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L e harcé lem ent sexuel au trav ail

à tra v e rs la ju risp ru d e n ce algérien n e

Mme Louisa HANIFI


Maître de conférences
à l’Université d’Alger

La reconnaissance juridique du harcèlement sexuel est tout à fait récente


même si ce phénomène existe depuis longtemps‫ ؛‬preuve que la réalité
sociologique dépasse bien souvent la tradition juridique.

La prévalence et l’ intensité de ce phénomène devenu aujourd’hui une


préocc.upation universelle majeure, expliquent le souci des législateurs de
réprimer efficacement les agissements relevant, selon la définition de chacun,
du harcèlement sexuel. On notera d’emblée que les règles adoptées dans
ce sens, subissent des réajustements permanents en raison de la complexité
des situations nouvelles concernant cette forme de violence sur la personne
humaine. Considéré comme un acte de violence, le harcèlement sexuel garde
toutefois sa spécificité par rapport au phénomène des violences en général.

Notre présente étude tend à examiner cette question délicate dans un


contexte maghrébin et plus précisément algérien où l’aspect privé de la vie des
personnes c-omporte un tabou soc.ial. A l’évidence, le harcèlement sexuel aura
une résonance singulière en raison de son rapport à l’honneur, à la réputation,
plus généralement aux valeurs morales si importantes en milieu musulman.

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Revue Algérienne des Sciences Juridiques, Economiques et Politiques

Des valeurs que le juge se borne à rappeler dans son argumentaire lorsqu'il
est appelé à se prononcer sur des comportements sexuels.

La jurisprudence retenue ici comme base essentielle de notre recherche


se justifie taut il nous parait que le texte de loi sanctionnant le harcèlement
sexuel 1 ne pèse que par l'application et l ’interprétation qu’en font les luges.

Première partie :définition du harcelement sexuei

1- Eléments d ’ une définition par Je juge

Définir le harcèlement sexuel revient à s’interroger sur la manière


d’appréhender les comportements d’une personne à 1'égai.d de l ’ autre. Une
tâche délicate qui peut mettre en difficulté le juge, précisément lorsque ‫ألل‬
disposition de loi prévue en cette matière se révèle lacunaire. Le texte algérien
est en effet libellé comme suit : « Est réputé avoir comnris l’infraction du
harcèlement sexuel puni d’un emprisonnement de 2 mois à 1 an et d'une
amende de 50.000 dinars, toute personne qui abuse de l ’autorité que lui confère
sa profession en donnant des ordres à autrui, en proférant des menaces, en
imposant des contraintes dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle.
En cas de récidive, la peine est portée au double »2. Cette formulation
choisie visant exclusivement le harcèlement sexuel (le harcèlement moral
étant visiblement écarté) oblige le juge à fixer lui-même les éléments d’une
définition du harcèlement sexuel, tout en s’abstenant à ne pas le confondre
avec d’autres situations juridiques.

‫ إ‬- L article 341 bis de la loi n . 06/23 du 20/12/2006 modifiant le code pénal.
2 -Article 341 bis du code pénal.
L e h a rc e le m e n t se x u el au tra v a ilà tra v e re la ju risp ru d e n c e a lg é rie n n e

1- Existence d’agissements répétés

L’examen des décisions émanant des juridictions algériennes révèle que


les faits de harcèlement sexuel doivent être répétés. Ce caractère répétitif
écarte de facto l’hypothèse de l’incident unique voire de la simple maladresse.
C ’est ce qui ressort d’une décision du tribunal d’Oran du 26/05/20083 relevant
que « la plaignante exerçant en qualité d’enseignante au sein d’un collège,
était convoquée régulièrement au bureau du directeur de l’établissement qui la
contraignait à lui accorder quelques faveurs de nafiire sexuelle, et lui proposait
avec une insistance insidieuse de la rencontrer hors de l’établissement pour
des relations intimes. La plaignante a refiisé de céder à ses avances et lui a
adressé de multiples avertissements pour qu’il cesse ces agissements, mais
sans résultat ».

