'a jamais été publié, dans
sa totalité ou en partie. Toutes parties, groupes de mots ou idées, aussi limités soient-ils, y compris
des tableaux, graphiques, cartes etc. qui sont empruntés ou qui font référence à d'autres sources
bibliographiques sont présentés comme tels (citations entre guillemets, références
bibliographiques, sources pour tableaux et graphiques, etc.) »
Je souhaiterais tout d'abord remercier François Février pour son aide et ses conseils lors de
l'élaboration de ce mémoire.
Je souhaiterais également remercier toutes les personnes détenus qui ont accepté de me livrer
une part d'eux-mêmes, l'espace d'une rencontre, à travers des mots souvent très touchants.
Je souhaiterais enfin remercier tous les directeurs de service pénitentiaire qui m'ont accordé
leur confiance et tous les intervenants m'ayant encadrée, qui m'ont permis de découvrir l'univers
carcéral. Tous m'ont beaucoup appris.
Ce Mémoire est dédié à Monsieur Mensah Assiakoley, dont le nom sera à jamais associé à ma
première immersion en détention. Que l'horloge puisse, un jour, habiter chaque cellule.
Liste des abréviations :
CD : Centre de Détention
MA : Maison d'Arrêt
MC : Maison Centrale
PEP : Projet d'Exécution des Peines, devenu Parcours d'Exécution des Peines
Chapitre 2 : La volonté politique d'orienter le temps pénitentiaire vers le futur : donner des
moyens à la réinsertion sociale
Section 1. « Faire son temps » : une réappropriation du temps à l'encontre des intérêts
du détenu
Section 2. La réappropriation du temps en prison : négation et acceptation du temps carcéral
« C'est une chose qu'on n'oublie jamais.
Le jour et l'heure de son incarcération
car c'est là que la vie s'arrête
et qu'une autre commence » .
Lorsqu'un directeur de service pénitentiaire demande en 1973 à Lucien Léger la listes des
choses à changer pour améliorer les conditions de vie en prison, l'ancien détenu, qui a passé
quarante-et-un ans en prison, lui répond que « la première des choses, c'est les montres, parce
que ne pas voir l'heure pendant des jours, des mois, des années ça déstructure une personne »1.
Le temps chronologique en prison est le même qu'ailleurs, il ne déroge pas aux règles
scientifiques des minutes et des secondes qui passent. Mais le temps de l'homme n'est pas le
temps de l'horloge. La psychologie, l'anthropologie et la sociologie s'accordent sur la
subjectivité de la notion de temps, subjectivité de chaque être et de chaque société. La perception
du temps qui passe et la valeur qui lui est associée varient selon différents facteurs, personnels à
l'histoire de chaque homme. Les différentes sociétés vont également percevoir le temps de
différentes manières. Le temps dans l'antiquité grecque était cyclique, puis il est devenu
eschatologique sous le poids de la religion, avant de devenir historique et soumis à l'idée de
progrès au XVIIIème siècle2.
La prison, en tant qu'institution totale 3, développe ses propres rites, symboles, et interactions
sociales. La prison devient une mini-société, au sein de la société. Le temps, à l'intérieur des
murs, prend une autre dimension. Or, la prison est le lieu où s'exécute la peine d'emprisonnement
et de réclusion criminelle. Comprendre le temps de la prison, ses déclinaisons, ses usages, sa
valeur, permet d'enrichir les réflexions sur le sens même de la peine privative de liberté et de
mieux appréhender les décalages qui existent entre l'idéal politique attribué à cette peine et sa
réalité quotidienne.
Le temps pénitentiaire s'appréhende sous plusieurs déclinaisons qui s'interpénètrent : le temps-
condamnation, le temps-sanction/récompense, le temps-organisation, le temps-discipline.
En effet, le temps en prison, se présente d'abord comme un outil judiciaire. Le temps
représente l'une des prérogatives des juridictions de jugement, c'est une peine. Il devient ensuite
la carotte et le bâton du juge de l'application des peines, qui peut soit attribuer des réductions
supplémentaires de peine, soit supprimer les crédits de réduction de peine automatiques.
Le temps est également une valeur, celle de la punition, de la condamnation ; un jugement de
1 Didier Martiny (réal.), Une vie en prison, ADL TV, 2006. 55min.
2 André Akoun, « Temporalité », Dictionnaire de sociologie, Le Robert, Seuil, p. 532
3 Erving Goffman, Asiles, Les éditions de minuit, Coll. Le sens commun, 1968
1
valeur qui s'abat sur le détenu.
Le temps pénitentiaire est aussi une forme d'organisation. Il rythme le déroulement de la peine
et le déroulement de la vie en détention. Ainsi, le détenu évolue dans un régime progressif,
expérimentant d'abord la maison d'arrêt, le centre national d'observation puis l'établissement pour
peine. Il évolue entre le quartier arrivant, le régime de détention normal, le quartier d'isolement,
le quartier disciplinaire et le quartier de semi-liberté. Des établissements comme le centre de
détention de Muret proposent également une évolution vers le quartier de confiance et le quartier
des sortants.
Le temps pénitentiaire décompose aussi la journée du détenu à travers des temps spécifiques,
d'ouverture et fermeture des cellules, de service des repas, de promenade et d'activités. En entrant
dans une prison pour la première fois, c'est d'abord l'espace qui marque les visiteurs, puis très
vite, le temps, comme si chaque mouvement, chaque action devait entrer dans un temps
spécifique qui n'appartient plus à soi mais à la prison.
Le temps est rythmé par le règlement intérieur qui affecte des horaires à chaque mouvement,
permettant de rejoindre les différentes activités proposées. Si comme dans la société extérieure
des horaires sont attribués à l'ouverture et la fermeture des ateliers, de l'école, de l'infirmerie ou
du gymnase, le temps s'en différencie par son unité de lieu. C'est-à-dire que ces activités
s'exécutent dans un seul lieu, mais aussi que leurs horaires sont déterminés par une seule et
même institution. Ils sont alors imposés à l'ensemble des intervenants en milieu pénitentiaire :
d'une part aux détenus, et d'autres part aux personnels.
Ce temps, qui permet de réprimer et de récompenser, et qui s'impose dans l'organisation
quotidienne de la journée, c'est le temps disciplinaire décrit par M. Foucault4.
Le temps apparaît finalement comme un outil de contrôle social : il permet de surveiller et de
contraindre. L'espace restreint de la prison participe à cette fonction. La taille de la cellule du
détenu, seul lieu qu'il peut s'approprier et où il est libre de ses mouvements, ne permet pas de
pratiquer de nombreuses activités. L'espace de liberté dans les mouvements et l'appropriation du
temps y est réduit à son strict minimum. Dans les maisons d'arrêt, où les cellules sont partagées,
cet espace est presque inexistant.
Ces particularités du temps au sein de la détention participent à la création d'une
« temporalité » propre à la prison, qui se distingue de l'extérieur. La temporalité « est le temps tel
qu'il est vécu par la conscience, tant individuelle que sociale, le temps dont elle fait l'expérience.
Avec la notion de temporalité, le temps est défini comme une histoire ouverte sur un futur qui ne
saurait être inscrit dans un ordre quelconque de nécessité et qui se définit comme projet, et
4 Michel Foucault, Surveiller et Punir, France, Gallimard, coll. Tel, 1998
2
grosse d'un passé qui donne sens au projet »5. La temporalité de la prison représente le temps tel
qu'il est vécu, par la conscience des détenus et des différents personnels qui interviennent
quotidiennement dans la prison. Le temps permet la jonction entre un passé, et un projet, afin de
donner sens à ce dernier.
Dans la prison, le passé est la condamnation, et le projet est la libération. Mais le passé, c'est
aussi l'addition de chaque histoire personnelle des individus qui la compose, leur propre
temporalité, le sens personnel qu'ils donnent au temps, et qu'ils vont importer dans la prison dans
leur manière d'être, de penser et d'agir. Enfin, le passé, c'est toute l'histoire de la prison, sa
symbolique, son évolution.
Le projet, c'est le devenir de la personne détenue : son amendement, son redressement, sa
réinsertion. La temporalité de la prison a poursuivi différents objectifs idéaux depuis le 18ème
siècle, mais qui se rassemblent sous deux caractéristiques identiques : d'une part, le détenu est au
cœur de la temporalité de la prison, d'autre part, il portent l'idée d'une progression au service de
la modification des esprits.
Pour parvenir à ces différents buts, le temps de la prison peut prendre trois orientations,
caractérisant trois modèles types.
La prison orientée vers le passé s'incarne notamment dans la forme de la « prison sanction »,
qui vise à ramener la personne détenue à son acte passé, et à lui rappeler ce qui a été commis.
C'est le modèle des premières prisons françaises, qui devaient remplacer le châtiment corporel
par le châtiment de l'âme et de l'esprit.
Le temps de la prison peut aussi être orienté vers le futur ; il s'incarne sous la forme de la
« prison-réinsertion », qui vise à établir un projet dont la réalisation se fera à la sortie. Ce modèle
se dessine dans les réformes successives de 1944 et 1975, autour dans un cas de la notion de
morale, et dans l'autre de la notion d'égalité6. Dans ce modèle, le temps présent de la prison est au
service du futur.
Enfin, le temps de la prison peut également rester immobile dans le présent, et s'incarner dans
la « prison-isolation ». La personne détenue doit alors « faire son temps », s'occuper. Dans ce
cas, l'organisation de la prison empêche le détenu de se projeter dans un futur, et ne vient pas non
plus lui sanctionner un acte passé. Le grand enfermement peut représenter ce modèle.
Depuis la réforme Amor de 1944, « la peine privative de liberté a pour but essentiel
3
l'amendement et le reclassement social »7, c'est à dire qu'elle doit corriger, mais aussi réhabiliter
les personnes détenues. C'est un temps fondé sur un passé, l'acte délinquant, et tourné vers
l'avenir, la réinsertion après la libération. Cette nouvelle temporalité de la prison a des
conséquences sur l'organisation du temps quotidien au sein de la détention : réduction de la durée
maximum de placement en cellule disciplinaire, mise en place d'activités nouvelles dans
l'établissement, « humanisation » des pratiques des surveillants pénitentiaires dans leur rapport
au détenu8.
Les rythmes proposés doivent permettre soit d'éviter la désocialisation des détenus,
notamment pour les prévenus, soit de favoriser leur réinsertion sociale9. Cette notion est
présentée par V. C. Besozzi comme un « processus d'apprentissage qui favorise le
développement et la maturation de la personnalité, de façon telle que l'individu devient membre
reconnu et coopérateur du groupe sociale par l'adaptation de sa conduite aux règles du
groupe »10. L'idée de processus implique du temps, et des étapes. Le travail des personnels
pénitentiaires consiste alors en un accompagnement dans ce processus, et en sa mise en place
dans le temps global imparti par les juridictions de jugement. Deux instruments ont été créés
pour permettre sa mise en œuvre : le projet d'exécution des peines devenu ensuite parcours
d'exécution des peines, et la commission pluridisciplinaire unique. Le premier permet de situer le
détenu dans un processus évolutif au sein de la détention, en établissant la sortie comme dessein
du temps d'incarcération. Le second permet un accompagnement de la personne détenue, en
unifiant le rythme de travail de chaque personnel autour de l'objectif de resocialisation .
Le temps de la prison rejoint ainsi la temporalité capitaliste caractérisée par l'idée de progrès.
Le présent se caractérise ainsi par sa nécessaire utilité au service du futur. Le temps présent de la
détention ne prend sens que par son apport au futur. Les différents acteurs sont comme des
bâtisseurs : si la pose de chaque pierre ne fait pas sens en elle-même, elle prend toute sa force
dans le projet architectural qui doit voir le jour dans le futur.
Cependant, ce « défi » ou ce « mythe »11, dévoile ses limites dans l'analyse du discours des
personnes détenues. Que ce soit dans les témoignages publiés ou dans les entretiens réalisés pour
7 Didier Fassin, Yasmine Bouagga, Isabelle Coutant, et alii, Juger réprimer accompagner. Essai sur la morale de
l'Etat, Paris, Seuil, 2013, p.371 : premiers principes de la réforme Amor, cité par Céré (2001, p.23). Plus
récemment, la Loi du 24 novembre 2009 utilise les termes de « réinsertion » et « insertion » sociale.
8 Didier Fassin, Yasmine Bouagga, Isabelle Coutant, et alii, op. Cit., p.167-174
9 Paul Mbanzoulou, La réinsertion sociale des détenus, de l'apport des surveillants de prison et des autres
professionnels pénitentiaires, L'Harmattan, coll. Sciences Criminelles, 2000
10 V. C. Besozzi, « Jeunes adultes et sanctions pénales : une perspective sociologique », R.D.P.C., n°1, 1991, p. 20,
cité in : Paul Mbanzoulou op. Cit.
11 Paul Mbanzoulou, op. Cit., p. 18
4
cette étude, le temps de la prison ne peut se détacher du présent. Les personnes détenues
ressentent ce temps comme « du vide », « du temps perdu ». Certains, même sur de très longues
peines, vont tourner le dos à la prison en n'employant leur temps qu'à regarder la télé, fumer, et
dormir, seuls, dans leur cellule. D'autres détenus vont multiplier les activités, non pas dans une
démarche active de reprise en main de leur parcours de vie, mais dans une démarche passive,
afin de ne pas voir le temps passer. Ils qualifient leurs actions d' « occupationnelles », c'est-à-
dire, qui ne s'inscrivent pas dans la durée et « poursuivies sans intentions sérieuses, mais
suffisamment passionnantes et absorbantes pour faire sortir de lui-même celui qui s'y livre »12.
Ces occupations se satisfont par elle-même, et non par un projet.
Ici, le temps est bloqué dans le présent. Ce qui compte, c'est de s'occuper, de ne pas voir le
temps passer. En détention, les activités ne servent ni à répondre à un passé, ni à construire un
futur. Le présent ne s'inscrit plus dans le triptyque passé-présent-futur. Le temps de la prison ne
constitue qu'une étape de vie avant de retrouver l'extérieur, là où le temps pourra reprendre un
sens, comme si la réalité s'arrêtait aux murs de la prison.
L'écart est grand entre l'idéal-type de la prison moderne fondé sur la notion de projet et
l'inanité du temps dont font l'expérience les détenus. Pourquoi la temporalité de la prison, tournée
vers la réinsertion, aboutit-elle à la vacuité du temps vécu par les détenus ? Quels sont les
obstacles aux politiques pénitentiaires actuelles, qui visent à orienter le temps de la prison vers la
future libération ?
12 Erving Goffman, 1968, pp. 112-113, cité par Fabrice Guilbaud, « Le travail pénitentiaire : sens et articulation des
temps vécus des travailleurs incarcérés », in Revue française de sociologie, 2008/4, Vol. 49, pp. 763-791.
13 La méthode employée a été l'observation participante, c'est-à-dire une immersion partielle dans le milieu observé,
avec toutefois une assez grande liberté dans les déplacements et le choix des interlocuteurs rencontrés.
5
longues peines et parfois à perpétuité.
- Deux semaines d'observation ont été effectuées à la Maison Centrale de Poissy (78) .
L'établissement reçoit des détenus condamnés à de très longues peines et à la perpétuité, ou des
détenus considérés comme « dangereux », c'est-à-dire soit violents, soit susceptibles d'évasion.
- Enfin, une semaine d'observation a été accomplie à la Maison Centrale de Saint-Maur
(36). L'établissement reçoit des détenus condamnés à de très longues peines et à la perpétuité, ou
des détenus considérés comme « dangereux ». Il est doté d'un système de sécurité renforcé.
Ces observations ont été complétées par de nombreux entretiens libres avec des surveillants
pénitentiaires, des Conseillers Pénitentiaires d'Insertion et de Probation, une Directrice
Pénitentiaire d'Insertion et de Probation, des Directeurs de Service Pénitentiaire, des
psychologues PEP, des agents PEP, des personnels soignants, des moniteurs de sport, une
bibliothécaire, des enseignants, un contremaître, et autres intervenants divers.
De plus, neufs entretiens semi-directifs, d'une durée de trente minutes à deux heures, ont été
réalisés auprès de condamnés à de très longues peines, en maison centrale. Du fait du faible
échantillon, les entretiens ne constituent pas la matière première de cette étude, mais ont permis
de mieux appréhender la perception du temps par les personnes détenues et d'illustrer certains
propos.
L'étude s'appuie également sur une littérature pluridisciplinaire, à la fois macro, meso et micro
analytique, et développée notamment dans les domaines de la sociologie, de la science politique,
de la psychologie et du droit.
Deux axes de réponses sont apportés. Le premier axe est orienté sur le temps de la détention.
Malgré les efforts des politiques pénitentiaires récentes pour imprégner le temps présent d'une
utilité au service du temps futur, c'est-à-dire de mettre en place une politique de réinsertion, le
temps pénitentiaire apparaît comme polymorphe, et imperméable aux entreprises de
modification. Le temps idéal est confronté au temps réel.
Le second axe est orienté sur le temps des détenus. Ce temps se caractérise principalement
par le « présentisme ». En effet, le temps qui est expérimenté par les personnes détenues est
marqué par son rapport à l'infraction passée et à la sanction. Pour s'échapper de cette temporalité
douloureuse, les détenus se réinvestissent dans le présent.
Ainsi, à la volonté politique de faire du temps pénitentiaire un temps utile, immergé dans le
triptyque présent-passé-futur (Partie 1), s'oppose la réalité vécue par les détenus, c'est à dire un
temps marqué par l'inanité et le présentisme (Partie 2).
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Partie 1. Le temps de la détention : la conquête d'un temps
utile au centre du triptyque présent-passé-futur
En maison d'arrêt avant-tout, mais aussi dans les établissements pour peines, la détention est
marquée par un rythme soutenu voir effréné. Dès le matin, l'établissement se met en mouvement,
les portes commencent à s'ouvrir, le personnel à se déplacer, les diverses activités à se mettre en
place. En maison d'arrêt, le déplacement des détenus ne pouvant s'accomplir sans l'aide d'un
surveillant, les mouvements sont incessants, et souvent accélérés par la gestion de l'urgence.
En établissement pour peine, l'emploi du temps des détenus, tel qu'il est attendu pour
bénéficier de réductions de peines supplémentaires14 ou d'aménagements de peines15, prend tout
l'espace disponible de la journée. Dès le matin, les détenus descendent à l'atelier pour travailler,
remontent le midi pour le déjeuner, redescendent jusqu'à 16h ou 17h, puis bénéficient d'environ
deux heures de temps disponible hors de leur cellule. C'est durant ce temps très court qu'ils
doivent, entre autre, se rendre à l'école, suivre des soins, pratiquer un sport ou une activité,
profiter du plein air de la promenade, discuter avec d'autres détenus, téléphoner à la famille,
s'entretenir avec leur CPIP, ou prendre une douche. La détention s'anime pleinement avant que
les cellules ne se referment et que le calme regagne les couloirs.
Les personnels et intervenant expérimentent également ce temps lorsqu'ils traversent les
couloirs pour se rendre d'un endroit.
Finalement, le temps en détention est un curieux mélange de latences, de mises en mouvement
subites et de débrouilles pour maximiser l'efficacité des courts espace-temps disponibles.
Au sein de ce rythme décousu, les personnels tentent de donner du sens à leur travail, et
d'imposer, dans les créneaux horaires qui leur sont fournis, leur propre temporalité, c'est-à-dire
leur propre expérience du temps, dans un projet qui fait sens, en fonction de leur profession et
rôle au sein de l'établissement. Ces projets sont distincts les uns des autres, consistant par
exemple en la réparation des corps pour les personnels médicaux, la sécurité de l'établissement
pour les personnels de surveillance, la réinsertion pour les personnels d'insertion et de probation
ou encore le profit pour les contremaîtres. L'expérience du temps et les objectifs poursuivis sont
donc différents pour chaque corps de métier. Les buts à atteindre se situent à plus ou moins
courts terme selon chacun, ce qui crée des appréciations distinctes des durées et de la vitesse, de
l'effort à fournir et de la valeur du temps passé. Le détenu, à qui l'on demande de pratiquer une
7
variété d'activités, est ainsi confronté à différentes temporalités et doit s'y adapter à plusieurs
moments de la journée afin de satisfaire chaque objectif.
Le rythme, observé en détention, diffère selon les établissements. Il résulte de trois sources :
le code de procédure pénale, les circulaires de l'administration centrale pénitentiaire et les notes
de service du chef d'établissement.
