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Présentation

Éléonore Reverzy
Dans Romantisme 2015/2 (n° 168), pages 5 à 14
Éditions Armand Colin
ISSN 0048-8593
ISBN 9782200929831
DOI 10.3917/rom.168.0005
© Armand Colin | Téléchargé le 03/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 31.10.154.28)

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Éléonore Reverzy

Présentation

Le piano que baise une main frêle


Luit dans le soir rose et gris vaguement,
Tandis qu’avec un très léger bruit d’aile
Un air bien vieux, bien faible et bien charmant
Rôde discret, épeuré quasiment,
Par le boudoir longtemps parfumé d’Elle.
VERLAINE, Romances sans paroles

DÉFINITIONS
Peut-on historiciser un terme qui semble de prime abord aussi flou que celui
d’intérieur ? Quelles sont d’ailleurs les diverses acceptions d’un mot qui ne prend
son sens actuel qu’à la fin du XVIIIe siècle ? Les définitions de dictionnaire associent
toujours l’adjectif intérieur et sa déclinaison lexicale (l’intérieur ou les intérieurs)
à la fois à la spatialité (« Qui est au dedans », déclare l’article du Grand Larousse
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universel du XIXe siècle) et à ce qui a trait à la nature morale de l’homme, à l’intériorité,
perçue donc d’emblée presque comme tautologie (est mon for intérieur ce qui est au
dedans de moi), sans négliger cependant la dimension politique (« Qui appartient
à l’État, à l’association, au corps et non aux choses qui sont hors de lui », selon le
même Dictionnaire). La particularité de l’usage artistique du terme et de la peinture
d’intérieurs semble inscrire un mouvement tautologique quasi comparable : « En
peinture, on appelle tableau d’intérieur ou simplement un intérieur la représentation
d’une scène plus ou moins animée qui se passe dans une chambre, un cabaret, un
atelier, une église, un édifice quelconque. » (ibid.). L’intérieur ou les intérieurs seraient
dès lors appréhendables avant tout par la catégorie spatiale : le dedans s’opposant au
dehors, non tant cependant comme le privé au public, dans la mesure où les espaces
intérieurs sont aussi des espaces publics, lieux de spectacles ou de plaisir, lieux de la
mondanité et de la mise en scène de soi, lieux de culte également, lorsque l’espace
moral, spatial seulement de manière métaphorique, lui, serait nettement localisé dans
la pensée ou l’âme du sujet. D’un côté donc un dedans fait de décor aristocratique et
de cérémonial qui ne correspondrait pas à ce que nous associons depuis plus de deux
siècles à la notion d’intérieur, de l’autre une définition morale et psychologique qui

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relèverait bien de la catégorie de l’intériorité sans être pour autant vraiment localisée –
mais que la spatialité permet d’isoler et de déterminer partiellement1 .
On s’aperçoit donc assez vite que la simple appréhension spatiale est insuffisante.
Il faut passer par l’étymologie latine et ce que suppose l’emploi d’un comparatif
(interior) par rapport à un superlatif (intimus), tous deux dérivés d’un adjectif inusité
fondé sur inter. La différence de degré entre le comparatif et le superlatif laisse en
effet supposer l’existence d’un espace plus clos, plus interne (l’intérieur) et d’un autre
espace qui en constituerait l’essence (et qui serait l’intime, la part la plus retirée de
l’intérieur en quelque sorte). Augustin a le premier pensé par métaphore l’intériorité
comme une vaste demeure dont certains lieux sont accessibles à notre attention, et
d’autres plus lointains. Dans les chapitres du Livre X des Confessions qu’il consacre à
la mémoire et à l’oubli, Augustin détermine spatialement tout ce qui entre dans la
mémoire, « en un lieu intérieur qui, d’ailleurs, n’est pas un lieu2 » en recourant à la
métaphore de la chambre.
La distinction entre comparatif et superlatif permet en tout cas de mieux apprécier
ce qui dans l’espace intérieur pourrait être davantage privé, sachant que cette
privatisation est toute relative dans le palais d’Ancien Régime : lieu fermé, il n’en est
pas moins un décor dans lequel la société se met en scène et se donne en spectacle.
L’absence de mobilier confirme d’ailleurs que le palais n’est pas le lieu d’un usage
privé, mais avant tout d’un usage social, dans lequel le decorum l’emporte sur la
commodité. C’est au moment où les lieux d’habitation se réduisent (en surface et en
élévation) que le « chez soi » s’impose, avec le maintien cependant de cloisons entre
espace semi-public (le salon, utilisé au XIXe siècle en de rares occasions familiales et
où les fauteuils dorment sous des housses) et espace intime (chambre ou boudoir, sans
parler des cabinets de toilette qui, dans la littérature réaliste, sont parfois cependant
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très exposés aux regards, voire deviennent des lieux de réception improvisés). Intimus
possède bien alors son sens superlatif : c’est la partie la plus intérieure du logement.

