Professional Documents
Culture Documents
Rom 168 0005
Rom 168 0005
Éléonore Reverzy
Dans Romantisme 2015/2 (n° 168), pages 5 à 14
Éditions Armand Colin
ISSN 0048-8593
ISBN 9782200929831
DOI 10.3917/rom.168.0005
© Armand Colin | Téléchargé le 03/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 31.10.154.28)
Éléonore Reverzy
Présentation
DÉFINITIONS
Peut-on historiciser un terme qui semble de prime abord aussi flou que celui
d’intérieur ? Quelles sont d’ailleurs les diverses acceptions d’un mot qui ne prend
son sens actuel qu’à la fin du XVIIIe siècle ? Les définitions de dictionnaire associent
toujours l’adjectif intérieur et sa déclinaison lexicale (l’intérieur ou les intérieurs)
à la fois à la spatialité (« Qui est au dedans », déclare l’article du Grand Larousse
© Armand Colin | Téléchargé le 03/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 31.10.154.28)
✐ ✐
✐ ✐
✐ ✐
“Romantisme_2-2015” (Col. : RevueRomantisme) — 2015/5/11 — 22:17 — page 6 — #4
✐ ✐
6 Éléonore Reverzy
relèverait bien de la catégorie de l’intériorité sans être pour autant vraiment localisée –
mais que la spatialité permet d’isoler et de déterminer partiellement1 .
On s’aperçoit donc assez vite que la simple appréhension spatiale est insuffisante.
Il faut passer par l’étymologie latine et ce que suppose l’emploi d’un comparatif
(interior) par rapport à un superlatif (intimus), tous deux dérivés d’un adjectif inusité
fondé sur inter. La différence de degré entre le comparatif et le superlatif laisse en
effet supposer l’existence d’un espace plus clos, plus interne (l’intérieur) et d’un autre
espace qui en constituerait l’essence (et qui serait l’intime, la part la plus retirée de
l’intérieur en quelque sorte). Augustin a le premier pensé par métaphore l’intériorité
comme une vaste demeure dont certains lieux sont accessibles à notre attention, et
d’autres plus lointains. Dans les chapitres du Livre X des Confessions qu’il consacre à
la mémoire et à l’oubli, Augustin détermine spatialement tout ce qui entre dans la
mémoire, « en un lieu intérieur qui, d’ailleurs, n’est pas un lieu2 » en recourant à la
métaphore de la chambre.
La distinction entre comparatif et superlatif permet en tout cas de mieux apprécier
ce qui dans l’espace intérieur pourrait être davantage privé, sachant que cette
privatisation est toute relative dans le palais d’Ancien Régime : lieu fermé, il n’en est
pas moins un décor dans lequel la société se met en scène et se donne en spectacle.
L’absence de mobilier confirme d’ailleurs que le palais n’est pas le lieu d’un usage
privé, mais avant tout d’un usage social, dans lequel le decorum l’emporte sur la
commodité. C’est au moment où les lieux d’habitation se réduisent (en surface et en
élévation) que le « chez soi » s’impose, avec le maintien cependant de cloisons entre
espace semi-public (le salon, utilisé au XIXe siècle en de rares occasions familiales et
où les fauteuils dorment sous des housses) et espace intime (chambre ou boudoir, sans
parler des cabinets de toilette qui, dans la littérature réaliste, sont parfois cependant
© Armand Colin | Téléchargé le 03/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 31.10.154.28)
2015-2
✐ ✐
✐ ✐
✐ ✐
“Romantisme_2-2015” (Col. : RevueRomantisme) — 2015/5/11 — 22:17 — page 7 — #5
✐ ✐
Présentation 7
les fauteuils meublants, rangés le long des murs, des fauteuils cabriolets qu’on déplace
au gré du nombre de visiteurs4 . Une sociabilité réduite à un cercle restreint peut ainsi
s’établir, tout comme le retrait dans la chambre permet à l’individu d’accéder à un
espace intime, un « étui », « une sorte d’habitacle », un moule dans lequel inscrire son
« empreinte5 ».