Du côté du législateur, il s'avère que son pouvoir est avant-tout indirect, exercé par le biais de
modifications du mode de gestion de la détention et des prérogatives du juge de l'application des
peines. C'est le cas par exemple avec le choix du régime de portes ouvertes ou portes fermées, la
réglementation sur le nombre de promenades et parloirs autorisés, ou les conditions d'attribution
de RPS. Cependant, rares sont les propositions de réglementation directe des temps
pénitentiaires. Un rapport du Sénat proposait en 2000 de « prolonger les activités jusqu'à 20
heures » afin « de permettre à ceux qui travaillent de suivre parallèlement des enseignements ou
de profiter des activités »16. Mais le débat n'a pas été suivi. La Loi du 24 novembre 2009 a
timidement commencé à reconnaître certains enjeux dans l'organisation temporelle des
16 Guy-Pierre Cabanel, Rapport de la commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements
pénitentiaires en France, créées en vertu d'une résolution adoptée par le Sénat le 10 février 2010, Sénat, n°449,
Publié au Journal officiel du 29 juin 2000, séance du 29 juin 2000, p. 195
8
établissements. Elle est ainsi à l'initiative d'un « Règlement intérieur type »17 dans lequel les
horaires sont à la fois au service de la sécurité de l'établissement 18 et du détenu lui-même19. Mais
une grande liberté est laissée au directeur de service pénitentiaire dans la gestion temporelle de
son établissement.
Le « maître du temps », celui qui peut modifier l'emploi du temps de la prison, est donc le
chef de l'établissement. Cependant, lorsque ceux-ci sont interrogés sur la gestion du temps dans
leur établissement, leur pouvoir s'avère plutôt restreint. Peu de directeurs pénitentiaires
s'aventurent dans une modification des horaires. Modifier les horaires des détenus correspond à
modifier les horaires de travail des surveillants mais aussi des autres personnels intervenants. Il
s'agit d'une opération très délicate, avec une opposition syndicale forte du côté des surveillants, et
un risque de mobilisation des détenus. De plus, les directeurs de services pénitentiaires sont
invités à changer d'établissement tous les cinq ans. Cela leur laisse peu de temps pour s'habituer
au nouveau lieu, analyser ses déficits et avantages, et s'engager dans une démarche de
modification des horaires ou des rythmes des différents personnels.
Le temps de la prison va exister en dehors de lui, à travers un processus de construction
interne et multifactoriel. Le sens du temps, produit de la rencontre de ces différents facteurs, sera
ainsi polymorphe et multidirectionnel. Les différents acteurs au sein de l'établissement vont
confronter leur propre expérience du temps, et leur propre attente du temps de la prison, parfois
compatibles avec les autres, parfois antagonistes.
Ainsi, le temps de la détention n'existe pas par un projet précis et déterminé par un acteur. Il
se crée dans la prison, précédé par une histoire, et enfermé dans une architecture immobile. Le
temps est ancré dans la continuité (section 1). Au sein de l'établissement, le temps et les rythmes
pourront se déployer dans l'espace qu'il leur reste à partir d'une rencontre entre les différentes
temporalités qui cohabitent voire se confrontent (section 2).
17 Décret n° 2013-368 du 30 avril 2013, relatif aux règlements intérieurs types des établissements pénitentiaires pris
pour l'application de l'article 86 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire
18 Article 8, al. 2 : « Les déplacements s'effectuent en ordre, dans le calme et dans le respect des horaires prévus. »
19 Article 4, al. 2 : « La durée pendant laquelle la personne détenue est enfermée en cellule la nuit ne peut excéder
douze heures. »
9
Section 1 : Phénomène de continuité et perspectives temporelles
M. Seyler a publié une étude en 1980 qui met en relief la continuité du modèle idéal de la
prison tout au long de l'histoire, et qui s'incarne dans les sept maximes « de la bonne condition
pénitentiaire » de Michel Foucault. Selon M. Seyler, les réformes pénitentiaires ne constituent
que des « mises à jour » de l'institution, afin de l'aligner sur l'état de la société extérieure. « Si le
« modèle » peut, en dépit des échecs, perdurer, c'est qu'il se situe au plan idéal, où l'échec est
sans signification puisque l'idéal est, par définition, un moment qui n'est jamais atteint. ». Ainsi,
les réformes pénitentiaires ne font que proposer de nouveaux idéaux types, sans déployer les
moyens nécessaires pour les atteindre. La prison a été pensée comme un idéal de réinsertion.
P. Lascoumes réaffirme cette inertie en 2006 dans le domaine des sciences politiques. Il
compare l'évolution des politiques pénitentiaires avec les ruptures politiques dans différents pays
(chute du mur de Berlin, fin de l'Union Soviétique, fin de l’apartheid en Afrique du Sud,
démocratisation en Turquie). Il fait le bilan d'une relative continuité des politiques pénitentiaires
malgré des fractures politiques. Même dans les pays où les changements de paradigmes étaient
10
prononcés, ceux-ci étaient toujours secondés par des mouvements retirant « l'essentiel de leur
portée concrète ». C'est-à-dire, un manque de changement dans « l'organisation matérielle des
établissements » et de « changement significatif dans le personnel ». P. Lascoumes conclut qu'il
« doit y avoir des transformations simultanées des trois composantes des politiques publiques
(paradigmes, programme politique, mode opérationnel) pour qu'interviennent des changements
de fond. Le cas de la Russie et de l'Afrique du sud montrent explicitement qu'un changement de
paradigme ne se suffit pas à lui-même ».
L'institution prison est toujours porteuse des stigmates de sa création. Issue de la culture
chrétienne en France, elle en porte encore les traces (i). Mais plus encore, ce sont les
caractéristiques substantielles de la prison qui définissent sa constance. Les politiques actuelles
ne pouvant se dégager d'une définition historique de la prison, sa temporalité reste
indubitablement porteuse d'un modèle constant (ii).
i. La marque du christianisme :
20 Fabrice Guibaud, « Le travail pénitentiaire : sens et articulation des temps vécus des travailleurs incarcérés »,
Revue française de sociologie, 2008/4, Vol. 49, pp. 763-791
21 Sur ce sujet : Arnaud Gaillard, Sexualité et prison. Désirs affectifs et désirs sous contrainte Paris, Max Milo, 2009
22 Attente des CPIP et des JAP que les personnes détenues éprouvent des remords, demande de versements volontaires
aux parties civiles en plus des versements automatiques, etc.
11
faut « purifier » dans le présent. Enfin, M. Foucault constate que « l'emploi du temps est un vieil
héritage », celui des « communautés monastiques [qui] en avaient sans doute suggéré le modèle
strict ».23 Il analyse cette similarité entre temps pénitentiaire et temps monastique par le but
commun de leur temporalité : la discipline.
De plus, les similitudes s'expliquent du fait que l'Eglise est la première à penser la prison entre
le XIème siècle et le XIIème siècle. A cette période, l'Eglise va fortement réagir contre les
Cathares et déployer une lutte contre l'hérésie, en développant l'idée de la « correction des
âmes ».
La définition même de la prison semble partagée par tous les acteurs depuis le XVIIIème siècle,
et à travers tous les Etats qui l'ont expérimentée. En réalité, la prison peut avoir plusieurs sens.
Au Moyen-Age, la notion de prison était principalement considérée comme la simple
« interdiction de sortir d'un territoire »24. Ce n'est qu'à partir du XVIIIème siècle, entre autre par
l'apport des « Lumières », que la prison s'est imposée comme un lieu d'enfermement et de
discipline des corps. La prison s'est alors caractérisée par une prise en charge de la vie des
détenus et de leur emploi du temps, dans une unité de lieu.
Aujourd'hui, les politiques françaises, et plus généralement européennes, n'arrivent pas à se
dégager de cette définition. Pourtant des tentatives d'évolution ont été menées. Des prisons dites
« ouvertes » ont vu le jour. En France, le Centre de Détention de Mauzac en est un exemple de
concrétisation. Au Danemark, l'expérience est allée plus loin puisque près de soixante pour cent
des places en établissements pour peine sont en prisons « ouvertes »25. Ces établissements
proposent une plus grande autonomie des détenus dans la gestion de leur temps, tout en
conservant une unité de lieu. En France, ces exemples sont anecdotiques et les choix politiques
sont revenus sur une organisation plus traditionnelle de la prison. La terminologie même de
« prison ouverte » rend compte de la difficulté à s'extraire de la définition traditionnelle de la
prison, et d'intégrer d'autres formes d'enfermement et d'organisation temporelle. De même, le
modèle pénitentiaire canadien intrigue les français tant il leur apparaît improbable que la prison
puisse, dans sa forme commune, sortir de son unité de lieu, et permettre aux détenus de sortir de
l'établissement pour travailler ou réaliser diverses occupations26.
23 Michel Foucault, Surveiller et Punir, France, Gallimard, coll. Tel, 1998, p. 175
24 Morgane Hilaire (2013/2014). Notes de cours : Histoire de la réclusion criminelle, 28 p (M. Soula, Maitre de
conférence à l'Université de Pau).
25 Ces prisons proposent entre autre des cuisines et supérettes. Barbara Liaras, « Danemark : « normaliser » le
quotidien des condamnés », in Dedans dehors, n°77-78, septembre-novembre 2012, p.49
26 Morgane Hilaire (2013/2014). Notes de cours : Le système pénitentiaire canadien (Marion Vacheret, Professeure à
12
M. Seyler observe une « constance dans l'idée que l'institution se fait de la manière dont elle
doit fonctionner [qui] ne fait rien moins que l'économie de la dimension temps, comme si la
prison n'avait pas à remplir une mission sociétale et donc temporellement incarnée, comme s'il
lui était loisible d'instaurer sa propre temporalité, temporalité d'institution totalitaire totalement
close sur elle-même. Ce qui pourrait expliquer l'échec successif des réformes pénitentiaires,
réformes qu'il ne faut pas analyser en termes d'amélioration de l'existant, mais de "mise à jour"
de l'institution, tentative d'alignement sur l'état de la société extérieure »27. Aujourd'hui, cette
observation s'avère toujours d'actualité, car si le début des années deux milles est marqué par
l'entrée en prison d'une multiplicité de droits nouveaux pour les détenus, elle n'en est rien de
moins qu'une « mise à jour » sur l'évolution des libertés de droit commun, et de leur
reconnaissance, évitant à la personne détenue d'être proportionnellement moins bien traitée en
prison qu'à l'extérieur que la personne détenue d'il y a cinquante ans. En exemple, celui des
débats sur les conditions de détention : à la demande de postes de radio et de téléviseurs, se
substituent les demandes de téléphones portables et d'Internet.
Si au niveau institutionnel le temps pénitentiaire est marqué par une certaine constance, au
niveau des établissements, le même phénomène se produit. D'une part, les établissements sont
marqués par une « culture » propre et résistante (a), et d'autre part, l'architecture carcérale fige
l'organisation du temps (b).
a. La « culture » de l'établissement
Chaque établissement est marqué par une « culture » propre. Cette culture est issue de son
histoire, de la volonté de ses créateurs, du type de population accueillie, de son emplacement
urbain ou rural, de sa gestion publique ou semi-privée des grands noms qui y sont associés et des
événements marquants qui y ont eu lieu. Ces caractéristiques vont naturellement envelopper
l'établissement dans une image pré-construite, et systématiquement associée. Divers moyens vont
renforcer le lien entre l'établissement et son image.
D'une part, une symbolique forte peut être attachée à l'établissement, provenant de la
médiatisation intra-institutionnelle – au sein de l'administration – ou extra-institutionnelle –
auprès de la population générale. Elle sera le fruit d'un article de journal, d'un ouvrage, ou d'un
l'université de Montréal).
27 Monique Seyler, « La banalisation pénitentiaire ou le vœu d'une réforme impossible », In Deviance et société, vol 4
N°2, 1980, p.134
13
rapport officiel, ayant médiatisé une expérience particulière de l'établissement, bonne ou
mauvaise28.
D'autre part, la culture va être véhiculée à la fois par les personnels pénitentiaires et par les
détenus au sein même de l'établissement. Si les personnels de surveillance sont tous formés à la
même école, ils doivent cependant apprendre les coutumes de chaque établissement où ils vont
exercer. Ce sont les anciens surveillants qui vont apprendre aux nouveaux les façons de procéder
ici ou là 29. De même, malgré l'accueil des nouveaux arrivants en détention, réglementé par les
RPE (règles pénitentiaires européennes), les nouveaux détenus sont désorientés et vont se
socialiser au sein de la détention par le biais des anciens détenus 30 – ceux qui effectuent une
longue peine ou les récidivistes. Ces détenus favorisent la permanence d'une certaine temporalité
en transmettant leur propre expérience passée et en fournissant des consignes sur une
organisation du temps qui leur est propre et ancienne.
28 La mutinerie de 1987, qui a eu lieu à la MC de Saint-Maur, marque la pratique des surveillants, même nouveaux,
qui éviteront certaines situations afin d'éviter la réitération de l'incident.
29 A la MC de Poissy, le dialogue, le consensus et l'apaisement de la détention apparaissaient comme des méthodes
partagées par la majorité des agents rencontrés. A la maison centrale de Saint-Maur, cette approche était moins
apparente et verbalisée
30 Cécile Gaffuri, Julien Fromget, L'accueil des détenus dans les prisons françaises, Paris, l'Harmattan, 2011
31 Morgane Hilaire (2013/2014). Notes de cours : Architecture Pénitentiaire, 7 p. (Christian Demonchy, Site
universitaire d'Agen).
14
pénitentiaires sont sectorisés, que ce soit pour séparer les différentes catégories pénales 32, les
différents régimes de détention33 ou les différentes affinités34. Préférer un grand espace pour une
activité, comme un grand gymnase par exemple, aboutit au fractionnement de ses horaires
d'accès afin que les différentes populations ne se rencontrent pas. Au contraire, à Saint-Maur, de
petits espaces ont été aménagés dans chaque bâtiment, proposant chacun soit du matériel de
sport, soit des accessoires de jeu, soit du matériel artistique. L'accès continu à ces activités est
ainsi facilité.
L'architecture joue également un autre rôle dans la perception du temps. A Muret, le personnel
a insisté sur le bienfait des espaces verts, qui permet aux détenus de voir passer les saisons et de
conserver des repères temporels élémentaires. Les vitres qui longent les couloirs permettent
également de conserver la notion du temps journalier et des heures qui passent en même temps
que la progression du soleil. Dans les cellules disciplinaires, la vision sur l'extérieur est au
contraire restreinte à une petite fenêtre rectangulaire. Pour Jean-Pierre Weiss, président de
l'Agence pour l'immobilier de la justice, « La prison est évidemment un endroit où le temps a un
sens tout particulier et il faut pouvoir le voir passer ». Ainsi, la lumière « c'est un combat, un
combat que nous sommes en train de gagner mais c'est un combat »35.
De plus, la prison, pour répondre à sa mission de sécurité, dispose de nombreuses portes et
grilles. Leur disposition va casser le rythme de déplacement dans l'établissement ; morceler
« l'espace carcéral, à travers le temps haché des attentes passives devant chacune d'elles »36.
Lorsqu'un mouvement a lieu, qu'un incident se produit, ou qu'un surveillant est occupé à autre
chose, les portes peuvent rester fermer de nombreuses minutes. La vitesse de déplacement est
considérablement réduite et une impression de lenteur habite les murs de la prison. Le goût des
détenus pour le sport devient cohérent ; plus encore qu'à l'extérieur, la pratique sportive permet
de rester « éveillé », dans son corps et dans son esprit, d'avancer sans être interrompu, de
déployer son corps sans entrave. En outre, les temps d'attente aux grilles sont des temps inutiles,
durant lesquels les détenus ne peuvent rien faire. Les multiplier c'est favoriser la vacuité du
temps carcéral. Cette impression est également partagée par les personnels pénitentiaires. Une
conseillère d'insertion et de probation témoignait de la lourdeur de ces attentes durant lesquelles
elle ne peut rien faire d'utile. Dans une société où la productivité est au cœur des valeurs
32 C'est le cas en maison d'arrêt pour séparer les prévenus des personnes condamnées.
33 A Muret, l'établissement est séparé entre de nombreux régimes : régime arrivant, régime normal, régime de
confiance, régime sortants, régime d'isolement ou régime disciplinaire.
34 A Saint-Maur, le régime « normal » était constitué de deux bâtiments « hermétiques » afin d'éviter la confrontation
de « bandes » rivales.
35 Hélène Pauliat, Eric Negron, Laurent Berthier, La prison, quel(s) droit(s), Pullim, 2013, p. 144
36 Dominique Lhuilier, Le choc carcéral. Survivre en prison, Bayard, Coll. Société, 2001, p. 25
15
modernes, les personnels se sentent impuissants dans leur quête de reconnaissance.
Paradoxalement, « ce sont les portes qui donnent le la à une journée carcérale. Leur
ouverture accompagne les grands moments de la vie en détention : les « mouvements » divers
(terme qui en dit long sur l'immobilité inhérente à la réclusion) lors du départ pour les ateliers,
les promenades, les cours, etc. , mais aussi les repas ou les passages des cantines » [Marchetti,
37
2001, pp. 167-168 ]. La porte qui immobilise le temps impose ainsi au détenu son propre
tempo.
L'architecture intérieure influence le temps d'autres manières encore. L'aspect uniforme de ses
espaces participe à la perception d'un temps continue. Au contraire, lorsque les espaces sont
structurés de manière diversifiée, la notion de mouvement et de changement sera mieux
appréhendée, le temps plus rythmé. Les couloirs jouent également un rôle. C. Demonchy analyse
l' « architecture de couloirs » comme l'architecture du contrôle des déplacements38. Si en plus les
couloirs apparaissent sombres et sans décoration, la personne détenue ressentira d'autant plus
l'emprise de l'établissement qui s'exerce sur elle, et l'intuition d'un temps prélevé par l'institution.
L'architecture intérieure est la première chose à laquelle fait face un détenu à son arrivée. Elle
fait écho à la politique menée au sein des murs, et participe à l'appréhension générale de
l'établissement par le détenu. Cette architecture peut exprimer à elle-seule la sanction et
l'humiliation, ou au contraire l'accueil et l'intégration. Dans le premier cas, le temps sera plus
facilement perçu comme long et douloureux, dans le second cas, le temps pourra plus facilement
être perçu comme dynamique et favorable à l'activité. Cette première image de la détention
influencera l'acclimatation du détenu dans son nouveau lieu de vie.
37 Cité dans : Fabrice Guilbaud, « Le travail pénitentiaire : sens et articulation des temps vécus des travailleurs
incarcérés », Revue française de sociologie, 2008/4 vol. 49, pp. 763-791
38 Christian Demonchy, « Généalogie de la prison moderne », En ligne, http://www.theyliewedie.org/ressources/
biblio/fr/Demonchy_christian_-_Genealogie_de_la_prison_moderne.html , consulté le 16 août 2014
16
I. Le temps pénitentiaire : un temps polymorphe
Le temps social de la prison (b) est le résultat de la rencontre d'une multitude de temps
personnels (a).
a. Le temps personnel
Le temps personnel correspond à la perception du temps par l'individu. Il est le fruit de ses
expériences de vie, de sa culture, de sa personnalité, de ses idéaux, voire de ses problèmes
psychiques.
« Le temps n'est pas vécu de la même manière selon les détenus, cela dépend de plusieurs
variables : la durée de peine ou l'ancienneté en détention pour les prévenus, les conditions de
détention, l'âge, la catégorie socio-professionnelle, le délit.... »39. Les jeunes, par exemple, « ne
conçoivent pas le temps dans la durée, mais dans l'instant et le plaisir immédiat » [Aquatias,
1999, p. 27]40. Toutes ces variables offrent un champs infini de temps vécus et verbalisés par les
détenus.
Les détenus condamnés vont devoir réinvestir leur temps personnel au sein de la détention.
Pour les prévenus, l'entreprise est plus complexe. En effet, la personne doit expérimenter une
multitude de temps aux logiques différentes. D'une part, elle est encore présumée innocente, elle
se situe donc dans le temps social de l'extérieur, où elle peut encore se projeter. D'autre part, elle
est soumise au temps pénitentiaire stricte de la maison d'arrêt, particulièrement imperméable au
temps extérieur. Enfin, elle est également soumise au temps judiciaire 41, celui de l'incertitude du
procès, de la lenteur de l'instruction, et de la présence discontinue des avocats.
