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Management international
International Management
Gestiòn Internacional

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Responsabilité sociale d’une entreprise publique : une


formalisation du jeu des acteurs (note de recherche)
Myriam Donsimoni and Daniel Labaronne

Volume 18, Number 2, Winter 2014 Article abstract


We study the behavior of managers of a public company, the Chérifien
URI: https://id.erudit.org/iderudit/1024191ar Phosphates Office, and local officials engaged in a relationship of CSR. What
DOI: https://doi.org/10.7202/1024191ar are the theoretical foundations of this relationship and the strategies of these
actors ? We formalize, from game theory, the influence of managers of the OCP
See table of contents on the action of elected officials. This influence is exercised either by
cooperation or by the control. It can lead to information asymmetry generated
by politicians. We examine the attitude of managers OCP facing this biased
situation to draw managerial lessons.
Publisher(s)
HEC Montréal
Université Paris Dauphine

ISSN
1206-1697 (print)
1918-9222 (digital)

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Donsimoni, M. & Labaronne, D. (2014). Responsabilité sociale d’une entreprise
publique : une formalisation du jeu des acteurs (note de recherche).
Management international / International Management / Gestiòn Internacional,
18(2), 22–38. https://doi.org/10.7202/1024191ar

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Responsabilité sociale d’une entreprise publique :
une formalisation du jeu des acteurs (note de recherche)
MYRIAM DONSIMONI DANIEL LABARONNE
Université de Savoie Université Montesquieu Bordeaux IV

Résumé Abstract Resumen


Nous étudions le comportement de mana- We study the behavior of managers of a Estudiamos el comportamiento de los
gers d’une entreprise publique, l’Office public company, the Chérifien Phosphates directivos de una empresa pública, la
Chérifien des Phosphates, et d’élus locaux Office, and local officials engaged in a « Oficina Cherifien » de Fosfatos, (uno
engagés dans une relation de RSE. Quels relationship of CSR. What are the theoreti- de los principales exportadores de fosfa-
sont les fondements théoriques de ce type cal foundations of this relationship and the tos en el mundo) y los funcionarios loca-
de relation et les stratégies de ces acteurs ? strategies of these actors ? We formalize, les quienes participan de la RSE. ¿Cuáles
Nous formalisons, à partir de la théorie des from game theory, the influence of man- son los fundamentos teóricos de esta rela-
jeux, l’influence des managers de l’OCP agers of the OCP on the action of elected ción y las estrategias de estos actores ?
sur l’action des élus. Cette influence officials. This influence is exercised either Formalizamos, desde la teoría de juegos,
s’exerce soit par la coopération, soit par le by cooperation or by the control. It can la influencia de los directivos de la OCP
contrôle. Elle peut déboucher sur de l’asy- lead to information asymmetry generated en las acciones de los funcionarios elec-
métrie informationnelle générée par les by politicians. We examine the attitude of tos. Esta influencia se ejercerá o bien
élus. Nous examinons l’attitude des mana- managers OCP facing this biased situation mediante una cooperación o mediante el
gers de l’OCP confrontés à cette situation to draw managerial lessons. control. Puede conducir a la asimetría de la
biaisée pour en tirer des enseignements Keywords: social responsibility (M14), información generada por los políticos. Se
managériaux. game theory (C7), corporate governance examina la actitud de los directivos OCP
Mots clés : responsabilité sociale (M14), (G34), firm behavior (D21), private and frente a esta situación distorsionda como
théorie des jeux (C7), gouvernance asymetric information (D82) para extraer un aprendizaje en la gestion.
d’entreprise (G34), comportement des Palabras claves: responsabilidad social
entreprises (D21), information privée et (M14), la teoría de juegos (C7), el gobierno
asymétrique (D 82) corporativo (G34), el comportamiento de
las empresas (D21), la información privada
y asimétrica (D 82)

L es dirigeants d’entreprises sont de plus en plus conscients


des responsabilités qu’ils doivent assumer concernant
l’impact de leurs décisions et activités sur la société et l’envi-
sociales dans les firmes multinationales (Wolff, 2004; Husted
et Allen, 2006; Boudier et Bensebaa, 2008) et sur l’analyse
des motivations des managers de petites firmes privées dans
ronnement. Leur stratégie est évaluée aujourd’hui à l’aune les économies en développement (Spence et al 2008;
de leur performance qui n’est plus seulement économique Labaronne et Oueslati, 2011, a.). Les études de cas portant
mais devient globale avec la prise en compte des conséquences sur les entreprises publiques engagées dans la responsabilité
de leurs choix managériaux sur l’équilibre des écosystèmes sociales sont plus récentes (Rousseau 2008; Charbonneau
et sur l’équité sociale. Cette prise de conscience passe, notam- et Caron 2009; Labaronne et Oueslati, 2011, b.).
ment, par la mise en œuvre d’une politique de Responsabilité
Sociale des Entreprises (RSE) qui se traduit par un compor- C’est dans le prolongement de ces études de cas que
tement éthique et transparent, contribue au développement s’inscrit notre travail. Il se propose d’examiner la stratégie
durable, prend en compte les attentes des parties prenantes, mise en œuvre par les managers d’une grande entreprise
respecte les lois en vigueur et s’accorde avec les normes publique marocaine, l’Office Chérifien des Phosphates (OCP),
internationales de comportement (Capron, Quairel-Lanoizelée dans leurs relations avec une catégorie particulière de parties
et Turcotte, 2011). prenantes de l’organisation, à savoir les élus locaux.

De nombreux travaux témoignent de cette prise de Freeman (1984) définit les parties prenantes (stakeholder)
conscience dans les entreprises privées (Friedman, 1962; comme « un groupe ou individu qui peut affecter ou être
Arrow, 1973; Mc Williams et Siegel, 2001; Jensen, 2002; affecté par la mise en œuvre des objectifs d’une organisa-
Vogel, 2006). Ces travaux s’appliquent aux cas d’entreprises tion ». Au-delà des critiques théoriques formulées à l’encontre
de grande taille dans les économies développées (Igalens, de cette définition (Mitchel, Agle et Wood, 1997; Gond et
2007; Reynaud, 2006), ou de moyenne et petite dimensions Mercier, 2004; Pesqueux, 2006), la notion de stakeholder
(Quairel et Auberger, 2005; Berger-Douce, 2006). L’attention soulève l’ambiguïté de sa traduction française qui hésite entre
se porte également sur la mise en œuvre de la responsabilité « partie prenante » et « partie intéressée » (Cabanis, Igalens
Responsabilité sociale d’une entreprise publique : une formalisation du jeu des acteurs 23

