Les marqueurs
biochimiques : définitions
et concepts
Michel Séve, Brigitte Leininger, Said Kamel
1.Définition générale
2. Marqueurs de dysfonction métabolique et dysfonction dorgane
3.Utilité clinique
3.1. Diagnostic
3.2. Evaluation de lefficacité thérapeutique
33. Evaluation du risque
3.4. Evaluation du pronostic
4.Critéres de qualité
5. tratégies d’établissement des valeurs de référence
6.ConclusionHMMM EXPLORATIONS EN BIOCHIMIE MEDICALE
La biologie médicale est une discipline située aux
confins de la médecine, des sciences biologiques et de la
technologie. Cest une spécialité médicale a part entiére
dont le but est la réalisation d'examens de biologie médi-
cale. Au cours de ces examens, des marqueurs biologiques
sont mesurés, Selon la définition du National Institute of
Health, un marqueur biologique est défini comme « une
caractéristique biologique qui est objectivement mesu-
rable et évaluée comme un indicateur de processus biolo-
giques normaux ou pathologiques ». La nature méme des
marqueurs et les matrices biologiques dans lesquelles ils,
sont mesurés sont extrémement variables. Ainsi on pourra
mesurer les concentrations d'une molécule ou d'un type
particulier de cellules dans un liquide biologique, mettre
en évidence la présence de cellules anormales dans un
tissu, ou encore chercher une anomalie dans un gene,
Ce chapitre est spécifiquement axé sur les marqueurs
biochimiques. Ces marqueurs sont composés de dif-
férentes molécules contenues dans les liquides biolo-
giques (sang, urine, liquide céphalorachidien...) dont on
recherche la présence anormale ou dont on mesure les
concentrations. La biologie médicale s'est enrichie ces
derniéres années de nombreux marqueurs biochimiques.
Dans le méme temps, la qualité des techniques utilisées
et fautomatisation|robotisation ont facilité la détection]
mesure des analytes biologiques.
On estime qu'environ 70 % des décisions cliniques
sont prises sur la base des résultats des marqueurs biolo-
jues, Devant le choix grandissant des outils biologiques
mis au service du prescripteur, le role du biologiste médi-
cal devient crucial pour choisir le bon marqueur pour le
bon patient au bon moment. La reconnaissance de ce réle
capital du biologiste a été consacrée par le législateur au
travers de Pordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010
relative a la biologie médicale, ratifie par la loi 2013-442
du 30 mai 2013. Cette réforme importante pour la biolo-
médicale d'une part réaffirme la médicalisation de la
biologie médicale et le rdle du biologiste médical au sein,
du parcours de soins, et dautre part, rend obligatoire Pac
créditation selon la norme NF EN ISO 15189 qui garantit
une qualité prouvée et tracée des examens de biologie
médicale.
TS
Selon la loi du 30 mai 2013, un examen de biologie
médicale humaine est un acte médical qui concourt :
= 4 la prévention, au dépistage, au diagnostic ou a
Pévaluation du risque de survenue d’états patholo-
giques;
= aladécision et ala prise en charge thérapeutiques;
~ ala détermination ou au suivi de l'état physiolo-
-gique ou physiopathologique de Pétre humain.
Cet examen de biologie médicale se déroule en trois
phases:
= une phase pré-analytique, qui comprend le préléve-
ment d'un échantillon biologique, le recueil des é1é-
‘ments cliniques pertinents, la préparation, le trans-
port et la conservation de I’échantillon biologique
jusqu’a 'endroit od il est analysé ;
~ la phase analytique, qui est le processus technique
permettant Pobtention d'un résultat analyse bio-
logique;
~ la phase post-analytique, qui comprend la validation,
terprétation contextuelle du résultat, la commu-
nication appropriée du résultat au prescripteur et
au patient, dans un délai compatible avec l'état de
Vart, associée a une prestation de conseil biologique
au clinicien pour utilisation du résultat et/ou la
poursuite de l'investigation biologique pour affiner
le diagnostic/suivi du patient.
Ainsi, "examen de biologie médicale ne se limite pas
a la simple phase analytique. Le recueil des données cli-
niques pertinentes permettant une interprétation du
résultat par le biologiste devient un élément détermi-
nant dans cet acte médical. La définition de examen de
biologie médicale tient compte, également pour la phase
post-analytique, de délais compatibles avec l'état de lart.
On distingue les marqueurs biologiques dits de premiére
intention, prescrits dans Pheure qui suit ladmission et
réalisés dans "heure qui suit la réception, Les marqueurs,
non urgents mais de grande valeur informative, dits de
seconde intention, sont effectués généralement dans les
24 heures aprés leur prélévement. Enfin, les marqueurs
spécialisés dont les délais d’exécution ne sont pas compa-
tibles avec l'urgence, leur intérét réside le plus souvent
dans la confirmation d'un diagnostic physiopathologique
ou la précision d'une étiologie.