PETITE HISTOIRE DE L’INTÉRIEUR


Il faut également remonter à la naissance du mot intérieur dans son sens moderne.
La première occurrence signalée du mot dans l’acception d’« habitation dans laquelle
vit une personne » se trouve, semble-t-il, chez Mme de Genlis en 17793 . C’est peu
avant le mitan du XVIIIe siècle que s’établit la distribution des appartements, telle
qu’elle existe encore aujourd’hui : on cesse de recevoir dans sa chambre à coucher, on
a désormais un salon, une antichambre, des petites pièces consacrés à la réception des
intimes (boudoir) ou au travail (cabinet de travail). Vers 1750 naît la salle à manger
avec un mobilier ad hoc. Les chambres sont plus petites et mieux chauffées ; on les
orne de lambris peints, de panneaux décorés, et les meubles rappellent la décoration
de la pièce (dans des trumeaux, des dessus de cheminées ou de portes). On distingue
1. Voir à ce propos le livre de Jean-Louis Chrétien, L’Espace intérieur, Paris, Éd. de Minuit, 2010.
2. Augustin, Les Confessions, Paris, G.-F., 1964, p. 212.
3. Madame de Genlis, Théâtre d’éducation, III, 6.

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les fauteuils meublants, rangés le long des murs, des fauteuils cabriolets qu’on déplace
au gré du nombre de visiteurs4 . Une sociabilité réduite à un cercle restreint peut ainsi
s’établir, tout comme le retrait dans la chambre permet à l’individu d’accéder à un
espace intime, un « étui », « une sorte d’habitacle », un moule dans lequel inscrire son
« empreinte5 ».
La peinture du second XVIIIe siècle reflète en France comme à l’étranger, du moins
en Allemagne et en Angleterre, cette naissance de l’intime, de l’intérieur comme
lieu protecteur, à la fois ouvert sur le monde (topos de la fenêtre) et retiré. Les toiles
représentant un intérieur vide sont très rares au XVIIIe siècle6 , tant l’intérieur suppose
la présence de l’occupant, dans ce qui préfigure la fameuse relation métonymique
entre l’homme et son intérieur. Mais elles se multiplient au XIXe siècle, comme
en témoigne la riche collection d’aquarelles Cooper-Hewitt au National Design
Museum de New York, récemment présentée à Paris7 , à une époque, et ce n’est pas à
négliger, où le descriptif impose au récit sa loi. La sémiologie que mettent en place
ces représentations d’intérieur où le spectateur identifie tel objet appartenant au style
Empire, ou tel détail renvoyant à « un accident imprévu » (titre d’une toile de Louis
Darcis où le fer à repasser qui brûle indique la concentration d’une jeune femme
occupée à lire un billet8 ), ne cesse de s’enrichir et de s’approfondir, du fait de la
multiplication des choses : objets, mobilier, décoration.
De même que l’intérieur se remplit, de même les toiles d’intérieur, qui parfois
ouvrent l’espace de la maison sur une autre maison, se meublent : draperies, rideaux,
meubles, bibelots, toiles ornant les murs, en Allemagne sous l’influence du style
Biedermeier, en Angleterre à travers ces conversation pieces, ces tableaux de groupes
qui représentent un cercle d’intimes, amis ou membres d’une même famille, dans
une scène de la vie privée, loin du formalisme des relations officielles. Cette scène de
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genre, qui vient des Flandres et aussi, pour ses versions en extérieur (en particulier
dans un jardin), du modèle de la fête galante tel que Watteau l’a pratiqué, connaît
un immense succès dans l’Angleterre du XVIIIe siècle (l’exemple le plus abouti en
étant sans doute un certain nombre de gravures d’Hogarth qui se diffusèrent dans
toute l’Europe). Il s’agit toujours d’y mettre en scène la famille et l’intérieur en
tant que tels (les scènes d’allaitement, les représentations d’une intimité domestique
harmonieuse y foisonnent) et de donner à voir au spectateur la relation entre les
êtres, la sympathie, et d’approcher ce moment où la sociabilité instaure un espace
d’intériorité et d’échange, qui échappe aux conventions. Ces toiles sont parfois
d’ailleurs le fait d’artistes amateurs, qui peignent leurs proches. Comme dans le
drame bourgeois qui en est l’exact contemporain, cette peinture d’intérieur est une