et Martin, 2011). Si l’action de la première peut se concevoir existe, est spécifique à chaque contexte, mais d’aborder les
sur un mode désintéressé, par exemple l’action de militants différentes interactions qui peuvent survenir afin d’anticiper
en faveur d’une cause, la démarche de la seconde vise à les comportements opportunistes qui rendraient l’action RSE
satisfaire l’utilité propre de la partie intéressée. Cette utilité inefficace.
peut être la recherche d’un intérêt matériel, moral ou, élec-
Si le recours à la théorie des jeux ne « résout » rien et ne
toral, dans le cas particulier d’élus. Ces derniers peuvent être
« propose » rien aux joueurs en présence dans notre étude,
classés, si l’on retient la typologie de Pesqueux (2002, 2006)
elle attire cependant l’attention sur les problèmes que posent
dans la catégorie des parties prenantes « diffuses », catégorie
leurs choix d’acteurs publics en interaction, lorsque toutes
dans laquelle on trouve des partenaires en interaction avec
les hypothèses du modèle sont spécifiées. Dans la mesure
l’entreprise sans lien contractuels explicites avec elle, contrai- où, dans la pratique, les jeux sont souvent répétés, l’analyse
rement aux parties prenantes « contractuelles » qui sont en du résultat d’un jeu peut aider à anticiper sur les résultats du
lien de contrat avec l’entreprise (actionnaires, salariés, clients, jeu suivant et ainsi appuyer le choix d’une stratégie des acteurs
fournisseurs, etc.). même si cela n’élimine pas le risque. Dès lors, l’aspect le
Pasquero (2008) a présenté les forces et les faiblesses de plus intéressant de la théorie des jeux mobilisé ici est celui
la théorie des parties prenantes (TPP) en liaison avec la qui examine la stratégie des deux joueurs en situation d’asy-
thématique du développement durable (DD) des entreprises. métrie de l’information, asymétrie qui risque d’apparaître
Pour l’auteur, les apports de la TPP résident dans son approche au fur et à mesure du jeu.
relationnelle : la TPP propose une nouvelle conceptualisation L’Office Chérifien des Phosphates est une société ano-
de l’insertion de l’entreprise dans la société; elle est réaliste nyme dont l’Etat marocain est actionnaire à 95 %, le capital
en accordant une place essentielle aux acteurs; elle est plu- restant est détenu par une banque publique marocaine.
raliste en associant aux logiques économique et stratégique L’activité de l’OCP consiste à extraire du minerai de phosphate
des visions utilitariste, déontologique, culturelle ou politique et à le transformer en acide phosphorique et en engrais.
présentes dans la problématique du DD; elle est pragmatique L’OCP est un acteur majeur au sein des Entreprises et éta-
en se prêtant à des études de cas. Les limites de la TPP se blissements publics marocains (EEP). Il réalise à lui seul
situent, selon l’auteur, dans son caractère réductionniste : la près du tiers du chiffre d’affaires et 40 % de la valeur ajoutée
TPP considère les intérêts des acteurs comme données; elle réalisée par l’ensemble des EEP. Son chiffre d’affaires pro-
est statique en ne prenant pas en compte le développement vient presque entièrement de ses ventes à l’exportation dont
des enjeux, la reconfiguration des positions, le processus le montant représente près du quart des exportations maro-
d’apprentissage; elle est sous-conceptualisée en privilégiant caines en 2010. Sa valeur ajoutée contribue à hauteur de
la rationalité économique au détriment d’autres arguments 3,5 % du Produit intérieur Brut (PIB) du Maroc. Il emploie
comme ceux, politiques, qui s’intéressent aux jeux de pouvoirs plus de 19 000 personnes.
et de négociations entre l’organisation et les parties
intéressées. L’OCP développe une stratégie de RSE dans les territoires
où il est implanté. L’Office est bien souvent la seule entreprise
Notre travail s’inscrit davantage dans le cadre de l’ap- créatrice de richesses dans les territoires miniers pauvres du
proche instrumentale de la TPP (Jones, 1995) que dans une Maroc. Les managers de l’OCP sont en relation permanente
vision normative (Donaldson et Preston, 1995). Il se propos avec les élus locaux qui les sollicitent pour une aide ponctuelle
cependant d’en dépasser les limites à travers une étude de ou une subvention régulière afin de financer leurs dépenses
cas qui s’appuie sur la théorie des jeux. Comme le souligne de fonctionnement ou d’investissements communaux.
Pesqueux (2006), la TPP renvoie le plus souvent à une gestion
équilibrée des intérêts entre acteurs « bienveillants ». Or des Dans ce travail, nous proposons une analyse théorique
relations déséquilibrées peuvent intervenir à travers l’occur- et appliquée du comportement de ces acteurs publics engagés
rence d’une asymétrie de l’information liées à des compor- dans une relation de RSE. Sur quels fondements théoriques
tements opportunistes de certains acteurs. La théorie des se fondent ce type de relation et quelle stratégie peuvent-ils
jeux nous permet d’introduire l’éventualité de cette relation mettre en place pour satisfaire leur fonction d’utilité ? Pour
déséquilibrée. Cet apport extérieur à la théorie traditionnelle répondre à ces questions, nous présentons le contexte insti-
tutionnel dans lequel s’inscrivent les actions RSE conduites
du management peut nous aider à formaliser le caractère
par les managers de l’OCP et nous présentons la méthodologie
complexe et dynamique des interactions entre des managers
adoptée pour tenter de cerner la nature des relations de ces
d’une organisation publique, l’OCP, et des acteurs publics,
managers avec les élus locaux (1). Nous posons le cadre
les élus locaux, engagés dans une relation de RSE.
théorique relatif aux comportements spécifiques des acteurs
Notre approche par la théorie des jeux n’est pas une publics (2) en précisant notre positionnement analytique
quantification des gains éventuels des deux joueurs, mais (2.1.) et les hypothèses que nous retenons sur le comportement
illustre les différentes étapes du processus de marchandage des managers de l’OCP et sur celui des élus locaux (2.2.).
qui peut être envisagé entre l’entreprise et l’élu compte tenu Ici, nous rappelons la controverse théorique sur le compor-
de leurs objectifs (avoués ou inavoués). Elle n’a pas pour tement spécifique des acteurs publics qui peuvent être pré-
objectif de pointer la solution idéale qui, pour peu qu’elle occupés soit par le service de l’intérêt général soit par la
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satisfaction de leur utilité particulière. Nous étudions le jeu mobilisées1 Nous avons collecté des informations et fait une
de ces acteurs engagés dans des négociations autour d’une analyse de données sur les relations managers OCP-élus en
action RSE (par exemple, le financement par l’OCP d’une combinant données primaires, données secondaires et obser-
route ou d’un aménagement urbain ou d’un bâtiment muni- vations directes.
cipal, etc.) (3). Plus précisément, à partir de la théorie des
Les données primaires ont été obtenues au moyen d’entre-
jeux, nous proposons de formaliser le comportement réci-
tiens ouverts réalisés auprès de l’équipe dirigeante et auprès
proque de ces acteurs vis-à-vis d’une action RSE. Nous
des directeurs de sites chimiques et miniers et auprès de trois
précisons les arguments de leur fonction d’utilité (3.1.). Nous
gouverneurs de province. Nous nous sommes entretenus
étudions la dynamique des interactions entre ces deux acteurs
avec :
(3.2.). Nous intégrons dans le raisonnement l’influence que
peut avoir les managers de l’OCP sur l’action de l’élu, influence • Tous les dirigeants du top management de l’OCP (onze
qui peut s’exercer soit par la menace, soit par le contrôle managers), au siège social de l’Office, et avec les direc-
(3.3.). Nous examinons l’attitude que doivent adopter les teurs et leurs responsables opérationnels des trois sites
managers de l’OCP confrontés à une asymétrie information- miniers (Khouribga, Benguerir, Youssoufia) et des deux
nelle dans leur relation avec les élus (3.4.). Nous synthétisons sites chimiques (Safi et Jorf Lasfar) de l’Office;
nos résultats et tirons les enseignements managériaux de ce
travail en conclusion de notre étude. • Les trois gouverneurs (équivalent des préfets français)
des départements de Khouribga, Safi et Benguérir concer-
nés par l’activité de l’OCP;
Présentation du contexte institutionnel dans • Les élus locaux des communes de Khouribga, Benguerir,
lequel s’inscrivent les actions RSE de l’OCP et Youssoufia, Safi et Jorf Lasfar.
exposé de notre méthodologie d’étude
Ces entretiens avaient pour objectifs de connaître préci-
L’Office Chérifien des Phosphates est le leader mondial des sément : i) les actions RSE engagées par l’OCP; ii) les critères
exportations de phosphate et de produits phosphatés. Il béné- de choix de ces actions; iii) les motivations des managers
ficie de 90 ans d’expérience dans la mine et de 45 ans dans dans la mise en œuvre de ces actions; iv) la gouvernance de
la chimie. Il extrait près de 30 millions de tonnes de minerais ces actions avec les parties prenantes de l’OCP, notamment
de phosphate du sous-sol marocain qui recèle les trois-quarts les élus; v) la perception de ces actions par leurs bénéficiaires
des réserves mondiales. Le tiers du minerai extrait est exporté (les populations).
comme matière première, les deux autres sont livrés aux
Nous avons réalisé une enquête d’opinion auprès des
industries chimiques du Groupe pour être transformés en
populations locales à l’aide d’un questionnaire sur la percep-
produits dérivés : acide phosphorique de base, acide phos-
tion de l’impact des actions RSE de l’OCP dans leur vie de
phorique purifié, engrais solide. Les parts de marché de
tous les jours : amélioration de leur cadre de vie à travers la
l’OCP en produits phosphatés représentent le quart du marché
prise en charge par l’OCP d’un certain nombre d’infrastruc-
mondial.
tures publiques (route, école, hôpital), accès au logement,
Dans le cadre d’une convention de recherche universitaire embauche, etc. Plus de 1200 personnes ont ainsi été enquêtées
avec l’OCP, nous avons étudié l’action RSE de cette entreprise sur cinq sites où l’OCP est présent (deux sites miniers et trois
publique. Nous avons adopté une approche contextuelle. sites chimiques). Le traitement des données récoltées au
Nous entendons par là : « un cadre particulier d’analyse qui cours de l’enquête a fait l’objet d’une analyse de contenu
tente de comprendre, dans une perspective constructiviste, établie à partir des logiciels suivants : NET-Survey pour la
les processus interactifs par lesquels un contenu (…) évolue programmation des modules et des différents formulaires et
dans un contexte particulier, traversé par un processus où STAT’Mania Data Mining pour la mise en place des indices,
prédominent les relations, interactions, jeux de pouvoir entre des indicateurs et des éléments de restitution de résultats
acteurs influant la vie des organisations. Une telle perspective (tableaux de répartition, graphiques, pages de rapport).
oriente la recherche vers un examen minutieux des spécificités
Nous avons obtenu les données secondaires en consultant
qui caractérisent le fonctionnement de chaque organisation. »
de nombreux documents qui nous ont permis de recouper
(Husser, 2006, p. 66).
ou d’enrichir le recueil de données primaires : étude de la
La méthodologie que nous avons adoptée est une approche communication institutionnelle de l’OCP tant interne (jour-
exploratoire hybride de type abductive (Allard-Poesi et al. naux d’entreprise, documents de travail), qu’externe (rap-
2003). Elle consiste en un processus itératif, impliquant de ports annuels d’activité, rapports d’audit de l’office, lettre
multiples allers-retours entre le terrain et les théories d’information à l’occasion de l’émission d’un emprunt