Les molécules mesurées dans les liquides biologiques,
principalement le sang ou Murine, sont trés diverses. I
pourra sagir d'un élément minéral apporté par lalimen-
tation (sodium, potassium, calcium...), d'un composé
organique simple provenant de notre alimentation ou
synthétisé dans Porganisme (glucose, cholestérol.
de molécules biologiques plus complexes, principale-
‘ment des protéines (cytokines, enzymes, récepteurs...).On,
inclut également, dans un contexte de pharmacotoxico-
logie pris en charge par les laboratoires de biochimie, les,
molécules xénobiotiques de traitement pharmacologique
et les molécules toxiques (naturelles ou synthétiques).CHAPITRE 1 Ml LES MARQUEURS BIOCHIMIQUES : DEFINITIONS ET CONCEPTS [mI
2. MARQUEURS DE DYSFONCTION
aa tate ee) Teall
Pe TS
Lutilisation d'une molécule biochimique comme
marqueur biologique nécessite une connaissance
approfondie des mécanismes physiopathologiques de
la maladie. L'accumulation ou la diminution dans le
sérum ou le plasma d'un métabolite, qu'il soit d'origine
minérale ou organique, peut relever soit d'une carence
ou d'un excés dans les apports nutritionnels, soit d'une
dysfonction dans les voies anaboliques ou cataboliques,
conduisant respectivement a des défauts de synthése ou.
de dégradation. Trés souvent, ces marqueurs reflétent
un défaut dans le métabolisme, défaut qui reléve lui-
méme de multiples mécanismes. Pour les métabolites,
en dehors des exces d'apports ou des carences nutrition-
nelles, il peut sagir danomalies dans les transporteurs,
membranaires empéchant la pénétration du métabolite
dans les tissus. C’est le cas du glucose circulant augmen-
tant au cours du diabéte par manque d'insuline condui-
sant a un défaut de ses transporteurs membranaires.
Un cas général est celui des barrages métaboliques dus
a des baisses importantes dlactivités enzymatiques,
acquises ou héréditaires, qui entrainent une accumu-
lation tissulaire et périphérique du métabolite non uti-
lisé (Figure 1-1),
‘Anomalie
Détaut d'enzymes
du aca
d'un transporteur
de synthase
Dautres marqueurs biologiques peuvent révéler, non
plus une dysfonction cellulaire, mais une dysfonction dor-
_gane, par exemple, par anomalie de synthase d'une proté-
ine intracellulaire lige & une dérégulation de Vexpression
de son géne, une anomalie de sa maturation, des modifica:
tions de a nature sous leffet d'un métabolite en exces (par
exemple, glycation des protéines), ou encore a une accélé-
ration de sa destruction dans le protéasome (‘igure 1-2).
Lesmécanismes biologiques origine dela libération
de ces protéines intracellulaires dans le compartiment
sanguin sont multiples, notamment :
= dégradation d'une protéine ancrée a la membrane par
des protéases activées au cours d'un processus pa-
thologiqu
= gytolyse, mécanisme au cours duquel la membrane
cellulaire libére les protéines intracellulaires, du fait
d'une souffrance cellulaire,
Le passage des protéines dans le compartiment san-
guin par ces différents mécanismes aboutit 4 une aug
mentation de leur concentration circulante. C'est le cas,
de macromolécules fonctionnelles telles que les enzymes,
particuligrement abondantes dans un organe particulier.
Leur dosage permet alors, en fonction du degré de spécifi-
Cité de Vorgane, de refléter de facon plus ou moins précise
Vatteinte tissulaire (‘ableau 1-1).
Une accumulation de métabolites au niveau san-
‘guin peut étre également liée a des défauts d’élimination
Excés
apport
Anomalie
Figure 1-1. Mécanismes par lesquels une molécule peut devenir un marqueur biochimique du métabolisme.HR EXPLORATIONS EN BIOCHIMIE MEDICALE
Attaque par des protéases
extracellulires:
Glycation
Surexpression
igure 1-2. Mécanismes par lesquels une protéine intracellulaire
potentiellement un marqueur biologique
Tableau 1-1. Quelques marqueurs d'organes.