Le juge souligne que le prévenu réfute l’accusation de harcèlement


sexuel et nie les faits qui lui sont imputés. Il prétend « n’avoir pas eu de
contact physique avec la victime. Que c-ette dernière était connue- pour ses
mœurs légères, portait des tenues vestimentaires provocantes, et se prêtait
elle-même aujeu de la séduction ». En réponse à cet argument, le juge affirme
que « le délit de harcèlement sexuel ne se manifeste pas nécessairement par
un contact physique entre la victime et le harceleur ‫ ؛‬il peut prendre la forme
d’une intimidation comme c’est le cas en 1’espèce ». Il précise également
que « le prévenu est un fonctionnaire public qui a abusé de l’autorité que
-lui confère sa fonction de directeur d’établissement pour faire pression sur
la victime afin qu’elle accepte ses avances ». Il ajoute enfin que « la pre-uve
administrée par la victime, à savoir l’enregistrement d’une conversation
révélant des propos à connotation sexuelle tenus par le prévenu, n’a pu être
contestée par ce dernier ». Cette preuve ayant abouti à une reconnaissance
partielle des faits par leur auteur.

3-üossier n . 08/ 3 ‫ا‬2 4 ‫ا‬, jugement confirmé par la cour d’appel d’Oran le 15/11/2008, n.
08/07994, sur le principe et modifie sur la durée de la peine).

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R e v u e A lg é r ie n n e d e s S c ie n c e s J u r i d i q u e s , E c o n o m iq u e s e.t P o litiq u e s

L'appréciation de ces faits et leur qualification juridique étant soumises


au pouvoir souverain du juge du fond, on pouvait craindre qu'il ne déboute
la plaignante et prononce la relaxe du présumé harceleur. Ce risque pesait
fortement, d’autant qu’ il s ’agit d’un phénomène juridiquement nouveau pour
le juge algérien. Or, ce dernier estime qu’en 1’ espèce, les faits reprochés à
l’ employeur étaient avérés, et constituaient juridiquement un harcèlement
sextiel. Cette qualification est retentie même si 1’ accusé n’ est pas arrivé à ses
fins ‫ ؛‬la victime lui ayant résisté. On notera que les allégations concernant
une prétendue attitude séductrice de la victime à 1’égard de 1’ accusé n’ont
pas influé sur la décision du juge. L ’accent est mis essentiellement sur le
comportement malveillant de ce dernier‫ ؛‬son invitation compromettante
adressée à la victime pour des relations intimes.

En définitive, la nattrre des agissements relatés ici et leur degré de gravité


ontretenul’attentiondujuged’autantqu’ ilsontété commis par unfonctionnaire
tenu légalement d’agir avec « d ig n ité » ,« respect» et « correction». Ces
nonnes de conduite exigées expressément par les textes régissant les relations
de travail^ ontété égalementmises à mal dans une affaire sim ilairejugée en date
du 13/01/20085 où la victime, exerçant également en qualité d’enseignante,
se plaignait du comportement du directeur de l’établissement. Elle relatait
certains faits, entre autres le fait « qu’ il la recevait avec beaucoup d’égards
chaque fois qtl’elle se rendait à son bureau, lui faisait des compliments », et a
tenté de la séduire par des gestes déplacés qu’elle a repoussé énergiquement.
Elle a immédiatement informé les collègues qui l’ont encouragée à porter
plainte d e v ^ t l’autorité compétente. L’accusé conteste la véracité des faits,
en prétextant une vengeance de la victime qui n’aurait pas obtenu gain de

4"‫ ا‬٠‫ إ‬n. 90/11/ 21/04/1990 ‫ اله‬relative aux relations de travail ‫ ؛‬Ordonnance n. 06/07 du
15/06/2006 portant statut général de la fonction publique.
5" ‫ ءه ? ؛ ؟ ؟ ؛ ؟‬Tébessa du 13/01/2008, n ٥ 08//07967, confiiroé par la cour d’appel de Tébessa
du 02/06/2008, n. 08/01468). ‫خ‬
L e h a rc e le m e n t se x u el au tra v a ilà trav e rs la ju ris p ru d e n c e aJgérie.nne

cause auprès de lui lorsqu’elle a exigé l’exclusion d’un élève en raison d’un
conflit qui l’aurait opposé aux parents de ce dernier.