La peinture du second XVIIIe siècle reflète en France comme à l’étranger, du moins
en Allemagne et en Angleterre, cette naissance de l’intime, de l’intérieur comme
lieu protecteur, à la fois ouvert sur le monde (topos de la fenêtre) et retiré. Les toiles
représentant un intérieur vide sont très rares au XVIIIe siècle6 , tant l’intérieur suppose
la présence de l’occupant, dans ce qui préfigure la fameuse relation métonymique
entre l’homme et son intérieur. Mais elles se multiplient au XIXe siècle, comme
en témoigne la riche collection d’aquarelles Cooper-Hewitt au National Design
Museum de New York, récemment présentée à Paris7 , à une époque, et ce n’est pas à
négliger, où le descriptif impose au récit sa loi. La sémiologie que mettent en place
ces représentations d’intérieur où le spectateur identifie tel objet appartenant au style
Empire, ou tel détail renvoyant à « un accident imprévu » (titre d’une toile de Louis
Darcis où le fer à repasser qui brûle indique la concentration d’une jeune femme
occupée à lire un billet8 ), ne cesse de s’enrichir et de s’approfondir, du fait de la
multiplication des choses : objets, mobilier, décoration.
De même que l’intérieur se remplit, de même les toiles d’intérieur, qui parfois
ouvrent l’espace de la maison sur une autre maison, se meublent : draperies, rideaux,
meubles, bibelots, toiles ornant les murs, en Allemagne sous l’influence du style
Biedermeier, en Angleterre à travers ces conversation pieces, ces tableaux de groupes
qui représentent un cercle d’intimes, amis ou membres d’une même famille, dans
une scène de la vie privée, loin du formalisme des relations officielles. Cette scène de
© Armand Colin | Téléchargé le 03/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 31.10.154.28)
4. Tout ce développement suit Mario Praz dans son Histoire de la décoration intérieure. Philosophie
de l’ameublement, Paris, Thames et Hudson, 2008 (1re éd. italienne : 1964).
5. Nous empruntons ces termes à Walter Benjamin dans « Louis-Philippe ou l’intérieur », Paris,
capitale du XIXe siècle. Le livre des passages, Paris, Éd. du Cerf, coll. « Passages », 2e éd. 1989, p. 41.
6. Mario Praz dans l’ouvrage précité reproduit une toile anonyme datée de 1776 et qui porte pour
titre : Chambre du Prince Max au Palais de Dresde (anc. Coll. Haberstock, Berlin) (ouvr. cité, p. 154-155).
7. Voir le catalogue de cette exposition : Intérieurs romantiques 1820-1890, Paris Musées, 2011.
8. Louis Darcis, L’Accident imprévu, 1789, gravée d’après Nicolas Lavreince (1801), Louvre,
Département des Arts graphiques.
Romantisme, n° 168
✐ ✐
✐ ✐
✐ ✐
“Romantisme_2-2015” (Col. : RevueRomantisme) — 2015/5/11 — 22:17 — page 8 — #6
✐ ✐
8 Éléonore Reverzy
mise en scène de la domus et en propose l’idéal reflet : la famille bourgeoise peut s’y
contempler, s’y admirer, en être émue9 (on songe aux toiles de Greuze parmi bien
d’autres), suscitant chez le contemplateur reconnaissance et identification.
