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UNIVERSITE MOHAMMED V RABAT

Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales


Agdal

Cours
Droit des obligations
Les faits juridiques

A l’usage des étudiants de la licence en droit


Semestre 3

Chargés du cours
Professeurs
Farid EL BACHA
Halima BENSOUDA

2020
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

I - OUVRAGES GENERAUX

- AZZIMAN (O) : Le contrat, éd. Le Fennec, 1995.

- CARBONNIER(J) : Droit Civil Tome 4, Les obligations, 22ème éd. 2000.

- MALINVAUD (Ph.) : Droit des obligations, les mécanismes juridiques des relations
économiques, 10ème éd. 2007.

- TERRE (F), SIMLER (P) LEQUETTE (Y) : Les obligations, 10ème éd., Dalloz, 2009.
- BENABENT (A) :Droit civil, Les obligations, Coll.Domat droit privé, Paris, Montchrestien,
2014.
- BRUSORIO-AILLAUD ( M) :Droit des obligations, Coll.Paradigme, 2015-2016.

- ‫ ﻣطﺎﺑﻊ دار‬،‫ اﻟﻧظرﯾﺔ اﻟﻌﺎﻣﺔ ﻟﻼﻟﺗزاﻣﺎت ﻓﻲ ﺿوء ﻗﺎﻧون اﻻﻟﺗزاﻣﺎت واﻟﻌﻘود اﻟﻣﻐرﺑﻲ ﻓﻲ ﺟزﺋﯾن‬:‫ﻣﺎﻣون اﻟﻛزﺑري‬
.1974 ‫اﻟﻘﻠم ﺑﯾروت‬
- ،‫ دراﺳﺔ ﻋﻠﻰ ﺿوء اﻟﻘﺿﺎء واﻟﻔﻘﮫ دار اﻷﻣﺎن‬،‫ وﺟﮭﺔ ﻧظر ﺧﺎﺻﺔ ﻓﻲ اﻟﻘﺎﻧون اﻟﻣدﻧﻲ اﻟﻣﻌﻣق‬:‫ﻋﺑد اﻟﻘﺎدر اﻟﻌرﻋﺎري‬
.2010
2012- .‫ ﻣﻧﺷورات ﺳﻠﺳﻠﺔ اﻟﻣﻌرﻓﺔ اﻟﻘﺎﻧوﻧﯾﺔ‬،‫ ﻣﻧﺎھﺞ اﻟﻘﺎﻧون اﻟﻣدﻧﻲ اﻟﻣﻌﻣق‬:‫أﺣﻣد ادرﯾوش‬

II – TEXTES DE LOIS

- Dahir des obligations et contrats, 12 août 1913

- D.O.C annoté, François Paul Blanc, Sochepress, 2001


ABREVIATIONS

Bull.Civ :Bulletin Civil

CAR : Cour d’appel de Rabat

CC :Cour de Cassation

C. Civ :Code civil

C S Civ : Cour Suprême, Chambre Civile

C S Soc : Cour Suprême, Chambre Sociale

D : Dalloz

DOC : Dahir des Obligations et Contrats

GTM : Gazette des tribunaux du Maroc

JCP : Jurisclasseur périodique

JCS : Jurisprudence de la cour suprême (en arabe)

RACAR : Recueil des arrêts de la cour d’appel de Rabat

RJL : Revue de jurisprudence et de lois (arabe)

RJPEM : Revue juridique, politique et économique du Maroc

RMD : Revue Marocaine de Droit

Trib.1ère Inst : Tribunal de 1ère Instance.


PLAN

TITRE 1
LA RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

1°) Responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle


2°) Responsabilité civile et responsabilité pénale

CHAPITRE PRELIMINAIRE
LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

SECTION1
PRESENTATION DES DIVERS FONDEMENTS

§1- Les fondements classiques : la faute et le risque

1°) La responsabilité fondée sur la faute


2°) La responsabilité fondée sur le risque

§2 - Les fondements plus récents : la garantie et le principe de précaution

1°) La garantie
2°) Le principe de précaution

SECTION 2
LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE EN DROIT
POSITIF

§1- Le déclin de la faute

§2- La place toujours importante de la faute

TITRE 2
LES FAITS JURIDIQUES DOMMAGEABLES
LA RESPONSABILITE CIVILE

CHAPITRE 1
LE FAIT GENERATEUR DE RESPONSABILITE

SECTION 1
LES REGIMES GENERAUX DE RESPONSABILITE

§1 - La responsabilité du fait personnel


1°) Notion de faute
A - L’illicéité ou la violation d’un devoir (l’élément objectif)
B - L’imputabilité de la violation du devoir (l’élément subjectif)

2°) La faute dans l’exercice d’un droit : la théorie de l’abus de droit


3°) Les faits justificatifs.

§ 2 – La responsabilité du fait d’autrui

I - LA RESPONSABILITE DES PARENTS DU FAIT DE LEURS ENFANTS MINEURS


1°) Les conditions d’application de la présomption
2°) La portée de la présomption pesant sur les parents ( les conditions d’exonération des
parents).

II - LA RESPONSABILITE DES COMMETTANTS DU FAIT DE


LEURS PREPOSES
1°) Les conditions de la responsabilité des commettants
a - Une relation de commettant à préposé
b - Le dommage doit avoir été causé dans l’exercice des fonctions du préposé

2°) Les effets de la responsabilité des commettants

III - LA RESPONSABILITE DES ARTISANS

IV - LA RESPONSABILITE DES INSTITUTEURS

§3 - La responsabilité du fait des choses


A - Une chose
B - Le fait de la chose
C - La garde de la chose
D - Les causes d’exonération de la responsabilité du fait des choses

SECTION 2
LES REGIMES SPECIAUX DE RESPONSABILITE

§1- Les régimes spéciaux prévus par le DOC : la responsabilité du fait des animaux et la
responsabilité du fait de la ruine d’un bâtiment
A - La responsabilité du fait des animaux
B - La responsabilité du fait de la ruine d’un bâtiment

§2-Les régimes spéciaux prévus par des textes particuliers

A - L’indemnisation des victimes d’accidents de circulation


B - La loi du 12 mai 2003 relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement
C - La loi 12/02 du 7 Janvier 2005 relative à la responsabilité civile en matière de dommages
nucléaires
D - La loi 24-09 du 17 août 2011 relative à la sécurité des produits et des services

CHAPITRE 2
LE DOMMAGE

SECTION 1
LES CATEGORIES DE DOMMAGES

SECTION 2
LES CARACTERES DU DOMMAGE REPARABLE

CHAPITRE 3
UN LIEN DE CAUSALITE ENTRE LE FAIT GENERATEUR ET LE DOMMAGE

TITRE 3
LES FAITS JURIDIQUES PROFITABLES
LES QUASI-CONTRATS

CHAPITRE 1
LA GESTION D’AFFAIRES

SECTION 1
LES CONDITIONS DE LA GESTION D’AFFAIRES

SECTION 2
LES EFFETS DE LA GESTION D’AFFAIRES

CHAPITRE 2
LE PAIEMENT DE L’INDU
SECTION 1
LES CONDITIONS DE LA REPETITION DE L’INDU

SECTION 2
LES EFFETS DE LA REPETITION DE L’INDU

CHAPITRE 3
L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

SECTION 1
LES CONDITIONS DE L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE
1°) Un enrichissement et un appauvrissement corrélatif
2°) Absence de cause de l’enrichissement

SECTION 2
LES EFFETS DE L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE
TITRE 1

LES FAITS JURIDIQUES DOMMAGEABLES

LA RESPONSABILITE CIVILE DELICTUELLE

Selon l’article 1er du DOC, les obligations dérivent des conventions et autres
déclarations de volonté, des quasi-contrats, des délits et des quasi-délits. Les
conventions et autres déclarations de volonté constituent des sources volontaires
d’obligations. Ces dernières ont été voulues, les parties ont voulu assumer les
conséquences de leurs engagements. L’inexécution de ces engagements, le retard
dans leur exécution ou une exécution défectueuse peuvent engendrer une
responsabilité de nature contractuelle.

Les quasi - contrats, les délits et les quasi -délits sont des sources involontaires
d’obligations. Dans toutes ces situations, une personne va se trouver obligée sans
l’avoir voulu et sans avoir voulu assumer les obligations qui seront mises à sa charge.
Il peut s’agir d’un fait qui lui est profitable, comme dans les situations de quasi-
contrats. Il peut également s’agir, et c’est le cas le plus fréquent, de faits
dommageables qui sont à l’origine d’une responsabilité civile. Un dommage est causé,
il doit être réparé si la responsabilité est engagée.

La responsabilité civile est donc l’obligation de répondre des conséquences


dommageables de ses actes. Elle a pour objectif de réparer le dommage causé à la
victime. Elle se distingue de
- la responsabilité politique où un gouvernement doit répondre devant un
Parlement,
- de la responsabilité administrative où l’administration doit répondre des
dommages qu’elle cause,
- de la responsabilité morale où une personne doit répondre devant sa
conscience,
- de la responsabilité pénale où une personne doit répondre devant la société
pour une infraction commise et
- de la responsabilité disciplinaire où une personne doit répondre devant un
ordre professionnel.

On perçoit déjà l’intérêt pratique du droit de la responsabilité civile délictuelle. Qu’un


dommage soit causé par un conducteur automobile, un médecin, un enfant en bas
âge, un préposé …. le droit de la responsabilité a vocation à s’appliquer. Les affaires
de responsabilité civile occupent ainsi une part importante du contentieux porté
devant les tribunaux.

Sur le plan théorique et des principes, la responsabilité civile met en cause toute
l’organisation sociale puisqu’elle délimite le domaine du licite et de l’illicite. Il s’agit
en effet de savoir quand on peut agir impunément et quant on doit répondre de ses
actes dommageables.

Le droit de la responsabilité civile délictuelle offre également un bel exemple d’un


droit jurisprudentiel. A partir de textes limités, les tribunaux ont construit le droit de
la responsabilité en précisant les règles applicables aux différents régimes de
responsabilité.
Les juges ont découvert des responsabilités qui n’étaient pas prévues par les textes
(responsabilité du fait des choses, obligation de sécurité pesant sur les
transporteurs….) et modifié le régime de responsabilités existantes aboutissant à
multiplier des cas de présomption de responsabilité.
Aidée en cela par la doctrine, la jurisprudence a contribué au progrès et à l’évolution
du droit de la responsabilité, en dépit des insécurités juridiques et des flottements
inévitables de la création jurisprudentielle.

Pour mieux appréhender la notion de responsabilité civile délictuelle, il importe de


distinguer responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle d’une part,
responsabilité pénale et responsabilité civile d’autre part.

Il sera alors plus utile de tenter de répondre à une question essentielle : Pourquoi une
personne est-elle obligée de réparer le dommage causé ? C’est le problème du
fondement de la responsabilité. (Chapitre Préliminaire).

1°)La distinction responsabilité contractuelle - responsabilité délictuelle. La


responsabilité civile contractuelle sanctionne l’inexécution ou le retard dans
l’exécution d’un contrat. La responsabilité contractuelle est le prolongement de la
violation d’obligations contractuelles. Ses contours relèvent souvent de la volonté
des parties contractantes.
La responsabilité civile délictuelle, quant à elle, sanctionne un dommage né en dehors
de toute relation contractuelle. Par délictuelle, il faut entendre responsabilité engagée
à la suite d’un délit au sens strict (fait volontaire et illicite) ou d’un quasi-délit (fait
involontaire et illicite).Entre le conducteur qui blesse un piéton et qui va réclamer
réparation, il n’y a pas de convention. La responsabilité civile délictuelle correspond
à l’obligation de répondre de la violation de l’obligation générale de ne pas causer de
dommage à autrui par son fait personnel, par le fait des personnes dont on doit
répondre ou par le fait des choses dont on a la garde. Elle trouve ses fondements
dans la loi et non dans la volonté des parties.

Le principe de cette distinction est simple mais en pratique il soulève certaines


difficultés.

En matière de transport bénévole de personnes , la jurisprudence avait très tôt


considéré qu’ « il existe incontestablement entre celui qui sollicite ou accepte de
participer à l’usage d’une voiture automobile et le gardien de celle-ci qui consent ou
offre spontanément cette participation, une convention sui generis qui, pour être
purement de bienfaisance, n’engendre pas moins des obligations ; que, par l’échange
certain des volontés, l’automobiliste s’engage à transporter le tiers qui monte dans sa
voiture… ». Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour Suprême décide en
1967 de placer la responsabilité civile du transporteur bénévole de personnes sur le
terrain de la responsabilité délictuelle (art.88 du DOC) et non contractuelle (C.S, 20-
12-1967 ; GTM, 1968, n°2, p.23-24).

S’agissant du transport rémunéré, il a été décidé que la responsabilité contractuelle


du transporteur prévue à l’article 106 de l’ancien code commerce ne joue que tant
que le voyageur reste en contact avec le véhicule. Elle prend fin et laisse place à une
responsabilité délictuelle, fondée sur l’article 88 du D.O.C., lorsque le voyageur quitte
momentanément le véhicule pour des motifs personnels. En l’espèce, c’est à bon
droit, décide la cour suprême, que la décision attaquée a appliqué les règles de la
responsabilité délictuelle puisqu’il n’est pas contesté que l’accident est survenu au
moment où le voyageur avait les pieds au sol. (C.S. Civ., 18-1-1978, R.J.P.E.M., 1978,
n. 34, p. 270 ; R.J.L., 1979, n.129, p. 28). Selon l’article 485 du nouveau code de
commerce (1996), le transporteur répond des dommages qui surviennent à la
personne du voyageur pendant le transport. Sa responsabilité ne peut être écartée que
par la preuve d’un cas de force majeure ou de la faute de la victime.
De même, la responsabilité du médecin est de nature contractuelle et les rapports
existant entre un médecin et un malade constituent un « contrat sui generis ».
(Trib.1ère Inst.Casablanca, 24-12-1945, GTM, 1946. N°973, p.51, C.A.R, 29-1-1946,
GTM, 1946, n°976, p.76).
Depuis 1936, la responsabilité médicale est classiquement une responsabilité de type
contractuelle. En effet, à cette date, la cour de cassation française, dans l’arrêt «
Mercier » (Cour de cassation, Civ., 20 mai 1936) a considéré « qu’entre le médecin et
son client, se forme un véritable contrat, comportant pour le praticien l’engagement,
sinon bien évidemment de guérir le malade, ce qui n’a jamais été allégué, du moins
de lui donner des soins non pas quelconques mais consciencieux, attentifs et réserves
faites de circonstances exceptionnelles, conformes aux données actuelles de la
science ; que la violation, même involontaire de cette obligation contractuelle est
sanctionnée par une de même nature, également contractuelle ». Il existe cependant
des situations où cette responsabilité sera de nature délictuelle, lorsqu’aucun contrat
n’a pu se former entre le médecin et son patient (patient inanimé, mineur ou
incapable). Le dommage peut également être situé hors du champ contractuel et ne
pas participer de l’acte médical proprement dit. (Un patient trébuchant au sein du
cabinet médical sur une marche mal réparée).

La distinction peut également soulever quelques difficultés lors du processus de


formation du contrat. Il est permis de mettre fin aux pourparlers à tout moment en
vertu du principe de la liberté contractuelle. Cette rupture ne doit pas être fautive,
abusive sous peine de voir la responsabilité de celui qui rompt les pourparlers
engagée en vertu de la responsabilité délictuelle du fait personnel et non
contractuelle. Il en est également ainsi en cas de violation d’une obligation
précontractuelle de renseignement. Ainsi la responsabilité encourue dans les
situations précontractuelles, c’est-à-dire lorsque le fait générateur se produit avant la
formation du contrat, demeure en principe de nature délictuelle.

La responsabilité contractuelle suppose l’existence d’un contrat valable. La


responsabilité née d’un contrat annulé est de nature délictuelle. L’exploitation d’une
situation de faiblesse du contractant ou l’utilisation de manoeuvres dolosives ayant
conduit à la formation du contrat peut ainsi entrainer des actions en responsabilité
délictuelle car dans ces situations le contrat, annulé, est censé n’avoir jamais existé.

Le contractant qui se plaint de l’inexécution d’un contrat peut-il, si tel est son intérêt,
placer son action en responsabilité sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle ?
Le contractant a –t-il le choix ? Les tribunaux n’admettent pas le principe dit du
« cumul des responsabilités ».Il s’agit en réalité du principe de « non-option ».Tout ce
qui n’est pas contractuel est délictuel. Le contractant victime d’une inexécution d’un
contrat ne peut agir que sur le terrain de la responsabilité contractuelle. Les règles de
la responsabilité civile délictuelle sont donc sans application lorsqu’il s’agit d’une
faute commise dans l’exécution d’une obligation résultant d’un contrat. La règle du
non cumul peut trouver un fondement dans le principe de la force obligatoire des
conventions. Permettre à la victime d’une inexécution du contrat de s’écarter du
cadre contractuel et d’invoquer d’autres règles constituerait une atteinte à ce principe.
La distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle est
aujourd’hui critiquée .Elle oblige en effet les victimes à rechercher si le responsable
a la qualité de contractant. De plus le législateur créé de plus en plus des régimes de
responsabilité qui unifient la procédure de réparation et dépasse la distinction entre
ces deux types de responsabilité (régime d’indemnisation des victimes d’accidents de
circulation, responsabilité du fait des produits défectueux…).
Par ailleurs la Cour de cassation française a refusé de censurer l’erreur de qualification
commise par les juges du fond lorsque l’application des règles de la contractuelle ou
de la délictuelle conduit au même résultat. (Cass.1ère civ.4 janvier 1995, Bull.civ, I,
n°10).
D’autres distinctions sont alors sont proposées (responsabilité de droit commun et
responsabilités spécifiques, liées à des professions ou à un domaine particulier.)
La distinction garde cependant un intérêt. En matière contractuelle, seul le dommage
prévisible est réparable. Il y a là une règle qui se justifie car le contrat a pour finalité
de prévoir et d’organiser, par anticipation, une relation conventionnelle. Les délais
de prescription sont également différents.

2°)Responsabilité civile et responsabilité pénale. La responsabilité civile répare


un dommage causé. La responsabilité pénale punit et sanctionne une infraction
commise, un trouble à l’ordre social.
À partir de là, on peut mieux saisir la portée de la distinction même si le législateur a
expressément assigné aux dommages intérêts une finalité punitive en obligeant les
tribunaux à évaluer différemment les dommages selon qu’il s’agit de la faute du
débiteur ou de son dol (article 98, al.2 du D.O.C).

Le domaine de la responsabilité pénale est limité en raison du principe de la légalité


des délits et des peines. La responsabilité pénale n’est engagée qu’à la suite de la
commission d’une infraction prévue par un texte dont l’interprétation doit rester
stricte. Par contre, tout fait quelconque qui cause un dommage à autrui peut être
source de responsabilité civile et les textes la régissant sont souvent interprétés par
les juges avec une grande liberté.

Alors que le code pénal comprend plus de six cents articles, le code des obligations
et contrats consacre moins de trente articles aux délits et aux quasi-délits. Alors que
la responsabilité civile suppose la réalisation d’un dommage, la responsabilité pénale
peut être engagée même en cas de simple tentative (art.114 à 117 du code pénal).

La responsabilité pénale est soumise au principe de la personnalité des peines alors


qu’il existe une responsabilité civile du fait d’autrui. (Parents du fait de leurs enfants,
commettants du fait de leurs préposés).