Marqueurs biologiques
Foie Transaminases (ASAT et ALAT)
Gaur —__Troponine | et T, peptide natriurétique (BNP)
Pancréas Amylase, lipase
Rein Creatinine sanguine et albumine urinaire
Squelette _Télopeptides N et C-terminaux du collagene
(NTX et CTX)
ALAT alanine aminotransferase ; ASAT : aspartate aminotranstérase,
rénale. L’élimination des métabolites dans les urines est
‘un mécanisme actif faisant intervenir les néphrons qui
constituent une barriére filtrante, tout en permettant la
réabsorption de certains métabolites. Des défauts dans la
filtration glomérulaire ou dans les processus de réabsorp-
tion tubulaire saccompagnent de perturbations dans
élimination de divers métabolites. Les dosages sanguins
et urinaires de ces métabolites refléteront I'intégrité de
la fonction rénale. Quel que soit le marqueur évalué, une
interprétation correcte des concentrations mesurées au
niveau sanguin nécessitera de connaitre l'état d’hydrata-
tion du patient. On notera une augmentation générale
4
Soutfrance
cellulaire et cytolyse
peut étre libérée dans les liquides biologiques et devient
des concentrations apparentes de la majorité des consti-
wants sanguins en cas de déshydratation ou une dilution,
en cas d'hyperhydratation. Au niveau urinaire, la diu-
rése normale, diminuée ou augmentée est également &
prendre en compte.
A te a Tete)
Comme nous lavons vu précédemment, il existe dif-
férents types de marqueurs biochimiques, classés selon
leur intérét clinique. Les plus fréquemment évalués sont
Jes marqueurs utiles au diagnostic et ceux qui permettent
dévaluer V'efficacité d'une thérapeutique. D'autres mar-
queurs seront utilisés pour prédire un risque ou encore
évaluer un pronostic. Ces derniers seront utiles a l’échelle
individuelle, mais sont surtout utilisés dans les études cl
niques et épidémiologiques pour caractériser le marqueur,
al’échelle d'une population
EME Diagnostic
Ce sont les paramétres biologiques les plus souvent
mesurés, et ceci afin d’aider le clinicien a poser un diagnos-CHAPITRE 1 Ml LES MARQUEURS BIOCHIMIQUES : DEFINITIONS ET CONCEPTS [i
tic. Dans certains cas, le diagnostic de la maladie sera pose
sur les seules valeurs du marqueur biochimique, c'est
le cas de la mesure de la glycémie pour diagnostiquer le
diabate (8 condition d’étre réalisée deux fois de suite et &
jeun). Mais, trés souvent, la valeur des marqueurs est inter-
prétée au regard des signes cliniques associés et au regard
des mesures obtenues par dautres méthodes d'explora-
tion comme limagerie médicale.
Certains marqueurs, bien que ne permettant pas a eux
seuls de poser le diagnostic, peuvent étre utilisés pour
exclure une pathologie (cas d'une concentration normale
de peptide natriurétique permettant d'exclure une insuf-
fisance cardiaque chez un patient dyspnéique) : on parle
alors de diagnostic d'exclusion.
Dautres marqueurs biochimiques ne permettent
pas le diagnostic d'une pathologie donnée, mais sont
trés utiles pour évaluer un syndrome accompagnant une
pathologie. Ainsi, les marqueurs de l'inflammation ne
sont pas spécifiques d'une pathologie, mais nécessaires
pour évaluer biologiquement l'état inflammatoire au
cours d'une atteinte infectieuse ou d'une pathologie
chronique.
Les marqueurs utiles au diagnostic peuvent étre per-
turbés des le début de la maladie et apparaitre précoce-
‘ment dans les liquides biologiques. Dans ce cas, les mar-
queurs apparaissent des le début des signes cliniques,
mais ils sont trés souvent fugaces et leur utilité reste
limitée au début de la maladie, D’autres marqueurs sont,
au contraire libérés dans le sang plus tardivement et leur
concentration sanguine restera élevée plusieurs semaines
aprés le début de la maladie. Il sera donc souvent néces-
sairede
~ connaitre la cinétique dapparition/disparition du bio-
marqueurdans le milieu biologique étu
~ lecas échéant, mesurer simultanément plusieurs de
‘ces marqueurs pour préciser ’évolution de la mala-
die (figure 1-3).
Evaluation de l’efficacité thérapeutique
Le diagnostic d’une maladie est le plus souvent suivi
d'une décision thérapeutique. Il est alors utile ou néces-
saire d'évaluer Mefficacité du traitement pour pouvoir
en moduler la dose et la durée, en particulier lorsque la
réponse interindividuelle au traitement est trés variable.
Le suivi du traitement pourra étre réalisé en mesurant
des marqueurs biochimiques dont les variations seront,
religes au mécanisme daction des médicaments. Dans cer-
tains cas, on pourra également évaluer cette efficacité en
dosant le médicament ou l'un de ses métabolites dans les
liquides biologiques.