En considérant la prison comme une micro-société, un « temps social » propre peut lui être
attribué.
Le temps social correspond à la confrontation des temps personnels de chaque personne
pénétrant l'enceinte de l'établissement. Il se caractérise donc par une diversité de perceptions, de
valeurs et d'organisations .
39 Fatima Outaghzafte-El Magrouti, « L'espace-temps carcéral : vers une gestion temporelle des demandes des
reclus », In Espace populations sociétés, 2007/2-3, 2007, pp.371-383
40 Cité dans : Fatima Outaghzafte-El Magrouti, « L'espace-temps carcéral : vers une gestion temporelle des demandes
des reclus », In Espace populations sociétés, 2007/2-3, 2007, pp.371-383
41 Claire Bogaard, « introduction à la temporalité carcérale », In Le Passe Murailles, n°21, nov/déc. 2009
17
Le temps personnel des détenus est déterminant. Ils vont importer dans la prison une image du
temps fabriquée à partir de leur profil social, de leur culture, de leur parcours de vie, de leurs
idéaux. A travers les entretiens, une grande variété de rapport au temps est apparue, mais
l'échantillon est trop petit et la grille d'entretien trop peu adaptée pour effectuer une
classification. La question reste ouverte.
Le temps personnel des personnels pénitentiaires est plus simple à analyser, car s'il est
caractérisé par leur expérience de vie personnelle, il est aussi déterminé par l'expérience de leur
corps de métier.
Il apparaît ainsi que le temps des personnels de surveillance et de direction est marqué par
l'objectif de sécurité. Ils vont de ce fait employer le temps de la détention comme un outil de
discipline. Mais les approches se révèlent également différentes d'un surveillant à un autre.
Certains vont privilégier la rigueur des horaires, et utiliser le temps comme moyen de contrainte,
tandis que d'autres vont préférer la flexibilité et prendre le temps de la discussion et de la
rencontre avec la personne détenue, le temps devient un outil pour la connaissance d'autrui.
De plus, depuis plus de dix ans, l'entrée d'intervenants extérieurs a permis un renouvellement
de la conception du temps. Ils importent leur propre expérience du temps – médical, scolaire,
associatif ou encore religieux. Leur indépendance à l'administration pénitentiaire, par leur
appartenance à un ministère différent ou au secteur privé, garantit une appréhension autonome du
temps, qu'ils vont transmettre aux détenus. En effet, le temps n'est pas investi de la même
manière s'il est employé pour soigner le corps, réinsérer, enseigner, divertir, ou produire de la
valeur marchande. Or personnel médical, personnel d'insertion et de probation, personnel
scolaire, animateurs, moniteurs de sport, et contremaîtres pénètrent la prison, avec leur propre
approche et usage du temps. A la nécessaire rapidité et constance de la production industrielle,
s'oppose par exemple le rythme lent de la psychothérapie.
Si la diversité des expériences du temps peut être considérée comme une richesse pour les
détenus, elle peut également devenir source de tensions. En effet, il est plus difficile pour la
personne détenue, qui doit d'abord faire le deuil de sa temporalité extérieure, de se reconstruire
une image du temps, alors que celui-ci lui est présenté sous de multiples formes.
18
II. Interactions entre le temps personnel et le temps de la prison
Le temps pénitentiaire va s'imposer à la fois aux détenus (i) et aux professionnels (ii).
L'entrée en prison est marquée par l'anonymat, la perte d'identité. Madame B. Brahmy
remarque ainsi que la première étape lors de l'arrivée dans la détention, c'est l'attribution d'un
numéro d'écrou43. Celui-ci sera associé au détenu tout au long de son incarcération. Le détenu ne
retrouve son nom personnel, non associé à ce numéro, qu'à l'occasion des parloirs avec sa
famille, des parloirs avec son avocat ou des rendez-vous médicaux. La prison présente ainsi des
techniques de mortification, c'est-à-dire de dépersonnalisation, propres à l'institution totale. En
réaction à ces techniques, beaucoup de détenus, et notamment les primo-délinquants, font
l'expérience du « choc carcéral ».
La gestion du temps est l'un des outils de mortification. En effet, en maison d'arrêt, premier lieu
de détention du prévenu et du condamné, la personne est totalement dépossédée de sa gestion du
temps. L'organisation appartient intégralement à l'institution, qui fixe les horaires du lever, avec
la ronde des surveillants, les horaires des repas, avec la distribution à heures fixes des plateaux
chauds, et les horaires de déplacement, avec la dépendance du détenu au surveillant pour aller
42 Jean Chesneaux, « Cinq propositions pour appréhender le temps », Temporalités [en ligne], 1/2004, mis en ligne le
23 juin 2009, http://temporalites.revues.org/648, consulté le 15 juillet 2014,
43 Betty Brahmy, « La vie quotidienne en prison », Canal U, Université de tous les savoirs. In http://www.canal
-u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/la_vie_quotidienne_en_prison_betty_brahmy.1515, En ligne, consulté le
06 août 2013
19
d'un point à un autre. Pour obtenir la moindre information, que ce soit sur le fonctionnement de
la détention ou sur un élément de l'extérieur comme l'évolution de son affaire, la personne
détenue doit attendre qu'un surveillant soit disponible pour lui répondre ou transmettre ses
questions. A l'ère de l'Internet de la « petite poucette » de Michel Serres, dont font partis les
jeunes détenus, la fracture est profonde. L'information est très lente, les déplacements également.
Le détenu fait l'expérience du temps de la prison, pesant et inamovible. De plus, les détenus
restent environ vingt-deux heures sur vingt-quatre dans leur cellule. L'espace y est restreint, et
partagé avec une à trois personnes. A leur arrivée les détenus n'ont pas eu le temps de cantiner un
matériel qui leur permette de passer le temps à leur façon. Ils n'ont, en général, que des livres et
la télévision. En outre, les détenus doivent adapter leur gestion du temps à celle des codétenus.
Dans les entretiens, les personnes interrogées ont fait part de leurs grandes détresse en maison
d'arrêt, du fait du manque de temps solitaires, durant lesquels ils pourraient se détendre pour
penser, faire le point, ou ne serait-ce que pleurer.
44 Dominique Lhuillier, Le choc carcéral. Survivre en prison, Bayard, Coll. Société, 2001, p. 9
45 Dominique Lhuillier, Op. cit., p. 10
46 Jérôme Englebert, Psychopathologie de l'homme en situation. Le corps du détenu dans l'univers carcéral , Paris,
l'Hermann, Novembre 2013, p. 67
47 Dominique Lhuillier, Op. cit., p. 30
20
Le détenu ne peut donc sortir de l'état de « choc » carcéral, qu'à partir du moment où il
retrouvera la maîtrise ou du moins la réappropriation de son temps personnel. Ce cheminement
peut se faire de trois manières : la soumission, la rébellion ou le renoncement48.
48 Emmanuel Gaboraud, Jean-Pierre Kahn, « Le temps détenu », In Information psychiatrique, vol. 81, n° 7,
septembre 2005, pp. 621-626
49 Morgane Hilaire, « L'autorité temporelle de la prison au regard du personnel pénitentiaire », mémoire de DU de
Sciences Criminelles, sous la direction de Virginie Gautron, Université de Nantes, 2013
50 Berangère Montet, « Le détenu en cellule : violences, adaptations et reconstruction », mémoire de certificat
d'aptitude aux fonctions de CIP, sous la direction de L. Gras, ENAP, 2006, p.52
21
socio-culturelles. De ce fait, si le temps de la détention s'impose au détenu arrivant, son temps
personnel retrouve une certaine place au fur et à mesure de la peine. Après avoir perdu un rôle
social, auprès de sa famille, de ses amis, de son travail, la personne détenue développera de
nouveaux rôles investis dans la détention. A la scission entre « l'avant » et « l'après » de
l'incarcération, se substituent de nouveaux repères temporels qui peuvent être institutionnels –
tels que la fin de la période de sûreté ou son passage en CAP – ou plus intime – tels que le
classement à un poste envié ou encore la reconnaissance d'autres détenus par un fait déterminé.
Si le temps de la détention s'impose aux personnels, ces derniers restent les maîtres de leur
temps au sein de leurs créneaux horaires. Ils vont déployer leur propre temporalité au sein de
l'espace spatial et temporel qui leur est imparti. L'autonomie des personnels et intervenants
semble relativement bien respectée. Ainsi, le personnel médical et scolaire, dont la temporalité
n'est pas toujours comprise par le personnel pénitentiaire, n'a pas d'obligation de rendre compte
des évolutions des détenus en CPU où ils sont parfois absents. Dès lors que les personnels et les
intervenants n'ont pas à rendre de compte, ils sont libres de déployer leur propre temporalité au
sein de leur espace.
Cependant, cet espace s'impose à eux, et est souvent partagé avec d'autres personnels. Ainsi, la
plupart des CPIP sont contraints d'intervenir dans des parloirs et non dans un bureau. Or la
temporalité s'exprime aussi par le lieu. L'ombre de la détention est ainsi toujours vivante au sein
de cette temporalité.
***
Le temps de la prison se présente donc comme un construit très complexe, et qui semble
résister à l'histoire de manière « quasi-magique ».
Aujourd'hui, les acteurs politiques se sont réinvestis de la question pénitentiaire, afin de peut-
être mettre un terme à cette linéarité.
22
Chapitre 2 : La volonté politique d'orienter le temps pénitentiaire vers
le futur : donner des moyens à la réinsertion sociale
Pour réussir la réinsertion, objectif des politiques pénitentiaires modernes, le temps présent de
la prison doit être orienté sur l'avenir. Mais encore faut-il que la personne détenue se saisisse de
son temps en détention pour en faire quelque chose d'utile.
Les politiques pénitentiaires récentes ont ainsi évolué en deux sens. D'abord, elle ont
commencé à reconnaître la temporalité personnelle de la personne dans l'organisation de la vie en
détention. Cette reconnaissance passe entre autre par l'attribution de droits et une modification
des pratiques professionnelles. Elle permet d'individualiser le traitement qui sera attribué à
chacun, et ainsi d'optimiser les chances de réussite. Ensuite, les politiques pénitentiaires ont
développé des outils de réinsertion. Ils permettent à la personne détenue de donner un sens à
leurs activités en prison, en créant une continuité entre présent et futur, détention et libération.
Le détenu est ainsi mis au cœur de la temporalité pénitentiaire afin de le mettre en condition
pour préparer sa réinsertion (section 1). Des instruments vont ensuite permettre aux différents
personnels pénitentiaires de faire du temps présent de la détention un temps utile au service de la
réinsertion des personnes détenues (section 2)
23
I. Dignité et temps carcéral : la prise en compte de la temporalité personnelle du
détenu
««Considérant,
Considérant,d'uned'unepart,
part,que
quelelePréambule
Préambulede delalaConstitution
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Constitution
Constitution pour fixer les règles concernant le droit pénale et la procédure pénale, de déterminer les
pour fixer les règles concernant le droit pénale et la procédure pénale, de déterminer les
conditions
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la dignité
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la
personne ».Conseil constitutionnel. Décision n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009, Loi pénitentiaire, cons.3.
personne ».Conseil constitutionnel. Décision n° 2009-593 DC du 19 novem bre 2009, Loi pénitentiaire, cons. 3.
a. Temps et dignité
Différentes lois ont donné des droits aux personnes détenues quant aux horaires de la
détention. Par exemple, les deux principaux repas doivent être espacés d'au moins six heures51,
ou encore, l'enfermement la nuit en cellule ne peut excéder douze heures. Le rapport au principe
de dignité n'est pas explicite, mais ces lois s'inscrivent dans le mouvement de reconnaissance des
droits inaliénables et sacrés de la personne humaine.
Plus encore, reconnaître la dignité de la personne détenue, c'est aussi reconnaître sa propre
temporalité et la respecter autant que possible. Si autrefois certains établissements régulaient les
actions des détenus à la minute, il n'est plus possible aujourd'hui de lui imposer de participer aux
activités. Ainsi, le travail, la promenade ou la douche sont des droits qui ne peuvent plus être
imposés au détenu. A la maison d'arrêt de Montauban, des douches ont même été installées à
24
l'intérieur des cellules.
Les personnes détenues ne sont donc plus contraintes de se soumettre au rythme de la prison,
elles peuvent choisir de ne pas recourir à ces activités, sans que cela constitue une faute
disciplinaire. Pour adapter le rythme de vie de la personne détenue à celui de la société, afin de
garantir sa réinsertion, l'administration pénitentiaire doit donc modifier ses méthodes et trouver
de nouveaux outils. Dans les établissements observés, ils sont encore rares. De ce fait, certains
surveillants pénitentiaires ont avoué leur désarrois face à des personnes détenues qui refusent de
se doucher, qui ne se lèvent pas le matin, ou qui ne sortent jamais de leur cellule. Autrefois, ces
mêmes surveillants recouraient à des méthodes disciplinaires, officielles ou officieuses, qu'ils ont
dû abandonner. La mission semble maintenant déléguée au SPIP, au personnel médical et aux
diverses associations, qui mettent parfois en place des ateliers consacrés à l'hygiène de vie. Mais
ces ateliers sont rares et n'accueillent pas beaucoup de personnes détenues. Ils s'avèrent pourtant
être un moyen intéressant pour apprendre au détenu les rythmes de vie essentiels à leur
réinsertion.
Reconnaître la temporalité personnelle des personnes détenus a modifié les pratiques des
surveillants pénitentiaires.
D'une part, comme ils ne peuvent plus anticiper précisément les déplacements des détenus, les
surveillants pénitentiaires ont vu leur charge de travail augmenter. Or le temps, pour eux, c'est
avant-tout une organisation, une gestion, qui leur permet d'être efficace. La planification leur est
importante. Dorénavant, en maison d'arrêt ou en maison centrale, ils sont plus souvent soumis
aux interpellations inopinées des personnes détenues. Par exemple, les détenus peuvent
demander à être accompagnés aux douches à tout moment sur la plage horaire dédiée à cela. Ces
imprévisions nécessitent plus de disponibilité.
De plus, ils vont être amenés à humaniser leurs pratiques, à faire du relationnel. Comme ils ne
25
peuvent plus s'imposer à chaque fois au détenu, ils développent de nouvelles pratiques comme la
conciliation. Il s'agit là d'une adaptation au temps du détenu : la conciliation sera plus ou moins
longue selon l'interlocuteur, elle impose que le surveillant prenne le temps d'expliquer sa position
au détenu.
c. De l'infantilisation à la responsabilisation :
Les politiques pénitentiaires, établissant depuis 1975 la mission du reclassement sociale par
l'égalité sociale, bouleversent la temporalité idéale de la prison. En effet, pour aboutir à une
égalité sociale effective, la prison va devoir soigner, éduquer, former, et revaloriser le détenu à
ses propres yeux. Pour se faire, les professionnels vont adapter leurs pratiques à la temporalité
personnelle du détenu (a). De plus, le détenu est également placé au cœur de la temporalité
pénitentiaire (b).
Définir l'égalité sociale comme la clef de voûte de la réinsertion, c'est poser le postulat que
l'acquisition d'éléments manquants à l'individu lui permettent de retourner dans la société
extérieure, où il aura tous les outils pour s'y adapter. Ainsi, deux phases temporelles
apparaissent : une première, centrée sur l'apprentissage et la « réparation » sociale, et la seconde
centrée sur la réinsertion. Pour réussir cette première phase, les acteurs pénitentiaires doivent
26
adapter leurs méthodes à la temporalité de chaque détenu, que ce soit dans les activités
d'apprentissage ou de soins (i). De plus, la revalorisation de la personne détenue à ses propres
yeux implique également de travailler à partir de sa propre temporalité pour en faire émerger des
réussites personnelles (ii).
Dans l'antre privée du psychologue, la temporalité du détenu devient non plus simplement
centrale, mais le sujet même de l'analyse. Ainsi, le psychologue s'appuie sur l'analyse du récit du
patient, et sur sa capacité à se situer dans la chronologie présent, passé, futur.
De même, la temporalité du détenu peut devenir le sujet d'une activité artistique menée au sein
de la détention.
Dans les ateliers, le contremaître, qui est pourtant guidé par des objectifs de productivité,
52 Jean-Marie Allain, « La mixité sociale à l'épreuve des nouvelles temporalités », In Espace, populations, sociétés,
2007/2-3, p. 301
53 Parmi les personnes interrogées, un grand nombre présente des originalités marquées dans leurs rythmes de vie. Par
exemple, deux personnes avaient un rythme de sommeil très particulier, acquis avant la prison : l'un ne dort que
deux heures par jour, un autre répartit son sommeil sur trois périodes de trois heures. De plus, détenus et
surveillants témoignent du mode de vie nocturne d'un grand nombre de jeunes détenus. Des temporalités souvent
inadaptées à la temporalité sociale « normale ».
54 Mathias Millet, Daniel Thin, « Le temps des familles populaires à l'épreuve de la précarité », in Lien social et
Politiques, n°54, 2005, p. 153-162
27
s'adapte lui aussi aux personnes détenues. G. Guilbaud remarque ainsi des jeux d'adaptation
constantes entre les personnes détenues classées et le contremaître, reposant sur le temps de
fabrication des pièces 55. La temporalité de la personne détenue peut même se déployer
totalement dans certains ateliers quasiment « auto-gérés »56.
55 Fabrice Guilbaud, « Le travail pénitentiaire : sens et articulation des temps vécus des travailleurs incarcérés », in
Revue française de sociologie, 2008/4 Vol. 49, p. 786
56 L'atelier son, à la maison centrale de Saint-Maur est auto-géré, et les personnes détenues forment elles-mêmes les
personnes détenues en formation.
28
Ainsi, de nombreux matériaux de réinsertion sont proposé aux détenus : cours
d'alphabétisation, école, diplômes de tous niveaux, travail, soins, sports, permis de conduire,
assistants de service sociale, associations de lutte contre les toxicomanies, point d'accès au droit,
religion, activités culturelles et artistiques, parloirs familiaux, UVF. Nous appellerons cela des
« outils de concrétisation » dans le sens où ils permettent au détenu de concrétiser un projet,
d'user du présent pour aboutir à un avenir défini.
Le centre de détention en est le lieu de prédilection. Le ministère de la justice note d'ailleurs
que « les CD ont un régime de détention principalement orienté vers la resocialisation des
détenus »57.
En maison d'arrêt, les activités sont moins nombreuses mais s'y retrouvent. Ainsi, à la maison
d'arrêt de Montauban, un atelier cirque est organisé chaque semaine, l'école propose des cours
adaptés, et une association de lutte contre les toxicomanies reçoit les détenus à leur demande.
Mais la maison d'arrêt présente l'inconvénient d'adapter ses activités aux courtes peines, ce qui ne
permet pas d'organiser des projets de longue durée. De plus, les détenus peuvent à tout moment
sortir de la prison en cours d'instruction ou être affectés à un établissement pour peine après
condamnation. Le projet est interrompu et rarement poursuivi.
En maison centrale, le régime de détention est d'abord axé sur la sécurité. Cependant, les
maisons centrales de Poissy et de Saint-Maur essaient tout de même de mettre à la disposition
des détenus une large variété d'« outils de concrétisation ».
L'accès à ces outils est de droit pour chaque détenu.
En Centre de détention, l'accès est facilité par les déplacements « libres » des personnes
détenues au sein de la détention. A l'établissement de Muret, le bâtiment de confiance propose un
régime encore plus propice : les détenus sont libres de se déplacer de sept heures à vingt-trois
heures, et ce, à la fois dans leur secteur et dans le secteur de détention normale.
Cependant, des filtres se présentent aux détenus. Tout d'abord, pour accéder au travail, au
sport ou à l'école, les détenus doivent être « classés ». En général, une liste d'attente va séparer
temporellement leur volonté de rejoindre l'activité et l'accès à celle-ci. De plus, la demande doit
passer en CPU, organisées à des rythmes différents selon les établissements. Ce temps d'attente
peut permettre la maturation d'un projet, mais aussi décourager certaines personnes.