1. Koenig (993) définit la notion d’abduction et décrit son rôle dans conjecture sur les relations qu’entretiennent effectivement les choses
des recherches qualitatives en sciences de gestion : « L’abduction est [...]. L’abduction consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il
l’opération qui, n’appartenant pas à la logique, permet d’échapper convient ensuite de tester et de discuter ».
à la perception chaotique que l’on a du monde réel par un essai de
Responsabilité sociale d’une entreprise publique : une formalisation du jeu des acteurs 25

obligataire de l’OCP fin 2011). Enfin, l’observation directe Notre article se propose d’étudier plus particulièrement
a pu être mobilisée à travers des visites in situ répétées dans les actions RSE de l’OCP à l’égard des populations proches
le cadre de notre programme de recherche. de ses centres d’activités. La mise en œuvre de ces actions
passe en grande partie par l’intermédiaire des élus locaux
Notre article n’a pas pour objet de rendre compte de cette
qui interviennent auprès des managers de l’OCP pour obtenir
étude de terrain dont les résultats et les analyses sont la
une subvention ou une prise en charge financière de leurs
propriété de l’OCP. En revanche, cet article se propose d’ap-
projets municipaux.
profondir, sur le plan théorique, une dimension particulière
des actions RSE de l’OCP dont l’intérêt analytique est apparu Il ne s’agit pas de se demander quelles sont les motivations
à la lumière de la qualité et de la richesse des réponses obte- des managers de l’OCP quand ils répondent favorablement
nues lors de nos entretiens. Cette dimension concerne la aux sollicitations des élus locaux. La réponse tient à la nature
gouvernance des actions RSE de l’OCP entre les managers de l’entreprise qu’ils dirigent. L’OCP est « encastré » dans un
de l’Office et les élus locaux. contexte institutionnel marocain dont les caractéristiques,
comme nous l’enseigne l’économie néo-institutionnelle (North,
Dans la tradition des grandes entreprises minières, l’OCP
1990), sont déterminées de façon endogène par des facteurs
conduit des actions RSE de grande ampleur qui s’inscrivent
économiques, politiques, sociaux, culturels, comportemen-
dans le contexte institutionnel spécifique du Maroc. Ces
taux. Face aux limites de « l’Etat prévoyance » marocain, et
actions concernent :
compte tenu des moyens financiers et matériels importants
• L’ensemble des salariés de l’OCP : politique salariale de l’OCP, les managers de l’Office se sentent tenus de déployer
avantageuse, plan d’accession à la propriété dans les des actions sociales citoyennes de grande ampleur pour tenter
villes minières, mise à disposition d’infrastructures à de répondre aux attentes sociales des populations locales et
caractère social et récréatif. de la société marocaine. Plus précisément, le contexte social
et culturel marocain se caractérise par une solidarité tradi-
• Les populations proches de ses centres d’activités.
tionnelle forte et cohésive, de nature familiale et interper-
L’OCP engage des actions citoyennes en finançant des
sonnelle plus qu’institutionnalisée, dans laquelle la tradition
investissements ou des projets sociaux portés par des
islamique de la zakât ou de la sadaqua encourage les mieux
associations caritatives ou défendus par des élus locaux
nantis à venir en aide aux plus pauvres (Labaronne et Ben
qui le sollicitent. Il peut s’agir d’infrastructures médi-
Abdelkader 2008). Ce contexte fixe des règles informelles
cales (hôpitaux, dispensaires), éducatives (écoles pri-
auxquelles les dirigeants de l’OCP ne peuvent s’affranchir
maires, collèges, lycées), sportives (gymnases, stades,
au risque de perdre leur légitimité morale. Une forme de
piscines), routières (désenclavement de villages),
paternalisme en découle qui répond aux obligations que les
urbaines (aménagement d’espaces publics : salle des
managers de l’OCP doivent assumer au regard des attentes
fêtes, salle des associations).
fortes et des valeurs prégnantes de la société marocaine. Dès
• La société marocaine : lors, leurs actions RSE peuvent apparaître comme étant le
reflet d’un isomorphisme institutionnel (DiMaggio et Powell
–– L’OCP développe des programmes massifs dans la
1983; Capron et Quairel-Lanoizelé, 2007) qui leur impose
protection de l’environnement à travers des investis-
de se conformer aux exigences sociales et réglementaires ou
sements d’économie d’eau, d’énergie électrique et
encore aux attentes de l’opinion publique pour bénéficier
d’émission de CO2.
d’une légitimité de leur action managériale.
–– Il pilote des projets écologiques avant-gardistes comme
À plusieurs reprises nous avons utilisé la notion d’encas-
la création d’une « ville verte » et la réhabilitation d’un
trement (embeddedness) à propos de l’OCP. Cette notion est
ancien site industriel en « mine verte ».
définie par Granovetter (1985), à la suite de Polanyi (1944),
–– Il assume ses responsabilités économiques et sociétales comme l’appartenance à un système de relations : tout com-
à l’égard du pays en conduisant des actions fortes : portement économique serait « encastré » dans un réseau de
création d’emplois directs et indirects dans ses terri- relations sociales sans lesquelles il ne pourrait ni exister ni
toires d’implantation, participation à la réalisation de trouver les ressources nécessaires à son action. Cette notion
projets de lutte contre la pauvreté et l’exclusion dans pose la question, pour l’OCP, du processus d’interactions
le cadre de l’Initiative Nationale pour le Développement socio-politiques dans lequel l’Office est engagé dans le
Humain, réalisation d’une université polytechnique contexte marocain. Entre le modèle d’une entreprise domi-
de haut niveau, capable d’accueillir à terme plus de nante qui ne se préoccupe pas des attentes de ses parties
6000 étudiants, lancement du programme « OCP prenantes et celui d’une entreprise dominée qui subirait les
Skills » qui concerne en 2012 plus de 20 800 jeunes, pressions de son environnement, il existe un modèle inter-
à travers trois volets : recrutement immédiat (5 800 médiaire qui repose sur les interactions de l’entreprise avec