Les domaines des deux responsabilités peuvent cependant se recouper car un même
fait peut constituer un délit pénal et un délit civil. (Le responsable d’un accident de
circulation commis à la suite d’un excès de vitesse peut engager une responsabilité
civile (réparer le dommage causé) et pénale (répondre pénalement de l’infraction
commise : non respect du code la route).Toute infraction donne en effet ouverture
à une action publique pour l’application des peines et, si un dommage a été causé, à
une action civile en réparation du dommage. (article 2, loi 22-01 relative à la
procédure pénale).

Les démarches qui vont conduire aux deux responsabilités ne sont pas identiques.
C’est par l’action publique intentée devant les tribunaux répressifs qu’est déclenchée
la démarche judiciaire pour la sanction de l’infraction commise. C’est devant les
juridictions civiles que la victime d’un dommage porte son action pour obtenir
réparation.
L’action civile et l’action publique peuvent être exercées en même temps devant la
juridiction répressive saisie de l’action publique. (Article 8, loi 22-01 relative à la
procédure pénale). Si la victime exerce l’action civile devant la juridiction répressive
en se constituant partie civile ou par citation directe, elle déclenche ainsi l’action
publique si celle-ci ne l’a pas été par le ministère public et pourra tirer avantage des
preuves rassemblées au pénal. Elle doit cependant prouver qu’elle a personnellement
souffert du dommage causé par l’infraction. L'action civile en réparation du
dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux
qui ont personnellement subi un dommage corporel, matériel ou moral, directement
causé par l'infraction. (article 7 de la loi 22-01) Cela exclut les victimes par ricochet,
l’assureur et les créanciers.

L’action civile peut être exercée séparément de l’action publique devant la juridiction
civile compétente (article 10 de la loi 22-01). Si le tribunal civil est saisi de l’action
civile et le tribunal répressif de l’action publique, le ministère public peut ne pas
poursuivre pénalement l’auteur du dommage et l’action est alors poursuivie devant
le seul juge civil.
Si le ministère public exerce l’action publique, deux règles s’imposent pour éviter les
risques de contrariété de décisions :

- Le tribunal civil doit surseoir à statuer tant qu’il n’a pas été prononcé sur l’action
publique. On dit que le criminel tient le civil en l’état. L’objectif de cette règle
classique est d’éviter des contradictions entre les deux ordres de juridictions mais elle
peut retarder ou paralyser le procès dans ses aspects civil, commercial ou social.
Afin de parer aux lenteurs de la justice occasionnées par l’application de ce principe,
la loi française du 5 mars 2007 a modifié l’article 4 du Code de procédure pénale en
restreignant sa portée. Ainsi « la mise en mouvement de l'action publique n'impose
pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile,
de quelque nature qu'elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est
susceptible d'exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du
procès civil ».

- La chose jugée au criminel a autorité au civil. La juridiction civile ne peut pas


contredire ce qu’a jugé la juridiction répressive. La cour suprême a récemment décidé
que cette autorité était d’ordre public. (Arrêt du 6 octobre 2004, dossier n°452/04,
Bulletin d’information de la Cour Suprême, n°16/2006, p.24).
Cela signifie, positivement, qu’une condamnation au pénal entraîne condamnation à
dommages intérêts, lorsque le préjudice est établi. Le tribunal civil ne peut pas dire
qu’il n’y a pas faute civile quand la juridiction répressive a constaté une infraction
pénale. Il a ainsi été jugé qu’une « constatation de la faute de la victime par le juge
pénal, faute qui a été déterminante pour l’application de la peine, s’impose au juge
civil et exonère pour partie l’automobiliste de la responsabilité du dommage tant à
l’égard de l’article 78 du DOC que de celles de l’article 88 du DOC » (CAR, 10-12-
1963, GTM, n°1350, p.50).

Négativement, une relaxe au pénal exclut de même une condamnation à dommages


intérêts. Si le juge répressif décide qu’il n’y a pas faute d’imprudence, le juge civil ne
peut pas engager la responsabilité du défendeur pour imprudence. (Trib.1ère
Instance, Casablanca, 16-6-1930, G.T.M, 1930, n°417, p.260). Il a ainsi été jugé que
« la faute pénale comprend tous les éléments de la faute civile. Par suite, lorsqu’un
conducteur d’automobile a été relaxé par la juridiction pénale, motif pris de ce
qu’aucune faute n’a été relevée à son encontre, une telle affirmation générale est
absolue, l’autorité de la chose jugée s’y attache et met obstacle à ce que le juge civil
recherche ou relève dans la cause qui lui est soumise l’existence d’un quasi-délit de
nature à engager sa responsabilité, soit entière, soit partagée ».

En dépit de cette décision, il faut admettre que la relaxe laisse, en principe, substituer
la responsabilité civile lorsque cette dernière n’a pas pour fondement une faute. C’est
pourquoi il a été justement décidé que « s’il n’est pas permis au juge civil de
méconnaître ce qui a été nécessairement et positivement jugé par la juridiction pénale,
soit quant à l’existence du fait qui forme la base commune de l’action publique et de
l’action civile, soit quant à la qualification légale, soit quant à la participation du
prévenu à l’événement dommageable, il conserve sa liberté d’appréciation toutes les
fois qu’il ne décide rien d’inconciliable avec ce qui a déjà été jugé au pénal ».(Trib.
1re inst. Casablanca, 17-1-1949, R.M.D., 1949, p. 69-78. note H Carteret).
La relaxe au pénal n’exclut donc pas toujours la responsabilité civile. Il en est ainsi
toutes les fois que la faute n’est pas une condition de mise en œuvre de la
responsabilité civile. Il en est également ainsi en cas de tentative punissable n’ayant
pas causé de dommage à la victime.
CHAPITRE PRELIMINAIRE
LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITE CIVILE
DELICTUELLE

La question des fondements de la responsabilité civile délictuelle est essentielle


puisqu’elle tente de répondre à une question cruciale: pourquoi une personne est
tenue de réparer un dommage causé à autrui ? La question n’est pas uniquement
théorique. Elle commande le régime et les conditions de mise en œuvre de la
responsabilité.
Il y a des fondements classiques et des fondements plus récents. Il convient de les
présenter (Section 1) avant de préciser leur impact sur le droit positif. (Section 2).

SECTION1 : PRESENTATION DES DIVERS FONDEMENTS

1°) La responsabilité fondée sur la faute

La faute est le fondement classique de la responsabilité. C’est une responsabilité


subjective fondée sur la conduite de l’auteur du dommage, sur l’appréciation –
morale- de son comportement. Pour que la responsabilité de ce dernier soit engagée,
la victime doit prouver la faute de celui-ci conformément au droit commun de la
preuve. La victime doit prouver la faute, la défaillance ou l’écart de conduite ayant
engendré le dommage. Si cette preuve n’est pas rapportée, la victime n’obtiendra pas
réparation et elle supportera la charge du dommage dont l’origine n’est pas prouvée.
L’auteur qui a causé un dommage mais qui s’est comporté comme il aurait dû le faire
ne verra pas sa responsabilité engagée. Le dommage restera sans réparation en
l’absence de faute prouvée.

Un tel fondement suffisait au début du siècle dernier et il inspirait très largement les
règles du code civil français, du DOC et de la jurisprudence. Les accidents étaient
peu nombreux et d’importance minime. L’apparition et le développement du
machinisme dans l’industrie, les transports (notamment la circulation automobile)
multipliaient considérablement les accidents auxquels étaient exposées des personnes
vulnérables, en situation de faiblesse: salariés, piétons…. L’accident était synonyme
de misère et la nécessité d’établir une faute à l’origine du dommage laissait souvent
les victimes sans réparation. Les exigences accrues de sécurité, le développement de
l’assurance, la nécessité de protéger les victimes en situation de faiblesse, les
difficultés de trouver une faute à l’origine d’un dommage devaient conduire à assigner
à la responsabilité un autre fondement : le risque.

2°) La responsabilité fondée sur le risque

C’est une responsabilité objective, causale, fondée sur le lien de causalité objective
entre le préjudice et l’activité du responsable. Il suffit que le dommage se rattache
matériellement à l’activité de son auteur pour que la responsabilité de ce dernier soit
engagée, car celui qui exerce une activité doit en assumer les risques, surtout dans le
cas où cette activité est source de profits.

Cette théorie, favorisée par le prodigieux développement de l’assurance, est plus


facile à mettre en œuvre que celle de la faute qui implique une recherche
psychologique et une appréciation morale. En vertu de la théorie du risque, il s’agit
simplement de rapporter la preuve matérielle d’un rapport de causalité.

Celui qui introduit un danger dans la vie sociale doit le faire à ses risques et périls et
non aux risques et périls d’autrui. Toute activité dommageable, même en l’absence
de faute, doit engager responsabilité. C’est le risque créé.

De même, ceux qui tirent profit de leurs activités doivent, par cela même, en
supporter les conséquences dommageables. C’est la thèse du risque profit.

La théorie du risque écarte ainsi la faute comme condition de responsabilité.


L’objectif n’est pas d’apprécier le comportement de l’auteur du dommage - il s’agit
de réparer et non de punir - mais de réparer le dommage causé. On parle
d’objectivation de la responsabilité.

L’homme est ainsi pratiquement tenu de répondre de tous ses actes par le seul fait
qu’ils causent un dommage à autrui. Cela a pu paraître excessif et on a reproché à la
théorie du risque créé le fait que la victime a également agi et contribué à la création
du risque. Dans le risque profit, la victime profite également de son activité (le salarié
victime perçoit un salaire).

3) La théorie de la garantie

La théorie de la garantie part de l’idée que le fondement de la responsabilité a toujours


été recherché du côté de l’auteur du dommage : a-t-il commis une faute ? A t-il créé
un risque ? A-t-il profité de son activité dommageable ? Son auteur (Boris STRACK)
a proposé, dans une thèse remarquée (1947) d’inverser l’ordre des valeurs et de
considérer essentiel non pas l’auteur du dommage mais la victime dont les droits ont
été atteints. C’est l’atteinte aux droits de la victime qui justifie protection et garantie
juridiques. Mais le droit de la victime ne doit pas méconnaître le droit d’agir reconnu
à l’auteur. Droit à la sécurité et droit d’agir entrent ainsi en conflit et pour le résoudre,
B.STRACK opère une distinction entre le type de dommage causé.
Le droit d’agir l’emporte quand le dommage est de nature économique ou moral. La
responsabilité n’est alors engagée qu’en cas de faute de l’auteur. (Droit de
concurrencer, de critiquer….). Il s’agit de droits de nuire consacrées par le droit
positif. Les dommages sont d’une certaine façon nécessaires. Le droit d’agir
l’emporte.
Lorsque les dommages ne présentent pas ce caractère de nécessité, lorsqu’il est
possible d’agir sans les causer, le droit à la victime va prévaloir et justifier la
responsabilité de l’auteur. Tel est le cas des dommages corporels (les accidents de
circulation où « le permis de conduire n’est pas un permis de tuer »). Cette théorie a
essayé de donner plus de cohérence au droit de la responsabilité civile: le dommage
matériel et le dommage corporel donnent lieu à réparation sans faute, en vertu du
droit à la sécurité. Le dommage économique ou moral exige une faute prouvée de
l’auteur en vertu du droit d’agir.
La théorie de la garantie a influencé le législateur pour certains accidents
particulièrement graves et a été à l’origine de règles particulières applicables à la
réparation des accidents de la circulation qui distinguent les dommages causés aux
personnes et ceux causés aux biens ( loi française du 5 juillet 1985).

4) Le principe de précaution

Le principe de précaution « consiste essentiellement à responsabiliser l'individu au


défaut d'anticiper et de prévenir des risques qui restent impossibles à vérifier dans le
présent, mais dont la réalisation future est susceptible d'entraîner un préjudice sérieux
et généralisé ».
Le principe de précaution consiste, selon la loi-cadre n° 99-12 du 6 mars 2014
portant Charte Nationale de l’Environnement et du Développement Durable à
prendre des mesures adéquates, économiquement et socialement viables et
acceptables, destinées à faire face à des dommages environnementaux hypothétiques
graves ou irréversibles, ou à des risques potentiels, même en l’absence de certitude
scientifique absolue au sujet des impacts réels de ceux-ci.

Ainsi quand des risques particulièrement graves sont encourus, même s’ils ne sont
que potentiels en l’état actuel des connaissances scientifiques et technologiques, la
prudence impose leur prévention à peine de responsabilité sans faute prouvée. C’est
donc le principe de précaution qui permet aux victimes potentielles et pas seulement
actuelles d’obtenir des mesures de prévention afin d’éviter la réalisation de
dommages graves et collectifs de nature écologique, sanitaire….

Ce fondement se caractérise par une remise en cause des conditions classiques de


mise en œuvre de la responsabilité. La réalisation d’un dommage n’y est plus en effet
une condition essentielle. La responsabilité sanctionne la négligence quant aux
mesures qui devaient être prises pour éviter le dommage et non le dommage lui -
même. La responsabilité n’est plus curative mais préventive.

SECTION 2 : LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITE CIVILE


DELICTUELLE EN DROIT POSITIF

On constate un déclin certain de la faute (§1) qui conserve malgré tout une place
importante (§ 2). Cela a permis à certains auteurs de parler de « renouveau de la faute
».

§1- Le déclin de la faute

La théorie du risque a influencé le droit positif marqué par des régimes de


responsabilité détachés de l’idée de faute.
La réparation des accidents du travail est essentiellement fondée sur le risque.
La responsabilité du fait des choses est fondée sur une présomption de responsabilité
(article 88 du DOC). Il a été ainsi maintes fois décidé que le gardien d’une chose est
de plein droit responsable du dommage causé par cette chose à moins qu’il en
démontre, non pas qu’il n’a pas commis de faute, mais qu’il a fait tout ce qui était
nécessaire pour l’empêcher et que le dommage ne s’est produit que sous l’effet d’une
cause étrangère qui ne peut pas lui être imputée ( Cass. Civ. 5-3-1958, RMD, 1959,
p.208-209, note Rodière. C.A.R 15-4-1960, RAC, T.XX, p.376. Voir aussi C.S . Civ.
25-2-1965 ;GTM,1965,p.53 et Cour de cassation, Ch. Civ. arrêt 3/144 du 26/3/203
non publié. ).
En vertu de l’article 485 du code de commerce (1996) , le transporteur répond des
dommages qui surviennent à la personne du voyageur pendant le transport et sa
responsabilité ne peut être écartée que par la preuve d' un cas de force majeure ou
de la faute de la victime.

La loi du 12 mai 2003 relative à la protection et à la mise en valeur de l’environnement


prévoit dans son article 63: « Est responsable, même en cas d’absence de preuve de
faute, toute personne physique ou morale stockant, transportant ou utilisant des
hydrocarbures ou des substances nocives et dangereuses, ou tout exploitant d’une
installation classée, telle que définie par les textes pris en application de la présente
loi, ayant causé un dommage corporel ou matériel directement ou indirectement lié
à l’exercice des activités susmentionnées ».

De même, l’article 4 de la loi 12/02 du 7 Janvier 2005 relative à la responsabilité civile


en matière de dommages nucléaires prévoit que « l’exploitant d’une installation
nucléaire est réputé responsable de tout dommage nucléaire causé par un accident
survenu dans cette installation nucléaire. »

Ce déclin de la faute s’est accentué avec le déclin de la responsabilité individuelle


(Voir. Viney G., Jourdain P et Carval S. Traité de droit civil, les conditions de la
responsabilité, J. Ghestin (dir) Paris LGDJ, 2013). Le développement de l’assurance
substitue à la responsabilité personnelle, individuelle, un système de répartition
collective des risques. Parfois c’est l’Etat qui indemnise les victimes en répartissant
le coût de cette indemnisation sur la collectivité. Tel est le cas notamment quand le
fonds de garantie automobile, financé par la collectivité, indemnise des victimes
lorsque le responsable est non assuré, inconnu ou insolvable ou lorsque l’assureur
est insolvable ou a fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Cet organisme a été créé
par Dahir du 22.02.1955, et est actuellement régi par les dispositions de la loi 17-99
portant code des assurances (Livre deux, titres III, articles 133 à 157).

Le droit évolue ainsi du système de responsabilité à un système de répartition


collective de risques. Une évolution qui ira en se confirmant face au développement
des risques écologiques et sanitaires majeurs. Certains auteurs craignent cependant
que ce déclin de la responsabilité individuelle ne se traduise par une charge financière
excessive pour la collectivité et ne contribue à atténuer le sentiment de responsabilité.
§2- La place toujours importante de la faute

Bien que le droit de la responsabilité évolue vers plus d’objectivisme en se détachant


de la faute, cette dernière conserve malgré tout une place essentielle, importante, qu’il
s’agisse d’ailleurs de la faute commise par l’auteur du dommage ou par la victime.

Le principe demeure en effet que tout fait quelconque de l’homme qui, sans l’autorité
de la loi, cause sciemment et, volontairement à autrui un dommage matériel ou moral,
oblige son auteur à réparer ledit dommage, lorsqu’il est établi que ce fait en est la
cause directe. (Article 77 du DOC). De même, « Chacun est responsable du
dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par son fait, mais par sa
faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe. (Article 78 du DOC.)

Le mineur, dépourvu de discernement, ne répond pas civilement du dommage causé


par son fait. Il en est de même de l’insensé, quant aux actes accomplis pendant qu’il
est en état de démence. (Article 96 du DOC.) Le mineur dépourvu de discernement
et l’insensé ne sont donc pas responsables car ils ne peuvent pas commettre de faute.

La loi 12/02 du 7 Janvier 2005 relative à la responsabilité civile en matière de


dommages nucléaires qui précise dans son article 4 que « l’exploitant d’une
installation nucléaire est réputé responsable de tout dommage nucléaire causé par un
accident survenu dans cette installation nucléaire » souligne toutefois que si
l’exploitant prouve que le dommage nucléaire résulte, en totalité ou en partie d’une
négligence grave de la personne qui l’a subi ou que cette personne a agi ou omis d’agir
dans l’intention de causer un dommage, le tribunal compétent peut dégager
l’exploitant, totalement ou partiellement, de son obligation de réparer le dommage
subi par cette personne. (Article 17) .

Il est de même admis en jurisprudence que « quand des fautes sont imputables à la
fois à l’auteur de la victime et à la victime d’un accident de la circulation, il y a lieu à
partage de responsabilité » (CAR, 1-11-1941, RAC, T XI, p.32).

Les juges du fond, qui relèvent les fautes respectivement commises par le prévenu et
par la victime d’un accident, peuvent légitimement estimer que ces fautes ont toutes
deux concouru à la réalisation de l’accident et procéder en conséquence à un partage
de responsabilité. (C.S. Crim., 19-VII-1962, R.A.C.S., T. III, p. 303). La faute de la
victime peut ainsi réduire ou supprimer ses indemnités.

Selon l’article 752 du DOC, l’indemnité peut être réduite, lorsqu’il est établi que
l’accident dont l’ouvrier a été victime l’a été par son imprudence ou par sa faute. La
responsabilité du maître cesse complètement, et aucune indemnité n’est allouée,
lorsque l’accident a eu pour cause l’ivresse ou la faute lourde de l’ouvrier.
La responsabilité des instituteurs est également fondée sur la faute prouvée . (article
85 bis du DOC .).
On constate ainsi que le droit de la responsabilité combine divers fondements (faute
et risque). En général la loi se limite à préciser les conditions d’exonération du
responsable, desquelles est déduit le fondement. Il arrive parfois que les tribunaux
affichent clairement le fondement qu’ils assignent à un régime de responsabilité.
(CAR, 21-6-1960, GTM 1961, N°1286, p.27 ; Trib 1ère Inst. Fès 27-11-1963, GTM
1964, n 1345 p28).
TITRE 2
LES CONDITIONS DE LA RESPONSABILITE CIVILE

La responsabilité civile suppose établi un fait générateur de responsabilité, un fait


dommageable (CHAPITRE 1), un dommage (CHAPITRE 2) et un lien de causalité
entre ces deux éléments (CHAPITRE 3).