La naissance de l’intérieur sous les auspices du modèle anglais tout d’abord,
celui du home, lui-même influencé par les intérieurs flamands, remonte donc au
XVIIIe siècle. L’Angleterre a préféré l’habitation individuelle, à la construction en
hauteur et l’immeuble collectif privilégiés sur le continent. Le cottage anglais renforce
l’intimité du maître de maison et de sa famille, en isolant la cellule familiale du contact
des étrangers (qu’ils soient visiteurs ou domestiques) et en spécialisant les pièces en
fonction de leur destination. La chambre du couple, véritable sanctuaire, est isolée
de celle des enfants, généralement placée au troisième étage, lorsque les domestiques
dorment dans les combles et sont en quelque sorte rendus invisibles par le réseau des
escaliers de service et des corridors qui leur est attribué – et ce, d’autant qu’ils exercent
dans des espaces réservés (cuisine et buanderie) situés à l’entresol. Cette organisation
bipartite se retrouvera dans celle de l’immeuble haussmannien (où les domestiques
auront leur escalier et seront logés dans des chambres sous les toits). On sait comment
les romans de la domesticité (Pot-Bouille (1882) de Zola, Le Journal d’une femme de
chambre (1901) de Mirbeau, Prostituée (1907) de Victor Margueritte...) joueront de
cette configuration et des contraintes (de gestes, de paroles) propres à chacun des
espaces (les domestiques chez Zola déversant des torrents d’injures sur leur maître
dans l’espace réservé de leur cuisine, comme Célestine confiera à son journal ses
commentaires sur M. Rabour ou Mme Lanlaire).
9. Voir par exemple le Portrait de la famille de Bernard Boyer-Fonfrède (fin XVIIIe ), de Pierre Lacour
fils (musée des beaux-arts de Bordeaux), La Famille Gohin (1787) de Louis-Léopold Boilly (Musée des
Arts décoratifs).
10. La biographie de Baudelaire par Claude Pichois et Jean Ziegler montre ainsi un poète très soucieux
des toiles et des meubles qui doivent équiper le logement de l’Hôtel Pimodan. Voir la description de son
intérieur dans Baudelaire, Paris, Fayard, 2005, p. 229-230.
2015-2
✐ ✐
✐ ✐
✐ ✐
“Romantisme_2-2015” (Col. : RevueRomantisme) — 2015/5/11 — 22:17 — page 9 — #7
✐ ✐
Présentation 9
lui-même et la posture du bohème dans sa mansarde. C’est bien plutôt en effet sur la
table des brasseries que le poète est contraint d’écrire.
Le désir d’un chez soi est aussi celui l’ouvrier, victime, comme le bohème, de
l’instabilité de sa condition sociale. « Avoir un trou propre pour dormir », tel est le
vœu le plus cher, dans L’Assommoir, de Gervaise Macquart qui finira dans la soupente
du père Bru sur un galetas, en vertu d’une autre forme d’ironie, tragique celle-ci.
On sait combien le logement populaire, comme la grande maison de la Goutte-d’or
inspirée par la première Habitation à Loyer Modéré imaginée par Napoléon III,
manque d’intimité et Zola n’a eu de cesse de dénoncer dans ses articles l’exposition
des enfants aux ordures des adultes11 . Certains intérieurs n’atteignent jamais le
degré d’intimité qu’ils semblaient promettre. C’est précisément en partie du fait
qu’ils n’offrent pas le degré de spécialisation requis : une seule pièce pour manger
et dormir, assorti d’un petit cabinet où l’on fait dormir les enfants, éventuellement
d’une chambre. Lors même que les patrons se mettent à construire, dans les cités
ouvrières et les corons, des logements plus spacieux et plus clairs, où la circulation de
l’air est favorisée, il n’en demeure pas moins que la famille, souvent nombreuse, s’y
entasse et que dorment ensemble filles et garçons. D’un côté la partition entre espace
diurne et espace nocturne n’existe pas, de l’autre lieu de la toilette et de la cuisine
sont communs. Dans la moyenne bourgeoisie qui accède à des appartements d’une
superficie plus importante, on s’entasse bien souvent durant la mauvaise saison dans
la seule pièce chauffée.