Multiple de valeur seuil
° 1 2 8 4 5 6
Nombre de jours aprés le début
de la maladie
Figure 1-3. Cinétique d'apparition des marqueurs biologiques
dans le sang. A est un marqueur précoce qui s'éléve
rapidement et revient a la normale en moins de 24 heures,
B, un marqueur avec une cinétique intermédiaire, et C, un
rmarqueur tardif avec un retour & la normale en plusieurs
jours,
Evaluation du risque
Il sagit ici de mesurer dans les liquides biologiques
des marqueurs dont les variations quantitatives ne sont
pas liges directement aux conséquences de la maladie,
‘mais aux mécanismes initiant la maladie, Ces marqueurs,
sont associés statistiquement au développement futur de
Ja maladie et peuvent étre utilisés comme indicateur de
la probabilité de développer cette maladie. L’élévation de
ces marqueurs dans les liquides biologiques survient plu-
sieurs années avant lapparition des symptémes. Souvent,
on intégre les valeurs de ces marqueurs dans des scores
qui tiendront compte dautres facteurs de risque cliniques
(ge, sexe, poids, antécédents familiaux...). La mesure de
ces marqueurs peut permettre:
+ dinstaurer des mesures préventives :
~ mise en place d'un traitement prophylactique ;
~ surveillance étroite du patient a risqu
+ OU de proposer une éducation du patient vis&
dela maladie.
Les progrés récents de la biologie moléculaire et de
la génétique permettent aujourd'hui de proposer a des
familles de patients risque de maladie héréditaire de
rechercher des variants nucléotidiques d'un gene ou poly:
morphisme génique associé & la maladie, Ces polymor-
phismes a risque sont soit des mutations ponctuelles sur
une position d'un nucléotide du géne, soit des délétions ou
des répétitions. Selon la pénétrance du gene, hhomozygotie
ou Phétérozygotie sera recherchée, Les résultats de ces poly-
morphismes seront cependant a manier avec beaucoup de
prudence, car, dans certains cas, ces maladies génétiques,IMM EXPLORATIONS EN BIOCHIMIE MEDICALE
ont pas de traitement approprié et ce polymorphisme
génétique ne constitue pas a lui seul un marqueur de
déclenchement futur du processus pathogéne.
Evaluation du pronostic
est parfois utile dans certaines maladies d’établir
un score de gravité, de prédire la rapidité d’évolution ou
encore de prédire les chances de guérison et de survie d'un,
malade. Certains marqueurs biochimiques sont ainsi uti-
lisés pour établir un pronostic et constituent de précieux
indicateurs pour une décision thérapeutique basée sur le
rapport bénéficefrisque d'un traitement.
4. CRITERES DE QUALITE
Idéalement, un marqueur biochimique est un com-
posé biochimique:
~ libéré a partir d’un tissu, d'un organe ou d'une cel-
ule;
~ dans un liquide biologique facilement accessible;
= dont le dosage devrait étre fiable, facile & mettre en
ceuvre, rapide et peu onéreux;
~ dontlamesure estutileau diagnostic, la surveillance
des populations a risque, a ’évaluation de Fefficacité
thérapeutique eta 'établissement du pronostic.
Lutilicé clinique du marqueur neseradoncavéréequesi
les méthodes de dosage du marqueur savérentelles-mémes,
de qualité analytique satisfaisante. Les performances ana-
lytiques d'une méthode sont appréciées par différentes
caractéristiques, telles que la sensibilité, la précision, la
fidélité intermédiaire, les limites de détection et lalinéarité.
Dans le cas oii cela est pertinent et possible, lincertitude de
mesure, qui caractérise la dispersion des valeurs attribuées,
4.un mesurande, devra étre calculée. Enfin, les interactions
pharmacologiques et analytiques avec les traitements les,
plus courants devront étre recherchées.
Les méthodes analytiques tendent a étre standardisées
par des commissions ou des sociétés savantes aboutissant
des méthodes recommandées. Dans tous les cas, la bonne
exécution de analyse doit étre établie par lassurance
qualité, vérifiée par des étalons de référence et suivie par
un contréle de qualité volontaire mais aussi obligatoire,
assuré par l’Agence nationale de sécurité du médicament
et des produits de santé (ANSM).
Enfin, la méthode doit étre pratique, automatisable
et d'un cofit raisonnable. Dans un contexte économique
extrémement contraint, le coat de lanalyse est en effet
de plus en plus surveillé. U'introduction de nouveaux
‘marqueurs biologiques plus performants ne supprime
pas toujours la prescription des examens plus anciens, ce
quia tendance a alourdir les bilans réalisés. Le biolo;
‘médical, grace a sa formation, est en capacité d'optimiser
la demande d'examens de biologie médicale et de faciliter
la prise en charge du patient. Le nécessaire dialogue entre
le biologiste et le clinicien sur le choix des marqueurs &
‘mesurer représente aujourd'hui un levier important sur le
plan économique tant en médecine de ville qu’en milieu
hospitalier, en permettant de veiller a une juste prescrip
tion.
