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CHAPITRE

7
Insuffisance et
dysfonctionnements
rénaux périopératoires
Marie-Laure Cittanova, Ouardia Zerhouni

Sommaire
Abréviations INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
CC : clairance de la créatinine CAUSES DE L’ALTÉRATION DE LA FONCTION RÉNALE
CEC : circulation extracorporelle POSTOPÉRATOIRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
DFG : débit de filtration glomérulaire DÉFINITION DU RISQUE RÉNAL PÉRIOPÉRATOIRE . . . . . . . . . . . . . . . . 3
ECBU : examen cytobactériologique FACTEURS DE RISQUE RÉNAUX PÉRIOPÉRATOIRES . . . . . . . . . . . . . . . 3
des urines
PRÉVENTION DU RISQUE RÉNAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
IEC : inhibiteurs de l’enzyme de conversion
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
© Groupe Liaisons SA, février 2001. La photocopie non autorisée est un délit.

Chapitre 7 – Insuffisance et dysfonctionnements rénaux périopératoires 1


7 V – 7 – Gestion des situations critiques et des complications

Introduction
Le fait que les dysfonctions rénales postopératoires n’aient le plus souvent pas de traduction clinique, et la possibilité de recourir à une épu-
ration extrarénale en cas de défaillance de la fonction rénale, ont longtemps conduit à considérer que les atteintes rénales périopératoires ne
revêtaient pas une particulière gravité. Or, la dysfonction rénale postopératoire n’est pas anodine, car elle augmente significativement la
mortalité et la morbidité postopératoires [1]. Svensson et coll., en chirurgie aortique, ont montré que le risque de décès chez les patients
hémodialysés en postopératoire était de 63 % durant leur séjour à l’hôpital, et que la survie à 5 ans chez les mêmes patients n’était que de
7 %. Même en l’absence de dialyse, l’insuffisance rénale postopératoire, grève le pronostic vital. La survie des patients non dialysés mais
ayant une créatininémie supérieure à 20 mg/L (soit 180 μM/L) est de 50 % à 5 ans, contre 70 % dans le groupe de patients à créatininémie
considérée comme normale [1]. Un récent travail réalisé chez 42 773 patients de chirurgie cardiaque a montré que le risque de décès chez les
patients dialysés en postopératoire était multiplié par 27, et que le risque de complications postopératoires était multiplié par 7,9, indépen-
damment de toute autre variable de morbidité [2]. Par ailleurs, on ne connaît pas la cause de 15 à 30 % des insuffisances rénales chroniques
dialysées. Très vraisemblablement, des agressions rénales répétées, multifactorielles, diminuent le capital néphronique du patient. De même,
il est très probable que la période périopératoire, en raison des modifications qui l’accompagnent, participe à la genèse de certaines de ces
insuffisances rénales chroniques. La prise en charge sur le plan rénal dans cette période sensible est donc un élément important de la pré-
vention de l’insuffisance rénale terminale [3].

Causes de l’altération de la fonction truction des tubules proximaux par des débris intratubulaires, puis
une vasoconstriction de l’artériole afférente du glomérule. Ce type
rénale postopératoire d’atteinte rénale survient au cours de la chirurgie de l’artère rénale,

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des interventions sous circulation extracorporelle (CEC) et de la
On connaît de longue date les causes de la dysfonction rénale chirurgie aortique sus- ou sous-rénale. Il est important de noter que
postopératoire ; elle est multifactorielle, car le facteur déclenchant la chirurgie aortique sous-rénale est, elle aussi, pourvoyeuse d’insuf-
d’une dysfonction rénale postopératoire symptomatique est rare- fisance rénale ischémique, en partie en raison d’embols rétrogrades
ment unique. de cholestérol.