CHAPITRE 1
LE FAIT GENERATEUR DE RESPONSABILITE

La loi a prévu trois sortes de faits générateurs, qui correspondent à trois régimes de
responsabilités: le fait personnel, le fait d’autrui et le fait des choses. Contrairement
au DOC, le code civil français fait clairement apparaître cette distinction dans l’article
1384, alinéa 1er selon lequel « on est responsable non seulement du dommage que
l’on cause par son propre fait (fait personnel) mais encore de celui qui est causé par
le fait des personnes dont on doit répondre (fait d’autrui) ou des choses que l’on a
sous sa garde ( fait des choses).
Ce sont les régimes généraux (section 1). Il existe également des régimes spéciaux.
(Section 2).

SECTION 1 : LES REGIMES GENERAUX DE RESPONSABILITE

Une personne peut donc engager sa responsabilité civile pour un dommage qu’elle a
personnellement et directement causé. C’est la responsabilité du fait personnel. (§1).
Une personne peut également engager sa responsabilité pour un dommage causé par
une autre personne. C’est la responsabilité du fait d’autrui (§2). Une personne peut
enfin engager sa responsabilité pour un dommage causé par l’utilisation d’une chose.
C’est la responsabilité du fait des choses (§3). Il existe ainsi plusieurs régimes de
responsabilité civile délictuelle.

§I : La responsabilité du fait personnel

C’est le régime de base qui trouve son fondement dans les articles 77 et 78 du DOC.

Article 77 : « Tout fait quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de la loi, cause
sciemment et, volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son
auteur à réparer ledit dommage, lorsqu’ il est établi que ce fait en est la cause directe.
Toute stipulation contraire est sans effet. »
Article 78 :« Chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé,
non seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en
est la cause directe.
Toute stipulation contraire est sans effet.
La faute consiste, soit à omettre ce qu’on était tenu de faire soit à faire ce dont on
était tenu de s’abstenir, sans intention de causer un dommage. »

C’est un régime basé sur la faute prouvée. La victime qui agit sur la base de ce régime
doit prouver la faute de l’auteur du dommage pour obtenir réparation. La faute est la
condition préalable de la responsabilité du fait personnel. Il faut nécessairement une
faute dûment prouvée pour que cette responsabilité soit engagée. Ce n’est donc pas
un régime très favorable aux victimes. Que faut-il entendre par faute ?

1°) Notion de faute

D’après l’article 78 du DOC, la faute consiste, soit à omettre ce qu’on était tenu de
faire soit à faire ce dont on était tenu de s’abstenir, sans intention de causer un
dommage. Il s’agit de la faute d’imprudence et de négligence, du quasi-délit.

La faute, telle qu’elle peut se dégager des dispositions et applications du DOC et telle
qu’elle est perçue et analysée en jurisprudence implique deux éléments: un élément
objectif, l’illicéité, la violation d’un devoir, et un élément subjectif, l’imputabilité de
cette violation.

A – L’illicéité ou la violation d’un devoir (l’élément objectif)

La faute est « un manquement à une obligation préexistante ». Les tribunaux se


conforment à cette définition et il n’existe pas de condamnation fondée sur la faute
sans violation préalable d’une obligation.
On ne peut être en faute dans l’observation et le respect des obligations qui nous
incombent.
La question est de savoir quand peut-on considérer qu’il y a manquement à une
obligation préexistante ?

La loi pose un ensemble de normes qui s’imposent à tous. Ces normes sont des règles
de conduite sociale. La transgression de ces normes constitue une faute. La faute
civile apparaît ainsi comme un écart par rapport à une norme.

Cette norme est le plus souvent légale ou réglementaire, fixée par un texte (code de
la route par exemple). La faute est alors une violation d’une règle de droit écrit.

Mais il peut s’agir d’un écart par rapport à une norme non codifiée, une règle de
prudence et de diligence. L’auteur du dommage ne s’est pas comporté comme il
aurait dû le faire, comme se serait conduite une personne normalement diligente
placée dans les mêmes conditions. La faute est ainsi une défaillance de conduite, non
pas forcément par rapport à une norme écrite mais par rapport à un comportement
de référence. Le Droit impose ainsi un modèle de conduite et tout écart par rapport
à ce modèle peut être source de responsabilité. Le modèle est celui du « bon père de
famille ».Le DOC consacre le concept. (art.945). Depuis l’ordonnance du 10 février
2016 et suite à la loi du 4 Aout 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les
hommes, le code civil français lui substitue celui de « personne raisonnable » (voir
par exemple l’article 1301-1 où il est dit que le gérant d’affaires est tenu d'apporter à
la gestion de l'affaire tous les soins d'une personne raisonnable).
La responsabilité suppose une comparaison entre « ce qui a été et ce qui aurait dû
être ». Il y eu par hypothèse, un écart de conduite, une défaillance. La Cour de
cassation française a constamment défini la faute comme la violation d’une norme
de conduite (civ. 16 juil 1953, JCP 1953 11. 7792).

Comment cependant convient-il d’apprécier cette défaillance et cet écart de


conduite ? Faut-il tenir compte du comportement habituel de l’auteur du dommage
(appréciation in concreto) ? Faut-il l’apprécier par rapport à un modèle abstrait, une
personne normalement prudente, l’homme raisonnable placé dans la même situation,
le bon père de famille (appréciation in abstracto) ? Les tribunaux retiennent
l’appréciation in abstracto pour ne pas favoriser la personne habituellement
imprudente.

La faute ainsi définie peut être


- une faute par commission ou de commission qui résulte d’un acte positif du
responsable. Une omission peut aussi être fautive. C’est le fait, nous dit l’article 78
du DOC, d’omettre ce qu’on était tenu de faire. Les tribunaux ne sanctionnent
l’omission que lorsqu’elle est dictée par l’intention manifeste de nuire. L’auteur d’une
histoire de la TSF a été condamné par les tribunaux français pour ne pas y avoir
mentionné le nom de son inventeur, Branly. (Arrêt Branly, Civ.27Février 1951,
D.1951.329, note H.Desbois).

- intentionnelle ou non intentionnelle. C’est la distinction du délit et du quasi-délit de


l’article 1er du DOC. En droit civil, cette distinction ne devrait pas avoir d’intérêt
puisqu’il s’agit non pas de punir mais de réparer le dommage causé. Et c’est
l’importance du dommage et non l’intention qui sert de base à la fixation des
indemnités. Même causé sans intention, le dommage appelle réparation. Selon
l’article 78:« Chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé,
non seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en
est la cause directe. »
La responsabilité et la réparation qui en découle doivent compenser le préjudice
causé et non punir l’auteur du dommage. Il n’y a pas à réduire le montant de
l’indemnité en cas de quasi-délit et l’augmenter en cas de délit. La responsabilité civile
n’a théoriquement pas pour fonction de punir mais de réparer le dommage causé.
C’est pourquoi il a toujours été admis en jurisprudence que la réparation du dommage
devait être égale à l’intégralité du préjudice (CS Crim, 6-3-1962, GTM, 1962, n°1310,
p.52 ; RACS, T.3, p.161).

L’article 98, al.2 du DOC qui oblige les tribunaux à évaluer différemment les
dommages selon qu’il s’agit de la faute du débiteur ou de son dol procède d’une
vision punitive des dommages –intérêts. Rien cependant n’interdit aux juges
d’appliquer cette disposition. Les juridictions répressives y recours parfois arguant
de leur droit d’évaluer les indemnités, dans les limites des conclusions de la partie
civile, sans être tenues de « spécifier les bases sur lesquelles ils en ont calculé le
montant » (CS Crim, 22-7-1963, RMD, 1964, p.398.)

Il est par ailleurs interdit de souscrire une assurance couvrant les fautes
intentionnelles de l’assuré. Aux termes de l’article 17 alinéa 2 de la loi 17-99 portant
code des assurances , l’assureur ne répond pas, nonobstant toute convention
contraire, des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive
de l’assuré. Seules les fautes non intentionnelles peuvent donc être couvertes par une
assurance.

Enfin, contrairement à la faute légère et inexcusable, le DOC consacre le concept de


faute lourde qu’il rapproche de l’imprudence grave (article 82) et dont il dit, à l’article
83, qu’il s’agit d’une faute qu’une personne n’aurait pas dû commettre. La gravité de
la faute commise par la victime peut faire cesser la responsabilité ou réduire le
montant des indemnités (voir par exemple l’article 752 du DOC et la législation sur
la réparation des accidents du travail).

Il appartient ainsi aux juges du fait de constater les faits desquels ils peuvent déduire
l’existence ou l’absence de faute à la charge de l’auteur ou de la victime d’un
dommage ; mais leur appréciation à cet égard est soumise au contrôle de la Cour
Suprême (CS Civ.9-7-1963, RACS, T.2, p.132).
B - L’imputabilité de la violation du devoir ( élément subjectif )

Il est admis en droit et en jurisprudence qu’il ne saurait y avoir de faute que si l’agent
possède le discernement, c’est-à-dire est à même d’avoir conscience du caractère
illicite de son acte, de pouvoir distinguer le bien du mal. L’acte doit donc être imputé
à son auteur. Un dommage, quelque soit son importance, reste ainsi sans réparation
si son auteur n’a pas conscience, au moment de sa commission, du caractère illicite
de son agissement. La situation est injuste pour la victime qui peut cependant agir
contre les personnes chargées de la surveillance de l’auteur dépourvu de
discernement.

Se fondant sur la faute subjective, le DOC consacre le principe de l’irresponsabilité


des personnes dépourvues de discernement.

Ainsi, aux termes de l’article 96 « le mineur, dépourvu de discernement, ne répond


pas civilement du dommage cause par son fait. Il en est de même de l’insensé, quant
aux actes accomplis pendant qu’il est en état de démence.

Le mineur répond, au contraire, du dommage causé par son fait, s’il possède le degré
de discernement nécessaire pour apprécier les conséquences de ses actes. »

De même, les sourds-muets et les infirmes ne répondent des dommages résultant de


leur fait ou de leur faute que s’ils possèdent le degré de discernement nécessaire pour
apprécier les conséquences de leurs actes. (Article 97 du DOC).

Sur cette base, les tribunaux ont donc estimé que ne pouvaient « être considérés
comme des fautes au sens des articles 78 et 88 du DOC, les actes accomplis par des
aliénés ou des mineurs en bas – âge, l’un et l’autre sont, en effet, considérés comme
irresponsables pour défaut de discernement ». (CS Civ.15-6-JCS, 1968, n°3, p.20). La
cour suprême a ainsi cassé des arrêts ayant condamné le mineur à réparation. ( Cass.
Crim, 15-4-1983, JCS, 1984, n°33-34, p.166).

En droit français, la rège est différente. Celui qui a causé un dommage à autrui alors
qu’il était sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation.
(Art.482-2 du code civil). La jurisprudence française a étendu cette règle aux mineurs
dépourvus de discernement. (Arrêt Le Maire :Ass.plén.9 mai 1984, D ; 1984 .525,
concl. Cabannes, note F. Chabas.). Ces solutions se fondent sur une conception
objective de la faute.
Dissocier la faute du discernement permet par ailleurs d’envisager la responsabilité
civile des personnes morales. Ces dernières peuvent répondre des fautes dont elles
se rendent coupables par leurs organes sans que cela exclut la responsabilité de leurs
dirigeants.

2°) La faute dans l’exercice d’un droit: la théorie de l’abus de droit

Peut-on commettre une faute en exerçant un droit dont on est titulaire ?

La réponse est donnée à l’article 94 du DOC aux termes duquel « Il n’y a pas lieu à
responsabilité civile, lorsqu’une personne, sans intention de nuire, a fait ce qu’elle
avait le droit de faire. Cependant, lorsque l’exercice de ce droit est de nature à causer
un dommage notable à autrui et que ce dommage peut être évité ou supprimé, sans
inconvénient grave pour l’ayant droit, il y a lieu à responsabilité civile, si on n’a pas
fait ce qu’il fallait pour le prévenir ou pour le faire cesser. »

Il ressort de ce texte que le principe est qu’il n’y a pas de responsabilité lorsqu’une
personne exerce un droit dont elle titulaire. « Ne lèse personne qui use de son droit ».
Le commerçant qui exerce une concurrence loyale ne peut être tenu pour responsable
si cela cause préjudice à ses concurrents. Cependant, le titulaire d’un droit qui fait ce
qu’il avait le droit de faire mais dans l’intention de nuire à autrui abuse de son droit
et engage sa responsabilité. L’intention de nuire rend illicite un acte objectivement
licite. Le propriétaire qui élève un mur dans le seul but de gêner son voisin abuse de
son droit de propriété, commet un abus de droit et engage sa responsabilité. Le
caractère absolu du droit de propriété ne fait pas obstacle à un usage abusif de ce
droit.
La jurisprudence française a eu à décider dans de nombreux arrêts, dont le plus
célèbre est l’arrêt Clément Bayard, que le propriétaire abuse de son droit dès lors qu’il
l’exerce dans la seule intention de nuire.

Dans cet arrêt -Clément Bayard (Req. 3 août 1915 D. P. 1917. 1. 79)- le propriétaire
d’un terrain y avait édifié deux carcasses de bois d’une hauteur de 15 mètres,
surmontée de piquets en fer, et séparées l’une de l’autre de quelques mètres. Ces
édifices étaient situés juste en face des hangars de Clément Bayard et avaient pour
seul objectif de gêner ce dernier dans ses manoeuvres sur des dirigeables. La cour de
cassation a estimé que le propriétaire avait agi dans le seul but de nuire et l’a
condamné à démolir les dits édifices.
Les tribunaux ont étendu les applications de l’abus de droit au delà du droit de
propriété : rupture abusive des pourparlers en matière contractuelle, rupture abusive
du contrat de travail…

Les tribunaux exigent une intention de nuire pour sanctionner l’abus de droit. Il a
ainsi été décidé que « celui qui se sert de son droit d’une manière préjudiciable à
autrui, sans intérêt légitime, pour la satisfaction d’un mobile malicieux ou dans le
dessein manifeste de nuire » commet un abus de droit. (Trib. 1re inst. Casablanca,
20-111-1930, G.T.M., 1930, n° 399, p. 116). Dans le même esprit, il a été décidé
qu’une action en justice ne peut donner lieu à dommages-intérêts, pour abus de droit,
que si le demandeur a agi par pure malice, mauvaise foi ou erreur grossière
équipollente au dol. (Trib. 1re inst. Casablanca, 16-11-1952, R.M.D., 1954, p. 37, note
R. Rodière ; Arrêt de la Cour suprême n° 45, 9 février 1958, Arrêts de la Cour
suprême en matière civile, 1958-1996, publication de la Cour suprême, 1997, CS, Civ,
15-8-1979, GTM, n.s,1985, p.11).
De même, commet un abus de droit celui qui, ayant acquis dans l’indivision la moitié
d’une maison immatriculée se refuse à faire inscrire son achat sur le titre foncier, dans
le dessein manifeste d’échapper à l’exercice du droit de préemption par le
copropriétaire. (CAR., 20-VI-1946, R.A.C., T. XIII, p. 532).

Un plaideur qui exerce une voie de recours uniquement pour nuire à son adversaire
abuse de son droit et s’expose non seulement au paiement d’indemnité mais
également à une amende civile. (Art. 164 du code de procédure civile de 1974 qui
sanctionne l’appel purement dilatoire dans la procédure d’injonction de payer).

Il a également été décidé que lorsque la saisie conservatoire apparaît plutôt comme
un acte comminatoire que comme une mesure de sûreté, elle présente un caractère
abusif et il peut être accordé au saisi la réparation du préjudice causé. (CAR., 31-XII-
1935, R.A.C., 1. VIII, p. 431).

Des décisions anciennes avaient cependant admis qu’une plainte ou dénonciation


portée non seulement dolosivement, mais même avec légèreté, sans que son auteur
se soit assuré de la vraisemblance de ses imputations, peut donner ouverture à une
action en dommages-intérêts. (Trib. 1ère Inst. Rabat, 11-XII-1918, R.L.J.M., 1920,
p. 79).

L’abus consiste donc à détourner le droit de sa fonction, de son esprit et de sa finalité.


L’exercice d’un droit peut causer préjudice à un tiers sans qu’il soit établi à l’encontre
de son titulaire une faute dans la manière de l’exercer ou dans le but poursuivi. La
question s’est surtout posée à propos des troubles de voisinage .Les auteurs
admettent généralement le principe de la réparation.

La jurisprudence française distingue entre les troubles ordinaires qui doivent être
supportés par les voisins et les inconvénients anormaux de voisinage dont les tiers
sont en droit d’obtenir réparation pour le préjudice qui leur est causé.

C’est la même règle qui est édictée à l’article 92 du DOC en vertu duquel « les voisins
ne sont pas fondés à réclamer la suppression des dommages qui dérivent des
obligations ordinaires du voisinage, tels que la fumée qui s’échappe des cheminées et
autres incommodités qui ne peuvent être évitées et ne dépassent pas la mesure
ordinaire ».

3) Les faits justificatifs.

Il est des circonstances qui enlèvent à l’acte dommageable son caractère fautif. Il
s’agit des faits justificatifs. Selon l’article 124 du code pénal, il n'y a ni crime, ni délit,
ni contravention:

1° lorsque le fait était ordonné par la loi et condamné par l'autorité légitime;

2° lorsque l'auteur a été matériellement forcé d'accomplir ou a été matériellement


placé dans l'impossibilité d'éviter l'infraction, par un événement provenant d'une
cause étrangère auquel il n'a pu résister;
3° lorsque l'infraction était commandée par la nécessité actuelle de la légitime défense
de soi-même ou d'autrui ou d'un bien appartenant à soi-même ou à autrui, pourvu
que la défense soit proportionnée à la gravité de l'agression.

Pour sa part, le DOC Article 95 : Il n'y a pas lieu à responsabilité civile dans le cas de
légitime défense, ou lorsque le dommage a été produit par une cause purement
fortuite ou de force majeure, qui n'a été ni précédée, ni accompagnée, d'un fait
imputable au défendeur.

Le cas de légitime défense est celui où l'on est contraint d'agir afin de repousser une
agression imminente et injuste dirigée contre la personne ou les biens de celui qui se
défend ou d'une autre personne.

§ 2 – La responsabilité du fait d’autrui

Le principe de la responsabilité du fait d’autrui est posé à l’article 85 du DOC qui


précise qu’ « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son
propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit
répondre… ». La question s’est posée de savoir cet article pose un principe général
de responsabilité pour autrui ou ne fait qu’annoncer les régimes spéciaux qu’il
développe (fait des commettants, fait des parents….) ? La liste des personnes qui
doivent répondre des dommages causés par autrui selon l’article 85 est-elle
limitative ? Bien que les tribunaux appliquent le principe de la responsabilité du fait
d’autrui à de nombreuses personnes (Les aéro-clubs responsables des fautes
commises par les moniteurs, le pilote considéré préposé temporaire et occasionnel
de l’armateur. ( CAR., 20-VI-1958, G.TM., 1958, n° 1235, p. 83 ; R.M.D., 1959, P
72, note Lacombe ; RAC., T. XX, p. 831.Trib. 1re Inst. Casablanca, 4-I-1932,
R.L.J.M., 1933, p.77), la jurisprudence n’a pas énoncé un principe général de
responsabilité du fait d’autrui.