personnes); formation pour permettre l’embauche de son environnement économique, social et politique (Pasquero,
jeunes dans différents secteurs d’activité de l’économie 2008). C’est précisément l’étude du caractère complexe et
marocaine (15 000 candidats), entreprenariat (soutien dynamique de ces interactions entre les managers de l’OCP
aux jeunes porteurs de projets). et les élus locaux qui nous intéresse dans cet article.
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Après avoir rappelé le contexte analytique et la métho- marocaine toute entière, mais seulement à l’égard de l’Etat
dologie adoptée qui nous ont conduits à élaborer dans cette marocain, actionnaire principal d’OCP SA. Les managers
étude des « conjectures », nous proposons à présent de les auraient pu estimer que leur responsabilité consistait doré-
discuter dans un cadre théorique qui s’intéresse au compor- navant à verser le montant de dividendes et d’impôts le plus
tement spécifique des deux acteurs publics engagés dans une élevé possible à la puissance publique, à charge ensuite pour
relation RSE, managers de l’OCP et élus locaux. elle, à travers ses politiques publiques, de servir l’intérêt
général.
Dans les faits, les dirigeants de l’OCP n’ont pas renoncé
Approches théoriques du comportement
à la mise en œuvre d’une stratégie RSE, stratégie qui se
des acteurs publics traduit, aujourd’hui encore, par une implication profonde de
Dans la littérature, deux conceptions s’opposent concernant l’Office dans le développement des infrastructures publiques
le comportement que peuvent adopter les acteurs publics, locales. Cette démarche fait peser sur les managers de l’OCP
en particulier les managers d’entreprises publiques. La pre- une lourde responsabilité, celle de se substituer, au plan local,
mière découle de la conception wébérienne de « l’État bien- à la puissance publique dans la définition de l’intérêt général.
veillant » selon laquelle ces acteurs chercheraient à défendre En négociant directement avec les élus locaux et en acceptant,
l’intérêt général et à maximiser le bien-être collectif (Weber, ou pas, de financer telle ou telle infrastructure, les managers
1919). La seconde, issue de la théorie des choix publics de l’OCP endossent la responsabilité de définir ce qui relève,
(Buchanan et Tullock, 1962; Laffont 2000, Mueller 2009), ou pas, de l’intérêt général.
récuse l’hypothèse précédente en considérant ces acteurs se
La poursuite de cette attitude souligne la bipolarité du
comportent comme des agents qui cherchent à maximiser
comportement de cet acteur public. D’une part, il se comporte
leur propre fonction d’utilité, sous un réseau de contraintes
en manager « privé » en recherchant la performance qui, à
économiques et politiques. Dans le cadre d’un « État impar-
fait » (Guenerie, 2000), l’argument de cette fonction est avant terme, servira l’intérêt général à travers l’utilisation, par la
tout l’intérêt personnel. Dans le cas des managers publics, puissance publique, des dividendes et des impôts versé par
il peut s’agir, par exemple, de leur maintien à la tête de leur l’Office. D’autre part, il revendique le statut « d’acteur public »
société publique ou des avantages pécuniaires qu’ils en en restant attaché à la place qu’il occupe dans la société
retirent. marocaine. Le phosphate peut effectivement être considéré
comme un bien public, constitutif du patrimoine national
Quelle position analytique avons-nous pris dans le cadre marocain, et l’OCP, du fait de son implantation locale, estime
de cette controverse théorique ? Quelles hypothèses avons- qu’il sait mieux que quiconque, comment servir l’intérêt
nous retenues s’agissant du comportement des managers général, notamment en aidant les élus locaux dans le finan-
publics de l’OCP et de celui de leurs parties prenantes, les cement de leurs dépenses de fonctionnement ou d’investis-
élus locaux, qui sont aussi des acteurs publics ? Nous précisons sements municipaux.
ici notre cadre d‘analyse et nos hypothèses de travail.
Dès lors, c’est bien son comportement en tant qu’acteur
public, servant l’intérêt général, qu’il convient d’examiner
Positionnement analytique dans ses relations avec ses parties prenantes, en particulier
les élus locaux. Cette orientation nous conduit à apporter
L’OCP a connu récemment une double transformation : une précision théorique sur le statut particulier des managers
publics au regard de celui de leurs homologues du secteur
• Managériale, à partir de 2006, avec le changement de
privé. Les dirigeants d’entreprises publiques se caractérisent
son équipe de direction. La nouvelle équipe a abandon-
par un double statut, celui de manager, comme tout respon-
né le modèle bureaucratique de gestion qui prévalait
sable d’entreprise, et celui d’acteur public, au même titre que
jusqu’alors et a adopté une « nouvelle gestion publique »
(NGP-Osborne et Gaeblert, 1993; Jones et Kettl, 2003) les élus, ou les « bureaucrates ». La théorie économique nous
axée sur l’efficacité et la performance économique. enseigne que le comportement d’un manager d’une entreprise
publique ne peut pas être tout à fait assimilable à celui d’une
• Juridique, en 2008, avec la modification du statut de entreprise privée, en raison justement de son statut « d’acteur
l’OCP, d’établissement public de droit public en société public ».
anonyme de droit privé, OCP SA.
Ce positionnement nous a guidés dans le choix de nos
Les changements managériaux et juridiques de l’OCP hypothèses de travail. Elles nous permettront ensuite de
auraient pu inciter ses managers à renoncer à toute forme formaliser le jeu de ces acteurs.
de « paternalisme » de la part d’une entreprise minière
réputée pour son action RSE d’envergure au Maroc. Engagés Hypothèses sur le comportement des acteurs publics
dans une NGP, ses managers auraient pu considérer que
leur responsabilité n’était plus engagée à l’égard des popu- Nous présentons nos hypothèses sur le comportement des
lations proches de ses centres d’activités ou de la société managers de l’OCP puis sur celui des élus locaux.
Responsabilité sociale d’une entreprise publique : une formalisation du jeu des acteurs 27