Cet argument n’a pas convaincu lejtige. Ce dernier affirme que « le délit
de harcèlement sexuel est établi dès l’instant où le directeur de l’établissement
a tenté en usant de contrainte d’obtenir de la victime des faveurs de nature
sexuelle. Qu’un tel agissement est contraire aux bonnes mœurs, et porte
atteinte à la dignité de la victime, à son honneur et à sa santé ».

Ce paradigme de référence aux bonnes mœurs est assez significatif. Il


confirme la dimension morale des agissements du harceleur. Ce rattachement
aux bonnes mœurs exprimé ici de manière explicite par le juge résulte en
réalité de la volonté du législateur lui-même ‫ ذ‬le harcèlement sexuel est
intégré au chapitre 2 relatif aux crime.s et délits c.ontre la famille et les bonnes
mœurs, section 6 : les attentats aux mœurs : l ’ avortement, l’outrage public
à la pudeur, le viol, l ’ inceste, l ’ homosexualité, l ’ adultère, le harcèlement
sexuel. Ces actes prohibés par la loi pénaleô, sont jugés incompatibles avec
les règles de c.onduite exigées traditionnellement dans les rapports sociaux ‫؛‬
les limites à ne point franchir dans son comportement à 1’égard de l’autre y
sont bien posées.

Cette tendance à apprécier les agissements du harceleur sur le plan de


la moralité se maintient. En témoigne une autre affaire jugée en date du
28/01/2008 faisant référence aux notions d’«honneur », de « réputation » de
la victime7. En 1’ espèce, la plaignante dénonçait certains faits notamment
que son employeur « la tenait par la main chaque fois qu’elle se rendait à son
bureau, et « lui demandait d’avoir des relations de nature sexuelle avec lui ».
Le juge constate que de nombreuses plaintes ont été déposées dans le dossier

6- Articles 333 à 341 bis du code pénal.


7- Tribunal de Mostaganem du 28/01/2008, n٥ 08/00352, confirmé par la c.our d’appel de
Mostaganem du 27/04/2008, n٥ 08/01035.

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R e v u e A lg é r ie n n e d e s S c ie n c e s J u r i d i q u e s , E c o n o m iq u e s e t P o iitiq u e s

co nfirm ant le co m p o rte m e n t o u tra g e a n t d u p ré v e n u . Il affirm e « q u ’il n ’est


pas acceptable que l’o n salisse la ré p u ta tio n et l’h o n n e u r d 'u n e fe m m e » et
ajoute que « la victim e n ’a u rait pas c o m p aru d e v a n t la ju s tic e s ‫ ؛‬e lle n ’av ait
pas v éritab lem en t fait l’o b jet de h a rc è le m e n t ». M alg ré les c o n te s ta tio n s du
p révenu allég u an t q u ’il s ’a g it d ’u n « c o m p lo t c o n tre lui », le ju g e q u alifie
les faits dont il s ’a g it de h a rc èle m e n t sex u el et p ro n o n c e sa c o n d a m n a tio n
co nfo m rém en t à l’article 341 bis d u c o d e p én al.

A noter ici, q u ’en m ettan t l ’a cc e n t ,sur l ’h o n n eu r, la ré p u ta tio n de la


victim e, le ju g e enten d d éfen d re ces v aleu rs, en ra is o n n o ta m m e n t d u
sentim ent qui prévaut en so ciété m u su lm a n e, q u e la ré p u ta tio n d es fe m m es
est essentielle p o u r p réserv er l’im ag e d e la fam ille en, société.. C ela ex p liq u e
en partie la gêne des v ictim es e t la c ra in te d e faire h o n te à la fa m ille en
étalant p u b liq u em en t des faits se ra p p o rta n t au h a rc è le m e n t. D ’o ù l ’effet
d issu a sif d ’une plainte co n tre l ’a u te u r de l’acte. U n e te lle s itu a tio n a b o u tit en
dé.finitive à privilégier, d an s b ie n d es cas, la loi du sile n ce , d o n c l ’im p u n ité d u
harceleur, sur la v o lo n té d ’o b te n ir ju s tic e p o u r les a cte s co m m is.

