Professional Documents
Culture Documents
Dysfonction Renale Per Op Dalens
Dysfonction Renale Per Op Dalens
7
Insuffisance et
dysfonctionnements
rénaux périopératoires
Marie-Laure Cittanova, Ouardia Zerhouni
Sommaire
Abréviations INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
CC : clairance de la créatinine CAUSES DE L’ALTÉRATION DE LA FONCTION RÉNALE
CEC : circulation extracorporelle POSTOPÉRATOIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
DFG : débit de filtration glomérulaire DÉFINITION DU RISQUE RÉNAL PÉRIOPÉRATOIRE . . . . . . . . . . . . . . . . 3
ECBU : examen cytobactériologique FACTEURS DE RISQUE RÉNAUX PÉRIOPÉRATOIRES . . . . . . . . . . . . . . . 3
des urines
PRÉVENTION DU RISQUE RÉNAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
© Groupe Liaisons SA, février 2001. La photocopie non autorisée est un délit.
Introduction
Le fait que les dysfonctions rénales postopératoires n’aient le plus souvent pas de traduction clinique, et la possibilité de recourir à une épu-
ration extrarénale en cas de défaillance de la fonction rénale, ont longtemps conduit à considérer que les atteintes rénales périopératoires ne
revêtaient pas une particulière gravité. Or, la dysfonction rénale postopératoire n’est pas anodine, car elle augmente significativement la
mortalité et la morbidité postopératoires [1]. Svensson et coll., en chirurgie aortique, ont montré que le risque de décès chez les patients
hémodialysés en postopératoire était de 63 % durant leur séjour à l’hôpital, et que la survie à 5 ans chez les mêmes patients n’était que de
7 %. Même en l’absence de dialyse, l’insuffisance rénale postopératoire, grève le pronostic vital. La survie des patients non dialysés mais
ayant une créatininémie supérieure à 20 mg/L (soit 180 μM/L) est de 50 % à 5 ans, contre 70 % dans le groupe de patients à créatininémie
considérée comme normale [1]. Un récent travail réalisé chez 42 773 patients de chirurgie cardiaque a montré que le risque de décès chez les
patients dialysés en postopératoire était multiplié par 27, et que le risque de complications postopératoires était multiplié par 7,9, indépen-
damment de toute autre variable de morbidité [2]. Par ailleurs, on ne connaît pas la cause de 15 à 30 % des insuffisances rénales chroniques
dialysées. Très vraisemblablement, des agressions rénales répétées, multifactorielles, diminuent le capital néphronique du patient. De même,
il est très probable que la période périopératoire, en raison des modifications qui l’accompagnent, participe à la genèse de certaines de ces
insuffisances rénales chroniques. La prise en charge sur le plan rénal dans cette période sensible est donc un élément important de la pré-
vention de l’insuffisance rénale terminale [3].
Causes de l’altération de la fonction truction des tubules proximaux par des débris intratubulaires, puis
une vasoconstriction de l’artériole afférente du glomérule. Ce type
rénale postopératoire d’atteinte rénale survient au cours de la chirurgie de l’artère rénale,
© Groupe Liaisons SA, février 2001. La photocopie non autorisée est un délit.
des interventions sous circulation extracorporelle (CEC) et de la
On connaît de longue date les causes de la dysfonction rénale chirurgie aortique sus- ou sous-rénale. Il est important de noter que
postopératoire ; elle est multifactorielle, car le facteur déclenchant la chirurgie aortique sous-rénale est, elle aussi, pourvoyeuse d’insuf-
d’une dysfonction rénale postopératoire symptomatique est rare- fisance rénale ischémique, en partie en raison d’embols rétrogrades
ment unique. de cholestérol.
Définition du risque rénal ronique final ou à un débit de filtration glomérulaire final, mais ne
tiennent pas compte d’une éventuelle diminution du capital néphro-
périopératoire nique, même importante. En d’autres termes, cette méthode d’évalua-
tion ne permet pas de détecter une atteinte rénale qui se manifesterait
Il semble important de définir le risque rénal périopératoire. Dans la par une chute du débit de filtration glomérulaire de 100 mL/min à
plupart des études, il est fait référence non pas au risque rénal, mais 65 mL/min entre les valeurs pré- et postopératoires. Il semble donc
au risque de dialyse postopératoire. Dès 1989, les travaux de Svens- important de se référer au débit de filtration glomérulaire préopéra-
son et coll. ont montré que, dans 2 à 7 % des cas, une épuration extra- toire et de le comparer aux valeurs postopératoires pour diagnosti-
rénale devenait nécessaire en postopératoire après chirurgie aortique, quer une dégradation postopératoire de la fonction rénale. Ces deux
qu’elle soit thoracique ou abdominale, et en urgence ou non [1]. manières d’envisager la dysfonction rénale postopératoire sont les
Cette incidence dépend bien évidemment de la nature du geste chi- deux paradigmes d’étude de ces dysfonctions postopératoires.