STRATEGIES D'ETABLISSEMENT
DES VALEURS DE REFERENCE
La phase postanalytique de examen de biologie
médicale comporte linterprétation biologique contex-
tuelle du résultat. Cette phase majeure dans lexercice de
la biologie médicale est consignée dans le compte rendu
de laboratoire approuvé et signé par le biologiste médical.
Dans ce compte rendu, la valeur du marqueur mesurée
chez un patient est comparée d.une valeur permettant de
classer le patient parmi les patients sains ou malades. Idéa-
Jement, un marqueur devrait étre une substance présente
dans les fluides biologiques dune personne malade, mais
absente dans ceux d’une personne saine. Il existe trés peu
limites ¢" utilisation du dosage.
La précision ou fidélité mesure la dispersion des résultats du marqueur dans des conditions déterminées. Elle est exprimée par
le coefficient de variation qui est égal & I'écart-type en pourcentage de la valeur moyenne obtenu pour une concentration basse
et élevée du marqueur. Pour la reproductiblité, on distinguera la répétabilité ou reproductibilitéintra-sérielle, dans laquelle le
dosage est réalisé au moins 30 fois consécutives au sein d'une méme série (meme expérimentateur, méme réglage d'apparei,
meme réactfs) et la reproductibilité inter-sérielle, ou de jour en jour, dans laquelle le méme échantilion est analyse chaque
jour dans une série de dosages différents, et enfin la reproductibilité inter-laboratoire dans laquelle un méme échantillon est
‘analysé dans plusieurs laboratoires par la méme méthode. La justesse de la méthode ou exactitude mesure la différence entre
la valeur trouvée et ia valeur « réelle » théorique. La moyenne des mesures d'un échantillon est comparée a la valeur indiquée
par l'organisme public ou privé ayant fourni 'échantillon de référence. La limite de détection égale par convention a trois fois
la valeur du bruit de fond et la limite de quantification, proche de la limite de linéarité, seront déterminées afin de préciser lesCHAPITRE 1 Ml LES MARQUEURS BIOCHIMIQUES : DEFINITIONS ET CONCEPTS J
de molécules biologiques répondant a ce critére, et l'on
définit un marqueur biochimique comme étant un com-
posé biochimique dont les concentrations mesurées dans,
les liquides biologiques chez un ensemble homogene de
malades sont statistiquement trés éloignées de celles qui
sont mesurées chez un ensemble de sujets sains. La valeur
de référence du marqueur est théoriquement la valeur
seuil qui permet de discriminer une population saine
d'une population de malades.
I faut garder a lesprit que cette différence n'est avant
tout qu'une différence statistique, et que la présence de
faux négatifs (patient malade dont la valeur du marqueur
est inférieure a la valeur de référence) et de faux positifs
(patients sain dontla valeur du marqueur est supérieure a
lavaleur de référence) ne peut pas étre évitée (Figure 1-4).
La détermination des valeurs de référence et des intervalles
de référence mentionnés dans les comptes rendus d’exa-
mens biologiques repose sur les recommandations de
PInterational federation of clinical chemistry and laboratory
‘medicine (IFCC-LM). Linterprétation d'un marqueur bio-
jue consistera donc a comparer la valeur observée,
Cest-d-dire la valeur du marqueur obtenue chez un sujet a
tester, a une valeur de référence, qui est la valeur obtenue
par la mesure d'une quantité définie chez un individu de
référence.
Nombre
de sujets
Faux
négatifs
Vindividu de référence se définit comme un sujet
supposé sain, sélectionné sur la base de critéres rigoureu-
sement définis et issu de la population de référence. Ces
critéres contraignants n'étant pas toujours applicables, les,
valeurs observées peuvent étre comparées a celles obtenues
dans des populations hétérogénes pour lesquelles un cer
tain nombre de facteurs n'ont pas été suffisamment contro
lés;ces valeurs ne se définissant plus comme des valeurs de
référence sont alors appelées « valeurs usuelles ». Les valeurs
de référence doivent étre établies sur des échantillons de
population homogénes ou de groupes de référence, qui
peuvent étre obtenus selon les techniques d'échantillon-
nage directes ou indirectes. Quelle que soitla technique uti-
lisée, la population recrutée doit étre constituée dau moins
120 sujets. La détermination des valeurs de référence et des
intervalles de référence se définit selon les étapes suivantes:
+ écablir la liste des facteurs de variations biologiques et
analytiques, & partir d’une revue de la littérature, en
établissant une liste des facteurs de variation par
ordre décroissant de leur importance (‘ableau |);
+ décerminer partir d'un questionnaire adapté :
~ les criteres dexclusion pour sélectionner un sous-en-
semble de référence. En pratique, sont exclus les su-
jets sous traitement médicamenteux (contraceptifs
‘oraux inclus) et présentant une pathologie, un état
Faux
Valeur seuil
Y
Valeur du marqueur biologique
Figure 1-4. Distribution d'un marqueur biologique dans une population de sujets sains et de malades. La valeur seull ou de
référence permet théoriquement de discriminer les deux populations avec, toutefois, la présence possible de faux positifs et
de faux négatifsHMM EXPLORATIONS EN BIOCHIMIE MEDICALE
Tableau 1-Il. Principaux facteurs de variations biologiques
dont il faut tenir compte dans I'établissement des valeurs de
reference,
Prise de repas, rythmes nycthéméraux,
cycle menstruel, stress, exercice
physique.