Hypothèses concernant le comportement des managers immuable et figée. Elle propose un cadre analytique plus
de l’OCP complexe qui permet de dépasser une des limites de la théorie
des parties prenantes évoquées par Pasquero (2008).
Nous partons de l’hypothèse de bienveillance des managers
publics de l’OCP et d’une attitude soit bienveillante, soit La théorie des choix publics, qui se définit comme
intéressée, de la part des élus locaux. Pourquoi ne retenir « l’étude économique des décisions non marchandes »
que la bienveillance dans le cas des managers de l’OCP et (Mueller, 2009), aborde le comportement des acteurs publics
pas « l’intérêt » comme dans le cas des élus locaux ? à travers l’individualisme méthodologique. Elle considère
Notre souci ici n’est pas seulement de simplifier la com- que l’intérêt d’une organisation publique doit s’analyser à
binaison possible du comportement et du jeu des acteurs travers le comportement des acteurs publics qui la composent.
pour rendre plus intelligible leur stratégie. Elle découle Mais ce comportement, là encore, ne se réduit pas toujours
surtout du constat que nous avons pu faire suite à un examen à l’opportunisme, cette attitude ne reflétant pas l’étendue et
attentif du discours et des pratiques des managers de l’OCP la variété des comportements de ces acteurs qui peuvent être
et des élus locaux rencontrés dans le cadre du programme à la fois plus riches et plus complexes (Labaronne, 1995).
de recherche interdisciplinaire que nous avons conduit. En servant l’intérêt général, les managers publics peuvent
trouver une satisfaction dans la valorisation de soi, dans
Nos entretiens auprès des membres de la direction, au l’identification personnelle à la réussite d’actions collectives,
siège social ou sur les sites d’extraction ou de production dans la réputation de managers soucieux du bien-être collectif.
chimique de l’OCP, ont mis en évidence le fait que ces mana- Cette recherche de satisfaction, qui conduit ces acteurs publics
gers étaient de « bons intendants » et nous ont permis de à être « bienveillants, serait d’autant plus intense que leur
récuser l’hypothèse d’un « intérêt » personnel dans la mise comportement est public et mémorable, qu’il s’inscrit dans
en œuvre d’une stratégie RSE. une démarche pro-sociale fondée sur des valeurs éthiques
Récuser cette hypothèse théorique n’allait pas de soi. Si et qu’il relève d’une pure générosité ou encore d’une attitude
certains travaux mettent en avant l’engagement des managers « altruiste » (Bénabou et Tirole, 2010).
publics en faveur de l’intérêt général et soulignent leur atta-
chement aux principes d’universalité, d’impartialité et d’inté- Hypothèses concernant le comportement des élus
grité (Mazouz et al, 2006) à travers notamment la mise en locaux
œuvre d’actions RSE qui servent le bien commun
Les élus locaux sont également des acteurs publics et peuvent
(Charbonneau et Caron, 2009), d’autres sont plus sceptiques.
avoir comme fonction d’utilité la recherche de l’intérêt général
Ils voient dans les actions RSE des managers publics le moyen et la maximisation du bien commun. Cette conception nor-
de servir leur fonction d’utilité personnelle (Laffont, 2000). mative de la puissance publique, constituée d’acteurs préoc-
Par exemple, ces acteurs peuvent développer des actions RSE cupés par l’intérêt public, s’inscrit dans la vision d’un État
afin de favoriser leur enracinement dans la perspective d’une assimilé à un « despote bienveillant » selon l’expression de
privatisation future de leur entreprise publique (Labaronne Wicksell. Mais les élus peuvent adopter des comportements
et Oueslati, 2011, b.). stratégiques non bienveillants (Laffont 2000). Dans une
Notre hypothèse de bienveillance des managers de l’OCP approche positive, ils peuvent être intéressés et agir confor-
s’inscrit dans un double référentiel théorique, celui de la mément à leurs fonctions d’objectifs propres. Les arguments
théorie managériale et celui de la théorie des choix publics. de cette fonction peuvent être la captation d’une rente, leur
maintien au pouvoir, l’obtention de fonds pour le financement
La théorie managériale met en avant le fait que les diri-
de leur (ré) élection (Lafay, 1993). Ces élus ne se détournent
geants d’entreprises privées ou publiques ne sont pas toujours
pas systématiquement de « l’intérêt collectif », mais ils peuvent
des opportunistes ou des « rusés » au sens de Williamson
avoir de cet intérêt une conception personnelle ou idéologique.
(1985). Si la théorie de l’agence souligne le comportement
Dès lors, leur comportement peut diverger de la maximisation
individualiste des managers et leur volonté de maximiser
d’une fonction de bien-être collectif. Cette divergence est
leur propre fonction d’utilité, la théorie de l’intendance
d’autant plus importante que l’élu est impliqué dans une
(Donaldson et Davis 1991) insiste sur les comportements
négociation stratégique entre les principaux participants à
« moraux » des gestionnaires (Wood, 1991). Elle privilégie
la décision (Mueller, 2009).
l’hypothèse d’une convergence d’intérêts, entre agents et
principaux, en raison des satisfactions morales qu’éprouve- Par la RSE, l’entreprise s’insinue dans le champ politique;
raient les agents d’être de « bons intendants ». Ces derniers il nous est alors apparu intéressant et pertinent d’analyser la
auraient pour fonction d’utilité de contribuer au développe- réaction de l’élu local face à cette « intrusion » de l’entreprise
ment à long terme de l’entreprise qu’ils dirigent tout en servant dans ce qui est normalement et légitimement son champ
l’intérêt général (Donaldson et Davis, 1994; Davis et al 1997). d’action.
La théorie de l’intendance rappelle la nécessité de ne pas Nous faisons l’hypothèse que, face à cette « concurrence »
réduire le comportement des managers, ici des managers de la part de l’entreprise en termes d’actions sociales, il adopte
publics de l’OCP, au seul opportunisme. Elle invite à ne pas une stratégie liée à son statut d’élu local en situation de vouloir
considérer ce comportement comme s’il était une « donnée » plaire à la population et/ou d’être réélu.
28 Management international / International Management / Gestión Internacional, 18 (2)