rurgical, du terrain, et en particulier de la fonction rénale préopéra-
toire. Néanmoins, réduire le risque rénal à la nécessité de dialyse RISQUE DE DIMINUTION DU DFG DE PLUS DE
est une approximation assez grossière. Une dialyse ne devient 20 % : NOUVEAU PARADIGME
nécessaire que quand le débit de filtration glomérulaire est inférieur à Un travail prospectif a été mené en chirurgie aortique afin d’identi-
10 mL/min, ce qui correspond à une destruction de 90 % du capital fier les facteurs de risque préopératoires de dysfonction rénale post-
néphronique, situation qui ne survient qu’au terme d’une altération opératoire. Le critère retenu pour l’atteinte rénale a été une
qui s’est installée sur une période qui a pu durer des années. Plus diminution de 20 % au moins du débit de filtration glomérulaire, et
encore, la simple créatininémie postopératoire ne permet pas, la plu- donc du capital néphronique du patient. Les facteurs de risque classi-
part du temps, de diagnostiquer une altération postopératoire de la quement retenus ont été testés [6], et nous avons constaté qu’ils
fonction rénale. En effet, il existe des mécanismes de compensation étaient les mêmes pour atteindre une valeur prédéfinie de la clairance
qui peuvent longtemps maintenir une créatininémie normale, tant de la créatinine, à savoir un âge supérieur à 60 ans et une créatininé-
que 50 à 70 % des néphrons ne sont pas atteints, par hyperfiltration mie préopératoire supérieure à 120 μmol/L.
par les néphrons sains (théorie du néphron sain de Bricker). D’autre
Par ailleurs, pour évaluer le DFG, nous nous sommes référés à la
part, la fréquente hémodilution postopératoire est responsable d’une
clairance de la créatinine sur deux heures [8, 9]. Dans ce travail, nous
créatininémie faussement « normale ». Ainsi, la notion de risque rénal
avons constaté que le seul facteur qui s’accompagnait significative-
postopératoire est une notion complexe, qui ne recouvre pas seule-
ment d’une altération de la fonction rénale était l’existence d’un traite-
ment le besoin de dialyse postopératoire mais toute altération signi-
ment préopératoire par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC)
ficative du capital néphronique.
[10]. L’action protectrice des IEC vis-à-vis du rein dans certaines cir-
constances, notamment au cours du diabète, est probablement ici à
Risque rénal mettre en balance avec la perte d’un système de régulation immédiat
© Groupe Liaisons SA, février 2001. La photocopie non autorisée est un délit.
© Groupe Liaisons SA, février 2001. La photocopie non autorisée est un délit.
la chirurgie cardiaque avec CEC [5], celle-ci n’assurant qu’une faible • Les examens complémentaires minimaux sont :
fraction du débit sanguin rénal, la chirurgie impliquant une réduction – échographie rénale ;
du capital néphronique (néphrectomie pour cancer), et toute chirur- – ECBU : hématurie, leucocyturie ;
gie dite « lourde », le risque étant alors en général lié aux variations – recherche d’une protéinurie sur bandelette urinaire ; en cas de
hémodynamiques qui l’accompagnent. Dans ces interventions, le positivité :
risque de dialyse postopératoire est très élevé quand la clairance de la - protéinurie des 24 heures ;
créatinine préopératoire est inférieure à 60 mL/min. - électrophorèse des protéines urinaires ;
– éventuellement examen au Doppler des artères rénales (HTA,
Évaluation du risque rénal lié à la chirurgie athérome).
peut expliquer par l’effet inhibiteur de la dopamine sur la pompe Na- ● Prostaglandines et facteur atrial natriurétique
K-ATPase [17], notamment dans le tube proximal et l’anse de Henle.
On ne peut donc pas recommander actuellement la dopamine à titre De façon plus anecdotique, d’autres agents pharmacologiques ont
préventif ou curatif dans l’insuffisance rénale périopératoire. été proposés, en particulier pour prévenir le risque ischémique rénal.