ny
individuets
ect
Se
cr
Taille, poids, sexe, age, puberté,
‘grossesse, ménopause, habitudes
(tabac, alcoo)),alimentation
(déficience nutritionnelle, végetarien),
environnement, saison...
physiologique particulier (grossesse) ou des fac-
teurs de risque (obésité, tabagisme, consommation,
élevée dalcool...);
= les crtéres de stratification, dépendant des caractéris-
tiques propres des individus et des groupes quiils
constituent (les plus communs : ge et sexe), Les cri-
teres retenus peuvent étre différents selon les consti-
tuants biologiques ;
«+ faire signer un formulaire de consentement écrit, par
les individus sélectionnés ;
« traiter les échantillons biologiques en utilisant
des conditions de transport, de centrifugation et de
conservation des échantillons aussi standardisées
que possible;
+ effectuer les mesures biologiques par une méthode
bien décrite, dont la précision et lexactitude sont
connues, et dont la variabilité analytique 4 long
terme est bien contrdlée;
+ contréler les valews de référence (histogramme pour
évaluer la distribution des données) et identifier les
erreurs et/ou valeurs aberrantes. Les valeurs situées a
Vextérieur de la distribution peuvent étre détectées
par une inspection visuelle de ’histogramme ou par
la méthode statistique de Dixon qui consiste a éliminer
une valeur extréme considérée comme aberrante
lorsque la différence entre les deux plus petites (ou
les plus grandes) est égale ou supérieure au tiers de
Vétendue de Pensemble des valeurs de la distribu-
tion;
+ analyser les valeurs de référence par une méthode
statistique pour calculer les limites de référence et Vin-
tervalle de référence. La méthode non paramétrique est le
plus souvent appliquée, la distribution des valeurs
mesurées étant rarement gaussienne, mais plutot
asymétrique. Elle est actuellement recommandée
par 'IFCC-LM et nécessite un nombre d'individus au
‘moins supérieur ou égal 8 120;
+ présenter les valeurs de référence. On utilise le plus
souvent les valeurs obtenues pour les centiles 2,5 et
97,5 %qui constituent les limites inférieures et supé-
rieures de 'intervalle de référence.
Les limites de référence sont souvent utilisées en tant
que limites de décision ou valeurs au-dessous ou au-des-
sus desquelles une décision thérapeutique ou de prise en
charge du patient sera prise par le clinicien. Cette notion
de limite de décision entraine souvent une confusion
avec les limites de référence bien qu'elles soient définies
de maniére différente : les valeurs de référence sont repré-
sentatives d'une population homogéne, supposée saine et
sélectionnée sur la base de critéres bien définis, alors que
les limites de décision sont établies par des méthodes statis-
tiques & partir de données cliniques ou épidémiologiques
u, le plus souvent, par consensus.
Une limite de décision ne correspond pas systémati
quement ila borne inférieure ou supérieure de''intervalle
de référence : par exemple, dans le cas de la mesure d'une
sglycémie, le diagnostic d'un diabate sucré intégre une gly-
ccémie & jeun supérieure & 7 mmolJl selon les critéres de
Organisation mondiale de la santé (OMS), alors que V'in-
tervalle de référence est de 3,9-5,5 mmol]. Pour dautres
marqueurs comme I’hémoglobine glyquée, les limites
de décision remplacent les valeurs de référence dans l'in-
terprétation des examens de biologie. Enfin, la notion
de limite de décision s'est étendue au suivi biologique
de patients présentant des pathologies chroniques (par
exemple, BNP/NT-pro-BNP dans l'insuffisance cardiaque)
et, plus particuliérementdans les pathologies cancéreuses,
dans la détermination de valeurs pronostiques en début,
de maladie (par exemple, PSA et cancer de la prostate, CA
15-3 -facteur puissant de mauvais pronostic du cancer du
sein) ou de rechute chez les patients en rémission (AFP et,
récidives du tératome testiculaire),
Le protocole de 'IFCC, reconnu comme le gold standard
pour létablissement des valeurs de référence, n’est pas
toujours réalisable en pratique courante dans les labora-
toires de biologie médicale. Les difficultés résident dans
le recrutement de populations homogénes (donneurs de
sang, examens périodiques de santé, individus atteints
de pathologies bénignes sans retentissement métabo-
lique), le choix des critéres d'inclusion ou d’exclusion,
ainsi que la transférabilité des limites de référence en
fonction des systémes analytiques ou du site (valeurs de
référence établies parle fabricant de réactifs ou un autre
laboratoire). Enfin, la question de l'ége et du vieillisse-
ment reste d'actualité, avec le probleme posé par la poly-
médication et les maladies chroniques (dont certaines
sont bénignes et non invalidantes) dans I'établissement
des critéres d'exclusion, mais aussi des limites de réfé-
rence qui deviennent souvent des valeurs souhaitables,
définies par le clinicien en fonction de l'état de santé du
patient.CHAPITRE 1 Il LES MARQUEURS BIOCHIMIQUES : DEFINITIONS ET CONCEPTS [I
STS
Les examens de biologie médicale, basés sur Puti:
lisation de marqueurs biologiques mesurés dans des
liquides biologiques, ont connu un essor considérable
ces derniéres années tant dans leur définition que dans
leur nombre. I faut se rappeler que 70% des décisions cli-
niques sont prises sur la base des valeurs des marqueurs
biologiques, ce qui place la biologie et le biologiste médi-
cal au centre du systéme de soins. L'interprétation cor-
recte des valeurs des marqueurs biologiques nécessite de
la part du biologiste médical des connaissances scienti-
Fiques solides acquises aprés de longues années d'études.