En résumé, nous considérons que les managers de l’OCP Si l’on considère que toute action de responsabilité socié-
servent l’intérêt général, soit en mettant en œuvre la NGP tale comporte des aspects désirables (démarche d’altruisme)
(hypothèse NGP), soit en s’impliquant directement dans une et des coûts budgétaires (démarche de NGP), les managers
action RSE locale (hypothèse d’altruisme). Les élus peuvent de l’OCP vont rechercher une utilité moyenne maximale,
également avoir un comportement bipolaire en étant préoc- c’est-à-dire une part de RSE dans le budget de l’entreprise
cupés par l’intérêt général quand ils négocient des actions qui la rende acceptable au regard des objectifs d’altruisme
RSE avec l’OCP (hypothèse de bienveillance) en étant inté- et des contraintes de NGP. Leur comportement calculateur
ressés par les retombées que peut avoir cette action sur leur consistera à minimiser les enjeux négatifs (trouver une bonne
carrière, retombées en termes d’image ou de financement de raison pour participer à cette RSE, bien qu’elle ait un coût
leur campagne électorale (hypothèse électorale). important) et à maximiser les enjeux positifs à travers la
consolidation de l’image d’eux-mêmes en tant que bons
intendants. Les élus locaux, quant à eux, vont souhaiter une
Le jeu des acteurs publics autour des actions RSE aide financière la plus élevée possible de l’OCP pour leur
Notre apport extérieur à la théorie traditionnelle du mana- permettre de développer leur programme d’aide aux popu-
gement nous permet de formaliser le caractère complexe et lations (hypothèse de bienveillance) tout en veillant à garder
dynamique des interactions entre des managers d’une orga- une partie de l’argent pour financer leur campagne électorale
nisation publique, l’OCP, et des acteurs publics, les élus (hypothèse d’intérêt électoral).
locaux. Le recours à la théorie des jeux nous permet d’argu-
menter la réflexion en trois temps : la décision interactive, L’utilité des managers de l’OCP (UE) dans leur action
l’apparition d’un conflit et le choix d’un scénario. RSE peut être formulée de la façon suivante :
En effet, la théorie des jeux correspond à une théorie de UE = UE (Y-y, x)
la décision interactive, en modélisant des situations dans
lesquelles plusieurs agents sont en situation de choix, les Y est le chiffre d’affaires de l’OCP; y est la somme allouée
choix des uns affectant l’utilité des autres. Elle sert à modé- pour la RSE de l’Office; x est la somme qui parvient effec-
liser des situations de conflit (ou de coopération) dans les- tivement aux populations sous la forme d’actions caritatives
quelles des acteurs sociaux prennent des décisions et de projets locaux. Nous supposons que le bien-être que
individuelles séparées, mais ayant un impact combiné sur retirent les populations de cette action RSE est une fonction
les acteurs. Elle permet enfin de « comprendre et prédire » croissante de x. Plus x est élevé, plus le bien-être des popu-
ce qui se produit selon divers scénarii (D. Kreps, 1999). lations augmente.
L’hypothèse principale de notre modèle est de considérer Dans une démarche altruiste, la motivation des managers
les agents comme rationnels au sens où ils vont rechercher la de l’OCP dans ce modèle est représentée par x (la somme
maximisation de leur utilité. Cependant, leur utilité ne dépend allouée aux projets dont bénéficient effectivement les
pas seulement de leur propre action, elle est aussi liée à la populations).
stratégie de l’autre acteur. Comme il est question de formaliser
des relations de long terme et des actions récurrentes, nous UE1 est l’utilité que les managers de l’OCP retire de
proposons d’aborder le problème sous l’angle d’un jeu dyna- (Y – y); UE2 est l’utilité qu’ils dégagent de x.
mique qui évolue dans le temps et prend en compte des tran-
UE1 et UE2 sont les deux composantes motivantes des
sitions d’un état à un autre. Nous nous situons dans le cadre
actions RSE. Il est logique de supposer que UE1 > 0 et UE2 ≥ 0.
d’un jeu à deux personnes à somme non nulle, mais avec le
risque de voir évoluer l’une des stratégies vers un comporte- En effet, que se passerait-il si UE2 était égal à zéro ? On
ment opportuniste (asymétrie de l’information, mensonge), se trouverait dans une situation où les managers de l’OCP
remettant en cause la coopération et donnant lieu à de nouvelles n’agissent pas particulièrement dans le but de voir s’améliorer
interactions. Nous allons préciser les fonctions d’utilité de le bien-être des populations locales. Ils seraient davantage
ces acteurs, étudier les hypothèses de leur coopération ou guidés par le sentiment de satisfaction qu’ils ressentent d’avoir
non, analyser ce que peuvent faire les managers de l’OCP fait quelque chose pour l’autre, sans se soucier réellement de
confrontés à une tricherie informationnelle de la part des élus. savoir si cette action améliore le bien-être des populations.
Ce serait de la responsabilité sociale non « responsabili-
Fonction d’utilité des managers et des élus sée ». Les managers engageraient une action RSE et cela leur
Les contributions de l’OCP aux populations locales sous suffirait. Margolis (1984) a utilisé l’expression de : « parti-
formes d’actions RSE constituent une transaction qui ne passe cipation altruism » pour caractériser ce genre de comporte-
pas par le marché classique, mais qui conduit toutefois à une ment. Dans le cas d’une action RSE, ce serait une forme
situation de duopole sur le « marché de l’action sociale », d’altruisme particulière, de reconnaissance sociale à bon
mettant face à face l’OCP et les élus locaux. De ce point de compte, de bonne conscience qui consiste à engager une
vue, l’approche classique en termes de maximisation de l’utilité action sans se préoccuper de savoir si elle est utile à l’amé-
peut nous permettre de formaliser leur comportement. lioration du bienêtre des populations.
Responsabilité sociale d’une entreprise publique : une formalisation du jeu des acteurs 29

Par contre, si UE2 > 0, les managers se préoccupent de cadre d’une campagne électorale pour mieux cacher l’impé-
ce qu’il advient réellement de leur action RSE et de la réper- ritie de l’action municipale.
cussion concrète de cette action sur le bien-être des popula-
L’originalité de ce modèle repose sur l’ambivalence dans
tions. Margolis a qualifié ce type de comportement de « goods
les fonctions d’utilité, entre recherche de performances (NGP)
altruism ».
et altruisme, pour les managers de l’OCP, entre bienveillance
Si l’on se place à présent du côté d’une collectivité locale, et comportement intéressé pour les élus. Cette double ambi-
notée C, la fonction d’utilité des élus de cette collectivité est valence traduit la complexité des comportements et des
la suivante : interactions entre ces acteurs.
UC = UC (y – x, x) Il est important de définir les conditions qui vont per-
mettre à l’altruisme virtuel des uns et des autres de converger.
y est l’aide ponctuelle ou la subvention accordée par les x joue un rôle ambigu dans l’utilité des élus de C car il est à
managers de l’OCP au profit de la collectivité C; x est la la fois négatif (hypothèse d’intérêt électoral) : les élus gardent
somme consacrée à la concrétisation des projets en faveur tout ou partie de l’argent versé par l’OCP pour financer leur
des populations concernées et mis en œuvre par les élus campagne électorale, et positif (hypothèse de bienveillance) :
locaux. les élus utilisent tout l’argent versé pour le bien-être des
(y-x) correspond au montant conservé par les élus locaux de populations. On peut penser que les managers de l’OCP
C, soit pour financer les frais d’administration de cette action agiront de telle sorte que la bienveillance des élus de C prenne
RSE, soit pour détenir une somme d’argent leur permettant le pas sur l’aspect intéressé (électoral) de leur comportement.
de financer leur campagne électorale. Ce montant sera d’autant S’ensuivent différents mécanismes d’interactions que nous
plus élevé que les lourdeurs administratives sont fortes, les allons décrire. Ces interactions concernent principalement
pertes en ligne élevées et les besoins de financement électoral les situations où, concernant les actions RSE, ce sont les élus
importants. Cette différence peut donc s’interpréter comme qui réclament aux managers de l’OCP des moyens pécuniaires
le prix de l’inefficacité des services publics ou correspondre pour financer leurs dépenses municipales.
à l’existence d’une prévarication ou d’une corruption. Dans
le cas d’absence de frais d’administration ou de détournement
d’argent, le montant de (y-x) est nul. Si ce n’est pas le cas, Vers un équilibre social : mécanismes des interactions
les managers de l’OCP peuvent engager l’action RSE sans
L’observation des fonctions d’utilité des élus de C et des
passer par les élus, ce qui représente pour ces derniers une
managers de l’OCP dévoile les influences opposées qu’exercent
menace d’être exclus de la gestion du financement de cette
x et y sur les fonctions d’utilité respectives des acteurs.
opération. Par exemple, les ménagers de l’OCP peuvent
décider de faire réaliser par les moyens techniques de l’entre- Pour les managers de l’OCP, y est négatif puisqu’il repré-
prise la route communale demandée, sans accorder aux élus sente, a priori, un montant qui vient en diminution du budget.
la subvention correspondant à son financement2. x est positif et caractérise la motivation bienveillante des
managers de l’OCP dans la mise en œuvre d’une action RSE.
Les motivations des élus de la collectivité locale C sont
représentées par : Pour les élus de C, y est positif, c’est ce qu’ils reçoivent
de l’OCP sous forme d’aide ponctuelle ou de subvention. x
UC1 = (y-x) qui correspond à la motivation intéressée des
est négatif, c’est ce qu’ils doivent reverser aux populations
élus (hypothèse d’intérêt électoral). Ils consacrent un mini-
locales, sous forme de projets. Mais cet effet négatif est
mum de budget à la concrétisation d’une action RSE financée
compensé (plus ou moins entièrement) par l’amélioration du
par l’OCP. Ce minimum correspond à la partie du budget
bien-être des populations qui doit en résulter, renforçant la
alloué pour s’assurer d’un soutien financier futur de la part
légitimité électorale des élus de C.
de l’OCP, et UC2 = x qui est la motivation altruiste des élus
(hypothèse de bienveillance), préoccupés par le sort des L’OCP et les élus territoriaux cherchent à bénéficier de
populations concernées par l’action RSE financée par l’OCP; la bonne image de marque associée à une pratique de res-
ponsabilité sociétale. On peut s’attendre à des comportements
Les élus ne peuvent courir le risque d’adopter un com-
de rivalité entre eux. Quelles sont leurs influences
portement décrit par la situation UC2 = 0 qui aurait pour
réciproques ?
conséquence un arrêt de l’aide financière de l’OCP. Cette
situation correspond à un impact nul de l’action RSE de Les acteurs territoriaux et les managers de l’OCP, sup-
l’OCP sur le bien-être des populations, situation qui peut posés rationnels, se comportent de façon à maximiser la
avoir pour origine un détournement des fonds au profit des satisfaction de leur fonction d’utilité. Les élus vont pratiquer
élus ou une démarche visant à discréditer l’OCP dans le une politique de « quantité », c’est-à-dire tenter d’obtenir les