4. Tout ce développement suit Mario Praz dans son Histoire de la décoration intérieure. Philosophie
de l’ameublement, Paris, Thames et Hudson, 2008 (1re éd. italienne : 1964).
5. Nous empruntons ces termes à Walter Benjamin dans « Louis-Philippe ou l’intérieur », Paris,
capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Passages », 2e éd. 1989, p. 41.
6. Mario Praz dans l’ouvrage précité reproduit une toile anonyme datée de 1776 et qui porte pour
titre : Chambre du Prince Max au Palais de Dresde (anc. Coll. Haberstock, Berlin) (ouvr. cité, p. 154-155).
7. Voir le catalogue de cette exposition : Intérieurs romantiques 1820-1890, Paris Musées, 2011.
8. Louis Darcis, L’Accident imprévu, 1789, gravée d’après Nicolas Lavreince (1801), Louvre,
Département des Arts graphiques.

Romantisme, n° 168

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mise en scène de la domus et en propose l’idéal reflet : la famille bourgeoise peut s’y
contempler, s’y admirer, en être émue9 (on songe aux toiles de Greuze parmi bien
d’autres), suscitant chez le contemplateur reconnaissance et identification.
La naissance de l’intérieur sous les auspices du modèle anglais tout d’abord,
celui du home, lui-même influencé par les intérieurs flamands, remonte donc au
XVIIIe siècle. L’Angleterre a préféré l’habitation individuelle, à la construction en
hauteur et l’immeuble collectif privilégiés sur le continent. Le cottage anglais renforce
l’intimité du maître de maison et de sa famille, en isolant la cellule familiale du contact
des étrangers (qu’ils soient visiteurs ou domestiques) et en spécialisant les pièces en
fonction de leur destination. La chambre du couple, véritable sanctuaire, est isolée
de celle des enfants, généralement placée au troisième étage, lorsque les domestiques
dorment dans les combles et sont en quelque sorte rendus invisibles par le réseau des
escaliers de service et des corridors qui leur est attribué – et ce, d’autant qu’ils exercent
dans des espaces réservés (cuisine et buanderie) situés à l’entresol. Cette organisation
bipartite se retrouvera dans celle de l’immeuble haussmannien (où les domestiques
auront leur escalier et seront logés dans des chambres sous les toits). On sait comment
les romans de la domesticité (Pot-Bouille (1882) de Zola, Le Journal d’une femme de
chambre (1901) de Mirbeau, Prostituée (1907) de Victor Margueritte...) joueront de
cette configuration et des contraintes (de gestes, de paroles) propres à chacun des
espaces (les domestiques chez Zola déversant des torrents d’injures sur leur maître
dans l’espace réservé de leur cuisine, comme Célestine confiera à son journal ses
commentaires sur M. Rabour ou Mme Lanlaire).

ÊTRE « CHEZ SOI »


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Habiter chez soi ou avoir un chez soi est la grande aspiration de ceux qui en
sont privés ou risquent constamment de l’être. Le manque d’un logis revient comme
une obsession dans la correspondance d’un Baudelaire qui vécut à une quarantaine
d’adresses différentes dans Paris : l’homme sans intérieur, l’homme contraint à vivre
en garni ou dans une pension bourgeoise (l’archétypale pension Vauquer dans Le Père
Goriot) et donc toujours chez les autres est contraint à un mode de vie nomade, sans
assiette stable. Le rêve qu’expriment maintes pièces du Spleen de Paris (et de manière
paradigmatique « La Chambre double ») est bien le rêve d’un intérieur qui offrirait
à la fois le comfortable et une décoration choisie, un décor pour soi10 . « Composer
ses églogues » dans une mansarde comme le met en scène « Paysage » qui ouvre la
section des « Tableaux parisiens » n’est pas simplement une ironie qui vise le genre
de l’églogue (qui ne serait pas inspirée par la vue de quelque locus amoenus rustique
mais par celle de l’atelier, des clochers et des cheminées de la ville) : elle cible le poète