B . A b u s d ’a u to r ité

P arm i les élém en ts de la d éfin itio n d u h a rc è le m e n t sex u el, le ju g e a lg érien


retient celui de l’ab u s d ’au to rité co n fo rm é n re n t a u te x te de loi. C et é lém en t
parait déterm inant. Le ju g e e stim e q u e d u fait de sa p o sitio n h ié ra rc h iq u e,
l ’a u teu rd es faits ex erce un e d o m in a tio n su r la v ic tim e d e n a tu re à a n é a n tir to u te
volonté de résistance d e celle-ci. D e p lu s, il ra p p e lle q u e c e lie n d e su b o rd in a tio n
n ’existe que dans le cad re d ’u n e re la tio n e m p lo y e u r/ e m p lo y é (ce q ui e x clu t
les faits com m is p ar des tra v ailleu rs e u x -m êm es). L’id ée « d ’e m p lo y e u r »
devant être enten d u e d an s le sens où il p e u t s ’agit, d u re sp o n sa b le h ié ra rc h iq u e.
D ans les espèces rap p o rtées, le h a rc ele u r est le re sp o n sa b le h ié ra rc h iq u e, n o n
l’em ployeur. 11 est le d irecteu r de !’étab lisse m en t, u n fo n c tio n n a ire q u i ex erce

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L e h a rc e le m e n t se x u el au tra v a ilà tra v e rs la ju ris p ru d e n c e a lg é rie n n e

un em ploi public en contrepartie d 'u n e rém unération et d 'u n e protection de


l’Etat. Ce dernier est tenu, en effet, « de protéger le fonctionnaire contre les
m enaces, injures, diffam ation ou attaques de quelque natttre que ce soit dont
il peut être l’objet dans ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions et de
réparer le préjudice qui en résulterait. De même que le fonctionnaire doit
bénéficier des conditions de travail de natttre à préserver sa dignité, sa santé
et son intégrité physique et morale » 8 .

Parallèlem ent à cette protection dont bénéficié le fonctionnaire, ce dernier


est tenu de la m êm e m anière par certaines obligations‫ ؟‬, notam m ent celle
« d ’agir avec correction et déférence dans ses relations avec ses supérieurs
hiérarchiques, ses collègues et ses subordonnés», et « d ’avoir en totites
circonstances une conduite digne et respectable ». Ces qualités exigées du
fonctionnaire dans la conduite à tenir s ’expliquent par l’im portance de soir
rôle en tant que représentant de l’Etat, clrargé d ’accom plir tin travail d ’intérêt
général. Il est égalem ent tenu d ’agir de m anière à ne pas com prom ettre la
sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs, à défendre leurs
intérêts, à prendre les m esures nécessaires visant à assurer leur protection.

Il en résulte que les agissem ents imputés aux accusés dans les affaires
évoquées sont incom patibles avec les obligations mises à leur charge en
tant que fonctionnaires. Les actes commis par eux dans l’exercice du travail
portent atteinte à la santé des victimes, altèrent sérieusem ent la relation de
travail, et créent un clim at d ’iiostilité qui m et en péril leurs intérêts.

8- O rdonnance n . 0 6 /0 7 dû 1 5 /0 6 /2 0 0 6 portant statut général de la fonction publique, articles


2 6 3 39.
9 - A rticle 5 du co d e du travail, articles 4 0 à 54 de l ’ordonnance portant statut de la fon ction
publique.

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R e v u e A lg é r ie n n e d e s S c ie n c e s J u r i d i q u e s , E c . n o m l q u e s e t p . l l t l q u e s

2 - L a p r e u v e d u h a r c è ïe m e n t

Les faits co n stitu tifs de h a rc èle m e n t sex u el n e so n t re te n u s lég alem en t


que lo rsq u ’ils sont étab lis p ar la v ictim e. A l’é v id e n c e , la q u e stio n de la
preuve revêt un caractère cru cial en m atière de h a rc è le m e n t. E n effet, m êm e
si la victim e bénéficié d u p rin cip e de la liberté de la p re u v e , le ju g e d em eu re
libre d ’ap précier dan s le cadre de son in tim e c o n v ic tio n la v a le u r q u ’il
convient d ’acco rd er à la preu v e a d m in istré e ‫ ؛‬c ’e st so u v e n t la p a ro le de l’un
contre la parole de l ’autre. D ’où l ’h é sitatio n à saisir le ju g e en ra iso n de la
crainte d ’une issue négative à une év en tu elle actio n c o n tre le h arceleu r. C ette
crainte est d ’au tan t p lus ju stifiée eu ég ard a u x c o n sid é ra tio n s so cio lo g iq u es,
culturelles d une société m u su lm an e ré serv a n t en rè g le g é n érale u n tra ite m e n t
défavorable à la fem m e. O n n o te ra d ’ailleu rs q u e le h a rc e le u r a te n té (dans
une des affaires précitées) d e re n v e rse r les to rts su r la v ic tim e q u ’il accu se
٥ avoir une attittide séd u ctrice (p ar ses ten u es vestim entaire.) e s p é r a it ainsi
o btenir la relaxe. M ais cet é lém en t n ’a p as pesé su r la d é c isio n d u .Juge.