Par un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation française (29 mars 1991),
il a été décidé que la liste des personnes responsables de l’article 1384 ne présentait
pas un caractère limitatif. (D.1991, 324, note Larroumet.) Sur cette base, la doctrine
française estime que la jurisprudence a ainsi créé une responsabilité générale du fait
d’autrui .Elle est dite générale car elle concerne une catégorie de personnes qui ne
peuvent être regroupées sous une appellation aussi précise que les parents ou les
commettants. Ainsi toute personne qui dispose d’un pouvoir de direction et de
contrôle sur l’activité d’une autre peut engager sa responsabilité pour les dommages
que celle-ci viendrait à causer.
L’article 85 du DOC précise les cas où la responsabilité du fait d’autrui va jouer.

I - Le père et la mère du fait des dommages causés par leurs enfants


mineurs
II - Les maîtres et les commettants du fait de leurs préposés
III - Les artisans
IV - Les instituteurs

I - LA RESPONSABILITE DES PARENTS DU FAIT DE LEURS


ENFANTS MINEURS

Le père et la mère après le décès du mari, sont responsables du dommage causé par
leurs enfants mineurs habitant avec eux (article 85 al.1). La responsabilité ci-dessus
nous précise l’article 85 du DOC a lieu à moins que les père et mère et artisans ne
prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. La loi
fait ainsi peser sur les parents une présomption de faute. Le dommage causé par
l’enfant présume un défaut d’éducation ou de surveillance.

1°) Les conditions d’application de la présomption

S’agissant des personnes responsables, il convient d’abord de préciser que le DOC


fait peser la responsabilité sur le père. La mère ne voit sa responsabilité engagée
qu’après le décès du mari. C’est à elle qu’est confiée en premier lieu la garde de
l’enfant (article 171 du code de la famille). La garde, qui consiste à préserver l’enfant
de ce qui pourrait lui être préjudiciable, l’éduquer et veiller à ses intérêts, incombe
cependant selon l’article 164 du code de la famille au père et à la mère tant que les
liens conjugaux subsistent. Le père et la mère ne doivent-ils donc pas être déclarés
solidairement responsables des dommages causés par leurs enfants ? Il faut ajouter
que ce sont légalement les parents (père et mère) qui doivent à leurs enfants un
certain nombre de droits dont la garde et l’éducation fondée sur la bonne conduite,
(article 54 du code de la famille). Enfin le mariage vise légalement la fondation d’une
famille stable sous la direction des deux époux.
La première condition a trait à la minorité de l’enfant. L’enfant doit être mineur le
jour de l’accident. La garde cesse en effet avec la majorité. Selon l’article 166 du code
de la famille, la garde de l’enfant se prolonge, aussi bien pour le garçon que pour la
fille, jusqu’à sa majorité légale. (Dix huit années, article 209 du code de la famille).
Les parentes cessent donc d’être responsables dès que leur enfant devient majeur.

La deuxième condition légale est relative à la cohabitation. Condition justifiée car en


l’absence de cohabitation, il n’y a pas de possibilité réelle de surveillance et
d’éducation. Il a ainsi été jugé que « le père (ou la mère) ne saurait être responsable
du dommage causé par son enfant mineur qui, au cours d’un jeu, a blessé un enfant
de la famille dans laquelle il avait été invité à jouer, le père ayant été dans
l’impossibilité manifeste d’empêcher le fait dommageable de se produire ». (CAR, 8-
11-1952, RMD, 1954, p.181-182 note Rodière.).

Le défaut de cohabitation n’écarte la responsabilité des parents qu’autant qu’il a été


légitime. Une faute des parents à l’origine du défaut de cohabitation maintient leur
responsabilité. Il est ainsi de jurisprudence constante que la présomption de faute
pesant sur les parents joue à moins que l’absence de cohabitation ne résulte d’un
motif non légitime. Lorsque le mineur n’habite pas avec son père, la responsabilité
de celui-ci reste engagée si le défaut de cohabitation résulte d’une faute du père, ou
si le dommage n’a été rendu possible que par une faute de sa part. « (C.A.R., 9-11-
1953, R.MD., 1953, pp.374-378, note R. Rodière, CS, Crim.20-2-1964, RACS, T.4,
p.200).

En jurisprudence française, depuis que la responsabilité des parents n’est plus fondée
sur une présomption de faute, la condition matérielle de cohabitation n’a plus de
justification et les tribunaux ont ainsi admis que la cohabitation demeure lorsque
l’enfant est provisoirement dans un centre médico éducatif ( Cass. 2ème Civ.,9mars
2000, bull.civ., II, N°44.) ou quelques jours chez sa grand-mère ou dans un centre de
vacances.( Cass .crim,29 octobre 2002, Bull.crim, n°197).La cohabitation ne
correspond plus à une communauté de vie mais à la résidence habituelle de l’enfant,
ce qui est particulièrement sévère pour les parents.

Faut-il enfin que le mineur ait commis une faute pour engager la responsabilité des
parents ? Le DOC n’édicte pas une telle condition. Cela peut s’expliquer par la
prééminence de la faute subjective. Les dommages causés par les mineurs dépourvus
de discernement sont, par hypothèse, non fautifs. (Voir article 96 du DOC). Exiger
une faute que le mineur ne peut juridiquement pas commettre rendrait illusoire la
responsabilité des parents pour tous les dommages causés par les enfants dépourvus
de discernement.

Après avoir exigé la faute du mineur comme condition de la responsabilité des


parents, la jurisprudence française a décidé qu’un acte objectivement illicite du
mineur permettait d’engager la responsabilité de parents, alors même qu’il ne lui était
pas subjectivement reprochable. (Civ.2ème, 16 juillet 1969, Bull. Civ, II, n°255, p
183, RTDCiv, 1970 .575, obs. G .Durry.). Plus récemment, la cour de cassation
française affirme que « la responsabilité de plein droit encourue par les pères et mères
des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas
subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant » (Civ. 2ème, 10 mai 2001, Bull. Civ
II, n°96, JCP 2001, II, 10613, note J/Mouly.).

2°) La portée de la présomption pesant sur les parents

La responsabilité des parents repose sur une présomption de faute. Cela signifie que
du dommage causé par l’enfant, la loi déduit une faute des parents, faute d’éducation
ou de surveillance. Il s’agit d’une présomption réfragable, c’est-à-dire que les parents
peuvent l’écarter en prouvant qu’ils n’ont pas commis de faute.

C’est ainsi que les tribunaux ont interprété l’article 85 qui engage la responsabilité des
parents à moins qu’ils ne prouvent « qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu
à cette responsabilité. »

La responsabilité du père en raison des dommages causés par son enfant mineur
habitant avec lui, repose ainsi selon la Cour d’appel de Rabat, sur une présomption
de faute et doit être écartée s’il est établi que tant au point de vue éducation que de
la surveillance, le père s’est comporté comme une personne prudente et n’a pu ainsi
empêcher l’acte dommageable. C.A.R. 24-1-1958, R.M.D., 1961, p. 133-135, note R.
Rodière ; R.A.C., T. XIX, p.390 et CAR, 15-7-1938, RAC, T.IX, p 597).La cour
suprême a par la suite confirmé ce fondement (CS Crim, 3-XII-1964, RACS, T.IV, p
302).

En France, la tendance est à une plus grande sévérité à l’égard des parents. Dans un
premier temps, la cour de cassation se contente d’un acte du mineur qui soit la cause
directe du dommage invoqué par la victime .Pour que soit présumée, sur le
fondement de l’art. 1384 al. 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un
mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause
directe du dommage invoqué par la victime. (Arrêt Fullenwarth, Ass. Plén. 9 mai
1984, D 1984.525).
En 1997, elle décide que seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer
un père de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par
son fils mineur habitant avec lui, optant ainsi pour une réelle objectivisation de cette
responsabilité ( arrêt « Bertrand » , Civ. 2ème, 19 février 1997, Bull. n° 55) .

En 2001, la cour de cassation confirme que la responsabilité des parents n’est pas
subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant. ( Civ 2ème, 10 mai 2001, Bull Civ
II, n°96, JCP 2001, II, 10613, note J /Mouly.). Les parents ne peuvent donc pas
s’exonérer en prouvant que l’enfant a eu un comportement normal, licite,
irréprochable. Des auteurs ont ainsi pu écrire à ce sujet que « la responsabilité de
l’anormalité cède la place à la responsabilité de la normalité ».

Le père, la mère, mais aussi les autres parents ou conjoints répondent des dommages
causés par les insensés, et autre infirmes d’esprit, même majeurs habitant avec eux,
s’ils ne prouvent:
1- Qu’ils ont exercé sur ces personnes toute la surveillance nécessaire :
2- Ou qu’ils ignoraient le caractère dangereux de la maladie de l’insensé:
3- Ou que l’accident a eu lieu par la faute de celui qui en a été la victime.

La même règle s’applique à ceux qui se chargent, par contrat, de l’entretien ou de la


surveillance de ces personnes.

II- LA RESPONSABILITE DES COMMETTANTS DU FAIT DE LEURS


PREPOSES

Selon l’article 85 du DOC, les maîtres et les commettants sont responsables du


dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils
les ont employés.
Contrairement à la responsabilité des parents, l’article 85 reste muet sur les conditions
d’exonération des commettants. Faut-il en déduire que les commettants n’ont aucune
possibilité d’exonération ? L’analyse des conditions de la responsabilité des
commettants et surtout de ses effets montre que les possibilités d’exonération des
commettants sans particulièrement réduites. Cette analyse n’est pas facilitée par la
jurisprudence qui fonde la responsabilité des commettants tantôt sur la notion
d’autorité - la responsabilité est là où est l’autorité - (Trib. 1ère inst. Casablanca, 8-1-
1932, G.T.M., 1932, n° 485, p. 82), tantôt sur une présomption de faute dans le choix
ou la surveillance du préposé (Trib. 1ère Inst. Casablanca, 1-III-1944, G.T.M., 1944,
n° 951, p. 81) tantôt enfin sur la garantie de solvabilité, les victimes ayant plus de
chance d’obtenir réparation s’ils agissent contre les commettants. (CAR., 21-VI-1960,
G.T.M., 1961, n°1286, p. 27).
Il est également possible de la fonder sur la théorie du risque, le commettant devant
supporter le risque créé par son activité.

1°) Les conditions de la responsabilité des commettants

La mise en œuvre de la responsabilité civile des commettants du fait de leurs préposés


suppose réunies trois conditions : un lien de préposition ou une relation de
commettant à préposé, un acte dommageable commis par le préposé et, comme
l’exige l’article 85 du D.O.C, un lien entre cet acte dommageable et les fonctions
auxquels le préposé est employé.

a- Une relation de commettant à préposé

Il doit y avoir un lien de subordination entre le commettant et le préposé. Les


tribunaux ont en effet très tôt tenu à préciser que « le critérium en matière de
responsabilité du fait d’autrui est que la responsabilité est là où est l’autorité et que le
lien de subordination est indispensable dans les rapports de préposé à commettant.
» (Trib. 1ère inst. Casablanca, 8-1-1932, G.T.M., 1932, n°485, p. 82, CAR., 10-V-
1944, R.A.C., 1. XIII, p. 456). Le commettant est responsable du dommage causé
par le préposé sur lequel il exerce les pouvoirs d’ordre et de direction. (C.S. Civ., 23-
XI-1965, R.A.C.S., T. Il, p. 297). La responsabilité du fait du préposé suppose chez
le commettant le droit de donner au préposé des ordres ou des instructions sur la
manière de remplir les fonctions auxquelles il est employé (Cass. Crim., 12-VII-1946,
R.A.C., T.XIV, p. 220).

Sur cette base, il a été décidé qu’il n’existait aucun lien de commettant à préposé entre
le joueur « amateur » d’une association de football et l’association elle-même et qu’il
n’y avait pas lieu, en conséquence, à l’application de l’article 85 du D.O.C. (Trib. 1ère
inst. Casablanca, 15-XI-1937, G.T.M., 1938, n° 756, p. 11).
C’est parce que le commettant commande, use d’une autorité, qu’il a la responsabilité
des actes de son préposé. Le commettant est responsable du dommage causé par le
préposé sur lequel il exerce les pouvoirs d’ordre et de direction.

En conséquence, « lorsqu’un exploitant agricole a accepté d’envoyer un de ses


ouvriers labourer avec son tracteur le champ d’un autre exploitant et que celui ci a
été blessé, condamne à bon droit le propriétaire du tracteur à réparer le dommage en
qualité de commettant du conducteur responsable de l’accident, l’arrêt qui constate
que cet employeur avait donné à cet ouvrier un emploi du temps bien déterminé
auquel la victime n’aurait pu le faire déroger. Une telle constatation révèle en effet
qu’au moment de l’accident le conducteur du tracteur n’était pas sous la direction et
la subordination de la victime mais était demeuré sous celles de son employeur
habituel ». (C.S. Civ., 23-XI-1965, R.A.C.S., T. Il, p. 297).

Le propriétaire d’une automobile, conduite par un tiers qui a provoqué un accident,


ne peut être tenu pour civilement responsable du conducteur, s’il n’est justifié que ce
dernier ait eu la qualité de préposé du propriétaire du véhicule ou que, au moment
de l’accident, le véhicule ait été conduit par ordre ou pour le compte de son
propriétaire. (C.S. Crim., 26-V-1960, R.A.C.S., T. 1, p. 287).

L’hypothèse la plus fréquente où le préposé va engager la responsabilité du


commettant est donc celle d’une relation de travail. Les pouvoirs d’ordre et de
direction définissent en effet le contrat de travail. Souvent le préposé sera le salarié.

Les tribunaux vont cependant définir le lien de préposition de manière


singulièrement large, extensive.
Premièrement, la préposition ne suppose pas nécessairement un contrat de travail et
le préposé n’est pas forcément le salarié. La femme a pu être considérée préposée de
son mari, le mari celui de sa femme, le propriétaire d’une automobile qui recourt au
service d’un ami, comme conducteur, devient le commettant de celui-ci s’il lui donne
des instructions précises. La personne chargée par des chauffeurs de taxi de surveiller
leurs véhicules en stationnement et de les pousser à la main pour qu’ils gardent leur
place dans la file a pu être considérée comme préposé de ces chauffeurs. (C.S. Civ.,
26-1-1960, R.A.C.S., T. 1, p. 137).

Deuxièmement et après avoir décidé que la responsabilité du fait du préposé suppose


chez le commettant le droit de donner au préposé des ordres ou des instructions sur
la manière de remplir les fonctions auxquelles il est employé, (Cass. Crim., 12-VII-
1946, R.A.C., T. XIV, p. 220), les tribunaux se sont contentés d’une autorité exercée
en fait, même en dehors de toute relation juridique légitime. Le chef d’une bande de
malfaiteurs a pu être considéré responsable en tant que commettant des dommages
causés par des membres de sa bande. Le droit de donner des ordres n’est pas
nécessaire, le fait d’en donner suffit. (Trib. 1ére Inst. Kenitra, 17-IV-1951, R.M.D.,
1952, p. 133-136; CAR., 13-VII-1951, R.M.D., 1952, p. 133).

Troisièmement, l’exigence d’une préposition exclut les activités exercées de manière


indépendante de l’application de l’article 85 du DOC. L’exercice des professions
médicales par exemple est en principe incompatible avec la préposition et la
subordination. L’article 87 ( al. 3) de la loi n°131-13 du 19-3-2015 relative à l’exercice
de la médecine a tenu à rappeler que les médecins exercent leur profession au sein
des cliniques en toute indépendance…
On constate cependant une évolution en jurisprudence. L’indépendance
professionnelle dont jouit le médecin dans l’exercice de son art n’est pas incompatible
avec sa soumission à une organisation des fonctions autorisant la qualification de
« préposé ». Dans un arrêt en date du 4 juillet 2001, la cour suprême considère que le
fait que la clinique ait accepté que l’opération soit effectuée dans ses locaux, qu’une
chambre et des moyens soient mis à la disposition du médecin plaçaient ce dernier
dans un état de subordination et rendaient la clinique responsable des dommages
causés par son médecin devenu préposé. (arrêt n°9/1081,RJL, n°146,
p.123).L’accord accordé par la clinique au médecin pour exercer dans ses locaux, le
paiement de la facture directement à la clinique , l’utilisation par le médecin des
équipements ,matériels et personnel de la clinique, des horaires imposés suffisaient à
le considérer préposé de la clinique (CS Crim, 4 mai 2005, JCS, n°63, 2006, p.46).
Même si le médecin demeure libre de ses actes ; il devient dépendant de la clinique
pour l’organisation matérielle de son travail et cela suffit à lui conférer la qualité de
préposé.

Il s’agit en réalité d’une responsabilité contractuelle du fait d’autrui qui trouve son
fondement dans l’article 233 du DOC en vertu duquel « Le débiteur répond du fait
et de la faute de son représentant et des personnes dont il se sert pour exécuter son
obligation, dans les mêmes conditions où il devrait répondre de sa propre faute, sauf
son recours tel que de droit contre les personnes dont il doit répondre ». (Pour une
application, voir Cass civ arrêt n° 3621 du 1/3/2004 n.p).
Depuis la loi n°131-13 du 19 mars 2015 relative à l’exercice de la médecine, les
propriétaires des cliniques sont tenus de souscrire un contrat d’assurance couvrant
leur responsabilité directe pour les risques inhérents à l’organisation et au
fonctionnement de la clinique ( article 22).
Les victimes peuvent agir directement contre le médecin évoluant au sein de la
clinique qui assume, en vertu de la loi, sa responsabilité quant aux actes prodigués
aux malades qu’il prend en charge. (Article 87 de la loi relative à l’exercice de la
médecine).Il s’agit d’une responsabilité personnelle.

b- Le dommage doit avoir été causé dans l’exercice des fonctions du préposé

Il s’agit là d’une exigence légale. Les commettants sont responsables des dommages
causés par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés.
Il est des situations où l’application de cette règle ne pose pas de problèmes. Un
chauffeur qui, pendant les heures de travail, blesse un piéton avec le véhicule de
l’entreprise, engagera la responsabilité du commettant. Ce même chauffeur qui,
pendant son congé, blesse un piéton avec son propre véhicule, verra engagée sa
propre responsabilité et non celle de son commettant. Il n’y a, disent les tribunaux,
aucun lien de connexité entre l’acte dommageable et la fonction du préposé. (CAR.,
21-X-1959, R.M.D., 1961, p. 401).

Entre ces deux situations extrêmes se situe ce que doctrine et jurisprudence qualifient
d’abus de fonctions ou de détournement de fonctions. La jurisprudence offre de
multiples situations d’abus de fonctions. Le commettant doit-il, par exemple, être
déclaré responsable de l’accident causé à un tiers par l’explosion d’un détonateur
dont son préposé avait, sans l’en aviser, transporté une caisse à son domicile, estimant
que celui-ci risquait d’être dérobé si elle était laissée dans le chantier de l’entreprise ?
Le propriétaire d’un car est-il civilement responsable de la faute quasi-délictuelle de
son préposé qui, après l’arrivée du car, blesse un voyageur en lançant un colis du haut
de l’impériale ? La responsabilité des commettants s’étend-elle aux dommages
résultant de l’abus de fonction, c’est-à-dire l’acte en vertu duquel le préposé utilise
soit ses fonctions elles-mêmes, soit des moyens mis à sa disposition par le
commettant pour l’exercice de ces fonctions, dans un but étranger à celui qui lui a
été fixé par le commettant ?

La jurisprudence est quasi-unanime à considérer que la responsabilité des


commettants en raison des actes commis par leurs préposés dans l’exercice de leurs
fonctions s’étend à l’abus desdites fonctions. (Cass. Civ., 13-111- 1936, R.A.C., T.
VIII, p. 501.Cass. Crim., 10-111-1949, RAC., T. XV, p. 371).