9. Voir par exemple le Portrait de la famille de Bernard Boyer-Fonfrède (fin XVIIIe ), de Pierre Lacour
fils (musée des beaux-arts de Bordeaux), La Famille Gohin (1787) de Louis-Léopold Boilly (Musée des
Arts décoratifs).
10. La biographie de Baudelaire par Claude Pichois et Jean Ziegler montre ainsi un poète très soucieux
des toiles et des meubles qui doivent équiper le logement de l’Hôtel Pimodan. Voir la description de son
intérieur dans Baudelaire, Paris, Fayard, 2005, p. 229-230.

2015-2

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Présentation 9

lui-même et la posture du bohème dans sa mansarde. C’est bien plutôt en effet sur la
table des brasseries que le poète est contraint d’écrire.
Le désir d’un chez soi est aussi celui l’ouvrier, victime, comme le bohème, de
l’instabilité de sa condition sociale. « Avoir un trou propre pour dormir », tel est le
vœu le plus cher, dans L’Assommoir, de Gervaise Macquart qui finira dans la soupente
du père Bru sur un galetas, en vertu d’une autre forme d’ironie, tragique celle-ci.
On sait combien le logement populaire, comme la grande maison de la Goutte-d’or
inspirée par la première Habitation à Loyer Modéré imaginée par Napoléon III,
manque d’intimité et Zola n’a eu de cesse de dénoncer dans ses articles l’exposition
des enfants aux ordures des adultes11 . Certains intérieurs n’atteignent jamais le
degré d’intimité qu’ils semblaient promettre. C’est précisément en partie du fait
qu’ils n’offrent pas le degré de spécialisation requis : une seule pièce pour manger
et dormir, assorti d’un petit cabinet où l’on fait dormir les enfants, éventuellement
d’une chambre. Lors même que les patrons se mettent à construire, dans les cités
ouvrières et les corons, des logements plus spacieux et plus clairs, où la circulation de
l’air est favorisée, il n’en demeure pas moins que la famille, souvent nombreuse, s’y
entasse et que dorment ensemble filles et garçons. D’un côté la partition entre espace
diurne et espace nocturne n’existe pas, de l’autre lieu de la toilette et de la cuisine
sont communs. Dans la moyenne bourgeoisie qui accède à des appartements d’une
superficie plus importante, on s’entasse bien souvent durant la mauvaise saison dans
la seule pièce chauffée.
Et pourtant très tôt comme le montrent les inventaires après décès et actes notariaux
exploités par Annik Pardailhé-Galabrun, figurent dans les successions des images,
gravures ou tableaux, images pieuses ou portraits de famille peints par un amateur,
qui ornaient les logements dès le XVIIe siècle, témoignant d’un souci de l’ornement
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qui semble caractériser l’intérieur, toujours personnalisé12 . Cette appropriation de
l’espace se manifeste aussi dans l’usage des glaces qui entrent dans les foyers parisiens
au XVIIIe siècle, tandis que des objets destinés à servir de garniture de cheminée
(pots, vases, gobelets, tasses, en faïence pour la plupart) parent les foyers sans réelle
destination utilitaire. Ce souci décoratif s’accentue tout au long du siècle suivant, en
particulier du fait de nombreux progrès techniques dans les papiers-peints mais aussi
dans la fabrication d’objets décoratifs de série.

11. Voir en particulier des articles de Zola dans les années 1880, tel « Comment elles poussent » paru
dans Le Figaro du 21 février 1881 : « Beaucoup de logements n’ont qu’une chambre, un cabinet noir où
l’on couche les enfants, et un trou pour la cuisine. On mange, on dort, on fait tout dans la chambre. À
travers les murs et les planchers minces, à droite, à gauche, en haut, en bas, on sent le grouillement humain,
la fermentation de ces hommes et de ces femmes mis en tas. » (Texte repris dans Une campagne, Œuvres
complètes, éd. du Cercle du livre précieux, 1968, p. 525-526).
12. Voir Annik Pardailhé-Galabrun, La Naissance de l’intime. 3 000 foyers parisiens XVIIe -
XVIIIe siècles, Paris, PUF, coll. « Histoires », 1988, p. 376-397.