Elle nécessite également la mise en ceuvre dans la réali-
n de examen de biologie médicale de qualités ana
lytiques irréprochables qui sont aujourd'hui inscrites
dans la loi et garantissent une biologie fiable de grande
qualité.
POUR EN SAVOIR PLUS
Biomarkers efnition Working Group. Biomarkers and surrogate
‘endpoints: preferred definitions and conceptual framework
Clin Pharmacol Therapeutics. 2001 ;69 89-95
Henny J, Amaud J, Giroud C, Vassaule A. Intervalles de été
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Henny J, Exablissement e€ validation des intervalles de réfé
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2011;69:229.37.Exploration biologique
des fonctions hépatiques
Véronique Annaix, Philippe Charpiot
1. Organisation anatomique et fonctionnelle du foie
1.1. Le foie, carrefour anatomique
1.2.Lelobule hépatique : organisation et types cellulaires
2.Les grandes fonctions hépatiques
2.1. Métabolisme énergétique
2.2. Fonctions de synthase
23,Fonctions d’épuration
2.4,Fonction biliaire
3. Exploration biologique du foie
3.1 Marqueurs de cytolyse hépatocytaire
3.2, Marqueurs d'insuffisance hépatocellulaire
3.3, Marqueurs de cholestase
3.4. Marqueurs de inflammation
3.5. Marqueurs de la fibrose hépatique
4, Pathologies hépatiques
4.1. Hépatites
4.2. Insuffisance hépatocellulaire
4.3.Cholestase
44,Stéatose
4.5. Fibrose et cirthose
4.6.Foie et Cancer
5. Exploration biochimique du foie: interprétation étiologique
5.1.Conduite a tenir devant une augmentation de lactivité des aminotransférases (ALAT)
5.2. Conduite a tenir devant un bilan enzymatique hépatique anormal
5.3,Conduite a tenir devant un ictére
5.4, Diagnostic biologique de la stéatose
5.5. Diagnostic biologique d’une cirrhose
5.6. Dépistage des carcinomes hépatocellulaires
6. Foie et grossesse
6.1. Variations physiologiques
6.2.Cholestase gravidique
6.3. Complications hépatopathiques du 3° trimestre
7.Foie et variabilité individuelle aux xénobiotiques
7.1. Thiopurine méthyltransférase
7.2. Dihydropyrimidine déshydrogénase
8. Traitements des pathologies hépatiques et suivi
9.Greffe de foie
10,Conclusion(MM EXPLORATIONS EN BIOCHIMIE MEDICALE
Le foie est un organe volumineux, constitué de plu-
sieurs lobes (1,5 kg chez l'adulte), qui joue un réle méta-
bolique central : est un carrefour entre labsorption,
intestinale des xénobiotiques (aliments, médicaments,
toxiques...)et la distribution des molécules transformées,
aux autres tissus. Il assure de nombreuses et diverses
fonctions métaboliques (régulation de la glycémie, cata-
bolisme des acides aminés, production de la bile...) de
synthése (facteurs de la coagulation, albumine...) et
d’épuration de produits du catabolisme. Il ala particula-
rité d’étre doué d'un pouvoir de régénération,
1. ORGANISATION ANATOMIQUE
Pam eee te)
TB Le foie, carrefour anatomique
La situation anatomique du foie refléte sa position
de carrefour fonctionnel : il est placé entre deux entrées,
toutes deux vasculaires, et deux sorties, 'une vasculaire et
autre biliaire (figure 2-1).