Mais la mise en œuvre de ce principe laisse apparaître de nettes divergences. Certains


tribunaux ont une conception extrêmement extensive de l’abus de fonctions. Toutes
les fois que l’acte dommageable peut être rattaché à ses fonctions par une
circonstance de lieu, de temps ou de moyens, la responsabilité du commettant est
engagée. Les juges du fond, qui constatent que les fonctions du prévenu n’étaient pas
étrangères à la conduite du véhicule de son commettant, que les facilités accordées à
son préposé pour l’exercice de ses fonctions de chauffeur lui avaient fourni l’occasion
et le moyen d’accomplir l’acte dommageable, justifient légalement leur décision
déclarant le commettant civilement responsable de son préposé. (C.S., Crim., 2-III-
1961, R.A.C.S,. T. II, p. 179).

Dans le même esprit, il a été décidé que la responsabilité du commettant est engagée
quand le préposé abuse de ses fonctions, notamment en matière de délit de
contrebande commis par son préposé avec l’automobile qu’il était chargé de
conduire, et il importe peu que le préposé ait agi à l’insu ou contrairement aux
instructions du commettant, ou pour son compte personnel. (Trib. 1ére Inst. Kenitra,
17-IV-1951, R.M.D., 1952, p. 133-136; CAR., 13-VII-1951, R.M.D., 1952, p. 133).
De même, le propriétaire d’un véhicule est civilement responsable de l’accident causé
par son préposé, conducteur utilisant le véhicule sur un parcours non prévu par le
commettant et transportant, au mépris de l’interdiction formulée par ce dernier, des
passagers à titre onéreux, dès lors que c’est à l’occasion de ses fonctions et en raison
des facilités qu’elles lui procuraient que le préposé a pu commettre le dommage. (C.S.
Crim., 18-11-1960, R.A.C.S., T. 1, p. 219).

D’autres adoptent une conception plus restrictive de l’abus de fonctions. Elles


rejettent plus facilement la connexité entre préposition et abus de fonctions ou
écartent la responsabilité du commettant quand la victime ne pouvait ignorer qu’elle
se trouvait en présence d’un abus de fonctions.

Il a ainsi été décidé que le commettant ne saurait être déclaré responsable d’un
accident dont a été victime une personne transportée dans un camion lui appartenant
et conduit par son préposé, alors qu’en ayant pris place dans ce camion, qui n’était
nullement agencé pour le transport des voyageurs, cette personne ne pouvait ignorer
qu’elle se trouvait en présence d’un abus commis par le chauffeur dans son service.
(CAR., 23-VI-1959, G.T.M., 1959, n°1257, p. 94).
Les tribunaux écartent de même la responsabilité des commettants lorsque le préposé
a été envisagé par la victime de l’acte dommageable comme ayant agi pour son
compte personnel. (CAR., 27-11-1959, G.T.M., 1959, n° 1251, p. 58).

L’exigence d’un lien de connexité ou de relation de cause à effet est souvent invoquée
à l’appui de cette conception restrictive.

Ainsi une personne chargée par des chauffeurs de taxi de surveiller leurs véhicules
en stationnement et de les pousser à la main pour qu’ils gardent leur place dans la file
peut être considérée comme préposée de ces chauffeurs. Mais il n’y a pas de lien de
connexité entre ce rapport de préposition et l’abus de fonction ayant consisté pour
cette personne, non titulaire du permis de conduire, à mettre l’un des taxis en route,
à le conduire à une allure folle tous feux éteints, hors du parc de stationnement, et à
renverser un piéton sur le trottoir. Le chauffeur de ce taxi ne saurait donc être déclaré
responsable de l’accident en qualité de commettant. (C.S. Civ., 26-1-1960, R.A.C.S.,
T. 1, p. 137). Plus récemment et confirmant cette tendance, la Cour Suprême exige «
une relation de cause à effet » entre le fait dommageable et les fonctions du préposé.
(CS Soc.18-3-1975, RJL, 1977, n°126, p.20).

2°) Les effets de la responsabilité des commettants

Si ces conditions sont réunies, le commettant, à moins d’un abus de fonctions, ne


peut pas s’exonérer en prouvant qu’il n’a pas commis de faute, qu’il a bien surveillé
son préposé. Le commettant est présumé responsable et pour écarter sa
responsabilité, il devra prouver que le dommage est dû à un cas de force majeur ou
à une faute de la victime présentant les caractères de la force majeure. Il s’agit d’une
présomption de responsabilité. L’article 85 n’ayant pas prévue, comme il l’a fait pour
les parents, de possibilité d’exonération par la preuve de l’absence de faute ou d’une
bonne surveillance du préposé.

La responsabilité du commettant n’exclut pas celle du préposé. La victime peut agir


directement contre le préposé sur la base de sa responsabilité du fait personnel qui
se fonde sur une faute prouvée. Si le dommage a été causé par l’utilisation d’une
chose, le préposé ne peut être poursuivi en tant que gardien de cette chose car selon
la Cour Suprême, « les qualités de gardien et de préposé sont incompatibles ». (CS
Civ, 26-I-1963, RMD, 1963, p.408.) Il est admis en jurisprudence que la « préposition
implique un lien de subordination et de dépendance incompatible avec les pouvoirs
d’usage, de contrôle et de direction qui constituent la garde. (CAR, 31-III-1950,RAC,
T.XVI, p.236-237).
Pour la Cour d’appel de Rabat, la responsabilité civile du commettant a seulement
pour but de protéger les tiers contre l’insolvabilité de l’auteur du délit ou quasi-délit
cause du dommage, mais non de décharger cet auteur de la responsabilité qui lui
incombe et à laquelle il ne peut se soustraire. (CAR., 21-VI-1960, G.T.M., 1961, n°
1286, p. 27).

Le commettant qui a indemnisé la victime du fait de l’acte dommageable de son


préposé peut donc se retourner contre ce dernier en exerçant une action récursoire.
En jurisprudence française, depuis un arrêt de la cour de cassation rendue par
l’assemblée plénière en 2000 ( Arrêt Costedoat, 25/2/2000, JCP, 2000, II.10295, note
Billiau), le préposé n’engage plus sa responsabilité et est ainsi protégé contre l’action
de la victime ou le recours du commettant. Cette solution rompt avec la conception
classique d’un commettant garant de la solvabilité du préposé. Il faut cependant que
le préposé ait agi dans les limites de ses fonctions. S’il en abuse ou s’il commet une
faute intentionnelle, il ne mérite plus protection.

III- LA RESPONSABILITE DES ARTISANS

Les artisans sont responsables du dommage causé par leurs apprentis pendant le
temps qu’ils sont sous leur surveillance.
Cette responsabilité, précise l’article 85, a lieu à moins que artisans, comme pour les
pères et mères, ne prouvent qu’ils n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette
responsabilité.

IV- LA RESPONSABILITE DES INSTITUTEURS

Les instituteurs et les fonctionnaires du service de la jeunesse et des sports sont


responsables du dommage causé par les enfants et jeunes gens pendant le temps
qu’ils sont sous leur surveillance.(article 85 bis du DOC).Cet article a été ajouté par
le dahir du 4 mai 1942 (B.O. n°1546 du 12 juin 1942, p.488).
Cette responsabilité est fondée sur une faute prouvée de l’instituteur et n’est donc
pas favorable aux victimes. En effet, selon l’article 85 bis du DOC, « les fautes,
imprudences ou négligences invoquées contre eux, comme ayant causé le fait
dommageable, devront être prouvées conformément au droit commun par le
demandeur à l’instance ».Ce n’est donc pas à l’instituteur de prouver qu’il n’a pas
commis de faute mais à la victime de prouver qu’il a commis une faute de
surveillance.

L’article 85 bis est applicable “ toutes les fois que, pendant la scolarité ou en dehors
de la scolarité, dans un but d'éducation morale ou physique non interdit par les
règlements, les enfants ou jeunes gens confiés ainsi audits agents se trouveront sous
la surveillance de ces derniers”.
Cet article substitue la responsabilité de l’Etat à celle de l’instituteur : « La
responsabilité de l’Etat sera substituée à celle de ces agents qui ne pourront jamais
être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants ».Pour
la Cour Suprême, « le législateur a entendu instituer une garantie générale et absolue
de la responsabilité civile des membres de l’enseignement public à l’égard des élèves »
( C.S.Adm., 4 mai 1964, GTM, 1964 ; n°1352, p.61).
L’ajout de l’article 85 bis en 1942 est directement inspiré des réformes des lois
françaises du 29 juillet 1899 et du 5 avril 1937 qui, successivement, organisèrent la
substitution de l’Etat aux membres de l’enseignement public et modifièrent le
fondement de la responsabilité des instituteurs. Ces réformes font suite à l’affaire
« Leblanc » où un instituteur ne put s’exonérer de sa responsabilité et se suicida.
( Cass. civ., 31 Mai 1892, DP 1893, p.490).

En vertu du Dahir du 26 octobre 1942, L’Etat assume une responsabilité de plein


droit, uniquement conditionnée par la survenance du fait dommageable au sein de
l’établissement scolaire. La Cour suprême a confirmé la nature objective de cette
responsabilité (CS, 26 mai 1994, Arrêts de la cour suprême, 1958-1996, Publications
de la Cour Suprême, 1997, p.229) et décidé de maintenir le principe de la substitution
de l’Etat même en cas de faute intentionnelle de l’instituteur. (C.S.Adm.4 mai 1964,
n°1352, p.61).
L’Etat engage sa responsabilité toutes les fois que pendant la scolarité ou en dehors
de la scolarité, dans un but d’éducation morale ou physique les enfants confiés aux
dits agents se trouveront sous la surveillance de ces derniers.
L’Etat dispose d’une action récursoire contre l’instituteur, selon les règles de droit
administratif (recherche dune faute personnelle détachable des fonctions).

La jurisprudence française a largement interprété les conditions d’application de la


responsabilité des enseignants édictée à l’article 1384 du Code civil. Cette
responsabilité ne concerne pas uniquement les instituteurs mais d’une manière
générale tous les membres de l’enseignement secondaire voire supérieur lorsqu’ils
ont une obligation de surveillance. Cette responsabilité joue également non
seulement pendant la période scolaire, mais également si l’enfant est sous la
surveillance de l’instituteur pendant une période de vacances ou de sortie.
Dans les établissements privés, les membres de l’enseignement sont soumis au droit
commun de la responsabilité.

§3 -La responsabilité du fait des choses

Selon l’article 88 du DOC, « chacun doit répondre du dommage cause par les choses
qu’il a sous sa garde, lorsqu’il est justifié que ces choses sont la cause directe du
dommage, s’il ne démontre :
1- Qu’il a fait tout ce qui était nécessaire afin d’empêcher le dommage ;
2- Et que le dommage dépend, soit d’un cas fortuit, soit d’une force majeure, soit de
la faute de celui qui en est victime. »
L’article 1384, al 1er du code civil qui a inspiré l’article 88 du DOC, ne faisait
qu’annoncer les régimes particuliers prévus aux articles article 1386 (89 du DOC)
(écroulement ou ruine partielle d’un édifice) et article 1385 (86 du DOC) (fait des
animaux).
La victime d’un dommage résultant de l’explosion d’une machine (une chose) ou
d’un accident d’automobile devait prouver une faute à l’origine du dommage pour
obtenir réparation. Dans cet esprit, il avait été décidé que « la faute restait la première
source de la responsabilité civile et dans ce cas c’est l’article 78 du DOC qui
s’applique. Seul un rôle subsidiaire est dévolu à l’idée de risque qui découle de l’article
88 du DOC ». ( Trib.paix, Casablanca, 17-IV-1931, GTM, 1931, n°451, p.173).

Avec le développement du machinisme et l’ampleur prise par les accidents dus à


l’intervention d’une chose, la doctrine (Saleilles et Josserand) eut alors l’idée d’ériger
en principe général la responsabilité du fait des choses. En 1896, dans l’arrêt
« Teffaine », (un ouvrier tué dans une explosion d’une chaudière sans qu’une faute
ne pût être reprochée au propriétaire) les magistrats français affirmèrent l’autonomie
de l’alinéa 1er de l’article 1384 du code civil. ( Cass.civ.16 juin 1896, D.P 1897, I,
p.433).
Cette évolution allait profiter aux victimes des accidents du travail et de la circulation,
tous deux marqués le plus souvent par l’intervention d’une chose. En France comme
au Maroc, ces deux hypothèses font aujourd’hui l’objet de régimes spéciaux.

Ce principe allait avoir un essor considérable tout au long du XXème siècle comme
on peut le constater à travers l’analyse du régime de la responsabilité du fait des
choses : l’intervention d’une chose (A), le caractère causal de cette intervention dans
la production du dommage (B) la garde de la chose (C) et les causes d’exonération
du gardien (D).

A - Une chose

Il s’agit en principe de toute chose. L’article 88 s’applique aussi bien aux meubles
qu’aux immeubles. Pendant un temps, les tribunaux ont considéré que « la
responsabilité du propriétaire de la chose, telle qu’elle est établie par l’article 88 du
D.O.C., ne saurait être étendue aux immeubles ». (CAR., 5-XI-1924, G.T.M., 1924,
n° 150, p. 339). (CAR., 28-XI-1936, G.T.M., 1937, n° 714, p. 45). (CAR., 14-1-1944,
R.A.C., T. XII, p. 369). Ils en ont notamment déduit que « le propriétaire d’un
immeuble, dans lequel un incendie a éclaté, n’est pas responsable du préjudice causé
aux immeubles voisins par le sinistre, s’il n’est pas établi que ce sinistre est la
conséquence directe d’une faute à lui imputable. »

Un revirement s’opère en 1945 lorsque le tribunal de première instance de


Casablanca décide que « la présomption de responsabilité édictée par l’article 88 du
D.O.C. concerne aussi bien les meubles que les immeubles dont on a la garde. (Trib.
1re inst. Casablanca, 9-IV-1945, G.T.M., 1945, n° 961, p.85). Ce revirement a par la
suite été confirmé et permis aux tribunaux de décider que « la généralité de
l’expression de l’article 88 du D.O.C. n’autorise aucune distinction entre les meubles
et les immeubles. La responsabilité du fait des choses dont a la garde s’entend aussi
bien des choses mobilières que des choses immobilières ». (CAR., 30-IV-1952,
R.M.D., 1953, p. 413-419, note H. de La Massue). Les termes de l’article 88 du
D.O.C. dira la Cour d’appel un an après, « sont d’une généralité absolue. Il n’y a donc
pas lieu de faire une distinction entre les choses mobilières et les choses immobilières.
» (CAR, 17-XI-1953, RMD, 1956, p.172, note Gayral). (CAR., 30-V-1958, G.T.M.,
1958, n° 1235, p. 82; R.M.D., 1958, p. 419-420; R.A.C, T.XX, p. 71).

Contrairement à la jurisprudence antérieure à 1945 en matière d’incendie


d’immeuble, il a pu être jugé que « s’il est constant que le feu a pris naissance sur un
fonds et s’est communiqué à un autre fonds, le propriétaire du premier fonds devra,
pour se décharger de la présomption de responsabilité pesant sur lui, prouver que le
dommage causé à son voisin est dû à un cas de force majeure ou à la faute de celui-
ci et qu’il a fait en outre tout ce qui était en son pouvoir pour l’éviter. » (CAR., 17-
XI-1953, R.M.D., 1956, p. 172, note M. Gayral).

La présomption de responsabilité pèse donc sur le gardien de la chose, meuble ou


immeuble, à la seule condition, en cas d’immeuble, que l’article 89 ne soit pas
applicable, c’est-à-dire que le dommage ne provienne pas de l’écroulement ou de la
ruine partielle d’un édifice ou autre construction.

En décidant que les termes de l’article 88 sont d’une généralité absolue, la


jurisprudence permet d’écarter d’autres distinctions proposées par la doctrine. Cette
dernière a en effet pu soutenir que la responsabilité du fait des choses ne pouvait
s’appliquer qu’aux choses atteintes d’un vice propre ayant causé le dommage, aux
choses non actionnées par la main de l’homme et aux choses en mouvement
(contrairement aux choses inertes). Cette jurisprudence n’autorise pas enfin à
distinguer les choses dangereuses des choses non dangereuses.

Les choses exclues du champ d’application de l’article 88 du DOC sont donc celles
qui sont soumises à un texte particulier, spécifique, prévu par le DOC ( articles 86 et
89 du DOC) et celles sur lesquels personne n’exerce un pouvoir de garde pour que
l’article 88 puisse être invoqué : les choses sans maitre ou abandonnés .Pour favoriser
les victimes, les tribunaux ont tendance à restreindre le domaine des choses sans
maitre.( des graviers projetés par les roues d’un véhicule ont engagé la responsabilité
du propriétaire devenu gardien).

Pour leur part, les dommages causés par des produits défectueux et la responsabilité
civile qui peut en découler sont régis par le la loi n° 24-09 du 17 Août 2011 relative
à la sécurité des produits et des services et complétant le DOC. Ses dispositions ne
portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au
titre du droit commun de la responsabilité contractuelle, délictuelle et d'un régime
particulier de responsabilité en vigueur pour des produits ou des services spécifiques
(article 106-14 de la loi).

Il faut également tenir compte du Dahir portant loi n° 1-84-177 relatif à


l'indemnisation des victimes d'accidents causés par des véhicules terrestres à moteur
(3 octobre 1984) qui fixe les bases et la procédure pour l’indemnisation les dommages
corporels causés à des tiers par un véhicule terrestre à moteur soumis à l'obligation
d'assurance.

B- Le fait de la chose

Pour que la responsabilité du gardien soit engagée, il faut que la chose soit
matériellement intervenue dans la réalisation du dommage. Les tribunaux parlent de
« participation matérielle de la chose au dommage » (CAR, 4-X-1940, RAC, T.X,
p.533).
Il n’est pas nécessaire pour cela qu’il y ait eu contact matériel entre la chose et la
victime du dommage. Si l’article 88 du D.O.C. n’exige pas la matérialité du contact,
encore faut-il que la chose ait participé au dommage, c’est-à-dire que le rapport de
causalité entre les faits allégués et le dommage définitif ait joué la condition
nécessaire. II ne suffit donc pas, pour que la responsabilité du gardien soit engagée,
que la chose ait pu ou ait exercé une influence psychologique sur la victime au
moment de l’accident. (CAR, 22-VI-1956, R.M.D., 1956, p.364). Le fait de la chose
exprime ainsi l’exigence d’un rapport de causalité reliant la chose au dommage.
La charge de la preuve de la causalité et du fait de la chose varie selon les situations.
Si la chose en mouvement est entrée en contact avec la victime, le rôle causal ou actif
est présumé et il appartient à l’auteur du dommage de prouver qu’elle n’a joué qu’un
rôle passif ou normal.
Si la chose était en mouvement mais n’est pas entrée en contact avec la victime ou
si elle était inerte et est entrée en contact avec la victime, le rôle actif n’est pas
présumé et il appartient à la victime de prouver le rôle actif de la chose. (Un escalier
mal entretenu ou en forte déclivité peut avoir joué un rôle actif). Certaines décisions
de jurisprudence française ont cependant admis que « la chose inerte peut jouer un
rôle actif du simple fait qu’elle a été l’instrument du dommage ». (Civ .2éme, 18
sept.2003, JCP 2004, II, 10013, note C. Le Tertre.)
En fait, l’exigence du rôle actif de la chose est nécessaire si l’on veut éviter que la
responsabilité du fait des choses et la réparation qui en découle ne deviennent
automatiques dans tout dommage impliquant une chose. En même temps cela
réintroduit l’idée de faute car la chose n’ayant pas joué un rôle actif est le signe que
le gardien n’a rien à se reprocher.
On retrouve l’idée de faute dans la responsabilité du fait des choses lorsque cette
dernière est écartée parce que la victime a détourné la chose de son usage. ( victime
qui utilise comme plongeoir un tremplin destiné à effectuer des sauts à vélo.( Cass.2e
civ.24 février 2005, Bull.civ.,II, n°52.).Ce n’est pas le gardien – qui n’a rien à se
reprocher- mais la victime qui est à l’origine du dommage.