Romantisme, n° 168

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10 Éléonore Reverzy

COMFORT ET DÉCORATION
Le home est d’abord caractérisé par le comfort dont l’idéal se diffuse d’abord en
France au retour des émigrés, mais de façon très incomplète et irrégulière. On sait
à quel point, encore dans les années 1930, l’hygiène corporelle des Français était
considérée avec suspicion par les voyageurs britanniques, américains ou allemands.
Outre la caractérisation genrée des lieux, outre le chauffage, le comfort signifie en
effet aussi la présence d’espaces consacrés strictement à l’hygiène du corps et équipée
d’ustensiles propres à la toilette (tubs, baignoires, calorifères, glaces) à une époque
où les appartements parisiens n’étaient pas encore alimentés en eau courante – luxe
qui s’impose aux logements moyens dans les dernières décennies du siècle, mais pas
encore aux logis populaires. Les dispositifs de chauffage (cheminées, calorifères) ne
deviennent vraiment fréquents qu’à compter du Second Empire13 , et l’adduction et
l’évacuation de l’eau dépendent de la classe sociale des occupants14 . Indépendamment
des commodités de la vie, l’intérieur dans les pays européens du nord était bien
plus riche que celui des pays du sud. Les voyageurs britanniques ou allemands qui
se rendent en Italie, parfois pour s’y installer, restent stupéfaits de la pauvreté du
mobilier (absence de bibliothèque, de fauteuil, de tout ce qui peut permettre de
demeurer chez soi, de s’y installer). Ce sont là des modèles de société qui s’opposent et
ont bien évidemment une origine dans la religion dominante : le protestantisme dont
le desservant a lui-même famille et intérieur, n’est-il pas une religion de l’intérieur et
de l’intériorité, bien plus que le catholicisme qui d’ailleurs fait de la haine du corps
et de l’abandon des biens terrestres des éléments déterminants des pratiques et des
représentations religieuses ?
On connaît la distinction établie par Norbert Élias entre le corps clos du bourgeois
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et le corps libre de l’homme du peuple. Précisément le premier possède un espace
suffisamment grand pour être distribué selon ses différentes fonctions (la préparation
des aliments, le sommeil, la toilette...) et pour introduire des sas entre les degrés
d’exposition de son corps au regard d’autrui, ce qui est de fait interdit au second
(c’est la Maheude qui assiste Maheu dans son bain quotidien qui a lieu dans la grande
pièce du rez-de-chaussée où l’on fait la cuisine et où l’on mange, où s’endort le
dernier né). Mais la spécialisation des pièces n’est pas seulement fonctionnelle : elle
est aussi sociale d’une part, genrée d’autre part. Le développement des manufactures
de papiers-peints15 témoigne ainsi et de la variété des motifs employés et de leur
destination dans la demeure bourgeoise. Ainsi, le motif à fleurs sera préféré pour une
pièce féminine, une chambre ou un boudoir, lorsqu’une évocation architecturale, ou
l’imitation d’une boiserie ornera les murs d’une entrée, ou d’une pièce masculine
comme le fumoir. Les papiers-peints qui orneront les intérieurs populaires seront,
13. En ce qui concerne les cheminées, les poêles et le calorifère, voir François Loyer dans Paris
XIXe siècle. L’immeuble et la rue, Paris, Hazan, 1987, p. 182-186.
14. Ibid., p. 187-188.
15. Nous suivons ici la présentation du catalogue d’exposition consacré aux papiers-peints de la
collection Fornay où sont développés en particulier les progrès majeurs réalisés sous la monarchie de Juillet
et le Second Empire dans l’impression des papiers-peints (Le Bon motif. Papiers peints et tissus. Les trésors
de la Bibliothèque Fornay, Paris Musées, 2004, p. 61).