INSUFFISANCE RÉNALE FONCTIONNELLE INSUFFISANCE RÉNALE TOXIQUE


L’insuffisance rénale postopératoire est la principale cause de dys-
fonctionnement rénal périopératoire, et s’associe souvent à d’autres Des atteintes rénales toxiques, en particulier médicamenteuses,
causes. En effet, les variations de la volémie et de l’hémodynamique sont fréquemment en cause dans l’insuffisance rénale postopératoire.
de la période périopératoire conduisent à une hypovolémie absolue Les médicaments les plus fréquemment impliqués sont les anti-
ou relative. L’administration itérative de furosémide, fréquente en per- inflammatoires non stéroïdiens, les produits de contraste iodés et les
et en postopératoire, aggrave l’insuffisance rénale fonctionnelle post- aminosides.
opératoire. L’administration de diurétiques durant cette période doit
donc être fondée. Il ne faut pas oublier en effet qu’augmentation de la
diurèse ne signifie pas forcément amélioration de la fonction rénale. Les insuffisances rénales postopératoires
• Il existe trois grandes causes d’altération postopératoire de la
INSUFFISANCE RÉNALE ISCHÉMIQUE fonction rénale, le plus souvent intriquées :
– l’insuffisance rénale fonctionnelle, cause principale ;
Le second facteur fréquemment en cause en périopératoire est
– l’insuffisance rénale ischémique, biphasique (obstruction tubu-
l’ischémie rénale [4, 5]. Les aspects physiopathologiques et histolo-
laire puis vasoconstriction artériolaire) ;
giques de ce type d’atteinte rénale ont été décrits par Myers et coll.
– l’insuffisance rénale toxique.
[4, 5]. L’atteinte rénale est biphasique. Il existe initialement une obs-

2 Chapitre 7 – Insuffisance et dysfonctionnements rénaux périopératoires


V – 7 – Gestion des situations critiques et des complications 7

Définition du risque rénal ronique final ou à un débit de filtration glomérulaire final, mais ne
tiennent pas compte d’une éventuelle diminution du capital néphro-
périopératoire nique, même importante. En d’autres termes, cette méthode d’évalua-
tion ne permet pas de détecter une atteinte rénale qui se manifesterait
Il semble important de définir le risque rénal périopératoire. Dans la par une chute du débit de filtration glomérulaire de 100 mL/min à
plupart des études, il est fait référence non pas au risque rénal, mais 65 mL/min entre les valeurs pré- et postopératoires. Il semble donc
au risque de dialyse postopératoire. Dès 1989, les travaux de Svens- important de se référer au débit de filtration glomérulaire préopéra-
son et coll. ont montré que, dans 2 à 7 % des cas, une épuration extra- toire et de le comparer aux valeurs postopératoires pour diagnosti-
rénale devenait nécessaire en postopératoire après chirurgie aortique, quer une dégradation postopératoire de la fonction rénale. Ces deux
qu’elle soit thoracique ou abdominale, et en urgence ou non [1]. manières d’envisager la dysfonction rénale postopératoire sont les
Cette incidence dépend bien évidemment de la nature du geste chi- deux paradigmes d’étude de ces dysfonctions postopératoires.
rurgical, du terrain, et en particulier de la fonction rénale préopéra-
toire. Néanmoins, réduire le risque rénal à la nécessité de dialyse RISQUE DE DIMINUTION DU DFG DE PLUS DE
est une approximation assez grossière. Une dialyse ne devient 20 % : NOUVEAU PARADIGME
nécessaire que quand le débit de filtration glomérulaire est inférieur à Un travail prospectif a été mené en chirurgie aortique afin d’identi-
10 mL/min, ce qui correspond à une destruction de 90 % du capital fier les facteurs de risque préopératoires de dysfonction rénale post-
néphronique, situation qui ne survient qu’au terme d’une altération opératoire. Le critère retenu pour l’atteinte rénale a été une
qui s’est installée sur une période qui a pu durer des années. Plus diminution de 20 % au moins du débit de filtration glomérulaire, et
encore, la simple créatininémie postopératoire ne permet pas, la plu- donc du capital néphronique du patient. Les facteurs de risque classi-
part du temps, de diagnostiquer une altération postopératoire de la quement retenus ont été testés [6], et nous avons constaté qu’ils
fonction rénale. En effet, il existe des mécanismes de compensation étaient les mêmes pour atteindre une valeur prédéfinie de la clairance
qui peuvent longtemps maintenir une créatininémie normale, tant de la créatinine, à savoir un âge supérieur à 60 ans et une créatininé-
que 50 à 70 % des néphrons ne sont pas atteints, par hyperfiltration mie préopératoire supérieure à 120 μmol/L.
par les néphrons sains (théorie du néphron sain de Bricker). D’autre
Par ailleurs, pour évaluer le DFG, nous nous sommes référés à la
part, la fréquente hémodilution postopératoire est responsable d’une
clairance de la créatinine sur deux heures [8, 9]. Dans ce travail, nous
créatininémie faussement « normale ». Ainsi, la notion de risque rénal
avons constaté que le seul facteur qui s’accompagnait significative-
postopératoire est une notion complexe, qui ne recouvre pas seule-
ment d’une altération de la fonction rénale était l’existence d’un traite-
ment le besoin de dialyse postopératoire mais toute altération signi-
ment préopératoire par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC)
ficative du capital néphronique.
[10]. L’action protectrice des IEC vis-à-vis du rein dans certaines cir-
constances, notamment au cours du diabète, est probablement ici à
Risque rénal mettre en balance avec la perte d’un système de régulation immédiat
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de la pression dans l’artériole afférente. En d’autres termes, au cours