Il s’agit notamment des prostaglandines [29]. En pratique clinique,
● Diurétiques rien ne laisse penser que ces médicaments présentent un quelconque
Des diurétiques ont également été proposés (essentiellement le intérêt.
mannitol et le furosémide), en particulier en chirurgie aortique, pour Des travaux très récents effectués chez l’animal et chez l’homme
minimiser les atteintes rénales périopératoires.. Expérimentalement, recommandent l’administration d’hormone atriale natriurétique dans
ces deux médicaments se sont révélés efficaces [20, 21], mais aucune le traitement des nécroses tubulaires aiguës d’origine toxique ou
étude clinique bien conduite n’a rapporté une quelconque améliora- post-ischémique [30]. Ces données restent toutefois à confirmer par
tion du pronostic de l’insuffisance rénale en terme de nécessité de dia- une nouvelle étude clinique menée chez les patients oligoanuriques
lyse et de nombre de patients dialysés avec le furosémide, y compris [31]. Il n’est néanmoins pas exclu que ce produit puisse se révéler
dans la période postopératoire [22-24]. Le plus souvent, le furosémide intéressant dans certaines situations très particulières de la période
est prescrit de façon systématique et empirique. Or, il fait courir un postopératoire.
risque réel d’aggravation de l’insuffisance rénale en surajoutant une À ce jour, il est donc clair qu’aucun agent pharmacologique ne per-
insuffisance rénale fonctionnelle par augmentation brutale de la met de prévenir le risque rénal périopératoire. De nombreuses études
diurèse [16]. Ce médicament ne peut donc être recommandé à titre ont été menées, avec des résultats contradictoires, probablement en
systématique, et ses indications doivent être portées au cas par cas. raison de l’hétérogénéité des patients. Mais, dans tous les cas, opti-
miser la prise en charge périopératoire améliore le pronostic chez les
● Antihypertenseurs patients à haut risque. Il faut en particulier optimiser le remplissage et
Des antihypertenseurs ont été proposés pour prévenir l’insuffi- prévenir l’hypotension, afin d’éviter toute insuffisance rénale fonc-
sance rénale, notamment de type ischémique. Les inhibiteurs cal- tionnelle surajoutée. Pour la même raison, il faut utiliser les diuréti-
ciques ont donné des résultats contradictoires, favorables pour ques de l’anse avec une grande prudence, car ils peuvent induire une
hypovolémie. Tous les médicaments administrés durant cette période [11] Colson P, Ribstein J, Seguin JR, Marty-Ane C, Roquefeuil B. Mechanisms of
doivent tenir compte du risque rénal. renal hemodynamic impairment during infra renal aortic cross clamping.
Anesth Analg 1992;75:18-23.
La prise en charge de ces patients ayant un capital néphronique
[12] Licker M, Bednarkiewicz M, Neidhart P, et al. Preoperative inhibition of
réduit doit donc être pluridisciplinaire et impliquer le néphrologue. La angiotensin-converting enzyme improves systemic and renal haemo-
période périopératoire est une période « sensible ». Enfin, le risque dynamic changes during aortic abdominal surger y. Br J Anaesth
rénal a des répercussions économiques (prolongation de la durée 1996;76:632-9.
d’hospitalisation, coût de la dialyse aiguë et chronique) et pronosti- [13] Cockcroft DW, Gault MH. Prediction of creatinine clearance from serum
ques (diminution de l’espérance de vie). creatinine. Nephron 1976;16:31-41.
[14] Svensson LG, Crawford ES, Hess KR, Coselli JS, Safi HJ. Thoracoabdominal
aortic aneurysms associated with celiac, superior mesenteric, and renal
Pour une prise en charge d’un patient artery occlusive disease: methods and analysis of results of 571 patients.
J Vasc Surg 1992;16:378-90.
à risque rénal élevé [15] Solomon R, Werner C, Mann D, D’Elia G, Silva P. Effects of saline, mannitol,
• Les mesures peropératoires conseillées sont : and furosemide on acute decreases in renal function induced by radio-
contrast agents. N Engl J Med 1994;331:1416-20.
– remplissage +++ ;
[16] Lassniz A, Donner E, Grubhofer G, Presterl E, Druml W, Hiesmayr M. Lack of
– utiliser les diurétiques avec (grande) prudence ; seroprotective effects of dopamine and furosemide during cardiac surgery.
– aucun médicament n’a fait la preuve de son efficacité. J Am Soc Neprol 2000;11:97-104.
[17] Denton MD, Chertow GM, Brady HR. “Renal dose” dopamine for the treat-
ment of acute renal failure: scientific rationale experimental studies and clin-
Conclusion ical trials. Kidney Int 1996;49:4-14.
[18] Duke GJ, Briedis JH, Weaver RA. Renal support in critically ill patients: low
dose dopamine or low dose dobutamine. Crit Care Med 1994;22:1919-25.