D ans son ap p réciatio n des faits, le ju g e s ’e st p ro n o n c é en fa v e u r des


victim es lesquelles o n t d ém o n tré le b ie n fo n d é de leu rs allé g atio n s. L es
preuves rapportées p a r ch acu n e des p la ig n a n tes o n t e m p o rté la c o n v ic tio n du
ju g e, li est évident qu un a v eu de l ’a u teu r d es faits apjparaît c o m m e la so lu tio n
de facilité p o u r les en q u êteu rs et les ju g e s. M ais, fo rce e st de co n stater, q u ’il
est extrêm em ent rare q u ’un e p erso n n e av o u e av o ir c o m m is le h a rc èle m e n t.

D ans la p rem ière affaire, le p ré v en u n ’a re c o n n u (p a rtie lle m e n t) les faits


qui lui sont rep ro ch és q u ’ap rès lui av o ir fait é co u te r u n e n re g istre m e n t de
sa conversation avec la v ictim e ré v é lan t des p ro p o s à co n n o tatio n sex u elle.
L’intention d o b ten ir de la v ictim e des fav eu rs sex u e lle s e st é tab lie de
m anière claire et suffisante. O n n o tera qu e c et é lé m e n t in te n tio n n e l ex ig é
par la loi pénale v ien t s ’ajo u ter à l ’élém en t m atériel év o q u é p ré c é d e m m e n t et
caractérisé p ar les d ifféren ts actes co m m is p a r leu r a u te ^ .

‫؛‬2
L e h a rc e le m e n t se x u e l au tra v a ilà trav e rs la ju ris p ru d e n c e a lg é rie n n e

Dans la 2èm e affaire, l’enseignante portait les mêmes accusations


contre l’attiftjde du directeur de l’établissem ent qui a perpétré ses avances. La
preuve par tém oignage est appartte en 1’espèce nécessaire et déterm inante. De
nom breux tém oins ont confirmé, sotis serment, les dépassem ents du direc.teur
connti pour ses antécédents. L’un d ’eux a d ’ailleurs affirmé avoir surpris le
directeur en situation d ’atteinte à la pudeur sur la secrétaire. Ces téiuoignages
circonstanciés et concordants des collègues ayant relaté des faits confortant la
thèse de la plaignante expliquent en grande partie la réussite du procès. Cette
preuve n ’a pu être renversée m algré les contestations du harceletir présum é. Il
en est de m êm e de la 3ème affaire, où la déposition des tém oins a joué un rôle
essentiel car elle a perm is de recueillir une multitude d ’élém ents e-mportant
la conviction du ju g e sur la personnalité du prévenu, son com portem ent
immoral.

D e u x iè m e p artie :S an ction s du harcelem en t sexeul

Une fois le harcèlem ent établi, diverses sanctions peuv.ent être


envisagées.

1- D es sa n c tio n s ju rid iq u es

‫ د‬A u p lan pén al

L’article 341 bis du code pénal dispose que la personne ayant com m is le
harcèlem ent sexuel encourt une peine d ’emprisonnem ent de deux m ois à un
an et une am ende fixée à 50.000 dinars.

Dans la 1ère affaireio , le procLireur avait requis une peine de trois années
de prison ferm e et une am ende de 200.000 DA. Le juge retient une peine
d ’une année de prison avec sursis et une amende de 200.000 DA. Cette peine
a été réduite par la Cour d ’appel d ’Oran à trois mois seulem ent de prison avec

lO-Tribunal d ’Oran du 2 6 /0 5 /2 0 0 8 .