• La clairance de la créatinine permet une estimation du débit de d’un traitement par IEC, la capacité à faire remonter la pression dans
filtration glomérulaire. l’artériole efférente est altérée quand la pression de perfusion diminue.
• La notion de risque rénal postopératoire est complexe, dépas-
Compte tenu des variations peropératoires hémodynamiques et
sant le seul cadre du besoin de dialyse postopératoire pour
volémiques quasi inévitables, en particulier en chirurgie aortique, pri-
englober toutes les altérations significatives du capital néphro-
ver le rein d’un des systèmes de protection de sa pression de perfu-
nique.
sion peut retentir sur le débit de filtration glomérulaire. Certaines
études portant sur un petit nombre de patients ont suggéré un effet
bénéfique des IEC dans la période préopératoire, mais il s’agissait en
fait de traitements brefs ayant précédé l’acte chirurgical, et la fonction
Facteurs de risque rénaux rénale était évaluée immédiatement après l’assistance circulatoire [11]
périopératoires ou le lendemain de l’intervention [12]. Nos résultats ne sont donc pas
contradictoires avec ceux rapportés antérieurement dans la littéra-
ture.
RISQUE DE DIALYSE OU DE FRANCHISSEMENT
D’UN SEUIL PRÉÉTABLI DE LA CRÉATININÉMIE :
ANCIEN PARADIGME
Dysfonction rénale postopératoire
• Il y a dysfonction rénale postopératoire lorsque le débit de fil-
Dans les études portant sur le risque rénal périopératoire, deux
tration glomérulaire chute de 20 % par rapport à l’état préopéra-
facteurs sont rapportés de façon concordante et répétée : un âge
toire.
supérieur à 60 ans et une dysfonction rénale préexistante [1, 6, 7].
• Les traitements préopératoires par inhibiteurs de l’enzyme de
Pour définir le risque rénal, ces études se sont référé à la nécessité
conversion (IEC) semblent constituer un facteur de majoration net
d’une dialyse postopératoire ou au franchissement d’un seuil prédé-
du risque de dysfonction rénale postopératoire.
fini de créatininémie. Ces deux critères se réfèrent à un capital néph-