Et pourtant très tôt comme le montrent les inventaires après décès et actes notariaux
exploités par Annik Pardailhé-Galabrun, figurent dans les successions des images,
gravures ou tableaux, images pieuses ou portraits de famille peints par un amateur,
qui ornaient les logements dès le XVIIe siècle, témoignant d’un souci de l’ornement
© Armand Colin | Téléchargé le 03/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 31.10.154.28)
11. Voir en particulier des articles de Zola dans les années 1880, tel « Comment elles poussent » paru
dans Le Figaro du 21 février 1881 : « Beaucoup de logements n’ont qu’une chambre, un cabinet noir où
l’on couche les enfants, et un trou pour la cuisine. On mange, on dort, on fait tout dans la chambre. À
travers les murs et les planchers minces, à droite, à gauche, en haut, en bas, on sent le grouillement humain,
la fermentation de ces hommes et de ces femmes mis en tas. » (Texte repris dans Une campagne, Œuvres
complètes, éd. du Cercle du livre précieux, 1968, p. 525-526).
12. Voir Annik Pardailhé-Galabrun, La Naissance de l’intime. 3 000 foyers parisiens XVIIe -
XVIIIe siècles, Paris, PUF, coll. « Histoires », 1988, p. 376-397.
Romantisme, n° 168
✐ ✐
✐ ✐
✐ ✐
“Romantisme_2-2015” (Col. : RevueRomantisme) — 2015/5/11 — 22:17 — page 10 — #8
✐ ✐
10 Éléonore Reverzy
COMFORT ET DÉCORATION
Le home est d’abord caractérisé par le comfort dont l’idéal se diffuse d’abord en
France au retour des émigrés, mais de façon très incomplète et irrégulière. On sait
à quel point, encore dans les années 1930, l’hygiène corporelle des Français était
considérée avec suspicion par les voyageurs britanniques, américains ou allemands.
Outre la caractérisation genrée des lieux, outre le chauffage, le comfort signifie en
effet aussi la présence d’espaces consacrés strictement à l’hygiène du corps et équipée
d’ustensiles propres à la toilette (tubs, baignoires, calorifères, glaces) à une époque
où les appartements parisiens n’étaient pas encore alimentés en eau courante – luxe
qui s’impose aux logements moyens dans les dernières décennies du siècle, mais pas
encore aux logis populaires. Les dispositifs de chauffage (cheminées, calorifères) ne
deviennent vraiment fréquents qu’à compter du Second Empire13 , et l’adduction et
l’évacuation de l’eau dépendent de la classe sociale des occupants14 . Indépendamment
des commodités de la vie, l’intérieur dans les pays européens du nord était bien
plus riche que celui des pays du sud. Les voyageurs britanniques ou allemands qui
se rendent en Italie, parfois pour s’y installer, restent stupéfaits de la pauvreté du
mobilier (absence de bibliothèque, de fauteuil, de tout ce qui peut permettre de
demeurer chez soi, de s’y installer). Ce sont là des modèles de société qui s’opposent et
ont bien évidemment une origine dans la religion dominante : le protestantisme dont
le desservant a lui-même famille et intérieur, n’est-il pas une religion de l’intérieur et
de l’intériorité, bien plus que le catholicisme qui d’ailleurs fait de la haine du corps
et de l’abandon des biens terrestres des éléments déterminants des pratiques et des
représentations religieuses ?
On connaît la distinction établie par Norbert Élias entre le corps clos du bourgeois
© Armand Colin | Téléchargé le 03/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 31.10.154.28)
2015-2
✐ ✐
✐ ✐
✐ ✐
“Romantisme_2-2015” (Col. : RevueRomantisme) — 2015/5/11 — 22:17 — page 11 — #9
✐ ✐
Présentation 11
eux, plus simples, monochromes sur fond neutre, avec un motif floral sans prétention,
et choisis avant tout pour leur caractère peu salissant.
Les progrès techniques remarquables obtenus dans les impressions de papiers-
peints, à la fois dans la manufacture Zuber à Rixheim près de Mulhouse, puis dans
les combinaisons de couleurs et l’usage du gaufrage aux fins de produire des effets de
relief16 , témoignent d’un culte de l’illusion du luxe qui complète l’idéal de comfort qui
anime le bourgeois. Soucieux de paraître, comme les aristocrates du siècle précédent
dont il récupère souvent les styles de prédilection (rocaille ou Louis XV, à moins qu’il
ne préfère la sévérité du décor grec), il veut aussi être douillettement installé chez lui.