De plus, l'organisation temporelle de la prison est principalement organisée autour des
57 Cette formule se retrouve par exemple sur la page Internet de présentation du CD de Muret :
http://www.annuaires.justice.gouv.fr/etablissements-penitentiaires-10113/direction-interregionale-de-toulouse-
10128/muret-10843.html, consulté le 17 août 2014
29
ateliers58. Ainsi, dans plusieurs établissements, l'accès aux diverses activités est réduit à de courts
créneaux horaires, en fin de journée. Les détenus doivent faire des choix. Ceux qui ne travaillent
pas – soit entre un tiers et la moitié de l'effectif total dans les établissements pour peines
fréquentés – ne peuvent accéder librement à toute la diversité des « outils de concrétisation » et
sont confrontés à l'oisiveté le reste de la journée. Ils doivent alors trouver des moyens de combler
leur temps eux-même, en cellule, en promenade, ou dans les salles qui sont à leur disposition.
Enfin, le régime de détention peut supprimer l'accès à ces outils, c'est le cas notamment du
régime en quartier disciplinaire et, dans une moindre mesure, du régime en quartier d'isolement.
« Pour une responsabilisation totale, le détenu doit allier à sa maîtrise du présent une
anticipation du futur. »59 Le décret du 8 décembre 199860 a créé le PEP pour « donner plus de
sens à la peine privative de liberté en impliquant le détenu dans la gestion de sa peine pendant
toute la durée de son incarcération ». L'administration pénitentiaire dispose ainsi d'instruments
pour que la personne détenue lie son présent et son passé (a), son présent et son avenir (b), et
puisse en fin de compte, à partir de ce triptyque temporel, faire sens au temps (c).
58 Fabrice Guilbaud, « Le travail pénitentiaire : sens et articulation des temps vécus des travailleurs incarcérés », In
Revue française de sociologie, 2008/4 Vol. 49
59 DENAMIEL Isabelle, La responsabilisation du détenu dans la vie carcérale, Paris, L'Harmattan, Coll.
BibliothèqueS de droit, Aaoût 2006, p.65
60 Décret n° 98.1099.
30
a. Une réflexion sur la relation passé-présent
L'administration pénitentiaire propose aux personnes détenues plusieurs outils qui permettent
de mieux comprendre la relation entre le passé et le présent, afin de lui faire comprendre
pourquoi est-ce qu'elle doit subir une peine.
Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation travaillent avec le détenu sur ce
rapport entre passé et présent au cours de leurs entretiens individuels et au cours des PPR
(Programme de Prévention de la Récidive). Le psychologue PEP travaille également sur cette
relation. Il va questionner le détenu dans son analyse du passé, et l'aider dans cette démarche. Ils
questionnent ainsi l'acte délictuel.
De plus, les conseillers pénitentiaires vont également travailler sur la situation criminogène de
la personne. Ainsi, ils vont relever ce qui a manqué à la personne et qui l'a plongée dans la
délinquance. A partir du constat de ces déficits, ils vont établir, conjointement avec la personne
détenue un programme à mettre en place pendant la détention.
Enfin, la fiche PEP comprend des éléments antérieurs, tel que l'évaluation initiale de la
personne, ses expertises psychiatriques, sa situations sociale et familiale avant l'incarcération,
l'infraction commise, et les anciennes condamnations.
61 Isabelle DENAMIEL, La responsabilisation du détenu dans la vie carcérale, Paris, L'Harmattan, Coll.
BibliothèqueS de droit, Aaoût 2006, p. 67
31
c. Le triptyque présent-passé-futur pour faire sens au temps
Pour faire sens, le temps de la prison doit s'inscrire dans le triptyque présent-passé-futur.
Ainsi la personne détenue va devoir interroger son temps présent au regard du temps passé :
elle doit donc questionner sa place en prison, au regard de l'acte commis d'une part, et de sa
situation sociale antérieure d'autre part. Quel acte a été commis ? En quoi est-il mauvais ?
Pourquoi cet acte a-t-il été commis ?
La personne détenue doit également interroger son temps présent au regard du futur :
comment réintégrer la société ? quel est le projet qu'elle veut s'attribuer ? Quels sont ses désirs ?
A partir de ces questionnements présent-passé et présent-futur, la personne détenue va pouvoir
investir son temps présent comme une passerelle entre son passé et son avenir. Comment investir
son présent pour avoir plus de chance de « réussir » dans l'avenir, sans réitérer les erreurs d'hier ?
Le présent en détention prend sens, il est un véritable lien entre un passé et un futur à
l'extérieur de la détention.
32
a. L'absence du détenu dans son parcours d'exécution des peines
Le parcours d'exécution des peines est proposé au détenu dès son arrivée en quartier arrivant.
Mais faute de temps pour les personnels pénitentiaires, il est rapidement établi. De plus, à son
arrivée, le détenu est encore dans un univers inconnu, qu'il doit appréhender. Ce moment n'est
pas le plus opportun pour l'élaboration d'un projet sérieux63.
Par la suite, le temps consacré à la mise à jour de son projet est quasiment inexistant. Les
entretiens avec le psychologue PEP n'ont lieu qu'une fois par an et pour des durées parfois très
courtes64. Dans la réalité, ils sont encore plus espacés. De plus, si un détenu refuse l'entretien,
quelle qu'en soit la raison, la proposition ne sera pas réitérée avant son prochain passage en CPU,
c'est-à-dire l'année suivante. La personne détenue peut donc rester plusieurs années sans être
intégrée à l'élaboration de son propre parcours d'exécution des peines.
Le travail avec le conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation est cependant plus
régulier. Mais, alors que plusieurs rapports préconisent un ratio de soixante voire quarante
dossiers par conseiller, il est aujourd'hui au dessus de cent dans la plupart des établissements. Les
CPIP ne peuvent accompagner efficacement l'ensemble des détenus. De plus, la bureaucratisation
de leur profession ampute leur temps de travail dédié à la discussion avec la personne. Les
conseillers sont de plus en plus contraints de ne faire que de la vérification de documents
destinés au JAP. Enfin, dans un seul des établissements observés le bureau des CPIP était
conjoint à celui du psychologue et de l'agent PEP. Il leur est donc difficile de mutualiser leur
travail.
62 Cathy Le Moine, « L'individualisation du traitement pénitentiaire dans le cadre du PEP en milieu fermé », mémoire
DPIP, ENAP, 2013
63 Julien Fromget, Cécile Gaffuri, L'accueil des détenus dans les prisons françaises, Paris, L'Harmattan, 2011
64 Durant les entretiens auxquels j'ai pu assister, certains ne duraient que vingt minutes.
33
b. L'absence d'outils nécessaires à l'administration pénitentiaires
La personne détenue dispose donc d' « outils de concrétisation » pour mettre en œuvre son
projet. La Loi pénitentiaire du 24 novembre 200965, dans sa dynamique d'attribution de droit et
de devoirs à la personne détenue, a prévu une obligation d'activité. Cependant, lors des
observations, celle-ci était encore bien méconnue des personnels pénitentiaires. Ainsi, pour
accéder à ces outils, encore faut-il que le détenu en ait développé l'envie, et y trouve un sens. Il
doit le faire par un processus nécessairement endogène : une prise de conscience personnelle –
qui peut faire suite à une réflexion propre ou à un événement. L'incarcération peut être
considérée comme un événement initiateur de la prise de conscience, mais ce n'est pas une
généralité. Parfois, l'événement sera une naissance, un décès, une rencontre. Dans tous les cas, il
s'agit d'un processus long et incertain. Or l'administration pénitentiaire ne dispose pas d'outil
pour aider la personne détenue à entrer dans ce processus.
Pour encourager la personne détenue à la prise en compte des outils disponibles,
l'administration se rabat quasi-exclusivement sur les instruments du juge de l'application des
peines : les aménagements de peine – pour lesquels les détenus ne s'impliquent qu'après la fin de
leur période de sûreté – et les RPS. Cependant, le juge est le seul maître de sa décision, et
parfois, les garanties exigées dépassent les capacités de l'établissement.
De plus, l'investissement des détenus dans des « efforts sérieux de réadaptation sociale » est
faussé par la récompense. Dès lors, cet investissement est dirigé vers un moment bref, la sortie,
et non inséré dans un processus de longue durée – la création d'un projet sérieux, duquel le
détenu serait intimement persuadé, et encore porteur après sa sortie. Or, « il n'y a pas de projet
sans un sujet-auteur qui montre sa capacité à concevoir et à réaliser ses propres intentions »66.
Pour que le détenu puisse se saisir de son projet, il devra en devenir l'auteur, c'est-à-dire le
penser et le construire lui-même. Ce processus peut se faire avec l'accompagnement d'un
conseiller ou du psychologue PEP, mais sans jamais que celui-ci ne s'impose. Or, le manque de
temps et la routine peuvent conduire les professionnels à proposer un schéma de projet. Ces
schémas seront certes individualisés, car correspondant à des caractéristiques propres au détenu,
mais seront aussi systématisés et préconçus. D'une part, le projet prend en compte les diplômes et
compétences du détenu pour lui proposer une formation ou un travail par exemple, d'autres part,
il est déjà pré-établi dans la pratique du professionnel, et peu susceptible de modification du fait
du manque d'intégration du détenu dans la conception.
65 Article 62 de la Loi du 24 novembre 2009, précisé par l'article R. 57-9-1 du Code de procédure pénale.
66 Jean-Pierre Boutinet, Psychologie des conduites à projet, PUF, 1993
34
c. De la réinsertion à la surveillance
Malgré l'absence d'investissement du détenu dans son parcours d'exécution des peines,
l'administration pénitentiaire semble tout de même très attachée à la CPU et au PEP. Pourquoi un
tel engouement pour des instruments qui n'aboutissent pas au résultat escompté ?
Il faut rappeler que la CPU est dirigée par le chef d'établissement, et que le personnel PEP
appartient entièrement à l'administration pénitentiaire. De plus, la mission première du directeur
pénitentiaire est d'assurer la sécurité au sein de son établissement. Or, la CPU et le PEP sont
d'excellents instruments de surveillance, non seulement des corps, mais surtout des esprits. Ainsi,
les psychologues PEP réalisent des fiches PEP pour chaque détenu. Ces fiches retracent le
parcours du détenu en détention : sa condamnation, son comportement, ses transferts, le résumé
de ses expertises psychiatriques, ses classements et déclassements. La fiche est mise à jour par le
psychologue PEP et suit le détenu dans tous les établissements qu'il fréquente. Elle permet de
mieux comprendre la personnalité de la personne détenue. Si l'administration pénitentiaire a
choisi de donner ce rôle à un psychologue, c'est bien pour essayer de mieux percer l'esprit des
personnes détenues et non seulement leur comportement.
La CPU, de son côté, réunit autour d'une même table un grand panel de professionnels : CPIP,
psychologues PEP, surveillants pénitentiaires, mais aussi enseignants, personnels médicaux,
moniteurs de sport. Tous vont livrer au directeur leur expérience avec le détenu, leurs ressentis,
leurs appréhensions. L'addition de chaque observation va permettre de créer un profil complet de
la personne détenue, de son comportement et de son psychisme. Elle va également permettre
d'évaluer la dangerosité de la personne, ses difficultés en détentions, son moral, ses influences.
Le protocole PEP et la CPU prennent ainsi la forme d'instruments de surveillance du
comportement et de la psychologie de la personne détenue. D'un usage initialement tourné vers
les futures libération et réinsertion, ils sont finalement utilisés pour les immédiates détention et
sécurité.
***
35
En prison, une micro société se déploie dans une unité de lieu. Les personnes qui y vivent et y
travaillent y partagent une même expérience du temps. Dans ce huit-clos, chacun peut agir et
prendre le temps de se réparer physiquement, psychiquement, et socialement. Les établissements
pénitentiaires, et tout particulièrement les établissements pour peine, proposent toute une série
d'outils à la disposition des personnes détenues, permettant de lier passé, présent et futur.
Pourtant, la prison est souvent comparée à un arrêt sur image. Mais que se passe-t-il pendant ce
temps creux ?
Encore aujourd'hui, la prison est associée à l'école du crime. Les personnes détenues doivent
se construire ou se reconstruire dans un climat qui n'est pas neutre. L'administration leur
demande de devenir « meilleures », mais les plonge parmi une série d'exemples auxquels il ne
faut pas ressembler. Les plus perméables peuvent imposer leur rythme, leurs valeurs, leurs
ambitions, tandis que les autres vont s'adapter aux meneurs et à leur temporalité.
De plus, les personnes détenues confrontent leur propre rythme à celui de la prison. Chacun a
besoin d'un temps qui lui est propre pour évoluer, et qui n'est pas toujours le temps de la prison.
Ce temps dépend entre autre de l'âge, du passé social, de l'acte commis, des victimes, du capital
intellectuel, et d'autres éléments criminologiques. Le temps de la prison n'accompagne pas
toujours l'évolution de la personne. Le régime progressif ne figure pas dans tous les
établissements, et est souvent réutilisé comme un outil pour récompenser et punir les différents
comportements.
De plus, les budgets ne permettent pas toujours aux services pénitentiaires d'insertion et de
probation d'assurer une présence continue au sein de la détention et individuellement auprès de
chaque personne détenue.
Le temps de la réinsertion est mis à mal. Et les personnes détenues vont chercher d'autres
moyens d'habiter le temps, notamment en s'insérant dans un présent qui se suffit à lui-même.
36
Partie 2. Le temps du détenu : l'inanité du temps prélevé ou
l'entrave du présent
La vacuité du temps conserve une utilité pour la société afin de corriger et réintégrer ses
membres (section 1). Les personnes détenues vont alors se réapproprier le temps quotidien en
s'investissant dans un présent qui se suffit à lui-même (section 2).
67 François Hartog, Régimes d'historicité, présentisme et expériences du temps », Paris, Seuil, 2003
37
Chapitre 1 : De la vacuité du temps du détenu à son utilité pour la
société
38
Section 1. La prison : l'institution du temps-sanction
D'une part, la peine privative de liberté apparaît comme un temps-sanction (I), d'autre part, le
temps à l'intérieur des établissements pénitentiaires est utilisé pour un usage disciplinaire (II).
« Le temps pénitentiaire est un temps aliénant car obligatoirement dominateur » [Pauchet, 1984,
p. 154 69].
Le temps de la prison est nécessairement un temps éprouvant, car en prison, le temps, c'est
avant-tout une sanction (a). C'est par la quantité de temps de privation de liberté que se traduit la
gravité de l'acte aux yeux de la société (b). Ainsi, le temps de la prison fait office de châtiment
moderne (c), qu'il est difficile à concilier avec l'objectif de réinsertion (d).
69 Cité dans : Fabrice Guilbaud, « Le travail pénitentiaire : sens et articulation des temps vécus des travailleurs
incarcérés », Revue française de sociologie, 2008/4 vol. 49, p. 776
39
Ce qui caractérise la gravité de l'infraction et la sévérité de la peine, c'est le temps. Les
modalités de détention sont bien les mêmes pour réprimer un crime ou un délit, et ce qui permet
de les distinguer, c'est la quantité de temps de privation de liberté.
Le premier rapport au temps pour la personne détenue, c'est le temps de sa peine. Le temps est
d'abord associé à la sanction.
Si, en 1841, Vilain XIV se posait la question du temps nécessaire à la « correction des
mœurs », aujourd'hui cette question n'est pas celle du politique. Les études de criminologies sur
la question du temps nécessaire à la réinsertion sont encore isolées dans le domaine de la
recherche. Le temps, se présente avant-tout comme un symbole, celui de la gravité de l'acte, et
non comme un outil utilisé pour réinsérer la personne.
C'est ainsi que des profils très différents les uns des autres se côtoient en prison, sous le
prisme de la même quantité de temps de peine. Au regard de l'extérieur, les infractions commises
relèveront d'une même gravité, et seront assimilées70. A la courte peine, des faits peu graves, qui
peuvent arriver à tout le monde, à la très longue peine, des faits infamants et inhumains.
Face à cela, les détenus vont parfois violemment opposés leur refus d'assimilation en isolant
dans la prison les détenus qui auront commis, à leurs yeux, des faits moralement plus graves. Un
détenu rencontré en maison d'arrêt, issu du grand banditisme, va ainsi me confier avoir déjà
brutaliser un « pointeur ». Ces détenus semblent ainsi avoir besoin de faire justice eux-mêmes,
afin de se prouver que leurs faits sont moins graves que ceux des délinquants sexuels, qui ont été
condamnés à une peine similaire. Ils vont imposer un régime de détention différent aux
personnes détenues ayant commis ce qu'ils considèrent personnellement comme des infractions
graves.
70 Corentin Durand, « Monstrueuses équivalences. Le temps, étalon de la sanction pénale », in Le Passe Murailles,
n°21, Nov/déc. 2009, pp. 14-15
40
l'âme et de l'esprit. La prison s'est constituée comme le lieu d'exécution de cette souffrance par
l'arrachement de l'individu à la société sur un temps suffisamment long pour en devenir
éprouvant.
Cette notion de « souffrance » attachée à la peine de privation de liberté est encore fortement
ancrée dans les pratiques et dans les lois des pays européens. Si la jurisprudence de la CEDH
tend à amoindrir la souffrance des détenus en sanctionnant les Etats en vertu de l'article 3 de la
Conv. EDH 71, cette évolution peut s'interpréter comme une simple adaptation aux évolutions de
la société, non pas afin que la prison devienne moins pénible, mais afin qu'elle ne le devienne pas
plus.
« ne serait-ce pas possible de faire du temps plus dur mais sur moins de temps ? »
| Propos recueillis en entretien auprès d'une personne détenue en MC |
71 « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants »
72 Si la réforme de 1975 a fait disparaître les notions de « bien » et de « mal », qui apparaissaient dans la réforme de
1944, l'objectif de réinsertion sociale sous-entend toujours une évolution vers un « meilleur », c'est-à-dire
l'intégration à la société.
73 Les services sociaux, l'enseignement, les hôpitaux, par exemple, sont symboliquement liés à l'accompagnement et à
l'entraide. Il s'agit là d'organisations propres à l’État providence. Le risque étant, bien entendu, que la population qui
souhaite accéder à ces institutions, sans en avoir les possibilités, se sente mise à l'écart et défavorisées par rapport
aux personnes délinquantes.
41
II. Le temps à l'usage de la discipline des corps
La prison rappelle régulièrement aux détenus que le temps de la détention est un temps de
contrainte (a). L'utilité associée à ce temps n'empêche pas son caractère disciplinaire (b).
« Celui qui se rebelle contre un horaire est passible de punition. Telles sont les règles du jeu
qui vont régir les relations entre l'administration pénitentiaire et le détenu durant sa peine, dont
l'enjeu est la maîtrise du temps »74. Le temps est utilisé en prison pour rendre les corps
« dociles ».
Le temps est un outil du JAP pour récompenser ou sanctionner la personne détenue. RPS et
aménagements de peine, qui réduisent le temps de détention, sont soumis à conditions et
façonnent ainsi l'emploi du temps de la personne75. Les retraits de réduction de peine, qui
allongent le temps de détention, sanctionnent les mauvais comportements.
74 Emmanuel Gaboraud, « Le temps détenu », in L'information psychiatrique, Vol.81 n°7, sept. 2005, p. 624
75 Article 721-1 du Code de procédure pénale : les RPS peuvent être attribuées aux condamnés qui présentent des
« efforts sérieux de réadaptation sociale » : succès à un « examen scolaire, universitaire ou professionnel traduisant
l'acquisition de connaissances nouvelles », « progrès réels dans le cadre d'un enseignement ou d'une formation »,
suivi d'une « thérapie destinée à limiter les risques de récidive », ou versements volontaires aux parties civiles.
Article 729 du Code de procédure pénale : la personne détenue qui prétend à une libération conditionnelle doit
présenter des « efforts sérieux de réadaptation sociale »
76 Article D.249-3 du Code de Procédure Pénale
42
Enfin, la direction inter-régionale de l'administration pénitentiaire use également du temps
pour soumettre le détenu en lui imposant des transferts disciplinaires. Ces transferts ont pour
effet de provoquer une perte de repères temporels à la personne détenue. D'une part, elle doit
s'adapter aux rythmes de chaque nouvel établissement. D'autre part, la multiplication des
transferts empêche la personne détenue de s'inscrire dans un temps long, fait de projets. Celle-ci
ne peut se projeter dans des projets à long terme. De plus, elle doit s'inscrire sur liste d'attente à
chaque transfert pour espérer s'occuper ou travailler, et est donc régulièrement soumise à
l'oisiveté. Enfin, elle ne peut s'inscrire dans un travail de qualité avec un conseiller pénitentiaire
d'insertion et de probation ou avec un soignant. Le détenu se fige dans le présent ; pour en sortir
il doit se conformer aux attentes de l'administration pénitentiaire.