C- La garde de la chose

L’article 88 du DOC ne définit pas la notion de garde. C’est la jurisprudence qui s’en
est chargée en procédant à la détermination du gardien et en en tirant un certain
nombre de conséquences.

Dans un arrêt célèbre (arrêt Franck), la cour de cassation française décide, dans un
affaire où un voleur s’était emparé d’une voiture et avait écrasé un piéton, que le
propriétaire « privé de l’usage, de la direction et du contrôle de sa voiture, n’en avait
plus la garde » ( Arrêt Franck, Ch. réunies, 2 déc .1941, DC, 1942,25, note G .Ripert).
La garde était ainsi définie et le gardien celui qui avait la maîtrise de la chose. Cette
théorie se fonde sur la théorie de la garde matérielle. La théorie de la garde juridique
aurait conduit à considérer que le propriétaire reste gardien « tant qu’il ne s’est pas
volontairement dessaisi de la chose».

La jurisprudence marocaine est allée dans le même sens. En 1965, la Cour Suprême
considère que le gardien d’une chose est celui qui a sur elle les pouvoirs d’usage, de
direction et de contrôle. (C.S, Civ 2-XI-1965, R.AC, S T, Il, p, 283-284). Elle
confirme les juridictions de fond qui avaient adopté la même définition et en avaient
tiré un certain nombre de conséquences. Le tribunal de première instance de
Casablanca avait ainsi, en 1961, ( G.T.M.,1961, n° 1300, p. 112) décidé que « la
responsabilité pèse en premier lieu sur le propriétaire qui est réputé gardien à moins
qu’il ne prouve qu’au moment où s’est produit le fait dommageable il avait perdu la
garde de sa chose, soit parce que celle-ci lui avait été indûment soustraite, soit parce
qu’il l’avait confiée pour un usage entièrement libre à une personne tenue de l’utiliser
aussi raisonnablement que lui-même. Mais cette responsabilité doit jouer dans toute
sa rigueur si le propriétaire de la chose, tenu d’exercer sur elle un contrôle permanent
et de veiller à ce qu’elle ne cause pas d’accident, ne prouve pas ni n’offre de prouver
qu’il avait délégué à un tiers l’usage, la direction et le contrôle de sa chose, ou qu’il
avait été dépossédé de ces mêmes pouvoirs par l’effet d’un vol ».

La présomption de responsabilité édictée à l’encontre du gardien d’une chose qui a


causé un dommage est fondée sur l’obligation de garde corrélative aux pouvoirs
d’usage, de direction et de contrôle qui caractérisent le gardien. Celui qui a reçu une
chose à titre de locataire et en est ainsi devenu le nouveau gardien, en assume donc,
vis-à-vis des tiers, tous les risques dommageables, même ceux qui proviennent des
pièces de cette chose, sauf recours contre celui dont il la tient. C’est ainsi que, dans
le cas de location d’une voiture, le locataire ne peut, en cas d’accident causé par ce
véhicule, se décharger de la présomption de responsabilité de l’article 88 du D.O.C.
qui pèse sur lui en sa qualité de gardien, sous le prétexte que seuls les défauts dudit
véhicule auraient été la cause de cet accident. (Cass. Civ., 11-VI-1953, G.T.M.1953,
n°1137, p. 167; R.M.D., 1955, p. 70-73, note R. Rodiére ; R.A.C., T.XVII, p. 515-
516).

Il a de même été décidé que la responsabilité du gardien juridique d’un scooter, cause
d’un accident, ne saurait incomber au propriétaire, puisqu’il avait perdu, en prêtant
l’engin à sa fiancée, alors que lui-même était rappelé sous les drapeaux, le pouvoir
d’user de la chose, de la surveiller et de la contrôler. (Trib. Paix Kenitra, 18-111-1957,
R.M.D., 1958, p. 84-92, note M. Sumien).
Lorsque le propriétaire d’un véhicule a cédé à un tiers la garde de la chose, il ne peut
plus être considéré comme responsable. (Trib. 1re inst. Casablanca, 11-11-1962,
R.M.D., 1962, p. 752).
La non délivrance de la carte grise par le vendeur à l’acheteur n’empêche pas ce
dernier de devenir gardien dès la livraison, dès lors qu’il a un pouvoir de
commandement et de contrôle sur le véhicule. (CAR . 16-11-1960, R.M.D., 1961, p.
129). En cas de vente d’un véhicule, l’acquéreur a la qualité de gardien et engage sa
responsabilité avant même l’accomplissement des formalités de cession. (CS Crim,
14-12-1980, JCS, n°28, p.222).

La garde est en principe alternative et non cumulative. La chose ne peut avoir qu’un
seul gardien. Quand le propriétaire loue une chose lui appartenant, c’est le locataire
et lui seul qui en devient gardien. Les personnes qui ont des titres différents ne
peuvent être cogardiennes (commettant/préposé-propriétaire/locataire).

Il arrive que plusieurs personnes exercent, au même titre, les pouvoirs garde sur une
chose (joueurs d’équipe, groupe de chasseurs…). Selon l’article 99 du DOC « si le
dommage est causé par plusieurs personnes agissant de concert, chacune d’elles est
tenue solidairement des conséquences, sans distinguer si elles ont agit comme
instigateurs, complices ou auteurs principaux. » La règle établie en l’article 99
s’applique au cas où, entre plusieurs personnes qui doivent répondre d’un dommage,
il n’est pas possible de déterminer celle qui en est réellement l’auteur, ou la proportion
dans laquelle elles ont contribué au dommage. Celui qui a été condamné à indemniser
la victime a un recours subrogatoire contre les autres. En effet, selon l’article 100
du D.O.C , « la règle établie en l'article 99 s'applique au cas où, entre plusieurs
personnes qui doivent répondre d'un dommage, il n'est pas possible de déterminer
celle qui en est réellement l'auteur, ou la proportion dans laquelle elles ont contribué
au dommage. Pour une application voir Cass .Civ.25 février 2014, Jurisprudence de
la Cour de Cassation, n°77, p.35.

Une difficulté peut surgir quand des personnes différentes ont un pouvoir d’usage,
de direction et de contrôle sur divers éléments de la chose. En déchargeant des
bouteilles de gaz, une d’entre elles explose et blesse un salarié du transporteur. Si
l’accident a pour origine une mauvaise manipulation des bonbonnes de gaz, une
mauvaise disposition qui a permis l’explosion, c’est le gardien du comportement - en
l’occurrence le transporteur - qui est responsable. Si la bouteille a explosé par suite
d’un vice de fabrication, c’est le propriétaire gardien de la structure qui est
responsable et non le transporteur. C’est la distinction entre la garde de la structure
et la garde du comportement. La distinction paraît juste, il n’y a pas de raison que le
gardien du comportement soit responsable pour un vice de la chose auquel il est
étranger. La garde de la structure repose sur le fabricant et celle du comportement
sur le détenteur, responsable de la manipulation et de l’utilisation défectueuse de la
chose. La loi 24-09 du 17 août 2011 relative à la sécurité des produits et des services
permet à la victime d’agir contre le fabricant sans avoir à recourir à la dite distinction.
La distinction garde de la structure et du comportement réintroduit la notion de faute
dans un régime de responsabilité basé sur le risque. La distinction conduit en effet à
rechercher « subjectivement » quelle personne aurait pu empêcher le dommage.

Enfin le gardien doit avoir une certaine indépendance. La qualité de gardien est
incompatible avec celle de préposé. Il est admis en jurisprudence que la « préposition
implique un lien de subordination et de dépendance incompatible avec les pouvoirs
d’usage, de contrôle et de direction qui constituent le gardien. (CAR, 31-III-1950,
RAC, T.XVI, p.236-237).

D - Les causes d’exonération de la responsabilité du fait des choses.

L’article 88 du DOC énonce clairement que chacun doit répondre du dommage


causé par les choses qu’il a sous sa garde, lorsqu’il est justifié que ces choses sont la
cause directe du dommage, s’il ne démontre :
1- Qu’il a fait tout ce qui était nécessaire afin d’empêcher le dommage ;
2- Et que le dommage dépend, soit d’un cas fortuit, soit d’une force majeure, soit de
la faute de celui qui en est victime.

La preuve de l’absence de faute du gardien ne suffit pas à l’exonérer, à le libérer de


sa responsabilité. Même s’il a fait « tout ce qui était nécessaire afin d’empêcher le
dommage », c’est-à-dire qu’il s’est comporté comme il aurait dû le faire, sa
responsabilité reste engagée. Le gardien doit en outre prouver que « le dommage
dépend, soit d’un cas fortuit, soit d’une force majeure, soit de la faute de celui qui en
est victime ». Pour la Cour suprême, l’article 88 crée une présomption de
responsabilité à la charge du gardien qui lui impose, pour s’en décharger l’obligation
de prouver, outre que le dommage dépend d’une cause étrangère, qu’il a fait tout ce
qui était nécessaire pour l’empêcher. (CS.Civ, 25-II-1965, GTM, 1965, p.53).
La présomption de responsabilité édictée par l’article 88 du D.O.C. à l’encontre de
celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage, est détruite par
la preuve d’un cas de force majeure ou d’une cause étrangère non imputable au
gardien. Le cas fortuit ou la force majeure, pour exonérer le gardien de la chose de la
présomption de responsabilité pesant sur lui, doit consister en un événement qu’on
ne peut prévoir et dont on ne peut empêcher les effets. (CAR, 29-VII-1955, RAC,T
XVIII, p.217) Le fait d’avoir été ébloui par les phares d’une autre automobile, venant
en sens inverse, est un fait prévisible et non un cas fortuit ou de force majeure. (CAR.,
14-111-1930, R.L.J.M., 1932, p. 77).

Le gardien de la chose s’exonère de la présomption de responsabilité en rapportant


la double preuve que le dommage provient de la faute de la victime ou d’un cas fortuit
ou de force majeure et qu’il a fait tout le nécessaire pour éviter le dommage qu’ainsi,
la faute du tiers n’emporte exonération que si elle présente les caractères de la force
majeure ou du cas fortuit. (C.S. Civ., 2-XII-1959, R.M.D., 1961, p. 154).

La faute de la victime n’exonère totalement le gardien que si, imprévisible et


inévitable, elle a été la cause exclusive du dommage. Tant que ce caractère
imprévisible et inévitable n’est pas démontré, le gardien ne peut prétendre qu’à un
partage de responsabilité. (CAR., 31-111-1950, R.A.C., T. XVI, p.236).

L’évènement ne peut être considéré cause étrangère que s’il est extérieur au gardien
lui-même. Le gardien reste donc responsable lorsque le dommage est dû à un vice de
la chose. La rupture d’un câble de commande des freins d’un véhicule automobile ne
saurait être considérée comme un cas fortuit ou de force majeure, le gardien de ce
véhicule ayant l’obligation de s’en prémunir en faisant procéder à toutes vérifications
utiles. Doit donc être accueillie l’action en réparation du préjudice causé à la victime
d’un accident survenu à la suite de la rupture d’un câble de commande des freins.
(CAR., 3-XI-1932, R.A.C., T. VII, p.30).

Les tribunaux apprécient la notion de force majeure et de cause étrangère avec une
certaine rigueur. La rupture d’un câble de frein, le fait d’avoir été ébloui par les phares
d’une voiture venant en sens inverse, la chute de la foudre, l’orage n’ont pas été
considérés cas de force majeure. Il a par contre été jugé que l’accident provoqué par
un enfant de cinq ans qui, jouant sans surveillance sur la route, fait brusquement
irruption sur la chaussée au moment où arrive le véhicule est dû à la faute exclusive
et imprévisible de la victime. (Trib. 1ère Inst. Casablanca, 31-X-1958, G.T.M., 1959,
n°1250, p. 54).

Si le dommage provient d’une cause étrangère qui n’est pas imputable au gardien, par
définition imprévisible et insurmontable, pourquoi faut-il encore exiger qu’il prouve
qu’il a fait a fait tout ce qui était nécessaire afin d’empêcher le dommage ? Prouver la
force majeure n’est–il la preuve que la gardien n’est pas en faute. ?

La cause étrangère est un événement imprévisible et irrésistible que l’on n’a pas pu
prévoir et auquel on ne peut résister, dont on ne peut éviter les effets. Le gardien a
été mis dans l’impossibilité d’éviter le dommage. En maintes occasions, le DOC fait
état d’une force majeure ou un cas fortuit « non imputable à leur faute » …. La preuve
de l’absence de faute n’étant pas exonératoire, l’article 88 ne repose pas sur une
présomption de faute mais bien sur une présomption de responsabilité.

SECTION 2 : LES REGIMES SPECIAUX DE RESPONSABILITE

Certains régimes spéciaux de responsabilité sont consacrés par le DOC (§1), d’autres
par des textes particuliers (§2).

§1- Les régimes spéciaux prévus par le DOC : la responsabilité du fait des
animaux et la responsabilité du fait de la ruine d’un bâtiment

A- la responsabilité du fait des animaux

En vertu de l’article 86 du DOC, chacun doit répondre du dommage causé par


l’animal qu’il a sous sa garde, même si ce dernier s’est égaré ou échappé, s’il ne
prouve :
1- Qu’il a pris les précautions nécessaires pour l’empêcher de nuire ou pour le
surveiller ;
2- Ou que l’accident provient d’un cas fortuit ou de force majeure, ou de la faute de
celui qui en a été victime.

Ce texte fait peser sur le gardien de l’animal une présomption de faute puisqu’il peut
se libérer en prouvant qu’il a pris les précautions nécessaires pour l’empêcher de nuire
ou pour le surveiller, c’est-à-dire qu’il n’a pas commis de faute. L’article 86 fait peser
sur le gardien de l’animal une présomption de faute. Il n’existe aucune responsabilité
s’il est prouvé que l’on a pris les précautions nécessaires pour empêcher le dommage
ou que la victime a commis une faute. La responsabilité doit être partagée s’il y a eu
fautes réciproques. (Trib. 1ère inst. Rabat, 24-1-1925, G.T.M., 1925, n° 175, p. 157).

Cette règle se distingue de celle de l’article 1385 du code civil français qui fait peser
sur le propriétaire de l’animal une présomption de responsabilité. Le propriétaire ne
pouvant se libérer qu’en prouvant la cause étrangère. Influencé plus par l’article 1385
du code civil que par l’article 86 du DOC, les tribunaux ont pu, par moments, faire
peser sur le gardien de l’animal une présomption de responsabilité. (C.A.R., 20-XI-
1945, G.T.M., 1940, n° 985, p. 150; R.A.C., T.XIII, p. 150). Il a en effet été décidé
que le propriétaire d’un animal est responsable, aux termes de l’article 86 du D.O.C.,
du dommage causé par cet animal. Il ne saurait se décharger de la présomption de
faute existant à son encontre qu’en prouvant la faute de la victime, la force majeure
ou le cas fortuit. (Trib. 1ère Inst. Fès, 25-XI-1931, G.T.M., 1932, n° 480, p. 45. CAR.,
18-IV-1939, R.A.C., T. X, p. 182). Dans le même esprit, il a été jugé que l’animal
domestique qui a blessé, indirectement, un laboureur engage la responsabilité civile
de son propriétaire qui en est « le gardien », au sens de l’alinéa 1er de l’article 86 du
D.O.C., si celui-ci ne prouve que l’accident provient d’un cas fortuit ou de la faute
de la victime. (CAR, 14-11-1946, R.A.C., T. XIII, p. 442; G.T.M 1940, n° 979, p.
109).

Le propriétaire peut se décharger de la responsabilité si la maîtrise de l’animal a été


confiée à une autre personne. Car si aux termes de l’article 86 du D.O.C. chacun doit
répondre du dommage causé par l’animal qu’il a sous sa garde, « encore faut-il que la
personne recherchée en responsabilité ait eu, au moment où le dommage a été causé,
l’usage personnel de l’animal, c’est-à-dire, qu’elle en ait été la détentrice et qu’elle ait
eu sur lui un pouvoir de direction ». (CAR., 5-1-1960, G.T.M., 1960, n° 1271, p. 5T ;
R.M.D., 1960, p, 423).

Les juges à qui est soumise une demande de dommages-intérêts, fondée sur « la
présomption de responsabilité de l’article 86 du D.O.C. , doivent rechercher qui, de
la victime ou du propriétaire, avait la garde juridique de la chose ayant causé le
dommage. Le gardien de la chose n’est pas en effet nécessairement son propriétaire.
Spécialement, le chef de culture qui fait le tour de la propriété agricole de son patron,
en montant un cheval docile, dont il a d’habitude la libre disposition, doit en être
considéré comme le seul gardien, alors surtout qu’il exerce ses fonctions dans la
propriété, sans être sous la dépendance de son patron. Dès lors, celui-ci n’est pas
responsable de l’accident survenu à son préposé, alors surtout que le dommage causé
n’est pas dû au comportement de l’animal, mais seulement à la chute de la victime
sur le sol ». (C.A.R., 20-XI-1945, G.T.M., 1940, n°985, p. 150; R.A.C., T. XIII, p.
150).

B- La responsabilité du fait de la ruine d’un bâtiment.

Aux termes de l’article 89 du DOC, le propriétaire d’un édifice ou autre construction


est responsable du dommage causé par son écroulement ou par sa ruine partielle,
lorsque l’un ou l’autre est arrivé par suite de vétusté, par défaut d’entretien, ou par le
vice de la construction. La même règle s’applique au cas de chute de ruine partielle
de ce qui fait partie d’un immeuble comme les arbres, les machines incorporées à
l’édifice et autres accessoires réputés immeubles par destination. Cette responsabilité
pèse sur le propriétaire de la superficie, lorsque la propriété de celle-ci est séparée de
celle du sol.

Lorsqu’un autre que le propriétaire est tenu de pouvoir à l’entretien de l’édifice, soit
en vertu d’un contrat, soit en vertu d’un usufruit ou autre droit réel, c’est cette
personne qui est responsable.

Lorsqu’il y a litige sur la propriété, la responsabilité incombe au possesseur actuel de


l’héritage.

Certaines décisions judiciaires anciennes avaient considéré que ce texte établissait une
présomption de faute à la charge du propriétaire, ce dernier pouvant donc se
décharger de sa responsabilité en prouvant qu’il n’a pas commis de faute. (CAR., 5-
XI-1924, R.A.C., 1925, T. III, p. 87 ; CAR., 28-XI-1936, R.A.C., T. IX, p. 201). La
dite présomption n’étant d’ailleurs opposable qu’au propriétaire de l’immeuble ou à
celui qui a la charge de son entretien. (CAR., 5-XI-1924, R.A.C., 1925, T. III, p. 87).
D’autres y avaient vu une responsabilité de plein droit. (CAR., 28-XI-1936, R.A.C.,
T. IX, p. 201).

Les tribunaux ont par ailleurs veillé à ne pas élargir le champ d’application de ce texte.
La responsabilité du fait des immeubles est réglée par l’article 89 du D.OC., lequel
n’établit une présomption de faute que pour les cas expressément déterminés où le
dommage, provenant du fait d’un immeuble, est dû à l’écroulement ou à la ruine
partielle et lorsque l’un ou l’autre de ces événements est arrivé par suite de vétusté,
par défaut d’entretien ou par le vice de construction, ladite présomption étant
opposable au propriétaire de l’immeuble ou à celui qui a la charge de son entretien.
Pour la cour d’appel de Rabat, c’est étendre de façon arbitraire le champ d’application
de l’article 89 du D.O.C que de prétendre y faire entrer les rochers qui, s’élevant au-
dessus du sol, constituent une menace pour les personnes qui passent ou qui
travaillent au-dessous. La chute de ces rochers ne saurait donner lieu à l’application
de l’article 89, c’est-à-dire à une responsabilité de plein droit fondée sur le défaut
d’entretien ou le vice propre, car l’idée d’entretien, comme celle de construction,
suppose un ouvrage de l’homme. (CAR., 28-XI-1936, R.A.C., T. IX, p. 201). Voir
aussi CAR., 5-XI-1924, R.A.C., 1925, T. III, p. 87) ; CAR . 14-1-1944, G.T.M., 1944,
n° 949, p. 48).