2. L’Office est la première entreprise de terrassement du Maroc


compte tenu de la longueur des pistes qu’il doit entretenir dans ses
mines d’extraction du phosphate.
30 Management international / International Management / Gestión Internacional, 18 (2)

sommes les plus élevées possibles (y) de la part de l’OCP. correspond à une meilleure situation que l’équilibre de Nash,
Les managers de l’Office vont souhaiter que les sommes qui correspond au point d’intersection des fonctions de réac-
versées par l’OCP (y) se concrétisent en actions profitant tion des deux participants.
pleinement aux populations (x); x doit être le plus proche
possible de y. Mais, le risque potentiel c’est que les acteurs Nous proposons de schématiser sous formes de gra-
territoriaux, par manque de compétence, par inefficacité ou phiques successifs les différentes étapes des interactions
par corruption, maintiennent un (y-x) élevé voire très élevé. envisageables dans la relation entre les managers de l’OCP
On s’attend par conséquent à des comportements de rivalité et les élus locaux.
entre les deux acteurs. Plusieurs cas de figure doivent être
envisagés pour apporter des éléments de réponse et déter-
miner la situation correspondant aux comportements les plus L’équilibre de Cournot-Nash
efficaces, c’est-à-dire qui contribuent le plus à améliorer le A. Cournot (1838) a travaillé sur les entreprises en situation
sort des populations à la suite d’une action RSE de de duopoles et ses résultats furent généralisés par la suite
l’entreprise. sous le terme d’équilibre de Cournot Nash. L’hypothèse
En théorie des jeux, le modèle de J.F. Nash (1950), proposé fondamentale de la solution de Cournot est que chaque « duo-
pour représenter les jeux de lutte et de coopération, interdit poleur » maximise son utilité, en supposant que la quantité
toute action concertée entre les joueurs. L’équilibre de Nash de biens et services produite par son concurrent n’est pas
est un équilibre duquel aucun des agents n’a intérêt à sortir, modifiée par sa propre stratégie. Chaque joueur cherche à
c’est-à-dire qu’aucun agent n’a intérêt à modifier sa stratégie maximiser son profit en s’adaptant aux conditions existantes.
au vu du choix de l’autre. Chaque joueur joue pour son propre Une lutte s’engage qui ne conduira à l’équilibre que si chacune
compte sans pouvoir s’entendre avec les autres joueurs; il des stratégies d’un joueur est l’une des meilleures réponses
n’est motivé que par la recherche de son gain individuel possibles au système de stratégies déployées par l’autre.
maximal et même lorsque le jeu est répété, il agit toujours Aucun des joueurs n’est incité, même après discussion, à
de la même façon, à l’image d’un robot. Dans le modèle de modifier sa manière de jouer. A. Cournot donnait aux résultats
Von Neumann et Morgenstern (1944), les participants correspondants le nom de « situations définitives ». J.F. Nash
cherchent à tenir compte de toutes les conséquences possibles réintroduit plus tard (1950) la notion d’équilibre en s’inter-
de leurs décisions. L’intuition de Von Neumann et Morgenstern rogeant sur le problème du marchandage dont il définit le
fut d’introduire le concept de « coalition » pour faire référence résultat « juste » comme étant celui qui augmente de façon
au transfert des connaissances entre joueurs. La valeur d’une maximale les résultats individuels. La solution dépend de
coalition correspond à ce qu’elle permet d’obtenir au mini- l’attitude des participants envers le risque.
mum si les joueurs font équipe. Cette conception permet de
considérer que les membres d’une coalition ne forment en Appliquons ce raisonnement à l’OCP (E) et à l’élu local
réalité qu’un seul joueur. Il est ainsi possible d’envisager (C). Supposons que E maximise son utilité en minimisant
l’utilité totale du résultat d’une alliance. Mais ces alliances y. Il l’attribuera de préférence à une collectivité dont les mises
résultent de la confrontation des comportements, et ceux-ci en œuvre sur le terrain correspondent à un x le plus élevé
dépendent de la position des joueurs dans le jeu. Le jeu sera possible, c’est-à-dire le plus proche possible de y. Cela
différent en fonction de l’ordre d’intervention des joueurs. implique qu’il détient une information concernant l’utilisation
En effet, la position dans le jeu attribue au joueur un rôle de y. S’il coopère, il accepte les règles (mêmes implicites)
différent.  du contrat. L’élu de son côté respecte ce qu’il avait annoncé
concernant l’utilisation de y.
Ce constat nous conduit à préférer les travaux de
Stackelberg. Cet économiste allemand a contribué à enrichir Le graphique 1 représente l’espace dans lequel nous
les réflexions en théorie des jeux en poursuivant les analyses raisonnons. Il est limité en bas par l’axe des abscisses (y),
de Cournot et Bertrand sur l’interdépendance conjecturelle en haut par la droite (x = y) et à droite par la contrainte de
selon laquelle « sa propre décision dépend de celle de l’autre ». budget de l’OCP (Y). La droite x*(y) est la fonction de réac-
Stackelberg considère qu’il existe une hiérarchie entre les tion de l’élu local : elle correspond au taux de transformation
agents. Il distingue ainsi deux types d’agents : les meneurs de la subvention de l’OCP en action RSE sur le terrain. Elle
(leaders) et les suiveurs (followers). Le meneur commence relie les points qui correspondent aux valeurs de x préférées
le jeu en annonçant sa décision et le processus continue en par l’élu local C (maximum des courbes d’utilité UC). La
suivant la hiérarchie. Tous les agents connaissent les décisions courbe de réaction de l’OCP est notée y*(x); elle correspond
des agents des niveaux supérieurs. Ainsi, si le joueur leader aux situations préférées par les managers de l’OCP (maximum
veut maximiser son utilité, il devra tenir compte du compor- des courbes d’utilité UE). Nous avons arbitrairement établi
tement du joueur 2 en intégrant la fonction de réaction de ces préférences sur la diagonale (y = x). Nous supposons en
celui-ci à sa propre fonction d’utilité. Ainsi, l’équilibre de effet que les managers de l’OCP préfèrent que la totalité de
Stackelberg est le point de tangence entre une courbe d’utilité la somme qu’ils consacrent à la RSE soit entièrement utilisée
et une fonction de réaction. Nous verrons pourquoi il pour améliorer la situation des populations locales.
Responsabilité sociale d’une entreprise publique : une formalisation du jeu des acteurs 31