Si l'institution pénitentiaire redonne aux détenus une certaine autonomie dans la gestion de
leur temps en prison, en leur accordant des droits 77, elle développe en parallèle une surveillance
plus accrue de l'emploi de leur temps, afin de s'assurer de leur utilité.
La prison n'a plus d'emprise totale sur le détenu, en lui imposant des horaires pour se lever,
faire son lit, prendre sa douche. Or un cadre général persiste et entre chaque horaire imposé, les
« temps libres » ne le sont pas tout à fait. La personne détenue doit les occuper avec les activités
qui lui sont suggérées en CPU, ou au moins celles qui lui permettront d'obtenir des RPS et
aménagements de peine. Ces « temps utiles » deviennent des « temps imposés », qui contraignent
la personne détenue à suivre un rythme qui lui a été désigné.
A l'intérieur de la prison, juges et directions des établissements attendent des personnes
incarcérées qu'elles réalisent de plus en plus d'activités : formations, diplômes, travail, soins. Des
postes ont été créés afin de surveiller le détenu dans l'aménagement de son temps, et la
réalisation de ces activités. Ainsi, la CPU va annuellement encourager le détenu à s'impliquer
dans une formation ou une démarche de soins par exemple. Malgré la présence de personnels
scolaires et de santé à la commission, l'administration a développé des postes de surveillants pour
compter les absences des détenus à l'école78, et des postes de psychologues pénitentiaires –
psychologues PEP – pour s'assurer de leur évolution et de l'utilité effective de leur temps. La
prison, en multipliant les « temps utiles », se fait « machine à modifier les esprits »79 . Elle
imposer ses activités.
77 Par exemple, la promenade est devenue un droit, et le détenu peut choisir de ne pas s'y rendre.
78 Le cas fut relevé dans l'une des Maison Centrale observée pour cette étude
79 Michel Foucault, Surveiller et Punir, France, Gallimard, 1975
43
Il ne reste que très peu de temps à la personne détenue pour l'entrepreneuriat, c'est-à-dire pour
faire des choix personnels dans l'organisation de son temps. Or ces choix sont nécessaires à la
responsabilisation du détenu. Les seuls choix d’organisation de leur quotidien se font en général
en binôme avec le juge ou la CPU, dans un jeu de confrontation, de domination-soumission. Le
temps appartient au juge de l'exécution des peines et à l'administration pénitentiaire.
Toutefois, au centre de détention de Muret, trois personnes détenues ont été nommées afin de
représenter la population carcérale dans la conduite du quartier socio-culturel. Les détenus
peuvent ainsi leur faire part de leur souhait et réinvestir un peu leur temps. Mais le pouvoir de
ces représentants est limité, et ils ne sont pas élus. Au Canada, un Comité des détenus est
constitué dans chaque établissement afin de « Contribuer à la réadaptation et à la réinsertion
des détenus dans les collectivités à titre de citoyens respectueux des lois » et « d'établir un
moyen permettant aux détenus de s'exprimer au sujet des opérations dans l'établissement,
contribuant ainsi à rendre les établissements sûrs et sécuritaires »80. Il permet aux détenus de
participer dans une certaine mesure à l'organisation temporelle de leur établissement, et de se
prendre en charge personnellement.
Le législateur et l'administration pénitentiaire ont mis en place des mécanismes et des droits,
permettant à la personne détenue de suivre les évolutions de la société extérieure et de la
famille,voir de s'immerger dans la temporalité de dehors. Mais cette multiplication de fenêtres
sur le temps externe (I), outre le fait qu'elle accompagne un mouvement d'attribution de droits,
concourt à éviter que la personne détenue, notamment à de longues peines, ne se saisisse de la
temporalité interne comme d'une temporalité normale et acceptable. Ces fenêtres vont servir
l'intérêt de la société (II).
44
I. La multiplication des ouvertures sur le temps externe
Justifiées par le droit des personnes détenues, par la mission de réinsertion et par
l'accompagnement vers la désistance par le maintien des liens familiaux, de nombreuses
ouvertures sur l'extérieur voient le jour. L'extérieur vient à la rencontre de la détention (a), et,
parfois, le détenu sort à l'extérieur (b).
45
proches, et ainsi intégrée dans les grands moments de vie avec eux, à l'instant même où ils se
produisent.
II. De la justification par les droits des détenus à l'intérêt supérieur de la société
L'ouverture sur l'extérieur s'explique par des droits et par l'objectif de réinsertion. Ces
ouvertures sont souvent considérées comme des moments utiles à la personne détenue, qui lui
permettent de conserver un contact avec l'extérieur, de ne pas perdre le rythme de dehors.
Ainsi, en détention, le détenu « se situe aussi par rapport au temps du dehors : les fêtes,
anniversaires, saisons, qui s'égrènent rappellent que les mois et années défilent encore à
l'extérieur »83 , il doit donc s'inscrire dans ce mouvement et conserver ce rythme.
Mais l'expérience du dehors reste anecdotique dans le parcours carcéral des détenus. Ces
moments ne correspondent que très rarement à des immersions totales. Seule une parcelle de la
temporalité extérieure est entrevue.
Au-delà de l'apport positif pour le détenu, les fenêtres sur le dehors présentent parfois des
effets pervers. Elles sont des « piqûres » de rappel d'un temps extérieur qui lui échappe, qui
s'écoule sans lui. Des événements continuent de se produire sans que sa présence ne soit
46
nécessaire, ses enfants et sa femme réorganisent leur vie sans lui. Le détenu perd son rôle au sein
de sa famille et de son travail, il comprend qu'il n'est pas vital à l'autre.
La personne détenue est donc ni totalement isolée dans la détention, ni réellement mise en
contacte avec l'extérieur. Le dehors n’apparaît que ponctuellement, comme pour rappeler que le
de temps continue d'exister en dehors des murs, et que ce temps semble meilleur que dedans.
Il est intéressant de constater que certaines personnes condamnées à de très longues peines,
développent, au bout de nombreuses années, marquées par la perte de liens familiaux, une crainte
presque pathologique du retour au dehors. En quelque sorte, à force de s'adapter à la vie en
détention, ces personnes se sont désocialisées. Au contraire, les personnes qui tentent de garder
des liens quotidiens avec leur famille et la vie sociétale, sont ceux qui ont le mieux conservé un
rythme de vie adéquate avec celui du dehors et souhaitent le plus y revenir. Ainsi, conserver une
fenêtre sur l'extérieur, c'est permettre au détenu non seulement de se souvenir des règles
temporelles de l'extérieur, mais aussi de conserver son désir d'y retourner.
La prison n'est pas un exil définitif, et ce jeu d'ouvertures entre le dedans et le dehors permet à
la société de s'assurer la réintégration de ses membres en son sein, de réunir sa communauté.
***
L'administration pénitentiaire a donc essayé de donner du sens au présent entre les murs en lui
attribuant la mission de réinsertion. Mais le temps de la prison est également un temps de
sanction, un temps qui doit faire comprendre aux personnes déviantes qu'elles doivent réintégrer
la société qui les a accueillis et ne pas y retourner.
Ces deux temps apparaissent antinomiques puisque l'un s'appuie sur l'utilité des actions et
l'autre sur la vacuité du quotidien. L'un est issu de l'histoire, de l'architecture et du sens même de
la prison, et l'autre d'une politique publique moderne et idéale, qui tente tout de même de
déployer des instruments pour s'imposer. Mais les moyens budgétaires, matériels et personnels ne
sont pas suffisants. Le temps qui est vécu par les personnes détenues, au quotidien, va
difficilement s'extraire du « Présentisme ».
47
Chapitre 2 : La réappropriation du temps par les personnes
détenues : l'emprise du « présentisme »
Évoluant dans un temps hostile, les personnes détenues vont tout de même devoir habiter cette
période d'enfermement, la vivre quotidiennement, et peut-être en faire quelque chose. Malgré les
outils mis à leur disposition en établissement pour peine, les personnes détenues vont dans la
plupart des cas « faire leur temps », c'est-à-dire occuper le présent pour qu'il passe vite, sans y
attacher de sens plus large (Section 1). La réappropriation du temps, c'est-à-dire la faculté de
mettre son empreinte personnelle sur son déroulement ou sa valeur, ne répond pas toujours aux
objectifs attendus par l'administration pénitentiaire. Ainsi cette réappropriation peut se faire par
l'acceptation du temps pénitentiaire, mais aussi par la négation de ce temps (Section 2).
Beaucoup de personnes détenues affirment vouloir « faire leur temps » en prison, c'est-à-dire
subir la peine d'emprisonnement, sans faire d'histoire, et voir le temps passer au plus vite jusqu'à
la libération. Ces personnes peuvent aussi bien se rétracter dans leur monde, dans leur cellule, à
ne rien faire, comme ils peuvent multiplier les activités. Ce qui caractérise le temps de ces
personnes détenues, c'est l'abandon du passé et du futur, l'immersion dans le « présentisme » (I).
L'administration pénitentiaire accepte bien souvent ce refuge dans le présent, et ce refus du
triptyque temporel, car ce sont des personnes qui posent peu de problème en détention (II).
48
l'institution, du jargon pénitentiaire, et des interactions sociales entre détenus. Les activités seront
non seulement passives, mais aussi tournées vers l'intérieur des murs, en décrochage avec
l'extérieur.
En arrivant en établissement pour peine, les détenus se sentent apaisés, comme s'ils pouvaient
à nouveau s'approprier le temps et se retrouver. Pourtant cet espace de liberté n'est pas total, mais
suite à l'expérience de la maison d'arrêt, le centre de détention et la maison centrale apparaissent
comme un nouveau souffle, une façon de renouer avec soi-même, de retrouver son corps et son
esprit. Dans la continuité de la dépersonnalisation, la prison « institution totale » propose un lieu
pour se resocialiser.
C'est à cette étape que beaucoup de détenus vont se tourner soit vers l'apathie, soit vers le
surinvestissement du temps. Dans la continuité de la maison d'arrêt, certains vont rester dans leur
cellule, sans rien faire. Ils se soumettent au temps de la prison tel qu'il leur a été présenté dans un
premier temps, et n'auront pas la force de se réinvestir et de se faire une place en tant que
personne au sein de la prison. N'ayant pas pu interroger de personne présentant ce profil, leur
analyse ne peut se faire que par le prisme des personnels et des détenus interrogés. Il est possible
que ces détenus soient dans le déni de la prison, qu'ils essaient de « faire leur temps » au plus
vite, c'est-à-dire de laisser le temps passer jusqu'à la sortie, en l'ignorant, en ne l'investissant pas.
Ainsi, ils ne se confrontent pas à la prison. Sans activité, le temps n'existe pas. En effet, le temps,
c'est le changement, la mobilité. « Nous ne percevons pas le temps en tant que tel, mais plutôt les
changements, c'est-à-dire les événements dans le temps »84. Le temps existe à travers les saisons
parce qu'il y a des évolutions de la nature et du climat ; il existe à travers les heures parce qu'il y
a un mouvement du soleil ; il existe à travers les âges parce qu'il y a des modifications du corps
enfant, adulte et âgé. En restant dans une cellule sans rien faire, le détenu n'expérimente pas les
modifications de la société et du climat. Dans une plus large mesure, l'unité de lieu que
représente la cellule empêche le détenu de se déplacer dans des espaces distincts, et donc de
ressentir le temps.
84 Pascal Roquet, Maria José Gonçalves, Lucie Roger, et alii, Temps, temporalité et complexité dans les activités
éducatives et formatives, France, l'Harmattan, Coll. Ingenium, juin 2013, p. 25
49
activités ne leurs semblaient ni utiles ni constructives. Qu'il s'agisse de sports, de loisirs, ou de
soutien scolaire, ces détenus ne se sentent pas investis dedans. Ils n'agissent que pour s'occuper,
pour que le temps passe vite, pour que le corps et l'esprit ne flanche pas. Ces occupations servent
ainsi à ne pas tomber dans la folie ou la maladie, et ainsi à ne pas voir son corps et son esprit se
modifier.
Si leur comportement est à l'opposé des détenus apathiques, il suit un même mécanisme :
celui du déni du temps de la prison. Ainsi, l'occupation ne sert qu'à « faire son temps », sans
s'investir dans un projet constructif, ou dans une dynamique constructive. L'occupation n'entre
pas dans un temps linéaire et évolutif, mais un temps cyclique, qui recommence sans cesse.
Lorsqu'un cours est terminé, le détenu va s'inscrire dans un nouveau cours, non pas dans un but
de développement personnel, mais dans un but « occupationnel ». L'un des détenus interrogés,
qui avait bénéficié d'une formation puis d'un poste dans le domaine socialement apprécié du son
et de l'image, déplorait toutefois les difficultés qu'il aurait à retrouver un emploi dans cette
branche à l'extérieur. Conscient de cela, il n'envisageait pas cette expérience comme une
préparation à la sortie, mais comme une occupation au sein de la détention. Les diverses
activités proposées par la prison, qu'elles soient sportives, artistiques, éducatives ou
professionnelles, ne sont employées par ces détenus qu'en tant que « passe-temps ».
Vivre au présent, sans inscrire ses activités dans une linéarité évolutive – mais dans la
répétition – est donc un moyen de ne plus habiter le temps, de ne pas le voir passer. La personne
échappe ainsi à la douleur du temps pénitentiaire. Dans le présent, elle n'est confrontée ni à un
passé souvent douloureux, ni à un futur qu'elle ne sait plus s'imaginer. Déconnectée de la vie
extérieure, ayant perdu sa position sociale, son travail, son logement et parfois sa famille, la
personne détenue a souvent du mal à se projeter dans le futur. Le présent est un refuge.
« Jeudi prochain est un jour férié, j'appréhende. Le weekend c'est différent, j'ai les
parloirs. Mais une journée fériée c'est une journée où je ne fais rien. Il va falloir que
je fasse du sport, que je trouve une occupation. Si ça ne me prend pas toute la
journée, je vais ressentir un manque ».
| Propos recueillis en entretien auprès d'une personne détenue en MC |
50
b. Le temps cyclique, un présent immobile
Dans cette perspective, le temps pénitentiaire s'organise sous forme cyclique. Le temps est
décomposé en journées qui ne sont que la répétition de la veille. Ainsi, en entretiens, plusieurs
détenus ont décri leur journée pour décrire leur semaine. Pour les personnes qui travaillent aux
ateliers, et ceux qui reçoivent des parloirs tous les week-ends, le cycle se fait sur la semaine.
Par la répétition des séquences, le passé, le présent et le futur se mélangent, deviennent
identiques. Dans ses entretiens avec des femmes incarcérées, M. Cuhna relève que « Par
« passé » et « futur » les détenues se référaient toujours, respectivement, aux périodes antérieure
et postérieure à leur incarcération. Ces mots ne servaient jamais à situer les événements compris
dans la durée de la détention. La peine de prison était alors perçue comme un présent immobile,
un temps suspendu dans la longue durée. »85
Par ces mécanismes, la personne détenue sort du temps évolutif, dans lequel le présent est le
produit d'un passé, et le socle d'un futur. Elle ne se réalise donc pas dans un projet, ni en
détention, ni sur l'extérieur. En vivant dans le présent, le détenu perd son identité, son passé. « Il
faut savoir qu'en prison, on parle de la prison, mais on ne parle pas de ce qu'on fait à
l'extérieur »86. La personne détenue ne retrouve son passé et son futur qu'à de rares occasions, en
entretien avec un CPIP, un psychologue ou un visiteur de prison par exemple.
En perdant son nom et son identité à l'entrée de la prison, la personne détenue perd son passé
et son futur. Avec le numéro d'écrou, ce n'est plus sa personne elle-même qui est en prison, mais
son ombre, un numéro qui n'a ni passé, ni futur, mais qui vit au présent, et préserve la personne
de la souffrance de la détention.
Plus encore, le présent peut devenir pathologie lorsque passé, présent et futur se confondent
dans le présent. La pathologie mentale altère la chronologie du récit du patient [Minkowski,
1933]87 .
85 Manuela Cunha, « Une prison à l’épreuve du temps. Temporalités carcérales d’hier et d’aujourd’hui »,
In Rhuthmos, 3 mars 2012 [en ligne]. http://rhuthmos.eu/spip.php?article533 , consulté le 12 août 2014
86 Propos d'ancien détenu. In : Marine Chanel, Serge Poncelli, La vie après la peine, Grasset, février 2014, p. 161
87 Eugène Minkowski, Temps vécu, 1933
51
II. La négation du temps pénitentiaire acceptée par l'institution
La négation du temps pénitentiaire – comme temps de réinsertion ou rythme imposé – est bien
souvent acceptée par les personnels de surveillance. D'une part, un détenu dans le présent est
bien souvent un détenu calme (a), d'autre part, l'obligation de sécurité prévaut souvent plus sur
l'objectif de réinsertion (b).
La personne détenue qui se perd dans le présent est une personne qui n'est pas confrontée à ses
angoisses existentielles. De ce fait, il s'agit bien souvent d'une personne calme, qui ne provoque
pas de débordements.
La personne qui reste dans sa cellule est une personne qui ne cause pas de problème avec les
autres personnes détenues. Elle ne se bat pas, n'incite pas à la mutinerie, ne détériore pas le
matériel commun. Le seul risque qui peut inquiéter les personnels de surveillance est celui du
passage à l'acte suicidaire. Mais les personnels disposent de plus en plus d'outils pour maîtriser
ce risque88.
La personne qui multiplie les activités est une personne « occupée ». Pendant ce temps, elle ne
lie pas de relations conflictuelles avec d'autres détenus, ne se pose pas de questions sur les
conditions de détention, et se fatigue physiquement. La personne « occupée » est une personne
calme.
Même s'il fait du « social » au quotidien, le surveillant pénitentiaire a d'abord pour mission la
sécurité au sein de l'établissement. Sa mission n'est pas la réinsertion sociale. Ainsi, ces
personnels, qui encadrent au quotidien les personnes détenues, vont accepter voire encourager
leur repli dans le présent.
Le personnel pénitentiaire d'insertion et de probation, qui met en œuvre la mission de
réinsertion, n’apparaît que ponctuellement dans la vie du détenu, rarement plus d'une fois par
mois en entretien. De plus, les conseillers n'occupent pas tout l'espace de la détention. Ils
n'interviennent que dans des bureaux, des parloirs ou des salles d'activité. Ils ne disposent donc
52
pas des outils spatio-temporels nécessaires à l'instauration une temporalité adaptée à la
réinsertion.
Enfin, le chef d'établissement est le directeur de service pénitentiaire, garant de la sécurité.
Son pouvoir dépasse celui du directeur pénitentiaire d'insertion et de probation, garant de la
réinsertion. Ce dernier ne dispose donc que des espaces et des temps accordés par le premier
pour déployer ses activités. De plus, les relations entre service pénitentiaire et service
pénitentiaire d'insertion et de probation sont assez rares et diplomates. Il n'existe pas
officiellement de politique commune à ces deux services, qui travaillent de manière autonome.
Dans ce système taylorique, où chacun a sa place, et chaque place a une fonction, il est difficile
d'établir en détention une temporalité dans laquelle se confondraient sécurité et réinsertion.
Le système pénitentiaire canadien a organisé une prise en charge « globale et pointue » de la
personne détenue en vue de sa réinsertion sociale. La pratique des surveillants pénitentiaires dans
les établissements de régime minimum s'inscrit dans une temporalité dirigée à la fois par la
sécurité et la réinsertion : ils ne portent pas l'uniforme, partagent des temps de détente avec les
personnes détenues, prennent le temps de la discussion89.
« Faire son temps », ce n'est donc pas nécessairement suivre le temps idéal des politiques
pénitentiaires, orienté sur la réinsertion, mais c'est institutionnellement accepté par les
établissements pénitentiaires.
89 Morgane Hilaire (2013/2014). Notes de cours : Le système pénitentiaire canadien (Marion Vacheret, Professeure à
l'université de Montréal).
90 Emmanuel Gaboraux, « Le temps détenu », In L'information psychiatrique, Vol. 81, n°7, septembre 2005, p 624
53
I. La négation du temps carcéral : entre renoncement et rébellion
La négation du temps peut se faire sous la forme d'un renoncement, pour y échapper (a), ou
sous la forme de la rébellion, pour s'y opposer (b).
La personne détenue peut s'opposer radicalement au temps carcéral par le projet d'évasion.