La responsabilité du propriétaire, quasi délictuelle, entrant dans le cadre de l’article


89, vise aussi bien les dommages causés au locataire que ceux causés aux tiers. (CAR.,
5-XI-1937, R.A.C., T. IX, p. 404; G.T.M., 1938, n° 759, p. 35). Il a été décidé que les
tribunaux ne pouvaient donner acte d’une convention par laquelle le locataire
décharge le propriétaire de toute responsabilité en cas d’écroulement de l’immeuble
loué, cette convention ne pouvant engager aucune des parties dans leurs rapports
personnels et dans leurs rapports avec les tiers. (CAR., 16-XI-1949, RAC., T. XVI,
p. 39).

§2- Les régimes spéciaux prévus par des textes particuliers

A - L’indemnisation des victimes d’accidents de circulation

Le dahir portant loi n° 1-84-177 du 2.10.1984 fixe les limites, les bases et la procédure
relatives à l’indemnisation des victimes d’accidents causés par des véhicules terrestres
à moteur.

Le texte fixe les modalités d’indemnisation des dommages corporels causés à des
tiers par un véhicule terrestre à moteur soumis à l’obligation d’assurance. Il s’agit non
pas d’une remise en cause des principes de la responsabilité civile mais d’une
barémisation des indemnités, jusque-là laissés à l’appréciation souveraine des
juridictions. Ce régime – régi par un texte particulier- se rattache davantage aux
aspects liés à la réparation du dommage.

Outre le remboursement des frais et dépenses, l’indemnisation due à la victime


compense :
a) en cas d’incapacité temporaire de travail : la perte du salaire ou des gains
professionnels qui en résulte, compte tenu de la part de responsabilité imputable à
l’auteur de l’accident ou au civilement responsable ;
b) en cas d’incapacité physique permanente : la perte du salaire ou des gains
professionnels qui en résulte pour la victime ainsi que les dommages causés à son
intégrité physique et, le cas échéant, les préjudices suivants : recours à une tierce
personne, changement total de profession, conséquences défavorables de carrière,
interruption définitive ou quasi définitive de scolarité, préjudice esthétique et pretium
doloris.

En cas de décès de la victime des suites de l’accident, les personnes envers lesquelles
elle était tenue à une obligation alimentaire en vertu des règles de son statut personnel
ainsi que toute autre personne aux besoins de laquelle elle subvenait ont droit à la
compensation de la perte des ressources qu’elles ont subie du fait de sa mort.

Le conjoint de la victime décédée et ses ascendants et descendants au premier degré


ont seuls droit à la réparation du préjudice d’affection dans les limites fixées par le
dahir.

L’indemnisation de la victime pour incapacité physique permanente comporte une


indemnité principale déterminée en fonction des éléments suivants:
1- le capital de référence, tel que fixé dans le tableau annexé au dahir portant loi,
compte tenu de l’âge de la victime au moment de l’accident et de son salaire ou de
ses gains professionnels;
2- le taux d’incapacité de la victime fixé, par le médecin-expert, par référence au «
barème fonctionnel des incapacités » établi par voie réglementaire.
3- la part de responsabilité imputable à l’auteur de l’accident ou au civilement
responsable.

L’indemnisation due aux ayants droit de la victime pour perte de ressources du fait
du décès de cette dernière est répartie entre eux, conformément à des pourcentages
prévus par la loi appliqués au capital de référence de la victime, et en prenant en
considération la part de responsabilité imputable à l’auteur de l’accident ou au
civilement responsable.
Les dispositions du dahir ne sont pas applicables à la réparation des dommages
matériels qu’ils soient causés au véhicule ou à tous autres biens se trouvant à
l’intérieur ou à l’extérieur de ce dernier.

B- La loi du 12 mai 2003 relative à la protection et à la mise en valeur de


l’environnement

Cette loi a notamment pour objet de « mettre en place un régime spécifique de


responsabilité garantissant la réparation des dommages causés à l’environnement et
l’indemnisation des victimes » (Article 1).
Selon son article 63 « Est responsable, même en cas d’absence de preuve de faute,
toute personne physique ou morale stockant, transportant ou utilisant des
hydrocarbures ou des substances nocives et dangereuses, ou tout exploitant d’une
installation classée, telle que définie par les textes pris en application de la présente
loi, ayant causé un dommage corporel ou matériel directement ou indirectement lié
à l’exercice des activités susmentionnées. » Il s’agit d’une responsabilité objective,
sans faute.

La personne à qui incombe la réparation dudit préjudice, aux termes de l’article 63,
peut cependant demander de limiter sa responsabilité à un montant global par
incident. Ce montant est fixé par voie réglementaire.
Pour bénéficier de cette limitation de responsabilité, la personne à qui incombe la
réparation du préjudice doit déposer, auprès du tribunal où l’action est engagée, une
caution dont le montant égale la limite de sa responsabilité. Cette caution peut être
constituée soit par le dépôt d’une somme, soit par la présentation d’une garantie
bancaire ou de toute autre garantie admise par la législation en vigueur. La personne
visée a l’article 63 de la loi n’est pas fondée à se prévaloir d’une limitation de
responsabilité si l’incident est causé par sa faute. L’administration peut imposer à tout
auteur d’une infraction, ayant eu pour conséquence une dégradation de
l’environnement, de remettre en l’état l’environnement lorsque cette remise en l’état
est possible.

C- La loi 12/02 du 7 Janvier 2005 relative à la responsabilité civile en matière


de dommages nucléaires
Cette loi a pour objectif d’assurer la réparation civile des dommages que pourraient
causer certaines utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, conformément aux
dispositions de la convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière
de dommages nucléaires.
Aucune personne autre que l’exploitant d’une installation nucléaire n’est responsable
d’un dommage nucléaire.

L’exploitant est réputé responsable de tout dommage nucléaire causé par un accident
nucléaire survenu dans cette installation nucléaire.
Lorsqu’un dommage nucléaire engage la responsabilité de plusieurs exploitants
d’installation nucléaire, et s’il n’est pas possible de déterminer avec certitude quelle
est la part du dommage attribuable à chacun d’eux, ils en sont conjointement et
solidairement responsables, chacun d’eux à concurrence du montant de leur
responsabilité tel que prévu à l’article 22 de loi.

La loi opte pour un système de responsabilité objectif mais la faute conserve une
place. En effet si l’exploitant d’une installation nucléaire prouve que le dommage
nucléaire résulte, en totalité ou en partie, d’une négligence grave de la personne qui
l’a subie ou que cette personne a agi ou omis d’agir dans l’intention de causer un
dommage, le tribunal compétent peut dégager l’exploitant, totalement ou
partiellement, de son obligation de réparer le dommage subi par cette personne.

Tout exploitant d’une installation nucléaire est tenu d’avoir et de maintenir une
assurance ou une autre garantie financière à concurrence, par accident, du montant
de sa responsabilité civile tel que prévu à l’article 22 de la loi.

Les personnes ayant droit à réparation d’un dommage nucléaire en vertu de la cette
loi peuvent, à leur choix, intenter une action en réparation soit contre l’exploitant
responsable, soit directement contre l’assureur ou contre toute autre personne
fournissant une garantie financière en vertu de l’article 19 de la dite loi.

D- La loi 24-09 du 17 août 2011 relative à la sécurité des produits et des services

Cette loi a pour objet d’établir les exigences que les produits et services mis à
disposition, fournis ou utilisés sur le marché doivent respecter en précisant les
obligations mises à la charge des différents responsables de la mise à disposition sur
le marché des produits et services (producteurs, importateurs, distributeurs) et de
compléter le DOC par un chapitre sur la responsabilité civile du fait des produits
défectueux.
Ce chapitre, qui fixe le régime de cette responsabilité, a été maladroitement rattaché
par la loi à l’article 106 du DOC qui ne concerne que la question de la prescription
de l’action en indemnité.
Désormais, l’article 106-1 du DOC tel que complété par la loi 24/09 pose le principe
que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit.
Il y a là une présomption de responsabilité qui pèse sur le producteur. Pour obtenir
réparation, la victime est tenue, selon l’article 106-7 d’apporter la preuve du
dommage qui lui a été causé par le produit défectueux. Elle n’a pas à prouver une
faute du producteur. Ce dernier engage sa responsabilité même si le produit a été
fabriqué dans le respect des règles de l’art ou de normes existantes ou qu’il a fait
l’objet d’une autorisation administrative. Les cas dans lesquels le producteur peut
s’exonérer sont limitativement fixés par la loi :
- le producteur prouve qu’il n’a pas mis le produit à disposition sur le marché ;
- le défaut qui a causé le dommage n’existait pas au moment où le produit a été mis
en circulation ou que ce défaut est né postérieurement ;
-le produit n’a été ni fabriqué en vue de la vente ou de toute autre forme de
distribution à des fins commerciales, ni fabriqué ou distribué dans le cadre de son
activité commerciale ;
- le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles obligatoires émanant des
pouvoirs publics, ou que le défaut ne pouvait être décelé dans l’état des connaissances
scientifiques et techniques au moment de la mise à disposition du produit sur le
marché.

L’idée de faute n’est cependant totalement absente. La responsabilité du producteur


peut en effet être réduit ou supprimée lorsque le dommage est causé conjointement
par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la
victime est responsable.

La responsabilité du producteur ne peut être réduite ou écartée par une clause


limitative ou exonératoire de responsabilité.
CHAPITRE 2
LE DOMMAGE

SECTION 1 : LES CATEGORIES DE DOMMAGES

Le dommage ou préjudice est une condition essentielle de la responsabilité civile


dont la finalité est la réparation. Même si la faute est établie, l’auteur ne verra pas sa
responsabilité civile engagée s’il n’a pas causé de dommage : cas de l’automobiliste
qui commet un excès de vitesse sans causer d’accident. Le préjudice établi doit être
à la base de toute action de dommages intérêts (CAR, 11-2-1961, RAC T.XXI, p.135)
Cela distingue la responsabilité civile de la responsabilité pénale.
Le DOC définit ce qu’il faut entendre par dommage et permet de distinguer le
dommage matériel et le dommage moral. (Articles 77 et 78).

Aux termes de l’article 98 du DOC, les dommages, dans le cas de délit ou de quasi-
délit, sont la perte effective éprouvée par le demandeur, les dépenses nécessaires qu’il
a dû ou devrait faire afin de réparer les suite de l’acte commis à son préjudice, ainsi
que les gains dont il est privé dans la mesure normale en conséquence de cet acte.
Au dommage matériel et moral évoqué par le DOC, l’article 7 du code de procédure
pénale ajoute le dommage corporel .L’action civile en réparation du dommage causé
par un crime, un délit pu une contravention appartient à tous ceux qui ont
personnellement subi un dommage corporel, matériel ou moral , directement causé
par l’infraction .

Il est ainsi possible de distinguer trois catégories de dommages : les dommages


matériels, moraux et corporels.
- Le dommage matériel (patrimonial ou pécuniaire) recouvre une atteinte au
patrimoine, à un intérêt financier de la victime. Il englobe la perte subie ( perte
d’un bien, d’un droit) et le manque à gagner (destruction d’une bien qui devait
être vendu ).le DOC parle de gains dont on a été privé ; sans l’évènement le
patrimoine de la victime se serait accru.
Le dommage ou préjudice moral est l’atteinte portée à des droits extrapatrimoniaux
c’est-à-dire ne faisant pas partie des biens constitutifs du patrimoine. Il s’agit d’une
atteinte aux sentiments de la victime. Il peut être la conséquence d’une atteinte
corporelle ( préjudice esthétique) ou d’une atteinte à l’un des droits de la personnalité
( honneur, vie privée) ou encore d’une atteinte à l’affection ( perte d’un être cher ou
d’un bien à valeur sentimentale ou d’une activité affectionnée (préjudice d’agrément)
-CS Crim.19-IV-1962, RACS, T III, p.230). Le préjudice résultant pour les parents
du décès accidentel de leur fils existe tant sur le plan matériel que sur le plan affectif
par les frais exposés par eux pour élever l’enfant et la douleur que leur cause la perte
d’un être cher et ce, sans qu’il soit besoin d’établir qu’ils étaient à la charge de la
victime. (CAR., 15-1-1963, RAC., T. XXIII, p. 99).

Les droits extra-patrimoniaux n’ayant pas une valeur pécuniaire, et n’étant donc pas
évaluable en argent, le problème de leur réparation a pu être posé. Certains auteurs
se sont en effet farouchement prononcés contre la réparation des dommages
moraux. Ils se fondent sur la différence qualitative entre le bien endommagé (valeur
morale) et le moyen par lequel on entend le restaurer (valeur pécuniaire).

Selon eux, quel qu’en soit le montant offert, l’argent attribué à la victime d’un
dommage moral ne saurait réparer le tort qui lui est causé. La valeur morale n’étant
pas quantifiable, on ne pourrait pas la mesurer et déterminer son équivalent
pécuniaire. Pour ces auteurs, l’allocation d’une indemnité correspondant au préjudice
extrapatrimonial est inefficace et ne saurait se justifier que par la notion de peine
privée, ce qui constitue une atteinte au principe de la séparation de la responsabilité
civile et de la responsabilité pénale.

Ce point de vue est aujourd’hui dénoncé par la plupart des auteurs qui estiment que
l’allocation d’une indemnité peut procurer une satisfaction de remplacement, et que
la faute du responsable doit être nécessairement sanctionnée.

La cour de cassation française s’est très tôt prononcée en faveur de l’indemnisation


du préjudice moral.
Le principe de la réparation du préjudice moral est admis en jurisprudence et
consacré par le DOC aux articles 77 et 78 du DOC : tout fait quelconque de l’homme
qui, sans l’autorité de la loi, cause sciemment et, volontairement à autrui un dommage
matériel ou moral, oblige son auteur à réparer ledit dommage », « Chacun est
responsable du dommage moral ou matériel qu’il a causé, non seulement par son fait,
mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute en est la cause directe… ».
- le dommage corporel résulte de toute atteinte à l’intégrité physique de la
victime. Il s’agit d’une catégorie qui emprunte en réalité aux préjudices matériel
et moral. Il peut avoir un caractère économique tels une incapacité de travail,
des soins médicaux. Il peut également avoir un caractère moral ou immatériel
(douleur physique ou morale, préjudice esthétique, préjudice d’agrément
(impossibilité de pratiquer un sport ou une activité artistique).

SECTION 2 : LES CARACTERES DU DOMMAGE REPARABLE

Pour être réparable, le dommage doit présenter quatre caractéristiques.


- le dommage doit être légitime, personnel, direct et certain.

Le dommage doit être légitime , l’action en réparation n’est ouverte que si l’intérêt lésé est
légitime. Il doit s’agir d’un intérêt protégé par le droit.
Un concubin peut –t-il obtenir réparation pour le préjudice matériel et/ou moral en
cas de décès de son partenaire ? Pendant longtemps, les tribunaux français,
considérant le concubinage comme une situation immorale, refusaient d’admettre
l’action en réparation.
Avec la reconnaissance du concubinage par les tribunaux, la cour de cassation décida,
d’abord en 1937 puis en 1970, que l’article 1382 du code civil pouvait être invoqué
même en l’absence de lien de droit entre le défunt et le demandeur.(Cass.ch.mixte,
27 février 1970,arrêt « dangereux », Bull.ch.mixte, n°82.
Par contre, l’intérêt légitime n’est pas violé lorsque les parents ont un enfant alors
qu’ils n’en souhaitent pas et par conséquent l’échec d’un IVG n’est pas un préjudice
réparable. Il est apparu moralement choquant et contraire à l’intérêt de l’enfant de
qualifier sa naissance de préjudice.
Au Maroc, la Cour suprême a tout d’abord refusé l’action de l’enfant pour décès
accidentel de son père adultérin. Le demandeur d’une indemnité doit justifier non
d’un dommage quelconque mais de la lésion d’un intérêt légitime juridiquement
protégé. ( Cass.civ.21-10-1952, RMD, 1955, p.217.) Dix années plus tard, elle
accueille l’action en réparation du préjudice résultant de l’abandon par un père de ses
enfants adultérins .Une telle action, selon la cour suprême, ne tend ni à maintenir
l’état de concubinage, ni établir une filiation adultérine, mais trouve sa source dans
une situation de fait génératrice d’un droit à réparation fondé sur les articles 77et 78
du DOC en raison du préjudice résultant de l’abandon fautif des enfants par leur
père. ( C.A.R. 31 janvier 1958. R.M.D. p. 182 note Pansier, C.S. Ch. Civ. 13 nov.
1962. RA.C.S. Ch. Civ. 1) .De même, dans un procès en responsabilité opposant le
consommateur d’une boisson avariée à l’exploitant d’un débit de boissons, la Cour
Suprême n’a pas rejeté l’action en responsabilité contre un gérant de débit de
boissons alcoolisées considérant la dite demande illégitime mais conclu à un partage
de responsabilité, « le gérant du débit de boissons a été jugé fautif pour avoir servi
une boisson avariée… et le client a été jugé tout aussi fautif pour avoir consommé
une boisson alcoolisée .( sur ces question et sur la place de l’islam dans l’ordre
juridique marocain, voir Omar Azziman in « Le Maroc actuel, une modernisation au
miroir de la tradition ? Connaissance du monde arabe,1992).On peut se demander
toutefois si cette orientation libérale ne risque pas d’être remise en cause par des
décisions plus récentes de la cour suprême pour qui « les motivations humanitaires
ne sauraient en aucun cas couvrir l’illicéité de relations illégales , en l’occurrence celle
du concubinage » ( C.S. 14 sept. 1977, Al Mouhamet, n° 13. p. 111.).

Le dommage doit être personnel

Le principe est que seul celui qui a personnellement subi un dommage est en droit
d’en demander réparation. (article 7 du code de procédure pénale.).
Le préjudice par ricochet est celui qu’un individu subit personnellement mais
indirectement, à cause du dommage causé directement à une autre personne. Une
personne devenue handicapée à la suite d’un accident subit un dommage personnel
et ses proches subissent un dommage par ricochet.
Lorsqu’un groupement ou une association dotée de la personnalité juridique subit
un préjudice personnel,( dégradation de locaux) elle peut en demander réparation sur
la base d’un préjudice personnel. La question est plus difficile lorsque ce groupement
veut agir lorsque atteinte est portée aux intérêts collectifs par lui défendus .L’intérêt
collectif ne constitue pas un préjudice personnel et les personnes morales ne peuvent
en demander réparation que lorsque la loi le prévoit .
Ainsi les syndicats peuvent agir
- concernant les faits portant préjudice direct ou indirect aux intérêts individuels
ou collectifs des personnes qu'ils encadrent ou
- dans l'intérêt collectif de la profession ou du métier qu'ils représentent. (Article
404 du code du travail).

La fédération et les associations de consommateur reconnues d’utilité publique


peuvent exercer des actions dans l’intérêt collectif des consommateurs. (article 157
de la loi n° 31-08 édictant des mesures de protection du consommateur du 18 février
2011)

Les associations de protection du consommateur non reconnues d’utilité publique et


dont le but exclusif est la protection du consommateur, ne peuvent exercer ces droits
qu’après l’obtention d’une autorisation spéciale de la partie compétente pour ester en
justice.