Cette ostentation d’un luxe faux et à moindre coût cédera la place, avec l’Art nouveau,
à des recherches esthétiques plus complètes et une spécialisation d’ailleurs accrue des
pièces (la chambre d’enfants se verra ainsi attribuée des papiers-peints spécifiques,
sous forme de frises notamment). La naissance de maisons de décoration, telle cette
maison Charles Manguin, installée 91 avenue de Saint-Mandé à Paris17 , est au tout
début du XXe siècle l’indice assez net de cet investissement esthétique sur l’intérieur,
qui préfigure le mouvement du design.
Ce cocon, cet « étui », voire, dans le cas de la maison d’artiste, cette réalisation
d’une maison-musée, dont l’habitant peut en effet convier le journaliste à le visiter18 ,
ou une maison-collection, telle la thébaïde de des Esseintes dans À rebours, peut
devenir un espace semi-privé et semi-public. Comme l’écrit le critique d’art Gustave
Goetschy dans La Revue illustrée en 1887 : « Et ce qui ne saurait manquer de donner
du piquant à cette collection et d’ajouter à sa curiosité, c’est que dans tous ces
ateliers vous aurez [...], avec l’image du logis, celle du propriétaire, et que vous
pourrez ainsi, les pieds dans vos pantoufles et sans sortir de votre chez-vous, aller
surprendre l’artiste, à votre heure et à votre jour, dans l’intimité de son chez-soi19 . ».
© Armand Colin | Téléchargé le 03/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 31.10.154.28)
16. C’est en 1826 l’invention d’une technique d’impression en taille-douce donnant aux formes un
relief nouveau. En 1842 la manufacture Leroy met au point une impression mécanique qui utilise des
cylindres gravés en relief dont la combinaison peut imprimer vingt-six couleurs en un seul passage. Le
relief et l’impression de volume seront encore accentués par le brevet déposé par Paul Balin en 1866 pour
obtenir un aspect gaufré.
17. Son prospectus publicitaire indique : « Donnez-moi des murs nus et quels que soient vos désirs :
rappel des grâces délicates du XVIIIe siècle ou choix d’un ensemble très moderne ou bien d’un modernisme
sobre et calme, je vous rendrai des pièces décorées » (cité dans le catalogue d’exposition Le Bon motif,
ouvr. cité, p. 180).
18. Cette ouverture de la maison de l’artiste est déjà présente dans le premier XIXe siècle : des articles
recensent ainsi la couleur de la chambre d’Eugène Sue dans les années 1840 (voir Alfred Nettement qui
s’indigne du cabinet bleuâtre d’Eugène Sue dans ses Études critiques sur le feuilleton-roman, Paris, Pérodil,
1845, t. I, p. 123-124). Le mouvement s’accentue bien sûr avec le développement de la culture de masse et
la naissance de l’interview. Sur l’interview d’écrivain, voir la présentation de Jean-Marie Seillan à Joris-Karl
Huysmans, Interviews (Paris, Honoré Champion, coll. « Textes de littérature moderne et contemporaine »,
2002) et de Martine Lavaud et Marie-Ève Thérenty, L’Interview d’écrivain, Lieux littéraires/La Revue,
9-10, 2004.
19. Gustave Goetschy, « Nos artistes chez eux », cité par Rachel Esner dans Hiding Making – Showing
Creation. The Studio from Turner to Tacita Dean, Amsterdam University Press, 2013, p. 141. Je remercie
Pierre Wat de m’avoir signalé cette référence.