Elle va quitter le temps de la prison pour rejoindre celui de l'extérieur. Par ce biais, la personne
nie le temps présent, et n'est plus que dans un temps passé-futur, s'évadant pour faire la jonction
entre les deux. C'est ce qui est apparu dans deux entretiens avec des personnes qui se sont
évadées93.
La personne détenue peut également s'opposer au temps carcéral en s'investissant au sein de la
détention dans des activités quasi-syndicales, interdites en prison. Ainsi, elles multiplient les
tentatives de négociation avec les personnels pénitentiaires pour imposer leur propre temporalité
et celle de leurs co-détenus. Elle peut également organiser des refus de réintégration de cellule,
c'est-à-dire refuser de réintégrer la cellule aux horaires imposés par la prison.
91 Fatima Outaghzafte-El Magrout, L'espace-temps carcéral, vers une gestion temporelle des demandes des reclus, in
Espace, populations, sociétés, 2007/2-3, 2007
92 Ibid.
93 Le jour de l'entretien, l'une de ces personnes était passé de la rébellion à la renonciation, en conservant autant que
possible ses liens avec l'extérieur.
54
II. L'acceptation du temps pénitentiaire : un modèle idéal accessible ?
L'acceptation du temps de la prison correspond à une « soumission » aux rythmes imposés (a).
Mais le détenu trop adapté est souvent désarmé à la sortie (b).
Accepter le temps de la prison, c'est soit s'adapter au temps idéal des politiques pénitentiaires
(i), soit se soumettre au temps carcéral de l'institution (ii).
Le modèle idéal prôné par les politiques publiques inscrit la personne détenue dans le
triptyque présent-passé-futur. Le détenu modèle se rend compte des erreurs de son passé, et se
saisi du temps présent en prison pour développer un projet qui fera sens à l'extérieur.
Parmi les personnes rencontrées, un jeune détenu avait ainsi passé ses années en détention à
étudier la philosophie. Aujourd'hui titulaire d'un master, et en lien avec des universitaires, il
souhaite, à la sortie, continuer dans la recherche. La philosophie est ainsi apparue comme une
vraie passion, et il a organisé ses journées en fonction d'elle. Cette personne ne se situait pas
uniquement dans un présent, mais elle a créé un projet à l'intérieur de la détention, avec des
étapes à atteindre pendant la durée de sa peine, et qui fera sens à la sortie. Ainsi, elle était bien
établie dans une relation passé, présent, avenir, avec un futur qui s'entendait à l'extérieur mais
aussi à l'intérieur de l'établissement.
De tels cas sont très rares, mais il arrive plus régulièrement que les détenus réalisent des
projets de plus petites ampleurs. Ils vont, une heure par jour ou par semaine, construire quelque
chose à l'intérieur afin de le développer à l'extérieur. Ce peut être le cas d'une formation
professionnelle qui, de temps en temps, crée des vocations. Ce peut être aussi le suivi de soins.
Ainsi, un détenu interrogé se rendait chaque semaine chez le psychologue, en ayant conscience
que l'amélioration de sa santé mentale serait propice au renouement de liens sociaux à l'extérieur.
Un autre a confié avoir « découvert » le dentiste, et souhaiter continuer à y aller à l'extérieur.
Ainsi, en n'inscrivant pas toute leur temporalité dans le triptyque présent-passé-futur, certaines
personnes vont quand même y inscrire une partie de leur temps quotidien ou hebdomadaire.
Ces personnes ne sont pourtant pas toujours récompensées par le JAP, car il est possible pour
la personne détenue d'entrer dans le triptyque temporel mais en formant des choix originaux, qui
ne plaisent pas toujours. Ainsi, une personne détenue rencontrée, qui travaillait dans la
55
restauration d'archives sonores, se voyait refuser ses aménagements de peine malgré
l'approbation du personnel pénitentiaire, en partie parce que les postes auxquels il aspirait étaient
des postes d'intermittent du spectacle. Lors de l'entretien, cette personne semblait s'être résignée
à devoir retourner dans une temporalité figée dans le présent.
Dans la pratique, le modèle idéal encouragé par les surveillants est celui du formatage aux
rythmes imposés par la détention. Le détenu modèle est un détenu « docile », c'est-à-dire calme
et qui accepte de suivre les activités qu'on lui propose. Ces personnes sont souvent récompensées
par le JAP, car elles se soumettent à ses injonctions. Elles entrent dans le moule.
b. Adaptation et sortie
94 Jérôme Englebert, Psychopathologie de l'homme en situation. Le corps du détenu dans l'univers carcéral, Paris,
L'Harmattan, coll. Logiques sociales, avril 2003
95 Marine Chanel, Serge Poncelli, La vie après la peine, Grasset, février 2014, p.232
56
CONCLUSION :
Les politiques pénitentiaires peinent à introduire une temporalité propice à la réinsertion car la
personne détenue n'est pas assez accompagnée dans le processus de mise en sens de son temps.
De plus, au quotidien, seuls les personnels pénitentiaires partagent la temporalité des personnes
détenues, or, ils assurent une mission de sécurité. Ainsi, à l'intérieur des murs, le temps présent
convient à chacun : il occupe et permet de maintenir le calme dans la détention d'une part, et il
facilite l'acceptation du temps de leur peine par les personnes détenues d'autres part.
En ne sortant pas de ce schéma, il est très compliqué de mettre en œuvre les politiques de
réinsertion. Or depuis une dizaine d'année, la temporalité de la société est en mutation. D'une
culture du projet, elle glisse vers le dictât de l'instantanéité 96. Dans la sphère privée, tout est
partagé dans l'instant via Internet et les téléphones. Dans la sphère publique, les données sont
traitées « en live », et les débat de fond sont remplacés par des débats de forme. Dans ce modèle,
le présent doit être utile au présent, les effets doivent être instantanés. Les diverses institutions
subissent également ce changement. Par exemple, la durée moyenne d'hospitalisation
psychiatrique a chuté de 107 jours en 1980 à moins de 30 jours en 2010 97. A l'école, le
redoublement est de plus en plus critiqué. Dans la prison, où les changements se font beaucoup
plus lents et difficiles, la culture du projet va-t-elle pouvoir se déployer, où reviendra-t-on avant
tout résultat sur des méthodes de plus court terme ?
96 Nicole Aubert, Le culte de l'urgence. La société malade de son temps. Flammarion, 2010
97 IRDES, « données de cadrage : l'hôpital », déc. 2013
57
Cette étude a eu pour ambition de synthétiser un certain nombre de recherches scientifiques et
de récits d'expériences, en présentant à la fois le temps complexe de la détention et le temps vécu
des personnes détenues. Elle ouvre cependant la voie à d'autres recherches sur les temporalités.
Ainsi, l'étude comparative du temps entre les différents types d'établissement est un axe de
recherche encore ouvert mais combien intéressant. Il permettrait entre autre de prendre en
considération les différentes approches du temps entre d'une part les différents régimes de
détention, et d'autre part les différents temps de peines. Celui qui ne passe que deux mois en
maison d'arrêt n'a pas la même appréhension du temps que celui qui passe cinq ans, quinze ans
ou un temps indéterminé en établissement pour peine. De même, les récidivistes, dont le temps
est entrecoupé de temps en prison et de temps à l'extérieur ont-ils une expérience différente du
temps ? Enfin, l'étude de l'articulation des temps de l'avant-prison, la prison et l'après-prison est
une autre voie ouverte aux champs de recherche. A la sortie de prison, les anciens détenus
retrouveront-ils leur temporalité initiale, celle de la prison, ou une nouvelle ? Comment
s'articulent et s'entremêlent ces trois temps ? La semi-liberté peut-elle avoir un rôle dans cette
articulation ?
Le temps de la prison est une matière inépuisable, que ce soit pour les juristes, les
sociologues, les psychologues, les historiens ou les politologues. Pénétrant parfois les corps, le
temps pénitentiaire devient même un sujet d'étude pour la médecine.
58
ANNEXES :
Entretien n° 2 * …............................................................................................................ p. 64
Entretien n° 3 * …............................................................................................................. p. 67
Entretien n° 5 * …............................................................................................................. p. 70
Entretien n° 8 * …............................................................................................................. p. 73
* : Les entretiens n'ayant pu être enregistrés au dictaphone, ils ont été recopiés à partir de notes
manuscrites, et ne retranscrivent donc pas l'exact propos des personnes interrogées, tout en essayant de s'y
rapprocher au maximum.
59
ANNEXE 1
• Maison d'arrêt :
Semaine 1 : présentation, visite, bureau des officiers, réunion du personnel, bibliothèque, étages,
ateliers, journée au SPIP en milieu ouvert.
Semaine 2 : Commission de discipline, UCSA, Atelier cirque, responsables écoles, CAP, CPU.,
détention.
• Centre de détention :
Semaine 1 : présentation, visite, secteur d'activités, chef de détention, Psy PEP, bâtiment A,
cuisines, permanence officier.
Semaine 2 : SPIP, zone ateliers, CPU PEP, Bâtiment de confiance, formation professionnelle,
gymnase, CAP, Commission de discipline, Greffe, secteur d'activités.
• Maison Centrale 1 :
• Maison Centrale 2 :
60
ANNEXE 2 :
Grille d'entretien :
Présentation.
61
5. Et en maison d'arrêt, quel était votre rythme ?
. journée type ?
. semaine type ?
. difficultés liées au rythme du codétenus ? (Est-ce facile de s'adapter à l'autre car le rythme est
imposé par la prison ? Ou est-ce difficile de cohabiter avec quelqu'un qui a un rythme différent ?)
. perception de l'écoulement du temps en Maison d'Arrêt ?
. quel rythme préférez vous ? Celui de la maison d'arrêt, ou celui du centre de détention / maison
centrale ?
1. Quelles sont les grandes modifications dans votre rythme de vie entre la détention et
votre style de vie avant la détention ?
. Quelle était votre rythme avant la détention ? Journée type, semaine type.
. Avez-vous gardé certains rythmes communs, certaines habitudes ?
. Voulez-vous retrouver votre ancien rythme ?
. Faites-vous en sorte de conserver votre ancien rythme ?
. Avez-vous essayé au début de l'incarcération de conserver certaines choses de votre ancien
rythme ?
. Avez-vous ressenti des difficultés du fait de la modification entre votre rythme antérieur et
celui de la détention ?
. Aujourd'hui, que pensez-vous de votre rythme actuel ? Qu'est-ce qui est bien, qu'est-ce qui est
moins bien ?
. A la sortie, quel rythme aimeriez-vous prendre ? Est-ce le rythme que vous pensez vous
imposer ?
1. Avez-vous l'impression que certains moments en prison vous soient utiles vis à vis de
vous-mêmes, de votre développement personnel ?
. Quel est le moment en dehors de la cellule que vous appréciez le plus ? Pourquoi ?
. Avez-vous trouver un intérêt dans certaines activités proposées par l'établissement ?
(Appréciez-vous la possibilité de voir un médecin ou un CIP ? Avez-vous repris des études qui
62
vous semblent intéressantes ? Avez-vous appris un travail ? Avez-vous trouvé le temps de lire ou
d'écrire ? Avez-vous essayé certaines activités ou certains sports que vous n'auriez jamais essayé
avant ?)
. Les temps de solitude en cellule vous semblent-ils parfois utiles ? (pour aborder un nouveau
regard sur la vie, prendre le temps de réfléchir sur soi-même, se reposer, vivre en dehors du
regard des autres ...).
2. Avez-vous déjà obtenu une permission de sortir, et si oui, comment avez-vous vécu le
rythme extérieur ?
. Aviez-vous les mêmes horaires que les personnes avec qui vous étiez ?
. Si vous êtes allé dans un établissement administratif, un magasin, une Poste, ou un restaurant,
avez-vous pensé à ses horaires d'ouverture et de fermeture avant de vous y rendre ?
. Avez-vous mangé ou pris une douche aux mêmes horaires qu'en détention ?
. A l'heure habituelle de fermeture des cellules, avez-vous ressenti quelque chose de particulier
alors que vous étiez à l'extérieur ?
-------------------------------
L'entretien était sous forme semi-directive. Seules les questions numérotées étaient posées.
Ensuite, selon l'inspiration et l'aisance de parole de la personne interrogée, les sous-questions
pouvaient venir en aide pour compléter les propos. Pour deux entretiens, la parole est restée libre
car les sujets ont développé leur réponse, et su aborder les principaux thèmes attendus.
Enfin, faute de temps, certaines questions ont été sautées avec certains interrogés.
Les entretiens ont duré entre trente minutes et deux heures, toujours coupés par l'entretien
suivant, la fermeture des ateliers ou un mouvement.
Ils ont eu lieu en parloir avocat, en salle d'audience ou en atelier.
63
ANNEXE 3
Entretien en maison centrale avec une personne détenue incarcérée depuis 18 ans, ayant séjourné
dans 3 établissements, et dans la centrale depuis près de 13 ans.
64
II. La confrontation au rythme de la prison
1. Quelles sont les grandes modifications entre votre rythme de vie pendant et avant la
détention ?
« Avant la détention je travaillais dans le bâtiment, dans la véranda et l'aménagement, l'alu et le
verre. J'avais un travail avec un artisan.
Je vivais en appart, en couple, j'étais marié et j'avais un fils. Je travaillais vraiment beaucoup, je
faisais beaucoup d'heures sup, c'était une fuite en avant. En moyenne, je travaillais 10 à 12
heures par jours et parfois plus, parfois 14 ou 16 heures. J'étais pleins d'énergie. J'avais
quelques périodes de chômage, deux périodes, l'une de 3 mois et l'autre de 8 mois. C'est plutôt
court. J'ai commencé le travail à 17 ans, j'ai fait 3 ans de CAP.
J'ai essayé une VAE pour faire un BTS, en métallerie structure. A l'époque, il n'y avait qu'une
école. Le brevet a été remplacé par un bac pro.
Ici, on veut un DAEU avant. Mais c'est tombé à l'eau. C'était trop compliqué à mettre en place
en 2002. Maintenant je ne me lancerais plus là-dedans. J'ai perdu les termes techniques.
Ca aurait été bien. Surtout dans l'optique de monter une entreprise. A l'époque c'était dans cette
idée.
Maintenant, j'ai 42 ans. La sortie, c'est dans deux ou trois ans. Je n'ai plus la niak...
J'ai toujours une occupation à faire, je veut rester à la page, ne pas m'effondrer
intellectuellement.
On est confronté à une telle bêtise, il y a des gens avec une telle folie, il est important de rester
en lien avec l'extérieur.
Cela fait 7 ans que j'ai la télé. Mais j'écoute essentiellement la radio (France culture, France
inter), il faut éviter de perdre le lien avec l'extérieur.
Vous ne pouvez compter que sur vous-même pour occuper votre temps. C'est essentiellement de
l'occupationnel. Il n'y a pas de trucs qui vont vous permettre de faire quelque chose dehors.
La vidéo, c'est un savoir technique, ça donne une autre image sur le son et l'image. Ca m'a au
moins nourri et permis d'ouvrir mon champs de visions.
Il y a des gens qui prennent beaucoup de recul. Et d'autres qui sont complètement dedans, ils
sont institutionnalisés, leur famille ce sont les surveillants, il y en a même un qui ne veut pas
sortir, ça c'est effrayant.
Les rencontres c'est important aussi. Le temps se construit à travers les rencontres. Il y a les psy
etc.
Le temps se construit de pas grand chose. Il est étiré par l'extérieur. C'est un temps que j'ai
besoin d'occuper. Dès le départ, j'ai essayé de construire ma sortie. A 24 ans, j'avais pas grand
chose dans la tête. J'ai essayé de perdre le moins de temps possible. Puis il y a eu le divorce. Je
n'ai plus vu mon fils de 14 ans. J'ai vécu 2 ans et demi qui ont été très difficiles, avant de gérer
cette souffrance.
Il y a plusieurs façons de gérer le temps. Certains comme chez eux, le temps glisse. Ils
reproduisent ici, comme dehors. Pour moi, c'est plus compliqué. Au bout de 18 ans je commence
à trouver le temps long. Même si à la formation il y a une bonne dynamique.
En l'espace de trois ans, j'ai fait décès sur décès, mais avant la fin de la peine, je n'ai pas le droit
de baisser les bras.
Ca m'aide à aller de l'avant, vouloir être le soutien de la famille, le noyau. Quand des gens vous
ont soutenu, on veut leur rendre dehors le temps qu'il nous ont donné dedans.
Il y a des hauts et des bas. Ces 18 ans, maintenant, je me dirais presque que c'est passé vite.
Mais il y a un manque de consistance. Surtout quand on est actif, j'ai jamais été inactif, j'ai
besoin de m'occuper. »
« En UVF, difficile de s'extraire. En prison, il faut jouer un rôle, être méfiant, rester sur ses
gardes. Il y a souvent quelqu'un pour jouer de vos failles. C'est difficile de s'en défaire comme
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ça, je laisser son image derrière la porte. On vit quelque chose d'assez traumatisant. Si vous
n'avez pas d'argent, c'est encore plus dur. Les doubles peines, c'est bien plus compliqué que ça.
C'est compliqué. Le temps perdu, il est perdu pour de bon. Il y a des gens qui disparaissent, ils
ne reviendront pas. L'UVF, c'est un droit pour la famille d'être incarcérée. Je préférerais une
permission de sortir plutôt d'une UVF. J'en profite quand j'y suis, mais dès qu'il y a un
surveillant sur le chemin de ronde, j'ai l’œil. C'est difficile de s'extraire. A tout moment ce
pseudo truc idyllique tombe. Le temps devient de plus en plus contraignant. Les quelques
moments un peu libre, c'est quand la porte est fermée. Mais depuis environ 2011 ils passent vers
21 heures.
On ne peut pas se sentir un peu posé. On est toujours contraint. La douche c'est à telle heure.
Pour tout ce qui est intime, aller aux toilettes par exemple, c'est très compliqué. A midi, c'est
pareil, c'est très court, on n'a pas d'intimité. Pour le coup, le temps passe très vite...
Et ce ne sont pas que les horaires de montée et de descente qui sont une contrainte, on est
contraints d'accepter les choses. Pour la distribution du courrier par exemple, c'est difficile de
se concentrer, il y a le passage à l’œilleton, etc.
Le temps se définit de beaucoup de façons et est déterminés par beaucoup de choses. Ils essaient
de nous imposer un temps à respecter et qu'ils ne respectent pas.
Si je n'ai pas envie de manger à midi, je ne peux pas manger à 13 heure. C'est un temps
infantilisant. »
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ANNEXE 4
Entretien avec une personne détenue en maison centrale, entrée en 1998 et devant sortir en 2020,
ayant séjourné dans 5 établissements, et dans la centrale depuis près de 11 ans.
2. Présentation de la journée-type :
« Je travaille, je lis. Le midi je fais une sieste. Puis je retourne au travail. Ensuite je vais au
sport, je prends une douche, et c'est l'heure du repas. Je refais une sieste, puis je me réveille vers
20h30. Là je mange ou je travaille. En ce moment, je travaille sur la traduction d'un ouvrage, un
livre sur l'éthique. Puis je lis des ouvrages aussi.
Je suis en Master 2 de philosophie. Je le fais par correspondance. Lors de la soutenance, un prof
était surpris qu'il n'y ait pas de version française. J'ai une prof d'anglais pour m'aider et
superviser la traduction. On parle des idiomatiques. Ca avance tout doucement.
J'ai eu la mention bien à bon master. Maintenant je souhaite préparer un doctorat. »
« Mon année est un peu découpée comme une journée. J'ai une liste avec une soixantaine de
livres à lire. Je dois faire des annotations, préparer une problématiques. Je souligne des extraits.
Il y a des périodes où j'ai la tête dans le guidon, et d'autres où j'ai l'impression de ne pas
avancer.
« Ma journée se termine entre 1 heure et 5 heures du matin, ça dépend de la fatigue. Ca me
permet de faire plus de choses ».
« Plutôt non. J'ai la sensation d'évoluer. Je n'ai pas la sensation d'être dans le même monde
matin et soir. Il n'y a pas de répétition. J'ai un mode de vie cadré, mais ce n'est pas la routine ».
« Non, je ne me suis pas ennuyé depuis longtemps. Spinoza, dans l'éthique, disait que le temps
c'est l'affectation de l'esprit, c'est différent du temps chronométrable. […].