Lorsque plusieurs consommateurs, personnes physiques identifiées ont subi des


préjudices individuels causés par le même fournisseur et qui ont une origine
commune, la fédération et les associations de consommateurs reconnues d’utilité
publique peuvent agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces
consommateurs. Il s’agit d’une action en représentation conjointe. La Fédération ou
l’association doit cependant avoir été mandatée par au moins deux des
consommateurs concernés.(article 158 de la loi 31-08)

Le dommage doit être direct


Le dommage doit être la conséquence directe de l’accident, du fait dommageable. Le
dommage doit être la suite directe du fait reproché au tiers, il faut un lien de causalité
entre le préjudice et la faute. Il s’agit en fait de l’exigence de causalité énoncée aux
articles 77 et 78 du DOC.

Le dommage doit être certain

Pour aboutir l’action en réparation suppose un dommage certain, la certitude de sa


réalisation. Pour pouvoir être réparé, le préjudice allégué doit donc être certain et il
suffit de rapporter la preuve de la matérialité du dommage.

Le problème se pose plutôt pour ce qui concerne le préjudice futur, c’est-à-dire celui
qui n’est pas encore réalisé, qui n’existe pas matériellement au moment où sa
réparation est envisagée. (Exemple : revenus auxquels pouvait s’attendre la victime
d’un accident).

Les tribunaux distinguent le préjudice virtuel , celui dont il est certain qu’il se réalisera
et son estimation est possible et celui éventuel, hypothétique qui ne peut donner lieu
à indemnisation.
Sur la base de cette distinction, il a été décidé que la perte d’un manque à gagner
hypothétique, d’un lucrum cessans incertain et futur ne constitue qu’une possibilité de
préjudice éventuel et ne saurait constituer le dommage certain et direct, seul
susceptible d’être considéré par le juge. (CAR, 15-VI- 1937, RAC, T.IX, p.467).
La réparation du dommage doit être égale à l’intégralité du préjudice. L’incapacité
permanente partielle dont reste atteinte la victime d’un accident, affecte l’ensemble
de son activité et donc sa capacité de travail. Notamment, chez un jeune enfant, le
préjudice inhérent à la réduction de capacité, bien qu’il doive se réaliser dans l’avenir,
est certain et doit être réparé. (C.S. Crim., 6-III-1962, G.T.M., 1962, n° 1310, p. 52;
R.A.C.S., T. III, p. 161).

Entre le dommage certain et le dommage éventuel se situe la perte d’une chance, « la


disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Cass.1ère civ.21
novembre 2006, bull.civ.I . n°498.)Celle-ci est- elle réparable ? Il appartient aux juges
d’apprécier les chances de réalisation du dommage. Si ces chances sont légères,
minces, le dommage sera considéré comme simplement éventuel, et par conséquent
non réparable. Si elles sont par contre fortes, la condition de certitude serait alors
remplie, et le dommage réparable. (perte d’une chance de passer l’examen pour un
étudiant victime d’un accident, perte d’une chance de voir son affaire rejugée…). Les
tribunaux n’indemnisent pas l’échec à l’examen ou au diplôme (préjudice incertain)
mais la perte de chance de passer l’examen (préjudice certain).La réparation dépend
de la chance perdue et non de l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était
réalisée ( Civ.1ère , 9 avril 2002,Bull.Civ.n°116 ). La notion de perte de chance permet
de relativiser l’exigence de certitude du préjudice.
CHAPITRE 3

UN LIEN DE CAUSALITE ENTRE


LE FAIT GENERATEUR ET LE DOMMAGE

L’exigence de causalité entre le fait générateur et le dommage est légale. Tout fait
quelconque de l’homme qui, sans l’autorité de la loi, cause sciemment et,
volontairement à autrui un dommage matériel ou moral, oblige son auteur à réparer
ledit dommage, lorsqu’ il est établi que ce fait en est la cause directe. (Article 77 du
DOC). De même, « Chacun est responsable du dommage moral ou matériel qu’il a
causé, non seulement par son fait, mais par sa faute, lorsqu’il est établi que cette faute
en est la cause directe. (Article 78 du DOC.)

La mise en œuvre de cette exigence légale pose parfois problème. Plusieurs


événements peuvent en effet avoir concouru à la réalisation du dommage et toute la
difficulté consiste à déterminer celui ou ceux qui ont été la cause du dommage.

On peut soutenir que tous les événements ayant contribué à la réalisation du


dommage doivent être considérés en être la cause. C’est la théorie de l’équivalence
des conditions. Une personne quitte son domicile et est mortellement blessée alors
qu’elle se dirigeait vers son médecin avec lequel elle avait pris rendez-vous. Appliquer
la théorie de l’équivalence des conditions sans nuances conduirait à retenir la
responsabilité du médecin. Cela est naturellement excessif et inacceptable. C’est
pourquoi une seconde théorie dite de la causalité adéquate a proposé de ne considérer
comme ayant concouru à la réalisation du dommage que les événements ayant
directement participé à sa réalisation. Seuls les événements ayant joué un rôle
déterminant seront retenus. C’est à cette théorie que se rallie le DOC en exigeant
dans ses articles 77 et 78 « la cause directe ».

Malgré cela il est des situations ou le doute devient permis et les tribunaux décident
selon les circonstances propres à chaque espèce. Le suicide d’une personne
gravement blessée dans un accident a pu être imputé à l’auteur de cet accident (Crim.
4 janv 1971, D.1971, 164.). De même, les tribunaux ont considéré que l’auteur d’un
accident de circulation à la suite duquel une personne a été transfusée et contaminée
par le sida a pu être considéré responsable de cette contamination. (Civ 1ere,
fevr.1993, JCP, 1994, II, 22226, note Dorsner-Dolivet.)
TITRE 3
LES FAITS JURIDIQUES PROFITABLES :
LES QUASI-CONTRATS

Il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 1er du DOC, les quasi-contrats


constituent une source d’obligations.
Les trois quasi-contrats prévus par le DOC sont la gestion d’affaires, (Chap 1), le
paiement de l’indu (Chap 2) et l’enrichissement sans cause (Chap 3).

CHAPITRE 1
LA GESTION D’AFFAIRES

Selon l’article 943 du DOC, lorsque, sans y être autorisé par le maître ou par le juge,
on gère volontairement ou par nécessité les affaires d’autrui, en son absence ou à son
insu, il se constitue un rapport de droit, analogue au mandat.

Le quasi-contrat est analogue au mandat mais il n’est pas un mandat car le mandat
est une convention qui suppose que le mandant accepte et consente à l’intervention
du mandataire. Dans la gestion d’affaires, le maître n’a pas chargé une personne de
gérer ses affaires. Il y a ainsi « gestion d’affaires et non mandat lorsqu’un gérant de
ferme donne à bail cette ferme après le décès du propriétaire et alors que le domaine
est sans direction utile par suite de la situation litigieuse et de l’éloignement des
héritiers. »(Trib.1ère Inst. Rabat, 23-11-1927, GTM, 1928, n°305, p.61).

SECTION 1 : LES CONDITIONS DE LA GESTION D’AFFAIRES

Le géré ne doit pas avoir donné son accord sinon on serait en présence d’un mandat.
Lorsque le maître ratifie expressément ou tacitement, les droits et les obligations des
parties entre elles sont en effet en vertu du DOC régis par les règles du mandat,
depuis l’origine de l’affaire. (Article 958)

La gestion doit avoir été réalisée et entreprise nous dit le DOC « en l’absence ou à
l’insu du maître ». Le gérant est par hypothèse non autorisé. En outre, le maître ne
doit pas s’être opposé à la gestion et à l’immixtion du gérant d’affaires.

Le gérant d’affaires qui s’est immiscé dans les affaires d’autrui contrairement à la
volonté connue ou présumée du maître, ou qui a entrepris des opérations contraires
à sa volonté présumée, est tenu de tous les dommages résultant de sa gestion, même
si on ne peut lui imputer aucune faute. (Article 947)
Néanmoins, la volonté contraire du maître ne saurait être invoquée lorsque le gérant
d’affaires a dû pourvoir d’urgence:
1°A une obligation du maître provenant de la loi dont l’intérêt public exigeait
l’accomplissement ;
2°A une obligation légale d’aliments, à des dépenses funéraires ou à d’autres
obligations de même nature. (Article 948)
Il est admis que la gestion d’affaires peut concerner des actes juridiques, des actes
d’administration et des actes matériels.

La gestion doit être opportune et utile. Elle doit l’avoir été, nous dit le DOC, dans
l’intérêt du maître et d’une manière utile (Article 949). Il n’est pas nécessaire qu’il y
ait urgence. Cette dernière n’intervient que pour écarter la volonté contraire
présumée du maître. (article 948). L’opportunité et l’utilité de la gestion, qui doit
s’apprécier au moment où elle est entreprise, est laissée a l’appréciation du juge.

SECTION 2 : LES EFFETS DE LA GESTION D’AFFAIRES

La gestion d’affaires crée des obligations à la charge du gérant et du maître de l’affaire.

1- Le gérant est tenu de continuer la gestion qu’il a commencée, jusqu’à ce que le


maître soit en état de la continuer lui-même, si cette interruption de la gestion est de
nature à nuire au maître. (article 944)
Il doit apporter à sa gestion la diligence d’un bon père de famille, et se conformer à
la volonté connue ou présumée du maître de l’affaire.

Le gérant est tenu et répond également de toute faute même légère mais il n’est tenu
que de son dol et de sa faute lourde lorsque son immixtion a eu pour but de prévenir
un dommage imminent et notable qui menaçait le maître de l’affaire ou lorsqu’il n’a
fait que continuer, comme héritier, un mandat commencé par son auteur.

Au même titre que le mandataire, il est tenu de rendre compte de sa gestion. Il est
tenu des mêmes obligations que le mandataire quant, à la reddition de ses comptes
et à la restitution de tout ce qu’il a reçu par suite de sa gestion.
Il est soumis à toutes les autres obligations qui résulteraient d’un mandat exprès.
A l’égard des tiers, le gérant est tenu s’il a agi en son nom. S’il a agi au nom du maître
de l’affaire, il y a représentation et c’est ce dernier qui est engagé.

2- Le maître de l’affaire quant à lui doit décharger le gérant des suites de sa gestion
et l’indemniser de ses avances, dépenses et pertes.
Lorsque l’affaire est commune à plusieurs personnes, elles sont tenues envers le
gérant dans la proportion de leur part d’intérêt.
La loi confère au gérant un droit de rétention des choses appartenant au maître pour
le remboursement de ses créances.
CHAPITRE 2
LE PAIEMENT DE L’INDU

Un arrêt de la cour d’appel de Rabat résume parfaitement le paiement de l’indu. Il y


a paiement de l’indu lorsque le solvens a payé par erreur à l’accipiens, sans être le
débiteur de celui-ci, et toute intention de libéralité chez le solvens étant exclue.
L’accipiens s’est ainsi enrichi sans cause et le solvens a une action en répétition contre
celui-là. (CAR, 16-III-1940, RAC, T.X, p.428). Le paiement dont il s’agit désigne
l’exécution d’une obligation, quelque soit son objet, pas uniquement l’obligation de
payer une somme d’argent. Equivaut au payement, selon l’article 74 du DOC la
dation en payement, la constitution d’une sûreté, la délivrance d’une reconnaissance
de dette ou d’un autre titre ayant pour but de prouver l’existence ou la libération
d’une obligation.

SECTION 1 : LES CONDITIONS DE LA REPETITION DE L’INDU

Le DOC subordonne la répétition de l’indu à une erreur de droit ou de fait du


solvens. En effet, selon l’article 68 « Celui qui se croyant débiteur, par une erreur de
droit ou de fait a payé ce qu’il ne devait pas, a le droit de répétition contre celui auquel
il a payé. »Celui qui a payé n’était pas débiteur. S’il paie en connaissance de cause, il
ne peut prétendre à répétition.
II n’y a pas donc pas lieu à répétition, lorsqu’on a acquitté volontairement et en
connaissance de cause ce qu’on savait ne pas être tenu de payer. (Article 69). La
preuve de l’erreur est appréciée librement par les juges du fond. (CS, Civ.16-I-1962,
RACS, T1, p.291.)

SECTION 2 : LES EFFETS DE LA REPETITION DE L’INDU

Le principe est que le solvens dispose d’une action en répétition contre l’accipiens.
Le DOC exclut le droit à répétition dans le cas où l’accipiens a été payé par une autre
personne que son débiteur et « de bonne foi et en conséquence de ce payement, il a
détruit ou annulé le titre, s’est privé des garanties de sa créance, ou a laissé son action
se prescrire contre le véritable débiteur. Dans ce cas, celui qui a payé n’a recours que
contre le véritable débiteur. » Article 68 du DOC et, pour des applications, Trib. 1ere
Inst Casablanca, 22-XII-1930, GTM, 1931, n°437, p.60 et CAR, 16-III-1940, RAC,
T.X, p.428.

Il n’y a également pas lieu à répétition si le payement a été fait en exécution d’une
dette prescrite ou d’une obligation morale, lorsque celui qui a payé avait la capacité
d’aliéner à titre gratuit, encore qu’il eut cru par erreur qu’il était tenu de payer ou qu’il
ignorât le fait de la prescription (Article 73).
Aux termes de l’article 75 du DOC, l’accipiens de bonne foi doit restituer «
identiquement ce qu’il a reçu ». L’accipiens de mauvaise foi doit restituer en plus les
fruits accroissements et les bénéfices.
Dans le même esprit, celui qui a reçu de bonne foi a vendu la chose n’est tenu qu’à
restituer le prix de vente s’il était encore de bonne foi au moment de la vente.
CHAPITRE 3
L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

L’enrichissement sans cause trouve son fondement dans les articles 66 et 67 du DOC.
Celui qui a reçu ou se trouve posséder une chose ou autre valeur appartenant à autrui,
sans une cause qui justifie cet enrichissement, est tenu de la restituer à celui aux
dépens duquel il s’est enrichi. (Art 66)
Celui qui, de bonne foi, a retiré un profit du travail ou de la chose d’autrui, sans une
cause qui justifie ce profit, est tenu d’indemniser celui aux dépens duquel il s’est
enrichi dans la mesure où il a profité de son fait ou de sa chose. (Art 67)
Il s’agit là d’un principe général. En droit français, c’est la jurisprudence qui a reconnu
à l’appauvri une action contre l’enrichi (action de in rem verso).

Des articles 66 et 67 et de leurs applications jurisprudentielles, il est possible de


préciser les conditions et les effets de l’enrichissement sans cause.

SECTION 1 : LES CONDITIONS DE L’ENRICHISSEMENT SANS


CAUSE

L’exercice de l’action sur la base de l’article 66 du DOC suppose un enrichissement


et un appauvrissement corrélatif ainsi que l’absence d’une cause qui justifie
l’enrichissement.

1°) Un enrichissement et un appauvrissement corrélatif

L’enrichissement se manifeste par un accroissement de l’actif du patrimoine sans


contrepartie: encaissement d’une créance, récolte améliorée par des engrais…. Il peut
aussi s’agir de la réalisation d’une économie lorsqu’une personne profite d’un service
qu’elle n’a pas rémunéré. Tel est le cas par exemple d’une personne qui a requis
l’immatriculation d’un immeuble en son nom et au nom de ses copropriétaires et
qu’elle a, seule, acquitté les frais pour parvenir au titre foncier. Cette personne est dès
lors fondée à demander à tous ceux qui ont été appelés à bénéficier des avantages et
des garanties attachés à la délivrance du titre foncier, de participer à ces frais. (CAR,
28-III-1935, RAC, T.VIII, p.287.)

L’appauvrissement est l’envers de l’enrichissement. Cet appauvrissement peut se


traduire par une diminution du patrimoine ou un manque à gagner.

2°) Absence de cause de l’enrichissement

Celui, nous dit le DOC, qui a reçu ou se trouve posséder une chose ou autre valeur
appartenant à autrui, sans une cause qui justifie cet enrichissement, est tenu de la
restituer à celui aux dépens duquel il s’est enrichi. (Art 66). La cause est la raison, le
fondement juridique qui justifie l’enrichissement. Celui qui prétend que son
enrichissement est fondé sur une libéralité doit le prouver. (CS, Civ. 26-1-1977,
Arrêts de la Cour Suprême rendus en matière civile,1958-1996, Publication de la
Cour suprême, 1997, p.55).

L’exigence d’une cause justifiant l’enrichissement a conduit les tribunaux à considérer


que l’action de in rem verso n’est pas recevable lorsque le créancier se trouve
appauvri par le fait de la prescription. L’action ne pouvant « suppléer une voie de
droit devenue inopérante » (CAF, 16-XII-1963, RMD, 1964, p.238.) La prescription,
motif juridique, est une cause légitime d’enrichissement. L’enrichissement est causé
toutes les fois qu’il trouve sa justification dans un acte juridique passé entre l’enrichi
et l’appauvri. Un contractant qui agirait sur la base de l’article 66 pour
appauvrissement dû au paiement d’une clause pénale excessive se verrait opposer le
contrat comme cause de cet appauvrissement. Son action devrait être placée non sur
la base de l’article 66 du DOC mais sur celle de l’article 264 qui autorise le tribunal à
réduire le montant des dommages-intérêts convenu s’il est excessif ou augmenter sa
valeur s’il est minoré.

Des contractants avaient pu contester, sur la base de l’article 66 du DOC, des


décisions les ayant condamné à des astreintes jugées excessives. Les tribunaux n’ont
pas suivi. Le prétendu enrichissement du créancier victime de l’inexécution a pour
fondement l’obligation et la décision judiciaire inexécutées. (Farid EL BACHA,
L’astreinte en droit marocain, mémoire de DES, Rabat, 1984, p 60 .)
Il reste enfin à préciser que des actions en enrichissement sans cause avaient été
engagées par des victimes de l’immatriculation foncière. Les dispositions restrictives
de l’article 64 du dahir du 12 août 1913 sur l’immatriculation foncière ainsi que le
particularisme du régime des livres fonciers n’offraient aux intéressés que les seuls
recours prévus au dit article, à l’exclusion de toute autre voie de recours. Les
tribunaux ont cependant admis le droit, pour les parties lésées, d’exercer en outre,
l’action en dommages-intérêts basée sur l’article 66 du DOC compte tenu du fait que
cette action a un caractère général et non subsidiaire. Après quelques flottements dus
à l’influence de la jurisprudence française où l’action de in rem verso a un caractère
subsidiaire, les tribunaux marocains ont considéré que l’article 66 du DOC formulait
« un principe général de droit privé, susceptible de recevoir application même si des
moyens particuliers de droit s’offrent à l’intéressé » (CAR, 20-IV-1939, RAC, T.X,
p.145)

SECTION 2 : LES EFFETS DE L’ENRICHISSEMENT SANS CAUSE

Celui qui s’est enrichi indûment au préjudice d’autrui est tenu à une obligation légale
de restitution. (Art 75 du DOC). L’enrichi doit « restituer identiquement ce qu’il a
reçu ».
Pour apprécier l’enrichissement et l’appauvrissement corrélatif, les juges doivent se
placer au jour de la fixation de l’indemnité à moins que des circonstances
exceptionnelles ne les autorisent à fixer cette indemnité à la date des faits d’où
procède l’enrichissement. (Cass.Civ.25-VI-1956, GTM 1956, n°1198, p.127).

L’obligation de restitution peut se heurter à certaines contraintes. Ainsi en cas


d’enrichissement sans cause dû à une procédure d’immatriculation foncière, le
caractère définitif et inattaquable du titre foncier ne permet à l’appauvri d’exercer
qu’une action en indemnité.

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