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R e v u e A lg é r ie n n e d e s S c ie n c e s J u r id iq u e s , E c o n o m iq u e s e t P o litiq u e s

sursis, et 50.000 D A d ’am en d e. S ’ag issa n t de la 2 èm e affaire 11, le p rocureur


réclam e une peine d ’em p riso n n em en t de d eu x a n n ée s fe rm e et u n e ame.nde
d ’un m o ntant de 100.000 D A . L e ju g e p ro n o n c e u n e p ein e d e six mois
d ’em p riso n n em en t av ec su rsis et 5 0 .0 0 0 D A d ’a m en d e (p e in e c o n firm é e par
la C our d ’appel). C o n cern an t la 3èm e affaire 12, le p ro c u re u r a v ait re q u is une
peine d ’une année de p riso n ferm e et 100.000 D A d ’am en d e . L e ju g e retient
la durée de la p eine d ’une an n ée de p riso n av ec su rsis et u n e a m en d e s ’élevant
à 50.000 D A (la durée de la p ein e est c o n fin n é e p a r la C o u r d ’ap p el).

O n pouvait s ’attendre d an s les e sp èces ra p p o rté e s à u n e a g g ra v a tio n de


la peine d ’autant que les faits é taien t c o m m is p a r d es fo n c tio n n a ire s ayant
usé de leur autorité envers les v ictim es d an s le b u t d ’o b te n ir d es re la tio n s de
naUire sexuelle. E n réalité, le d ro it alg érien p ré v o it se u le m e n t d ’u n e m an ière
générale que la peine sera d o u b le en cas de récid iv e.

* A u p la n c iv il

L a victim e du h a rcèlem en t p eu t p réten d re à u n e ré p a ra tio n p é c u n ia ire p o u r


l’ensem ble des préju d ices subis (m atériel e t m o ral). C ette ré p a ratio n tro u v e
son fondem ent dans la resp o n sab ilité civ ile. Il s ’a g it d ’u n e re sp o n sa b ilité
personnelle, de nafiire d élictu elle. E lle est év o q u ée p a r les ju g e s d a n s les
espèces rapportées p ar leu r référen ce à l ’article 124 du C o d e civ il a u x term es
duquel : « Tout fait q u elco n q u e de l’h o m m e qui cau se à au tru i u n d o m m ag e
oblige celui p ar la faute duquel il est a rriv é à le ré p a re r ». C ette fau te est
d é p o u r ^ e de to u t lien av ec le serv ice ‫ ؛‬ce qu i n e sau rait e n g a g e r la re sp o n sa b ilité
de 1 Etat. Il s ’agit d u n e fau te p erso n n elle à c arac tè re in te n tio n n e l ‫ ؛‬les actes
dont il s agit ont été p e rp é tré s sciem m en t p a r leu rs au teu rs. C ette fau te est

1 !-T ribunal de T é b e ssa du 1 3 /0 1 /2 0 0 8 .


12. Tribunal de M o sta g a n e m du 2 8 /0 1 /2 0 0 8 , c o n fir m é e par la co u r d ’a p p e l.

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L e h a rc e le m e n t s e x u e ! au tra v a ilà tra v e rs la ju ris p ru d e n c e a lg é rie n n e .

définie par la doctrine contem poraine comme « un écart de conduite », et il ne


fait pas de doute aux yeux du juge que cet écart de conduite, des harceleurs est
dém ontré à travers leurs attitudes déplacées envers les victim es. Cet élém ent
est établi d ’autant q u ’il s ’agit de fonctionnaires tenus légalem ent d ’agir selon
les n o m e s de conduite évoquées précédemment. De la sorte, les agissem ents
des auteurs, dénoncés, dans les affaires rapportées, sont constitatifs de
« faute ». Cette fatite. constitue une condition essentielle à la mise e n je u de
la responsabilité personnelle de chacun des accusés et les oblige à verser une
réparation aux victim es.

2- L es sa n ctio n s disciplin aires

La loi portant Code du travail prévoit des indem nités ainsi que des
sanctions disciplinaires pouvant aller ju sq u ’à la révocation. Ces sanctions
seront proportionnelles au degré de gravité de la faute commise.