Chapitre 7 – Insuffisance et dysfonctionnements rénaux périopératoires 3


7 V – 7 – Gestion des situations critiques et des complications

Prévention du risque rénal ■ Examens complémentaires initiaux


Chez le patient présentant un risque rénal, il faut demander les exa-
La question de la prévention du risque rénal en périopératoire est mens suivants :
posée depuis de nombreuses années. La prévention pourrait porter – échographie ou tomographie rénales ;
sur deux points : optimisation de la prise en charge périopératoire – examen cytobactériologique des urines pour quantifier l’hématurie
pour préserver le devenir du rein, aspect que nous développerons et la leucocyturie ;
dans la première partie, et intervention plus « active », qui améliorerait – recherche d’une protéinurie par bandelette urinaire. Cette techni-
le pronostic rénal, en particulier avec l’aide de médicaments. que a l’avantage de sa simplicité et de sa grande sensibilité. Si elle
est positive, elle peut faire effectuer en deuxième intention un
ÉVALUATION DU RISQUE RÉNAL dosage de la protéinurie des 24 heures ou sur échantillon ;
– électrophorèse des protéines sériques et éventuellement urinaires ;
En préopératoire, la principale difficulté pour l’anesthésiste sera de
– éventuellement un Doppler des artères rénales chez le patient
dépister les patients à risque élevé de dégradation de la fonction
hypertendu ou athéromateux.
rénale en postopératoire. Le risque rénal dépend de facteurs propres
Ces examens complémentaires simples offrent une première orien-
au patient et de facteurs liés à l’intervention.
tation diagnostique avant d’adresser le patient en consultation de
néphrologie. Une hématurie et une protéinurie supérieures à 1 g/L
■ Risque rénal propre au patient
orientent vers une atteinte glomérulaire, une leucocyturie et une pro-
Pour estimer le risque personnel du patient, la créatininémie ne
téinurie modérées vers une atteinte interstitielle, et une leucocyturie et
suffit pas, car elle n’évalue que grossièrement la fonction rénale et ne
une protéinurie modérées chez un patient hypertendu vers une
s’élève que quand 50 à 70 % des néphrons sont lésés ; il vaut mieux
atteinte vasculaire.
utiliser la formule de Cockroft [13] qui donne une valeur approxima-
tive du débit de filtration glomérulaire.
■ Consultation de néphrologie
DFG = CC = (140 - âge ans) × poids kg × 1,2 chez l’homme
Cette consultation spécialisée permettra de diagnostiquer la néph-
Créat μM
ropathie, d’évaluer son évolutivité et de prévenir le patient du risque
où CC désigne la clairance de la créatinine
de dialyse s’il existe. Connaître la néphropathie en cause en préopé-
On considère que le risque rénal est élevé quand la clairance de la
ratoire facilite la prise en charge postopératoire, car porter ce dia-
créatinine est inférieure à 60 mL/min.
gnostic a posteriori s’avère bien souvent beaucoup plus difficile en
raison des variations hémodynamiques fréquentes à cette période.
■ Risque rénal lié à la chirurgie
La chirurgie considérée comme à risque rénal, car risquant
d’aggraver la fonction rénale en postopératoire, comprend principa-
lement la chirurgie aortique, qu’elle soit sus- ou sous-rénale [11, 14], Clairance de la créatinine < 60 mL/min

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la chirurgie cardiaque avec CEC [5], celle-ci n’assurant qu’une faible • Les examens complémentaires minimaux sont :
fraction du débit sanguin rénal, la chirurgie impliquant une réduction – échographie rénale ;
du capital néphronique (néphrectomie pour cancer), et toute chirur- – ECBU : hématurie, leucocyturie ;
gie dite « lourde », le risque étant alors en général lié aux variations – recherche d’une protéinurie sur bandelette urinaire ; en cas de
hémodynamiques qui l’accompagnent. Dans ces interventions, le positivité :
risque de dialyse postopératoire est très élevé quand la clairance de la - protéinurie des 24 heures ;
créatinine préopératoire est inférieure à 60 mL/min. - électrophorèse des protéines urinaires ;
– éventuellement examen au Doppler des artères rénales (HTA,
Évaluation du risque rénal lié à la chirurgie athérome).

• Les principales interventions chirurgicales à risque rénal sont :


– la chirurgie aortique sus- ou sous-rénale ;
– la chirurgie cardiaque avec CEC ; PRISE EN CHARGE PÉRIOPÉRATOIRE
– la néphrectomie pour cancer (réduction néphronique de
50 %) ; ■ Mesures essentielles
– toute chirurgie « lourde » ; Le patient doit être préparé à l’intervention. Il faut si possible
• Le risque rénal est important lorsque le débit de filtration glo- arrêter les médicaments néphrotoxiques ou en diminuer les doses.
mérulaire préopératoire est < 60 mL/min. Les principaux médicaments néphrotoxiques utilisés en périopéra-
toire sont les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les aminosides,
dont on surveillera les taux plasmatiques résiduels, et les produits de
PRISE EN CHARGE NÉPHROLOGIQUE contraste iodés. Avec ces derniers, il est essentiel de bien hydrater les
Une fois les patients « à haut risque rénal » identifiés, il faut, en patients, notamment avec des solutés salés [15] ; par ailleurs, le carac-
dehors du cadre de l’urgence : 1) faire quelques examens complé- tère délétère de l’administration systématique de furosémide a été
mentaires simples ; 2) confier ces patients au néphrologue. rapporté dans ces circonstances [15]. Il existe de plus une antidiurèse