2015-2

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Présentation 11

eux, plus simples, monochromes sur fond neutre, avec un motif floral sans prétention,
et choisis avant tout pour leur caractère peu salissant.
Les progrès techniques remarquables obtenus dans les impressions de papiers-
peints, à la fois dans la manufacture Zuber à Rixheim près de Mulhouse, puis dans
les combinaisons de couleurs et l’usage du gaufrage aux fins de produire des effets de
relief16 , témoignent d’un culte de l’illusion du luxe qui complète l’idéal de comfort qui
anime le bourgeois. Soucieux de paraître, comme les aristocrates du siècle précédent
dont il récupère souvent les styles de prédilection (rocaille ou Louis XV, à moins qu’il
ne préfère la sévérité du décor grec), il veut aussi être douillettement installé chez lui.
Cette ostentation d’un luxe faux et à moindre coût cédera la place, avec l’Art nouveau,
à des recherches esthétiques plus complètes et une spécialisation d’ailleurs accrue des
pièces (la chambre d’enfants se verra ainsi attribuée des papiers-peints spécifiques,
sous forme de frises notamment). La naissance de maisons de décoration, telle cette
maison Charles Manguin, installée 91 avenue de Saint-Mandé à Paris17 , est au tout
début du XXe siècle l’indice assez net de cet investissement esthétique sur l’intérieur,
qui préfigure le mouvement du design.
Ce cocon, cet « étui », voire, dans le cas de la maison d’artiste, cette réalisation
d’une maison-musée, dont l’habitant peut en effet convier le journaliste à le visiter18 ,
ou une maison-collection, telle la thébaïde de des Esseintes dans À rebours, peut
devenir un espace semi-privé et semi-public. Comme l’écrit le critique d’art Gustave
Goetschy dans La Revue illustrée en 1887 : « Et ce qui ne saurait manquer de donner
du piquant à cette collection et d’ajouter à sa curiosité, c’est que dans tous ces
ateliers vous aurez [...], avec l’image du logis, celle du propriétaire, et que vous
pourrez ainsi, les pieds dans vos pantoufles et sans sortir de votre chez-vous, aller
surprendre l’artiste, à votre heure et à votre jour, dans l’intimité de son chez-soi19 . ».
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L’artiste y est donc exposé et disponible dans son chez soi que de chez lui le lecteur
bourgeois peut contempler, comme un effet de miroir rassurant : l’artiste n’est plus

16. C’est en 1826 l’invention d’une technique d’impression en taille-douce donnant aux formes un
relief nouveau. En 1842 la manufacture Leroy met au point une impression mécanique qui utilise des
cylindres gravés en relief dont la combinaison peut imprimer vingt-six couleurs en un seul passage. Le
relief et l’impression de volume seront encore accentués par le brevet déposé par Paul Balin en 1866 pour
obtenir un aspect gaufré.
17. Son prospectus publicitaire indique : « Donnez-moi des murs nus et quels que soient vos désirs :
rappel des grâces délicates du XVIIIe siècle ou choix d’un ensemble très moderne ou bien d’un modernisme
sobre et calme, je vous rendrai des pièces décorées » (cité dans le catalogue d’exposition Le Bon motif,
ouvr. cité, p. 180).
18. Cette ouverture de la maison de l’artiste est déjà présente dans le premier XIXe siècle : des articles
recensent ainsi la couleur de la chambre d’Eugène Sue dans les années 1840 (voir Alfred Nettement qui
s’indigne du cabinet bleuâtre d’Eugène Sue dans ses Études critiques sur le feuilleton-roman, Paris, Pérodil,
1845, t. I, p. 123-124). Le mouvement s’accentue bien sûr avec le développement de la culture de masse et
la naissance de l’interview. Sur l’interview d’écrivain, voir la présentation de Jean-Marie Seillan à Joris-Karl
Huysmans, Interviews (Paris, Honoré Champion, coll. « Textes de littérature moderne et contemporaine »,
2002) et de Martine Lavaud et Marie-Ève Thérenty, L’Interview d’écrivain, Lieux littéraires/La Revue,
9-10, 2004.
19. Gustave Goetschy, « Nos artistes chez eux », cité par Rachel Esner dans Hiding Making – Showing
Creation. The Studio from Turner to Tacita Dean, Amsterdam University Press, 2013, p. 141. Je remercie
Pierre Wat de m’avoir signalé cette référence.