« Ce n'est pas une finalité pour moi de ne pas s'ennuyer. C'est un moment difficile, le creux de la
vague. J'ai fais face à un challenge. Je lisais, mais j'étais bloqué car l'ouvrage devenait
compliqué. J'ai eu besoin de trouver une valeur, la philosophie. Alors autant en faire sa vie. J'ai
voulu connaître la matière en question. Ça prend du temps. Mais après, vous pouvez créer un
savoir. »
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5. En maison d'arrêt, quel était votre rythme ?
« J'ai eu peu de co-détenus, puis je suis allé au CNO puis j'ai été seul.
Ce ne sont pas les mêmes activités qu'ici. On est dans le soucis de la vie quotidienne. Difficile de
faire la cuisine en maison d'arrêt entre 3 et 5 heures... Vous êtes le maître de votre emploi du
temps en maison centrale. »
1. Quelles sont les grandes modifications entre votre rythme de vie pendant et avant la
détention ?
2. Avez-vous l'impression que certains moments en prison vous soient utiles vis à vis de
vous-même, de votre développement personnel ?
« On a que ça, on doit trouver un intérêt. Ce ne sont pas des questions de durées, ce sont des
déclics. Il y en a qui l'ont en un an et d'autres en vingt ans.
« Le dessin, j'en faisais déjà dehors, je n'ai rien appris. En philosophie, j'ai pu rencontrer des
professeurs de Paris VII, ça m'a beaucoup aidé, ils m'ont amené beaucoup de classiques. Je fais
de la boxe aussi, mais il n'y a plus les gens avec qui je partageais, c'est plus un self-service.
J'ai tendance à faire comme si j'étais dehors. Si je n'ai pas envie de faire quelque chose, je fais
comme si j'étais dehors. Je ne fais pas les choses parce que je suis en prison. Il y a un moment
où on chercher à d'adapter et un moment où j'ai appréhendé les choses différemment.
« J'ai fait cette démarche dès le début, sans savoir que j'étais perpet, j'ai fait cette démarche au
fil du temps, je ne le savais pas bien, puis j'ai fini par mettre des mots.
« La solitude en cellule ce n'est pas toujours mauvais. J'y ai un sentiment de liberté, le sentiment
que la journée est finie. Mais on n'est pas plus réfléchi qu'on soit seul ou dans une rame bondée
de métro où on peut aussi avoir de grands moments d'introspection. Ce n'est pas une question
d'importance. »
« Une projection. Je ne fais que ça, un retour sur le présent, le futur, etc.
Je n'ai pas le rythme que j'aurai à l'extérieur, mais je fais abstraction de la prison. Il n'y a que
les choses de dehors qui aient de la valeur.
Ils y en a qui vont rester sur une licence pendant onze ans. Et ils ne l'auront toujours pas. Ce
qu'ils font, ce n'est que de l'occupationnel, c'est pour les grâces. Ici, c'est un monde sans
impératif valable. J'ai eu mon master en moins de temps qu'eux n'auront leur licence. Mais eux,
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ce ne sont pas vraiment les études qu'ils visent, et ils ont les résultats qui vont avec.
A F., j'ai acheté un livre. Il y avait un hollandais avec qui parler, puis avec qui j'ai appris le latin
et l'allemand. Puis à F. j'ai rencontré une ancienne professeure qui m'a donné des cours de latin
et de linguistique. J'ai aussi pris des cours de logique. J'ai étudié les rapports entre la pensée et
les mots. Elle m'a donné des conseils pendant la rédaction du mémoire. Les professeurs sont
vraiment là quand quelqu'un est motivé. Courant 2006, j'ai eu ma licence. Puis j'ai eu mon M1 et
mon M2, avec un an de battement pour approfondir. Mais quand l'impulsion est ratée, le saut est
raté. Il y a la pression, l'envie d'avoir la mention à l'unanimité.
Le temps est mis à profit, c'est dans la tête.
Puis j'ai eu un transfert.
C'est un peu « une journée sans fin », ça se répète, mais j'ai appris des choses, donc ça se répète
d'une étrange façon. »
« Les UVF, c'est un temps à profit. J'ai retrouvé un ancien ami. C'est marrant. Mais ne suis pas
devenu un extraterrestre pendant ce temps. On s'était connu j'avais 19 ans. On s'est donc
retrouvé 20 ans après.
Mais il faut vivre dès maintenant, sans attendre la sortie. Et puis l'herbe n'est pas plus verte
ailleurs.
« A la sortie, je pense continuer dans la recherche, faire un travail de relecture, relire.
Reprendre un autre rythme...Deux textes... les refonder pour revoir le professeur d'ici à deux
semaines. Me remettre au dessin. Illustrateur. Commencer à vivre de ça dès maintenant. »
69
ANNEXE 5
Entretien détenu – n° 5
« Le temps, avant autre chose, c'est la sévérité, la sanction. La perpétuité, c'est un paradoxe, la
vie humaine n'est pas perpétuelle. Ce sont des approches purement pénitentiaires. Le temps
d'enfermement aussi, ce n'est pas les mêmes notions. Attendre dix minutes dans l'ascenseur à
l'extérieur ça peut être long, ici on attend aux portes.
Il n'y a pas d'accoutumance à cette violence qu'est l'enfermement. C'est une violence
politiquement correcte qu'est l'enfermement. Certains détenus ne le voient pas, ils sont presque
comme du bétail qui rentre à l'étable. Il y a un renversement des choses. Certains demande à être
enfermés la journée.
J'ai connu une surveillante, elle ne se sentait pas bien. Elle enfermait en souriant, en disant
« bonne soirée », « au revoir ». J'ai encore en tête son visage quand elle a vu la violence de
l'enfermement face à son sourire. Je crois qu'elle a abandonné.
Avant, j'ai été en maison d'arrêt, et à Fresnes. C'est très sévère. C'est comme un SAS pour en
baver avant d'arriver en Centrale. Il n'y a peut-être plus la même sévérité. Plus le même choc. Et
on arrive plus vite en Centrale. Ceux qui n'ont pas fait ce temps avant n'ont peut-être pas le
même ressenti. Ce rythme n'était peut-être pas un hasard, arriver en centrale c'est pouvoir avoir
du temps devant soi pour établir des projets.
Le détenu en maison d'arrêt pour six mois n'a pas le même ressenti. Il y en a qui sont médiatisés
après avoir fait une courte peine en isolement. Mais l'isolement ce n'est pas le ressenti général.
Ils disent qu'ils ont souffert d'être séparés, humiliés. Mais il leur manque la notion de temps. Il y
en a un autre célèbre, lui il a vécu comme les autres détenus, il n'est pas allé à l'isolement. Du
coup, il avait intégré le temps de la prison, il a demandé à jouer au foot, aux cartes, se faire
plumer, payer des gâteaux.
L'écrivain, on reconnaît celui qui a été enfermé au sens large, et ce de tout temps. Dostoïevski
par exemple. Quand on a la chance d'avoir fait de la philo, on intègre le temps cyclique des
grecs, ou linéaire de saint augustin. Ce n'est plus de la philo, on le comprend.
L'espoir... On peut passer à côté de sa vie. Ce n'est pas le plus beau en prison, mais on peut
trouver des moments humains. J'ai vécu un des meilleurs Noêl avec un détenu.
L'attente est quelque chose du quotidien. En maison d'arrêt, une inscription à un cours dure
toute une matinée. Tout est attente. Si attente est souffrance, ça peut être dur. Mais c'est ce que
disait Bergson, il y a une distinction entre le temps vécu et le temps mesuré.
Le temps, en 20 ans, on a le temps de voir vieillir son corps. Il y a aussi des chocs. J'ai reçu une
photo d'amis, le fils avait le physique du père que j'ai connu il y a 20 ans. Jusqu'à présent je
n'avais que des lettres, pas d'images...
La gestion de la peine, on nous dit de faire des projets... Oui, mais par rapport à quand ? Il faut
quelque chose qui passionne dans l'instant pour échapper au temps.
En informatique, la mémoire c'est de l'espace, déplacer c'est du temps. L'espace c'est du temps,
le temps c'est de l'espace.
Le travail avec les archives c'est un peu vivre le présent en tant que transition entre le passé et
le futur. En plus on fait de la réparation, du matériel audio et judiciaire (partie civile). Il y a des
trésors dans ce qu'on écoute.
Les rythmes... Pas d'accompagnement sans dire une discipline militaire. Ne serait-ce pas plus
utile de faire moins de temps mais temps plus dur ? Il y a des personnes qui ont été en échec
70
scolaire. Quelqu'un qui n'a pas déjà eu le cursus de la réussite (artistique, sportive, étude), il est
englué dans le présent, dans le brouillard permanent.
Le passé est lourd, très lourd, on nous le rappelle. Après souffrance ils se disent victimes. Il faut
leur rappeler pourquoi on est là.
Par rapport à la discipline. L'enferment c'est dérisoire à côté du deuil. L'enfermement c'est
aussi une protection pour éviter le suicide. La première année, je n'ai pas eu dix minutes seul
pour pleurer ou crier. Ce temps seul, pour pleurer, pour méditer, ça ajoute de la souffrance. Il y a
tout le protocole anti-suicide.
Parler à ses membres, se parler à soi-même, parler à haute voix, c'est du temps qui manque.
Les médicaments abolissent le temps, c'est un temps de sommeil qui se prolonge, puis il y a la
drogue aussi pour penser la vie plus belle. Ça aide les détenus et les surveillants, mais c'est
encore une illusion.
Pour certains, le temps a manqué, a mal été utilisé. J'ai connu un illettré, il n'a jamais dit qu'il
ne savait pas lire ni écrire. Il ne me l'a avoué qu'à la fin de sa peine. Il a regretté, on a quand
même commencé à lire ses lettres ensemble pour qu'il apprenne.
Il y a le temps qui n'arrive pas à se transformer. A transformer la peine pour être plus efficace.
Si on nous met une piscine un jour, c'est très grave, c'est qu'on peut y rester très longtemps... Il y
a le principe de précaution, est-ce qu'on prend le risque de récupérer un être humain ?
On éprouve un sentiment d'inutilité à long terme. Est-ce qu'on attend qu'il soit une loque,
incapable de récidiver ? Il serait parfois plus utile dans une association, même non rémunéré.
Rester au même poste tout le temps, il y aurait une lassitude. Ici on change de poste tous les
deux mois environ. Tout le monde a le même salaire, débutant ou non, diplômé ou non, etc.
Il y a une sorte de routine quand on garde la même cellule, le même travail à la chaîne. On fait
parti des murs. Il y en a qui restent auxiliaires pendant 10 ans ou 15 ans. Mais bon, ça existe
aussi à l'extérieur. Certaines personnes se sentent plus sécurisées quand elles restent au même
poste, sans évoluer, sans se mettre en danger. C'est un réflexe de protection, la peur de l'inconnu.
Les rythmes... Il y a beaucoup de gens qui inversent les rythmes. C'est difficile pour certains. Ils
pensent que faire du bruit à minuit c'est pas grave, mais à 9 heures du matin c'est grave. Alors
qu'au début les départs en atelier se faisaient sans un bruit. Même les surveillants chuchotaient,
et les portes ne claquaient pas.
Quand j'étais en dispensaire, oui, pour les enfants, mais c'était très stricte, et « structurant ».
On changeait les draps, etc. Les internes avaient un temps d'étude très stricte, pour les externes
c'était plus difficile finalement. En prison maintenant c'est quand on veut... avant c'était
différent, c'était quand voulait le surveillant.
Ce rythme, c'est aussi structurer pour la réinsertion. Ça fait parti de notre civilisation. Sans ça,
il y a le risque de devenir marginal, de vivre comme un clochard qui vit au temps de la nature.
Mais le temps du monde et de la nature sont différents. Il y a tellement d’extensions. Même par
rapport à la gestion de la vie. Le temps de la naissance à la mort. Le temps pénitentiaire. C'est
très curieux dans cette société laïque, l'importance du temps religieux. C'est dans l'organisation.
On peut même remonter au pêcher originel. « Je vous ouvre les portes de la rédemption », c'est
le juge. Ce que fait l'Eglise, c'est acheter du temps, du temps de purgatoire. On voit ici l'achat de
la réparation civile. S'acheter de la remise de peine ? Mais c'est dans l'inconscient tout ça, dans
la mémoire collective judéo-chrétienne. Il faut pratique, il faut aller dans les activités
collectives, un peu comme la messe, pour obtenir un gain de temps il faut faire des choses. Ça
renvoie au pouvoir de l'argent. Acheter du temps pour obtenir quelque chose. Payer un bon
avocat pour s'acheter du temps libre.
Dans le rythme, le temps de l'atelier, c'est un temps qui nous sort. 6-7 heures ici, s'il n'y pas trop
de soucis de parloirs etc. Ici on vit des temps privilégiés, des temps de rencontre avec des
personnes externes. Ils disent travailler ici comme ailleurs. Ici toute la structure a été pensée
pour le studio, ils ne sont pas dépaysés. Les surveillants sont assez discrets aussi. C'est un
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espace de confiance. On travaille avec des externes. C'est aussi un espace de liberté. C'est
comme quand je vais aux cours de philo, je suis hors du temps pénitentiaire, hors de la peine.
Ces lieux qui diffèrent, les tableaux, la disposition de la salle, l'espace va permettre de sortir du
temps.
Pour les perpétuité, la date de sortie c'est l'eldorado, ils ne vivent plus dedans... Ce n'est pas un
long fleuve tranquille.
Le soir de son procès, lorsqu'on entend « 22 ans », « perpétuité », il n'y a peut-être que les
avocats qui réalisent vraiment, ils sont peut-être plus touchés que le condamné.
A la fin de ces 22 ans, on se dit quel gâchis de ce qui a été commis par le crime, mais aussi le
gâchis du temps de la peine. On aurait pu utiliser ses compétences, mais on ne peut pas faire un
mémoire, faire un stage.
Le bracelet, la mise à l'épreuve. Ce n'est pas tout de suite.
Des réflexions sur les évolutions... Un chagrin amoureux, c'est vivre le temps différemment.
C'est pareil pour la prison, c'est vivre le temps différemment. Il y a l'absence de l'amour aussi, la
liberté ce peut être l'amour de certains.
Le temps j'y avais déjà pensé. Quand j'étais plus jeune, j'étais en internat avant 68. La prison
c'est du même ordre, mais à une autre échelle.
En Maison d'arrêt, il y avait des cafards, des rats. Il n'y a pas que le temps, il y a l'humiliation
aussi.
Ici, le temps est rythmé par les parloirs, les visites.
Le temps est cyclique, les semaines, les mois, les années se répètent. C'est une façon d'abolir le
temps. Quand une année se termine, une autre commence.
En prison, on n'avait plus de montre, plus de lunettes. Il n'y avait plus la notion de l'heure, on
pouvait se dire j'ai faim, sans savoir s'il était l'heure de manger. C'était une sanction avant de ne
pas avoir de montre. Perdre la notion du temps, le gars a dormi mais ne sait pas combien de
temps. Surtout l'hiver, il y a une perte de la notion de temps encore plus angoissante, malgré
quelques repères. Par exemple le surveillant à 7 heure du matin. J'ai fait l'expérience d'un
détenu qui avait crié en pensant qu'on l'avait oublié, mais en fait il n'était que 2h du matin.
En maison d'arrêt, on n'a pas la même emprise de la durée. On voit la vieillesse des personnes
à l'extérieur, ils deviennent plus vieux, ils ont des enfants, etc. On a une vision par la télé aussi.
Dans la vie réelle, on est dans le temps « réel », encore plus avec Internet. Là on retrouve des
personnes, des pans entiers de vie, complètement désynchronisés.
Le temps extérieur... Il y a beaucoup de monde de la génération de mes parents qui ont disparu.
Des personnes qu'on aurait aimé revoir. C'est le hasard souvent qui va faire la reconnexion. Des
gars viennent nous voir, persuadés qu'on est au courant... Il faut refaire la chronologie, celle des
naissances et événements qui interviennent en temps réel. Dans la vie, quand on apprend un
dueil, on a le temps, là ça fait un drôle d'effet.
Sur les études, on pourrait en parler longtemps aussi. J'ai tout repris depuis le bac. D'avoir ce
rythme d'étudiant, les examens, etc, ça demande l’humilité de s'y remettre, avec le risque de
rater un examen ! L'année passe très vite, c'est parfois juste. S'inscrire dans les études peut faire
passer l'année plus vite. Mais c'est aussi une manière de se structurer. J'ai connu un analphabète
qui était inscrit en philo, il a écouté et a fini par comprendre Spinoza et les autres. Ça lui a
donné l'envie de lire et d'écrire. »
72
ANNEXE 6
Entretien détenu – n° 8 :
« C'est simple. Tous les matins je me lève. Je fais mon ménage, la coursive. Le midi je sers les
repas, le soir aussi. Sinon vous avez les promenades, le sport. »
Travaillez-vous ?
Je suis auxi.
7jr/7 ? Oui tous les jours.
Oui, il n'y a pas grand chose, entre midi et le soir, une demie heure... Ça va très vite.
Est-ce que la possibilité de toucher des RPS (réduction de peine supplémentaires) vous a motivé
dans l'inscription à certaines activités ?
Vous êtes obligé. Sans ça, j'aurais été quand même, c'est pas que ça vous motive mais vous vous
sentez obligé. Mais moi je voulais. On ne peut pas rester des années sans rien faire.
Ici ça n'apporte peut-être pas, ici vous passez le temps. C'est peut-être plus utile pour les courtes
peines. Certains vont apprendre, tout est relatif.
73
Non, elle passe vite pour moi.
Des moments que vous redoutez ?
Non, personnellement aucun. Je n'ai pas les mêmes particularismes qu'à l'atelier. Aux services
généraux on a une grande liberté de mouvement, aller à la Cour etc. A l'atelier, le Week-end doit
être attendu.
Ici, franchement, oui. Chaque jour c'est exactement pareil. Je ne vois pas ce qui peut changer.
Y a-t-il des activités qui vous donnent l'impression que la journée n'est pas pareil que
d'habitude ?
Pas spécifiquement.
Les tournois de sport ? Non, je ne peux pas, j'ai eu une opération qui m'en empêche.
Les spectacles ? Non.
A mon âge je suis devenu casanier. Il y a des jeunes aussi, c'est bien pour eux.
Pensez-vous qu'il pourrait y avoir des activités plus adaptées ?
Non, jusqu'à présent je n'y ai jamais été.
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Combien de temps êtes-vous resté en maison d'arrêt ?
Je suis resté 7 ans en maison d'arrêt. C'est peut-être pour ça qu'ici je ne vais pas en activités.....
Ici, vous avez une grande liberté. En maison d'arrêt vous avez la promenade le matin, la
promenade l'après-midi, et après c'est fini. L'activité c'est ce que vous cherchez absolument à
avoir. Sortir de la cellule. Le temps est long au début oui, mais quand vous êtes habitué, non.
Une fois habitué, la journée est rythmée par ce que vous faites.
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ANNEXE 7 :
Notes rédigées au brouillon par une personne détenue en maison centrale pour préparer un
entretien :
76
ANNEXE 8 :
1er entretien :
77
jours. »
« Je suis arrivée il y a 7 ans. La population a beaucoup changé. Avant, la moyenne d'âge était
de 40/45 ans. Ils avaient déjà acquis la règle, comme les gens de l'extérieur.
Le temps, c'est un problème au cœur de tout. C'est la gestion du temps qui génère tout. La
Centrale n'est pas naturelle, elle bouleverse tout le rapport au temps.
Certains se résignent un peu, ils se mettent en sommeil. Ils attendent le temps qui passe. C'est
le cas surtout pendant la période de sûreté. Ils sont comme en hibernation. Mais ce n'est pas non
plus tout le monde comme ça. Les parloirs et le travail prennent toute leur importance.
Il y a des repères. La Kermesse a lieu une fois par an par exemple. Les repères temporels sont
importants. Ils servent une fois par an. Au-delà de ce qu'on apporte, c'est une manière de rythmer
la détention.
Il arrive que les personnes détenues soient en lutte contre l'administration pénitentiaire. Ce
n'est pas simple sur tant de temps. Il y a toujours un temps où on n'est pas d'accord. Mais au bout
d'un moment, si 95 % ne sont pas forcément d'accord sur le temps de la peine, ils acceptent
quand même l'institution. Certains.
Beaucoup entrent dans une routine. Il est difficile pour eux de mettre de l'inhabituel dans leur
quotidien. On pense qu'ils le veulent, mais c'est plus compliqué.
Si on modifie des horaires d'emploi du temps, ça fait grincer des dents...