Dans la pratique quotidienne de l’anesthésie, il est essentiel de tenir [19] Swygert TH, Roberts LC, Valek TR, et al. Effects of intraoperative low dose
compte du risque rénal, malgré le caractère retardé des manifesta- dopamine on renal function in liver transplant recipients. Anesthesiology
tions rénales par rapport à l’agression que constitue l’intervention 1991;75:571-6.
chirurgicale. Les anesthésistes ont un rôle déterminant à jouer, à la [20] Burke TJ, Cronin RE, Duchin KL, Peterson LN, Schrier RW. Ischemia and
fois en terme de dépistage et de prise en charge. tubule obstruction during acute renal failure in dogs: mannitol in protection.
Am J Physiol 1980;238:F305-14.
[21] Paul MD, Mazer CD, Byrick RJ, Rose DK, Goldstein MB. Influence of manni-
tol and dopamine on renal function during elective infra renal aortic clamp-
Bibliographie ing in man. Am J Nephrol 1986;6:427-34.
[22] Kleinknecht D, Ganeval D, Gonzales-Duque LA, Fermanian J. Furosemide in
[1] Svensson LG, Crawford ES, Hess KR, Coselli JS, Safi HJ. Experience with acute oliguric renal failure. A controlled trial. Nephron 1976;17:51-8.
1 509 patients undergoing thoracoabdominal aortic operations. J Vasc Surg [23] Brown CB, Ogg CS, Cameron JS. High dose frusemide in acute renal failure:
1993;17:357-70. a controlled failure. Clinical Nephrology 1981;15:90-6.
[2] Chertow GM, Levy EM, Hammermeister KE, Grover F, Daley J. Independant
© Groupe Liaisons SA, février 2001. La photocopie non autorisée est un délit.
[24] Shilliday IR, Quinn KJ, Allison MEM. Loop diuretics in the management of
association between acute renal failure and mortality following cardiac sur- acute renal failure: a prospective, double-blind, placebo-controlled, rand-
gery. Am J Med 1998;104:343-8. omized study. Nephrol Dial Transplant 1997;12:2592-6.
[3] Ronco P, Flahault A. Drug induced end-stage renal disease. N Eng J Med
[25] Ryckwaert F, Colson P. Hemodynamic effects of anesthesia in patients with
1994;331:1711-2.
ischemic heart failure chronically treated angiotensin-converting enzyme
[4] Moran SM, Myers BD. Pathophysiology of protracted acute renal failure in
inhibition. Anesth Analg 1997;84:945-9.
man. J Clin Invest 1985;76:1440-8.
[26] Licker M, Schweizer A, Höhn L, Morel DR. Chronic angiotensin converting
[5] Myers BD, Moran SM. Hemodynamically mediated acute renal failure.
inhibition does not influence renal haemodynamic and function during car-
N Engl J Med 1976;314:97-105.
diac surgery. Can J Anaesth 1999;46:626-34.
[6] Novis BK, Roizen MF, Aronson S, Thisted RA. Association of preoperative
risk factors with postoperative acute renal failure. Anesth Analg [27] Thomson SC, Tucker BJ, Gabbai FB, Blantz RC. Glomerular hemodynamics
1994;78:143-9. and α2-adrenoreceptor stimulation: the role of renal nerves. Am J Physiol
[7] Abel RM, Buckley MJ, Austen WG. Etiology, incidence, and prognosis of 1990;258:F21-7.
renal failure following cardiac operations. J Thorac Cardiovasc Surg [28] Kulka PJ, Tryba M, Zenz M. Preoperative adrenergic receptors agonists pre-
1976;71:323-33. vent the deterioration of renal function after cardiac surgery: results of a
[8] Wilson RF, Soullier G. The validity of two-hour creatinine clearance studies randomized, controlled trial. Crit Care Med 1996;24:947-52.
in critically ill patients. Crit Care Med 1980;8:281-4. [29] Mauk RH, Patak RV, Fadem ZS, Lifschitz MD, Stein JH. Effects of prostaglan-
[9] Sladen RN, Endo E, Harrisson T. Two-hour versus 22-hour creatinine clear- din E administration in a nephrotoxic and a vasoconstrictor model of acute
ance in critically ill patients. Anesthesiology 1987;67:1015-6. renal failure. Kidney Int 1977;12:122-30.
[10] Cittanova ML, Zaier K, Dieudonné N, Zubicki A, Riou B, Coriat P. Preopera- [30] Allgreen RL, Marbury TC, Rahman SN, et al. Anaritide in acute tubular
tive risk factors for postoperative renal impairment after aortic surgery. Br J necrosis. N Engl J Med 1997;336:828-34.
Anaesth 1998;80:9. [31] Star RA. Treatment of acute renal failure. Kidney Int 1998;54:1817-31.