Romantisme, n° 168

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12 Éléonore Reverzy

un affreux blagueur ou un romantique paradoxal, il est, comme l’écrit Pierre Wat,


« domestiqué20 ».
Cependant la maison de l’écrivain est aussi son œuvre et allégoriquement comme
une figuration de l’écrivain et de son travail de créateur. Les photographies de Zola
à Médan dans son cabinet de travail n’exposent pas seulement un bourgeois de la
fin du siècle avec ses goûts éclectiques dont on peut sourire, elles donnent à voir
l’homme-livres, l’homme qui poursuit inlassablement la rédaction d’un monceau
de livres (« comme une montagne », dit le Sandoz de L’Œuvre). Sans doute sont-ce
là des scénographies très calculées. Pourtant il s’agit aussi de montrer le laboratoire
de l’œuvre et la forme qui enveloppe le corps de l’écrivain – et qui le reflète et
l’accompagne. En haine de l’haussmannisation et de la reproductibilité des objets,
Edmond de Goncourt élabore ainsi dans sa maison d’Auteuil et dans le livre qu’il lui
consacre en 1881 une « citadelle de la réaction aristocratique21 », où introduire son
visiteur a certes une signification esthétique mais est aussi un geste politique. Tous les
objets y sont uniques, pièces faites à la main et ciselées, comme on ne contemple sur
les murs que des gravures et dessins de goût, le tout constituant un discours contre la
société industrielle contemporaine.

L’INTRUS
L’intérieur n’existe-t-il pas aussi toujours contre l’extérieur, comme un asile certes,
mais un asile menacé ? La réflexion des penseurs anticléricaux, Michelet22 en tête,
ne consiste-t-elle pas toujours à peindre un intérieur fissuré, où « l’homme noir »
s’introduit, ce Jésuite qui après avoir pris la femme à son mari s’empare des enfants
dont il entend assurer l’éducation ? Dès que le prêtre a en effet gagné l’épouse, c’est
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tout l’intérieur qui s’effondre. Ce scénario catastrophiste ne hante pas seulement
Michelet mais se retrouve dans toutes les fictions anticléricales du second siècle23 .
Il place un troisième homme, amant spirituel, dans le lit conjugal qui y trouve
d’autant plus facilement sa place que l’épouse fut jeune fille et connut déjà, à titre de
première imprégnation, la main de l’homme d’Église. La théorie de l’imprégnation,
physiologique ou spirituelle, obsède ces penseurs conjugalistes : l’intérieur serait déjà
habité par l’autre, qui marquerait à jamais la descendance. Dans le corps de la femme
serait tapi un alien dont les traits et la personnalité se transféreront sur les enfants
du couple. Un roman comme Madeleine Férat, roman de Zola paru en 1868, est
entièrement construit sur cet étranger qui habite déjà le corps de l’héroïne au prénom
de pécheresse. Le prêtre peut laisser la place à l’amant et l’adultère se dérouler à

20. Voir, sous la direction de Pierre Wat, Portraits d’ateliers. Un album de photographies fin de siècle,
Grenoble, Ellug, INAH, MSH Alpes, 2013.
21. Selon l’expression de Deborah L. Silverman dans L’Art nouveau en France. Politique, psychologie
et style fin de siècle, Paris Flammarion, 1994 (1989 pour l’éd. américaine).
22. D’abord, en collaboration avec Quinet, dans Des Jésuites (1843) puis dans Du prêtre, de la femme,
de la famille (1845).
23. Voir à titre d’exemple La Conquête de Plassans (1874) de Zola.

2015-2

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Présentation 13

domicile (Thérèse Raquin et ses intérieurs clos dans ce passage du Pont-neuf où se