Les activités.... Pour la population pénale jeune, c'est plus difficile. C'est une population
moins normalisée, ils connaissent moins la règle de « je m'engage ». Ils sont contre
l'administration pénitentiaire, se mettent contre les activités, ils sont dans une lutte « anti-
administration ».
Pourtant, les activités, ça occupe d'une part, et ça apprend la règle d'autre part.
C'est bizarre ceux qui ne font rien, ne sortent pas. Mais en fait, quelqu'un qui veut penser à
sortir, il ne peut rien faire d'autre. Il ne pense qu'à ça. Il n'y a plus que le plateau-repas qui rythme
leur temps, et les fermetures / ouvertures de portes. Ce sont seulement quatre repères. Entre, il ne
se passe rien. Ils regardent la télé...
D'autres au contraire sont hyper organisés. Pour ne pas penser à la prison, ils sont dans l'hyper
activité, souvent comme à l'extérieur. Ceux-là, il faut réussir à la poser, à les caser. Un projet de
sortie, ce n'est pas que ce qui est dedans.
L'activité, ça permet d'apprendre à respecter la règle et les gens. Il y a ceux qui sont en retrait,
ils se disent « je ne veux pas de problèmes donc je me mets à part ». Et si on leur en fait la
remarque, ils s'énervent.
Les détenus mettent ce temps en détention en pause. La gestion du temps à l'extérieure est
difficile.
Pour les activités, on a mis en place un référent détenu, qui est choisi par le SPIP. Il fait office
d'interface, et porte les projets du groupe. Ça fonctionne plus ou moins bien selon les référents.
Et on a aussi deux référents des référents. Ils montrent les besoins, etc. Souvent, ils font ça par
goût pour l'activité. Ou alors ce sont des gens qui ont déjà travaillé avant dans l'associatif.
D'autres le font par intérêt (ils peuvent choisir les lots à gagner, visent des RPS, etc). D'autres le
font juste parce qu'il faut quelqu'un.
Les activités, ce n'est pas là pour l'occupationnel. La prévention de la récidive passe par deux
moyens : les entretiens individuels, mais aussi les activités. On organise pour ça des activités de
gestion de la détention. Pendant les activités, les personnes détenues font l'acquisition de la
notion de l'autre, de la norme, etc. Ça évite l'abstrait. L'activité, c'est un cadre, elle apprend à
éviter les retards et les absences. Les activités avec les animaux sont un bon reflet sur soi. C'est
78
un média. C'est facilitant, moins abstrait.
C'est dans le sport aussi. J'ai l'exemple en tête de quelqu'un qui était dangereux, mais qui a
appris à comprendre l'autre par l'aïkido. Avec les activités de peinture et de musique, on apprend
la règle du groupe. C'est là qu'on voit les meneurs, les suiveurs, les fouteurs de trouble. On leur
dit souvent « vous ne pouvez pas être en groupe », mais c'est mieux de passer par l'activité. Là,
ils arrivent à écouter, etc.
On mène également une gestion des absences et des retards. On passe par l'intervenant, on
recadre en faisant comprendre que l'intervenant est venu pour eux.
On essaie de faire des projets plus courts, avec des repères dans le temps : un début, une fin.
Mais ça n'avance pas toujours.
Il y a une partie de jeunes de banlieues : ils recréent ici leur vie en extérieur. Mais ils ne
viennent pas, même s'il y a des activités pour jeunes. Ils veulent juste jouer à la console et au
foot.
Ils peuvent comprendre ce qu'on leur dit, mais le temps du quotidien prend le pas sur l'activité.
Ils ne se disent pas « ok, j'ai du mal avec ma femme/un tel surveillant ».
Il y a des discussions sur la population jeune. Mais pas encore beaucoup. On a des formations
en addicto. Sur place, on retrouve la danse urbaine. Mais le corps en prison est quelque chose de
particulier, ce peut être gênant. Ça n'a pas marché.
On met des affiches, c'est à eux d'aller chercher l'information. Mais non, il faut aller les
chercher, puis ça marche sur une séance, mais pas plus.
A l'extérieur, ça en dit long sur leur capacité au travail.
L'activité, ça ne doit pas être que de la contrainte. Ça doit rester un plaisir. C'est le problème
avec la CPU qui incite de manière formelle. Ça gêne un peu. Il y a peu de domaines où ils restent
maîtres, l'activité devrait venir d'eux-même. Il faudrait plus de latitude.
L'évolution des jeunes existe quand même. Certains sont là avec de gros parcours délinquants,
mais ils vont se saisir de la prison. Ils acquièrent des choses. Mais à la base, ils s'en sont donné
les moyens. En fait les détenus sont souvent très spectateurs. Dehors ils subissent la société, et
dedans ils subissent la prison.
Certains prennent une part de responsabilité sur ce qui leur arrive. Ils vont au moins lâcher les
mauvaises fréquentations, laisser leurs influences. Ils se rendent compte qu'ils étaient très
influençables. Au début, souvent ils se tirent vers le haut ou le bas selon les fréquentations. Mais
rien n'est jamais figé, ils peuvent changer. Il faut faire comprendre ce que sont les choix de vie
délinquante : par exemple, gagner beaucoup d'argent, mais ne pas voir son enfant grandir en
prison.
Les limites qu'on rencontre, c'est par exemple, le manque de personnel en USMP.
On ne fait pas de PPR, pas encore. Par contre on organise des rendez-vous détenus-victimes.
Les PPR, ça pose question sur les centrales, où la confidentialité est moyenne et le temps long.
On y confronte l'autre à ce qu'il pense, mais il ne faut pas généraliser.
Le problème c'est que pour les détenus, le temps « c'est eux ». C'est compliqué pour eux de
comprendre le peu de temps disponible qu'on a à leur donner.
L'urgence. Il faut le définir avec eux. Ils confondent souvent l'urgence et le besoin. Ils sont
incapables de définir l'urgence, ils disent c'est « quand ça m'agace ». Surtout en établissement
pour peine. Ca vient en partie de la personnalité psychopathique : une semaine d'attente c'est une
atteinte contre eux. C'est peut-être dû au fait de ne pas vouloir être acteur...
Mais ça prend moins de temps de le faire à leur place que de le faire avec eux. Avec eux, c'est
long, il faut les convaincre, les accompagner, etc. Et du coup, à cause du manque de temps, le
CIP finit par le faire à la place de la personne détenue...
On trouve également quelques détenus qui se sont fait leur propre rapport au temps : ils
dorment le jour. Souvent c'est à cause des cachets. Mais parfois, c'est soit qu'ils étudient la nuit,
ça ok, ou soit qu'ils s'excluent de la détention. Ce sont les inoccupés. »
79
ANNEXE 9 :
Quelles sont les exigences en matière d'emploi du temps des détenus ? Privilégiez-vous les
droits des détenus ? La sécurité des lieux ? Le bon fonctionnement de l'établissement ?
« C'est la sécurité des lieux qui est vue avant, dans la conception des planning. Ensuite on va
prendre en considération les événements particuliers, comme les concerts, et les autres
événements quotidiens, comme la promenade, le sport, les parloirs, le travail, l'école, le médical,
le SPIP, le droit pour le culte.
On a aussi des modifications du fixe en fonction des intempéries comme la neige ou la pluie »
Quelle est selon vous l'importance des activités au sein de la détention ? Est-ce pour les
détenus ? Pour l'établissement ?
« Les activités permettent d'occuper le temps, d'oxygéner l'esprit, de trouver un centre
d'intérêt. C'est un gain en terme sécuritaire, ça canalise les tensions. Si un détenu ne fait rien, on
surveille, on essaie de créer le lien avec quelqu'un. »
80
Quels sont les choix d'activités ?
« Il y a des différences entre chaque maison d'arrêt, mais on retrouve les mêmes thématiques
d'activité. L'articulation, la fréquence d'accès, ça dépend. Ici par exemple, le sport c'est trois fois
par semaine. Ça dépend aussi de l'architecture.
Il y a la politique commune : ce sont les objectifs au niveau ministériel. Par exemple, la lutte
contre le suicide. Puis on trouve les besoins structurels, comme par exemple le cinémas. Ici on a
l'activité photo et l'atelier cirque.
En fait on fonctionne par MPO99, c'est un fonctionnement par objectif, qui prend en compte
les besoins propres de la structure. La Direction Inter-régionale fait la conjonction entre deux
objectifs : celui au niveau national et ceux au niveau structurel. Ces objectifs peut être par
exemple la réduction des projections dans un établissement, la prévention des risques suicidaires,
la bonne cohabitation entre codétenus. A partir d'objectifs chiffrés, on va mettre en place des
moyens d'action, c'est du management.
En fait, la personne détenue peut soit s'insérer dans le quotidien, soit s'enfermer dans la
cellule. »
« Entre aujourd'hui et hier, il y a des évolutions positives et du plus négatif. On voit beaucoup
d'idées, mais très peu de moyens. C'est agaçant. Nous travaillons avec de l'humain, et pas des
chiffres... Il y a des activités, la musique par exemple, ça comble un vide, ça occupe.
Dans le QCP, quartier pour courtes peines, on trouve des choses intéressantes, comme des
sessions spéciales sur les accidents de voiture. Mais le temps ne passe pas vite. Il y a un rythme,
notamment avec le travail pénal. On a surtout un problème de population. On est passé d'une
moyenne d'âge de 30/40 ans à des jeunes. Ils ne supportent plus du tout le « non », en général ils
ne l'ont jamais appris. On vit sur leur quotidien, on finit par voir leur réalité. Il ne sortent de la
cité que pour le business. Il y en a qui ont trop le vice, d'autres non. L'atelier, ça leur permet de se
lever le matin. On écoute parler, ça fait parti du métier, on peut appeler le psy. En détention, il y a
des moments de tristesse et des moments de joie.
Leur horizon culturel, c'est désert. Ils sont dans le « juste pour moi ». C'est usant. Parfois ils
disent « oui », mais le font jamais.
Avant, il y avait plus de règles. Par exemple, ils devaient se lever pour avoir leur petit
déjeuner. Pareil pour l'hygiène, aujourd'hui il n'y a plus de contrainte. Certains vivent la nuit en
maison d'arrêt, ils jouent à la playstation, etc.
Avant on avait la règle, aujourd'hui, c'est plus coulant... »
81
BIBLIOGRAPHIE
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CHANEL Marine, PORTELLI Serge, La vie après la peine, Grasset, Février 2014
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FOUCAULT Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, Coll. Tel, n° 225,
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FROMGET Julien, GAFFURI Cécile, L'accueil des détenus dans les prisons françaises, Paris,
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GOFFMAN Erving, Asiles, Les éditions de minuit, Coll. Le sens commun, 1968
LHUILIER Dominique, Le choc carcéral. Survivre en prison. Bayard, Coll. Société, 2001, 309 p.
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OTHMANI Ahmed, Sortir de la prison. Un combat pour réformer les systèmes carcéraux dans
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82
• Articles :
BOGAARD Claire, « Faire son temps : soumission au rythme carcéral ou réappropriation de son
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CUNHA Manuela Ivone, « Le temps suspendu. Rythmes et durées dans une prison portugaise »,
In Terrain, 29, 1997
DESCARPENTRIES F., WIKART A., « Distorsions des notions d'espace et de temps chez le
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GOUACHE Maxime, « Le corps à l'épreuve du temps carcéral : quand la prison marque au fer
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GRIS Loup, « Un contretemps qui s'éternise », In Le Passe Murailles, n° 21, Nov/déc. 2009, pp.
51-53
GUILBAUD Fabrice, « Le travail pénitentiaire : sens et articulation des temps vécus des
travailleurs incarcérés », Revue française de sociologie, 2008/4 vol. 49, pp. 763-791
83
LECHON Loïc, « Perpétuité : une réclusion à vie ? », In Les chroniques du cirap, n°5, ENAP,
Juillet 2009, 3 p.
LESAGE DE LA HAYE Jacques, « Le temps qui tue », In Prison-Justice n°82, sept. 1997
MAURICE Philippe, « Une traversée hors du temps », In Prison-Justice n°82, sept. 1997
• Mémoires :
• Documents officiels :
84
• Documents vidéos :
BRAHMY Betty, « La vie quotidienne en prison », Canal U, Université de tous les savoirs. In
http://www.canal -u.tv/video/universite_de_tous_les_savoirs/la_vie_quotidienne_en_prison_
betty_brahmy.1515, En ligne, consulté le 06 août 2013
MARTINY Didier (réal.), Une vie en prison, ADL TV, 2006. 55min.
• Sites Internet :
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Bibliographie complémentaire :
• Ouvrages :
CHALIER Catherine, La Patience. Passion de la durée consentie. Paris, Autrement, Coll. Série
Morales, n°7, mars 1992, 219 p.
GONCALVES Maria José, ROGER Lucie, ROQUET Pascal, et alii, Temps, temporalité et
complexité dans les activités éducatives et formatives, France, L'Harmattan, Coll. Ingenium,
Juin 2013, 216 p.
• Revues :
• Documents officiels :
86
Index thématique :
Activités socio-culturelles : 22 ; 44
Architecture : p. 9 ; 14 ; 21 ; 22 ; 47 ; 50
Avenir : v. Futur
Canada : p. 23 ; 44 ; 53
Danemark : p. 12
Dignité : p. 24 ; 25 ; 26
Discipline : p. 1 ; 2 ; 11 ; 12 ; 15 ; 17 ; 25 ; 40 ; 41
Espace : v. architecture
Futur : p. 2 s. ; 6 s. ; 23 ; 27 s. ; 30 s. ; 37 s. ; 50 s. ; 55
Passé : 1 s. ; 7 s. ; 11 ; 20 ; 27 ; 30 s. ; 37 ; 41 ; 48 ; 50 s. ; 58 s.
Présentisme : 6 ; 37 ; 47 ; 48 ; 49
Responsabilisation : 26 ; 30 ; 39 ; 44 ;
Surveillance : p. 35 ; 41
Temporalité : p. 2 (définition)
Travail : 7 ; 8 ; 11 ; 22 ; 24 ; 29 ; 33 ; 44 ; 45 ; 50 s.
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Table des matières
INTRODUCTION : ........................................................................................................................1
Partie 1. Le temps de la détention : la conquête d'un temps utile au centre du triptyque présent-
passé-futur .......................................................................................................................................7
Chapitre 1 : La prison : une temporalité stable et autonome, imperméable aux réformes
pénitentiaires ..............................................................................................................................8
Section 1 : Phénomène de continuité et perspectives temporelles ......................................10
I. La pérennité de l'institution pénitentiaire au fil du temps............................................10
a. La constance des politiques pénitentiaires .........................................................10
b. Une institution enracinée dans son histoire........................................................11
i. La marque du christianisme : .........................................................................11
ii. Conservation des caractéristiques substantielles initiales de la prison .........12
II. Des établissements pénitentiaires résistants aux changements...................................13
a. La « culture » de l'établissement.........................................................................13
b. L'inamovibilité des murs ...................................................................................14
Section 2 : La rencontre de temps multiples : du temps de la prison au temps des hommes
..............................................................................................................................................16
I. Le temps pénitentiaire : un temps polymorphe ...........................................................17
a. Le temps personnel ............................................................................................17
b. Le temps social de la prison...............................................................................17
II. Interactions entre le temps personnel et le temps de la prison....................................19
a. La confrontation du temps personnel au temps pénitentiaire.............................19
i. Le temps personnel des détenus confronté au temps pénitentiaire : l'expérience
du choc carcéral .....................................................................................................19
ii. Le temps personnel des professionnels confronté au temps pénitentiaire : le
temps pénitentiaire comme temps subi...................................................................21
b. La place restreinte au déploiement d'une temporalité propre.............................21
i. Le déploiement du temps des personnes détenues.........................................21
ii. Le déploiement du temps des professionnels et intervenants .......................22
Chapitre 2 : La volonté politique d'orienter le temps pénitentiaire vers le futur : donner des
moyens à la réinsertion sociale .................................................................................................23
Section 1 : Mettre en condition pour préparer la réinsertion : le détenu au cœur de la
temporalité pénitentiaire ......................................................................................................23
I. Dignité et temps carcéral : la prise en compte de la temporalité personnelle du détenu
.........................................................................................................................................24
a. Temps et dignité .................................................................................................24
b. Un nouveau rythme pour les surveillants pénitentiaires : .................................25
c. De l'infantilisation à la responsabilisation :........................................................26
II. Un temps au service de l'égalité sociale : le détenu au cœur de la temporalité
pénitentiaire.....................................................................................................................26
a. La temporalité du détenu au cœurs des pratiques professionnelles....................26
i. Individualisation des méthodes professionnelles...........................................27
ii. Revalorisation de la personne détenue .........................................................28
b. Le détenu au cœur de l'organisation temporelle de la prison ............................28
Section 2 : Engager la réinsertion du détenu : le temps présent comme temps utile ...........30
88
I. Le parcours d'exécution des peines : le temps présent au service du futur..................30
a. Une réflexion sur la relation passé-présent ........................................................31
b. Une ouverture sur l'avenir .................................................................................31
c. Le triptyque présent-passé-futur pour faire sens au temps.................................32
II. L'échec de la mise en œuvre : l'oubli du détenu dans l'investissement de son temps. 32
a. L'absence du détenu dans son parcours d'exécution des peines ........................33
b. L'absence d'outils nécessaires à l'administration pénitentiaires ........................34
c. De la réinsertion à la surveillance ......................................................................35
Partie 2. Le temps du détenu : l'inanité du temps prélevé ou l'entrave du présent ........................37
Chapitre 1 : De la vacuité du temps du détenu à son utilité pour la société .............................38
Section 1. La prison : l'institution du temps-sanction ..........................................................39
I. La peine de privation de liberté : le temps-sanction ....................................................39
a. Le temps : graduation de la sanction..................................................................39
b. La quantité de temps : distinction et assimilation des personnes détenues........40
c. La privation du temps : un châtiment moderne..................................................40
d. La schizophrénie du temps pénitentiaire............................................................41
II. Le temps à l'usage de la discipline des corps..............................................................42
a. De l'usage disciplinaire du temps au sein de la détention ..................................42
b. Surinvestissement de temps « utiles » et discipline des corps ...........................43
Section 2. Un temps ouvert l'extérieur : le rappel d'une temporalité à désirer ....................44
I. La multiplication des ouvertures sur le temps externe ................................................45
a. Quand l'extérieur pénètre les murs de la détention ............................................45
b. Quand la personne détenue sort momentanément des murs ..............................46
II. De la justification par les droits des détenus à l'intérêt supérieur de la société..........46
Chapitre 2 : La réappropriation du temps par les personnes détenues : l'emprise du
« présentisme » .........................................................................................................................48
Section 1. « Faire son temps » : une réappropriation du temps à l'encontre des intérêts du
détenu ...................................................................................................................................48
I. De l'inactivité au surinvestissement du temps, au prisme du Présentisme...................48
a. Le présent comme refuge....................................................................................48
b. Le temps cyclique, un présent immobile............................................................51
c. Présent et perte d'identité ...................................................................................51
II. La négation du temps pénitentiaire acceptée par l'institution.....................................52
a. Un détenu dans le présent, un détenu calme ......................................................52
b. La sécurité au cœur du quotidien........................................................................52
Section 2. La réappropriation du temps en prison : négation et acceptation du temps
carcéral .................................................................................................................................53
I. La négation du temps carcéral : entre renoncement et rébellion..................................54
a. Le renoncement : échapper au temps carcéral....................................................54
b. La rébellion : s'opposer au temps carcéral .........................................................54
II. L'acceptation du temps pénitentiaire : un modèle idéal accessible ?..........................55
a. La soumission au temps de la prison : ...............................................................55
i. Adaptation au temps pénitentiaire : trouver une place dans le triptyque
temporel.............................................................................................................55
ii. Soumission au temps carcéral : le formatage institutionnel..........................56
b. Adaptation et sortie ............................................................................................56
CONCLUSION : ...........................................................................................................................57
ANNEXES :...................................................................................................................................59
BIBLIOGRAPHIE.........................................................................................................................82
Index thématique : .........................................................................................................................87
89
90
Le temps en prison : un jeu de rythmes en quête de sens
Comprendre le temps de la prison, ses déclinaisons, ses usages, sa valeur, permet d'enrichir les
réflexions sur le sens même de la peine privative de liberté et de mieux appréhender les
décalages qui existent entre l'idéal politique attribué à cette peine et sa réalité quotidienne.
91