S’agissant d ’un fonctionnaire, le texte portant statut général de la


fonction publique qualifie de « faute de 4ème degré » (la faute la plus lourde)
le fait pour le fonctionnaire « de c.ommettre des actes de violence sur toute
personne à l ’intérieur du lieu de travail ». De tels faits sont sanctionnés par
la rétrogradation dans le grade im m édiatem ent inférieur ou le licenciem ent.
Ces sanctions sont prononcées par décision de l’autorité investie du pouvoir
de nom ination, après avis conforme de la com m ission adm inistrative
com pétente, siégeant au conseil de discipline qui doit se prononcer dans un
délai n ’excédant pas les 45 jours à compter de la date de la saisine. Passé ce
délai, la faute reprochée au fonctionnaire est prescrite.

Dans l’hypothèse où les faits conrmis par les harceleurs dans les affaires
rapportées seront qualifiés de faute de 4ème degré par l’autorité habilitée à se
prononcer Le fonctionnaire s’expose à une rétrogradation ou un licenciem ent
et ne peut de fait prétendre à un nouveau rec-rutement dans la fonction

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R ev u e A lg ér ie n n e d e s S c ie n c e s J u rid iq u es, E c o n o m iq u e s et P o litiq u e s

publique. R appelons que des san ctio n s d iscip lin aires m o in s lo u rd es peuvent
êfre prononcées si les faits so n t qualifiés de m o in d re g rav ité : il s 'a g it de la
m utation du fonctionnaire, d ’une affectatio n , ou d ’u n e m ise à p ied.

Il convient de préciser que lo rsq u e d es p o u rsu ite s p é n a le s p o u r divers


chefs d ’inctilpation so n t en g ag ées contre le fo n c tio n n a ire , ce d e rn ie r ne peut
être m aintenu dans ses fo n ctio n s ‫ ؛‬il est im m é d ia te m en t su sp en d u . Il peut
bénéficier pendant une p ério d e ne p o u v an t e x cé d e r 6 m o is à c o m p te r d e la date
de la suspension du m ain tien d ’une q u o tité de tra ite m e n t q ui ne sa u ra it être
supérieure à la m oitié de son salaire ainsi q u e d e l ’in té g ra ü té d e s in d em n ités
à caractère fam ilial.

C O N C L U S IO N

L a question du h arcèlem en t sex u el e x am in ée b riè v e m e n t à tra v e rs les


décisions rapportées p erm et de fo n n u le r q u elq u es o b serv atio n s.

D ’une part, elles o n t le m érite de n o u s é c la ire r su r la te n d an c e v éritab le


des ju g e s ta n t attend u s sur ce su jet co m p le x e e t dé.licat. P o u r l’h eu re, la
définition q u ’ils nous o ffren t d u h a rc èle m e n t sex u el sem b le à p re m iè re vue
resttictive. L a d o u b le ex ig en ce reten u e p a r les ju g e s : que les a g isse m e n ts de
harcèlem ent d o iv en t être c o n tin u s et co m m is p a r u n e p e rso n n e a y a n t ab u sé de
l ’autorité que lui co n fère sa p ro fessio n , d o it é v o lu er v ers u n e d é fin itio n p lu s
large qui assurerait une m eilleu re p ro te c tio n a u x v ictim es.

D ’autre part, le reco u rs d u ju g e au ré féren t n o rm a tif de b o n n es m œ u rs


aboutit à circonscrire le p h én o m èn e d u h a rc è le m e n t e sse n tie lle m e n t au
dom aine de la m oralité. C ela ab o u tit à lui d é n ier sa sp écificité p a r ra p p o rt aux
situations visées par la lo i au titre d ’a ttein tes au x b o n n es m œ u rs. D e m êm e
q u ’elle conduit à v o ir dan s la d isp o sitio n de loi rela tiv e au h a rc è le m e n t sex u el

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L e h a rc e le m e n t se x u el au ،rav a ilà trav ers la ju ris p ru d e n c e a lg é rie n n e

uniquem ent un m oyen de préserver cette moralité lorsqu'elle est gravem ent
com prom ise. Enfin, une telle approche restteint l'étendue de la gravité du
liarcèleiuentper‫ ؟‬u a u ‫؛‬ourd ١h u ià l’éch elle^tem ationalecom m e unphénom ène
attentatoire à la vie de la personne, et discriminatoire à 1’égard de la femme
(principale victim e du harcèlement) en empêchant son épanouissem ent dans
le m onde du travail.

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