Romantisme, n° 168
✐ ✐
✐ ✐
✐ ✐
“Romantisme_2-2015” (Col. : RevueRomantisme) — 2015/5/11 — 22:17 — page 12 — #10
✐ ✐
12 Éléonore Reverzy
L’INTRUS
L’intérieur n’existe-t-il pas aussi toujours contre l’extérieur, comme un asile certes,
mais un asile menacé ? La réflexion des penseurs anticléricaux, Michelet22 en tête,
ne consiste-t-elle pas toujours à peindre un intérieur fissuré, où « l’homme noir »
s’introduit, ce Jésuite qui après avoir pris la femme à son mari s’empare des enfants
dont il entend assurer l’éducation ? Dès que le prêtre a en effet gagné l’épouse, c’est
© Armand Colin | Téléchargé le 03/01/2024 sur www.cairn.info (IP: 31.10.154.28)
20. Voir, sous la direction de Pierre Wat, Portraits d’ateliers. Un album de photographies fin de siècle,
Grenoble, Ellug, INAH, MSH Alpes, 2013.
21. Selon l’expression de Deborah L. Silverman dans L’Art nouveau en France. Politique, psychologie
et style fin de siècle, Paris Flammarion, 1994 (1989 pour l’éd. américaine).
22. D’abord, en collaboration avec Quinet, dans Des Jésuites (1843) puis dans Du prêtre, de la femme,
de la famille (1845).
23. Voir à titre d’exemple La Conquête de Plassans (1874) de Zola.
2015-2
✐ ✐
✐ ✐
✐ ✐
“Romantisme_2-2015” (Col. : RevueRomantisme) — 2015/5/11 — 22:17 — page 13 — #11
✐ ✐
Présentation 13
24. Ainsi « Intérieur avec femme en rouge » (1903) ou, plus étonnant, « Haut-de-Forme, intérieur »,
du même, toile datée de 1887.
25. Voir à ce propos Sharon Marcus, « Transparence de l’appartement parisien entre 1820 et 1848 »,
dans La Modernité avant Haussmann. Formes de l’espace urbain à paris 1801-1853, Karen Bowie éd.,
Éditions Recherches, 2007, p. 396-402.
Romantisme, n° 168
✐ ✐
✐ ✐
✐ ✐
“Romantisme_2-2015” (Col. : RevueRomantisme) — 2015/5/11 — 22:17 — page 14 — #12
✐ ✐
14 Éléonore Reverzy
que tout le corps social est bien rangé à sa place. Balzac paraît tout à la fois conforter
semblable représentation qui correspond à un classement et à une mise en ordre en
même temps qu’à une personnalisation de la relation entre l’homme et sa coquille,
et la subvertir dans la représentation d’intérieurs envahis par le bric-à-brac ou le
désordre, et donc par le social, l’extérieur. L’intérieur ne pourrait donc exister que
temporairement, ou comme une construction rêvée, un projet toujours à réaliser,
devant toujours advenir. Des Esseintes parvient-il jamais à achever sa thébaïde ?
Comme un ensemble qui reste pourtant toujours à compléter et à reprendre,
l’intérieur constitue une figuration de l’œuvre, soumis à la possible valorisation du
bibelot contre la pièce où il prend place26 . La pause descriptive dans la narration
ou l’effacement du grand poème épique au profit des pièces brèves sont autant
de manifestations de cette complexe relation de la partie au tout. La crise du
lyrisme, l’éclatement d’un sujet en diverses instances poétiques, le poème en prose
accompagnent ces représentations d’un intérieur menacé ou violé. L’intérieur, à
peine né, risque déjà l’émiettement, comme le processus d’individuation initié par le
romantisme lui-même ou le désir totalisateur du romancier balzacien sont sujets à
décomposition, fissure. Freud définira entre 1915 et 1917 un nouveau paradigme,
la psychanalyse, et le fondera sur le postulat que le moi « n’est seulement pas maître
dans sa propre maison27 ».
26. Voir à ce propos les analyses de Dominique Pety dans Poétique de la collection au XIXe siècle.
Du document de l’historien au bibelot de l’esthète, Paris, Presses universitaires de Paris Ouest, 2010,
p. 143-144, et l’ensemble du chapitre.
27. Freud, Introduction à la psychanalyse, Paris, Payot, « Petite bibliothèque Payot », 1970, p. 266.
2015-2
✐ ✐
✐ ✐