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physiologique en peropératoire qu’il importe de respecter. Une étude certains [11], non prouvés pour d’autres. Les résultats ont également
récente menée en chirurgie cardiaque a montré une plus grande été contradictoires avec les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de
dégradation de la ponction rénale chez les patients ayant reçu du l’angiotensine [10-12]. Théoriquement, ils pourraient être utiles par la
furosémide que chez ceux ayant reçu le placébo [16]. vasodilatation qu’ils provoquent, en inhibant la vasoconstriction
Les mesures visant à préserver le capital veineux, qui ont été induite par l’angiotensine II sur l’artériole efférente. L’absence de
détaillées dans le chapitre « Anesthésie d’un patient souffrant d’insuf- consensus concernant l’action bénéfique ou délétère des inhibiteurs
fisance rénale » sont impératives quand le risque rénal est élevé. de l’enzyme de conversion sur la fonction rénale en périopératoire
pourrait s’expliquer par des protocoles d’administration différents
selon les travaux. Licker et coll. [12] ont débuté les inhibiteurs de
Prise en charge préopératoire l’enzyme de conversion en préopératoire immédiat et concluent à un
effet bénéfique sur l’amélioration de la clairance de la créatinine. À
• Les principales mesures de prise en charge sont : l’inverse, notre étude menée à la Pitié-Salpêtrière portait sur l’admi-
– arrêt du maximum possible d’agents néphrotoxiques (AINS, nistration chronique de ces agents et a conclu à un effet délétère [10].
aminosides, produits iodés) ; Cet effet délétère pourrait s’expliquer par une plus grande fréquence
– réalisation des examens complémentaires minimaux ; d’hypotensions artérielles qui a été confirmée par d’autres études
– envoi du patient en consultation de néphrologie ; [25, 26].
– préservation « obsessionnelle » du capital veineux.
Les alpha-2-agonistes ont été proposés pour prévenir le risque
rénal périopératoire. Expérimentalement, ils provoquent une vaso-
■ Mesures thérapeutiques spécifiques visant dilatation et améliorent la filtration glomérulaire [27]. Ils augmen-
tent ainsi la diurèse, mais cet effet n’est pas spécifique de cette
à prévenir le risque rénal classe de médicaments. Ces agents pourraient se révéler utiles
● Dopamine dans la préservation de la fonction rénale, mais leur intérêt en
périopératoire a été assez peu étudié. Dans une étude récente,
De multiples protocoles thérapeutiques postopératoires ont été
prospective, randomisée, en double aveugle, on a rapporté une
proposés afin d’améliorer la fonction rénale. L’un des plus classiques
augmentation de la clairance de la créatinine postopératoire chez
est l’administration de dopamine à dose dite « rénale ». Théorique-
les patients ayant reçu de la clonidine en préopératoire [28]. Toute-
ment, la dopamine augmente le débit sanguin rénal, essentiellement
fois, cette étude a été réalisée chez des patients à fonction rénale
par vasodilatation de l’artériole afférente du glomérule [17], et pour-
normale. Si de tels effets favorables étaient confirmés en cas d’alté-
rait ainsi avoir des vertus préventives et curatives. De nombreuses
ration de la fonction rénale, les alpha-2-agonistes pourraient être
études menées en réanimation [18] et en chirurgie cardiaque et hépa-
proposés à titre préventif au cours des interventions pouvant
tique [16, 19] n’ont pas rapporté un tel effet bénéfique en pratique cli-
comporter un haut risque rénal.
nique. Au mieux, on observe une augmentation de la diurèse que l’on
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peut expliquer par l’effet inhibiteur de la dopamine sur la pompe Na- ● Prostaglandines et facteur atrial natriurétique
K-ATPase [17], notamment dans le tube proximal et l’anse de Henle.
On ne peut donc pas recommander actuellement la dopamine à titre De façon plus anecdotique, d’autres agents pharmacologiques ont
préventif ou curatif dans l’insuffisance rénale périopératoire. été proposés, en particulier pour prévenir le risque ischémique rénal.
Il s’agit notamment des prostaglandines [29]. En pratique clinique,
● Diurétiques rien ne laisse penser que ces médicaments présentent un quelconque
Des diurétiques ont également été proposés (essentiellement le intérêt.
mannitol et le furosémide), en particulier en chirurgie aortique, pour Des travaux très récents effectués chez l’animal et chez l’homme
minimiser les atteintes rénales périopératoires.. Expérimentalement, recommandent l’administration d’hormone atriale natriurétique dans
ces deux médicaments se sont révélés efficaces [20, 21], mais aucune le traitement des nécroses tubulaires aiguës d’origine toxique ou
étude clinique bien conduite n’a rapporté une quelconque améliora- post-ischémique [30]. Ces données restent toutefois à confirmer par
tion du pronostic de l’insuffisance rénale en terme de nécessité de dia- une nouvelle étude clinique menée chez les patients oligoanuriques
lyse et de nombre de patients dialysés avec le furosémide, y compris [31]. Il n’est néanmoins pas exclu que ce produit puisse se révéler
dans la période postopératoire [22-24]. Le plus souvent, le furosémide intéressant dans certaines situations très particulières de la période
est prescrit de façon systématique et empirique. Or, il fait courir un postopératoire.
risque réel d’aggravation de l’insuffisance rénale en surajoutant une À ce jour, il est donc clair qu’aucun agent pharmacologique ne per-
insuffisance rénale fonctionnelle par augmentation brutale de la met de prévenir le risque rénal périopératoire. De nombreuses études
diurèse [16]. Ce médicament ne peut donc être recommandé à titre ont été menées, avec des résultats contradictoires, probablement en
systématique, et ses indications doivent être portées au cas par cas. raison de l’hétérogénéité des patients. Mais, dans tous les cas, opti-
miser la prise en charge périopératoire améliore le pronostic chez les
● Antihypertenseurs patients à haut risque. Il faut en particulier optimiser le remplissage et
Des antihypertenseurs ont été proposés pour prévenir l’insuffi- prévenir l’hypotension, afin d’éviter toute insuffisance rénale fonc-
sance rénale, notamment de type ischémique. Les inhibiteurs cal- tionnelle surajoutée. Pour la même raison, il faut utiliser les diuréti-
ciques ont donné des résultats contradictoires, favorables pour ques de l’anse avec une grande prudence, car ils peuvent induire une