Voies
biliaires
Figure 2-1. Les connexions hépatiques.
12
hépatique
‘sus-hépatiques
1.1.1. Les entrées vasculaires
Le foie recoit:
= par Vartére hépatique, les métabolites circulant
provenant de l'ensemble de l'organisme ;
~ parla veine porte, les produits de l'absorption diges-
tive et les hormones pancréatiques.
Le débit total de perfusion est de 1,5 litre par minute,
dont 1/3 artériel et 2/3 portal. Ce débit important est
nécessaire pour I'efficacité de son activité métabolique.
1.1.2. Les sorties
Les produits du métabolisme hépatique sont:
= soit redistribués dans Vorganisme via les veines
sus-hépatiques et la circulation générale (fonction
endocrine). Certains des composés sanguins pro-
duits par le foie seront éliminés par voie rénale (par
exemple, 'urée);
~ soit éliminés dans Pintestin par voie biliaire (fonc-
tion exocrine).
Certains des composés excrétés par voie biliaire
seront réabsorbés dans lintestin (par exemple, les acides,
biliaires).
ArtereCHAPITRE 2 Ml EXPLORATION BIOLOGIQUE DES FONCTIONS HEPATIQUES
Le lobule hépatique : organisation
et types cellulaires
Le parenchyme hépatique est organisé en un tres
‘grand nombre d'unités fonctionnelles d'environ 0,5 mm.
de diamétre, appelées lobules, qui comportent différents
types cellulaires.
1.2.1. Le lobule hépatique
Chaque lobule est centré sur une veine centrolobu-
laire drainée par les veines sus-hépatiques. Des travées,
d’hépatocytes rayonnent a partir de cette veine. En péri-
phérie, le lobule est limité par quatre ou cing espaces
portes, recevant chacun une branche de la veine porte,
une branche de Vartére hépatique et un canal biliaire
au sein d'une matrice extracellulaire fibreuse. Les tra-
vées d'hépatocytes sont séparées par des capillaires, les,
sinusoides, dans lesquels circulent le sang artériel et
le sang veineux portal jusqu’a la veine centrolobulaire
(figure 2-2).
i
Les différents types cellulaires
™ Hépatocytes
Ils représentent plus de 90 % des cellules du lobule.
Ce sont de grosses cellules (20-30 jim) présentant deux
péles- un péle vasculaire et un pole biliaire. La face basale
vasculaire est la zone d’échanges intenses avec les capil-
laires sinusoides. Entre deux hépatocytes adjacents, 'élar-
sgissement de lespace intercellulaire forme un canalicule
biliaire, point de départ de larbrebiliaire (Figure 2-3).
1 Cellules sinusoidales
Elles représentent environ 6 % du parenchyme lobu-
laire et sont réparties en :
~ cellules endothéliales (2,5 8);
Branche de
hépatique
Branche
de la veine
porte
épatique
Canal bilaire
Figure 2-2. Organisation du lobule hépatique.
~ cellules de Kupffer (2 8) qui libérent divers média-
teurs et agents cytotoxiques au cours de la réponse
inflammatoire ;
~ cellules étoilées de type myofibroblastes (1,4 %), ap-
pelées aussi cellules périsinusoidales ou cellules de
Ito. Elles ont pour réle de stocker les lipides et la vi-
tamine A et de participer a la synthase de la matrice
extracellulaire.
1.2.3. La matrice extracellulaire
Physiologiquement, la matrice extracellulaire est peu
abondante dans le foie (< 3%) et constituée:
~ de collagenes fibrillaires (I, Il, V) dans les espaces
portes, autour des veines centrolobulaires;
~ et d'un réseau lache de collagéne de types IV et Il, de
glycosaminoglycanes, protéoglycanes et glycoproté
ines,pour faciliterles échangesentre lesangcapillaire
et les hépatocytes, dans les espaces périsinusoidaux.
Cette matrice est en perpétuel remodelage sous leffet
notamment de métalloprotéinases matricielles (MMP)
et de leurs inhibiteurs. Un déséquilibre de la balance
protéolyse|synthése en faveur de la synthase de matrice
conduit a une fibrose.
ES GRANDES FONCTIONS HEPATIQU!
Par ses connexions aux deux entrées vasculaires et aux.
deux sorties (vasculaire et biliaire) "hépatocyte, riche en
organites intracellulaires et en mitochondries, assure un
grand nombre de fonctions métaboliques (voir figure 2-3).
Iexerce des fonctions capitales pour le maintien de "équi-
libre métabolique et acido-basique de Vorganisme et des
biotransformations. I est aussi le seul type cellulaire a pos-
séder les enzymes du cycle de I'urée ou de la cétogenese et
Travée d'népatocytes:
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