prépare un crime qui se réalisera ailleurs).
Cette vision catastrophiste de l’intérieur brisé, ou habité par l’autre, connaît un plus
important déploiement en peinture où la scène d’intérieur inspire au contemplateur
le malaise ou une angoisse sourde. L’impressionnant Intérieur de Degas, toile de
1868 également appelée Le Viol, présente ainsi l’ironique envers des représentations
de l’intérieur bourgeois : le tableau est d’autant plus brutal, qu’à la lumière d’une
lampe de chevet, le spectateur y découvre une chambre de jeune fille au papier-peint
floral. Le tableau passe justement pour avoir été inspiré par le récent Thérèse Raquin
paru en 1867. L’intérieur n’existerait en somme que pour être dramatisé et le plus
comfortable recèle bien souvent – dans certaines toiles de Valloton en particulier24
– le dol, la menace, sans qu’on en saisisse précisément les formes, ou le crime. Des
effets de cadrage, la porte entrouverte, tel objet posé comme négligemment, autant
de procédés dont se souviendront les réalisateurs de films à suspense pour placer
le spectateur dans la position de témoin d’une scène dont il pressent le caractère
terrifiant.
Lorsque l’aquarelle romantique représente des intérieurs vides mais où la présence
de l’occupant est manifestée partout, dans le choix de la décoration comme dans
d’innombrables détails choisis, les vues d’intérieur, dès lors qu’elles intègrent un
ou plusieurs personnages, introduisent l’événement et dramatisent, en vertu d’une
théâtralisation qu’implique l’intérieur en tant que lieu clos et partiellement socialisé.
La manière dont le théâtre du XIXe siècle représente ainsi l’appartement bourgeois
est toujours éminemment signifiante : que l’intrus y devienne celui qui ridiculise
le mari cocu ne modifie pas de fait ce schéma de l’intrusion, qui veut qu’un
intérieur domestique ne puisse échapper à la pression de l’extérieur et qu’espace de
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repli, il soit toujours et, comme par essence et nécessité dramatique simultanément,
menacé. Une pièce comme Une maison de poupée d’Ibsen en 1879 présente une
intéressante variation de ce schéma : la protagoniste, femme d’intérieur exemplaire,
quitte le domicile familial dans une crise d’adolescence tardive, désertant ainsi le foyer
irrespirable où elle était contrainte de demeurer le « petit écureuil » ou la « petite
alouette » de son mari Helmer.
L’intrus n’est-il pas cependant le spectateur, ou celui qui, de l’extérieur, examine
les mœurs des occupants ? Le paradigme d’Asmodée (qui n’entre pas par les fenêtres
mais soulève les toits dans Le Diable boîteux de Lesage) informe toute la littérature
réaliste. Le romancier balzacien montre les drames secrets et dévoile les crimes cachés
derrière les façades ou dans ces intérieurs aristocratiques ou bourgeois. On en verrait
volontiers un équivalent visuel dans les coupes de l’immeuble parisien qui donnent
à voir étage par étage l’intérieur de ses habitants25 et offrent au spectateur l’illusion

24. Ainsi « Intérieur avec femme en rouge » (1903) ou, plus étonnant, « Haut-de-Forme, intérieur »,
du même, toile datée de 1887.
25. Voir à ce propos Sharon Marcus, « Transparence de l’appartement parisien entre 1820 et 1848 »,
dans La Modernité avant Haussmann. Formes de l’espace urbain à paris 1801-1853, Karen Bowie éd.,
Éditions Recherches, 2007, p. 396-402.

Romantisme, n° 168

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14 Éléonore Reverzy

que tout le corps social est bien rangé à sa place. Balzac paraît tout à la fois conforter
semblable représentation qui correspond à un classement et à une mise en ordre en
même temps qu’à une personnalisation de la relation entre l’homme et sa coquille,
et la subvertir dans la représentation d’intérieurs envahis par le bric-à-brac ou le
désordre, et donc par le social, l’extérieur. L’intérieur ne pourrait donc exister que
temporairement, ou comme une construction rêvée, un projet toujours à réaliser,
devant toujours advenir. Des Esseintes parvient-il jamais à achever sa thébaïde ?
Comme un ensemble qui reste pourtant toujours à compléter et à reprendre,
l’intérieur constitue une figuration de l’œuvre, soumis à la possible valorisation du
bibelot contre la pièce où il prend place26 . La pause descriptive dans la narration
ou l’effacement du grand poème épique au profit des pièces brèves sont autant
de manifestations de cette complexe relation de la partie au tout. La crise du
lyrisme, l’éclatement d’un sujet en diverses instances poétiques, le poème en prose
accompagnent ces représentations d’un intérieur menacé ou violé. L’intérieur, à
peine né, risque déjà l’émiettement, comme le processus d’individuation initié par le
romantisme lui-même ou le désir totalisateur du romancier balzacien sont sujets à
décomposition, fissure. Freud définira entre 1915 et 1917 un nouveau paradigme,
la psychanalyse, et le fondera sur le postulat que le moi « n’est seulement pas maître
dans sa propre maison27 ».

(CERIEL, Université de Strasbourg)


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26. Voir à ce propos les analyses de Dominique Pety dans Poétique de la collection au XIXe siècle.
Du document de l’historien au bibelot de l’esthète, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 2010,
p. 143-144, et l’ensemble du chapitre.
27. Freud, Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, « Petite bibliothèque Payot », 1970, p. 266.

2015-2

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