Chapitre 7 – Insuffisance et dysfonctionnements rénaux périopératoires 5


7 V – 7 – Gestion des situations critiques et des complications

hypovolémie. Tous les médicaments administrés durant cette période [11] Colson P, Ribstein J, Seguin JR, Marty-Ane C, Roquefeuil B. Mechanisms of
doivent tenir compte du risque rénal. renal hemodynamic impairment during infra renal aortic cross clamping.
Anesth Analg 1992;75:18-23.
La prise en charge de ces patients ayant un capital néphronique
[12] Licker M, Bednarkiewicz M, Neidhart P, et al. Preoperative inhibition of
réduit doit donc être pluridisciplinaire et impliquer le néphrologue. La angiotensin-converting enzyme improves systemic and renal haemo-
période périopératoire est une période « sensible ». Enfin, le risque dynamic changes during aortic abdominal surger y. Br J Anaesth
rénal a des répercussions économiques (prolongation de la durée 1996;76:632-9.
d’hospitalisation, coût de la dialyse aiguë et chronique) et pronosti- [13] Cockcroft DW, Gault MH. Prediction of creatinine clearance from serum
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à risque rénal élevé [15] Solomon R, Werner C, Mann D, D’Elia G, Silva P. Effects of saline, mannitol,
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– remplissage +++ ;
[16] Lassniz A, Donner E, Grubhofer G, Presterl E, Druml W, Hiesmayr M. Lack of
– utiliser les diurétiques avec (grande) prudence ; seroprotective effects of dopamine and furosemide during cardiac surgery.
– aucun médicament n’a fait la preuve de son efficacité. J Am Soc Neprol 2000;11:97-104.
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Dans la pratique quotidienne de l’anesthésie, il est essentiel de tenir [19] Swygert TH, Roberts LC, Valek TR, et al. Effects of intraoperative low dose
compte du risque rénal, malgré le caractère retardé des manifesta- dopamine on renal function in liver transplant recipients. Anesthesiology
tions rénales par rapport à l’agression que constitue l’intervention 1991;75:571-6.
chirurgicale. Les anesthésistes ont un rôle déterminant à jouer, à la [20] Burke TJ, Cronin RE, Duchin KL, Peterson LN, Schrier RW. Ischemia and
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6 Chapitre 7 – Insuffisance et dysfonctionnements rénaux périopératoires

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