laquelle, quel que soit le montant attribué par l’OCP, le mon-


GRAPHIQUE 1 tant consacré à l’action sociale sera fixe. L’OCP ne sera pas
motivé et aucun projet ne sera financé dans le cadre de sa
L’équilibre de Cournot-Nash (CN)
RSE. Face à cette situation inefficace, une autre stratégie
x s’impose. Envisageons maintenant des situations où l’un des
x=y Y*(x)
joueurs est en mesure de prendre en compte le comportement
de son partenaire, afin de modifier sa propre stratégie.
L’approche de Stackelberg va nous aider dans ce sens, en
Ue
introduisant une asymétrie temporelle, c’est-à-dire un ordre
Ue
dans le jeu.
Ue

L’élu local est le leader (Stackelberg-dominant)


x*(y)
Dans le modèle du duopole de Stackelberg, une firme est
considérée comme dominante lorsqu’elle impose les quantités.
Uc La dominance implique la connaissance de la réaction de
Uc l’autre agent. L’agent « Stackelberg-dominant » peut donc
Uc sélectionner l’action qui lui rapporte le plus. Dans notre
CN
Y contexte, la situation où l’élu est le leader peut se résumer
y
ainsi : l’élu local s’engage à donner x si l’OCP décide de
Source : auteurs donner y. L’entreprise joue donc en premier et définit y en
fonction de x annoncé par l’élu. On a donc : y = y*(x). L’élu
local va maximiser sa fonction d’utilité, UC, sous la contrainte :
1. UE1 = UE (Y–y) U’E1>0; U’’E1<0
y = y*(x). Sa nouvelle fonction d’utilité est la suivante :
2. UE2 = UE(x) U’E2>0; U’’E2<0
UC = UC [y*(x)-x,x].
3. UC1 = UC(y–x) U’C1>0; U’’C1<0
4. UC2 = UC(x) U’C2>0; U’’C2<0 L’élu local détermine la valeur de x en fonction de y qui
5. dUE = 0 = –UE1dy + UE2dx U’’E1U’’E2 – U’’E12 ≥ 0 est lui-même fonction de x. C’est-à-dire qu’il prend en compte
6. dUC = 0 = UC1dy + (– UC1 + UC2)dx U’’C1U’’C2 – U’’C12 ≥ 0 la réaction des managers de l’OCP. Cette situation peut s’envi-
7. dx/dy = UC1/UC1 – UC2 dx/dy = UE1/UE2
sager si la collectivité locale complète la somme versée par
l’OCP (par exemple l’OCP finance la construction d’une salle
8. limdUE = 0 limdUC1 = ∞
publique et la collectivité locale les dépenses de fonctionne-
9. x —> 0 x —> γ
ment de cette salle).
10. limdUC = 0 limUC2 = ∞
11. x —> 0 x —> 0 Dire que l’élu local est le Stackelberg-dominant revient
à dire qu’il va agir en tenant compte de la réaction des mana-
gers de l’OCP. La situation qui en découle peut être repré-
Rappelons que UE1 est l’utilité que les managers de l’OCP sentée sur le graphique 2 suivant. (Les propriétés des fonctions
retirent de (Y-y) et UE2 est l’utilité qu’ils dégagent de x. UE1 d’utilité sont les mêmes que dans le graphique 1).
et UE2 sont les deux composantes motivantes des actions
L’élu local va maximiser sa fonction d’utilité de telle
RSE. Il est logique de supposer que UE1 > 0 et UE2 ≥0.
sorte que ce que lui donne les managers de l’OCP (y) se situe
Les contraintes sont les suivantes : y>x et Y>y. Il est sur la courbe de réaction de l’OCP, y*(x).
raisonnable de supposer que les deux protagonistes ne don-
L’équilibre de Stackelberg, quand l’élu local est un
neront pas plus que ce que leur budget respectif leur
Stackelberg-dominant, correspond au point de tangence entre
permet. sa courbe d’indifférence (UC) et la courbe de réaction des
On peut dire que s’établit entre E et C un équilibre de managers de l’OCP, y*(x). Il est dans l’intérêt de l’acteur
Cournot-Nash, quand il existe une courbe de réaction de C local de recevoir le plus d’argent possible (y) de la part de
(x*(y)), telle que C maximise son utilité UC par rapport à x l’OCP. En effet, le côté intéressé de son comportement (y-x)
en connaissant y, et une courbe de réaction de E, y*(x), telle le pousse à désirer y proche de Y. Pour obtenir cela, il sait
que E maximise son utilité UE, en fonction de y en connaissant qu’il doit s’engager à donner un x proportionnellement grand;
x. L’équilibre de Cournot-Nash est un équilibre non coopé- ce qu’il est en mesure d’accepter puisque le côté altruiste (x)
ratif; il n’y a aucun échange d’informations. Il se situe à de son comportement intervient également. Le point d’équi-
l’intersection des deux fonctions de réaction des deux agents libre de Stackelberg se situe par conséquent au niveau de la
courbe d’utilité UC la plus à droite.
E et C. Il est tel que (x,y) = (0,0) (point CN sur le graphique).
Concernant l’OCP, pour tout x, y = 0 car, quel que soit le Cette situation est une « solution de coin ». L’équilibre
montant de y, x est fixé. On aboutit à une situation dans est noté SC sur le graphique. Cette situation se caractérise
32 Management international / International Management / Gestión Internacional, 18 (2)

GRAPHIQUE 2 GRAPHIQUE 3
L’élu local est le Stackelberg-dominant (SC) L’OCP est le Stackelberg-dominant (SE)

x Y*(x) x y*(x)
x = y SC x=y

Ue Ue
Ue Ue
Ue Ue

x*(y) x*(y)

SE
Uc Uc Uc Uc Uc Uc
Y y y y
Source : auteurs Source : auteurs

par un « hyper » altruisme de la part des deux acteurs publics. motivation de la part des managers de l’OCP : la RSE n’entre
Cet hyper altruisme est peu crédible de la part d’une entreprise plus dans leur stratégie budgétaire au même titre que les
qui ne peut consacrer la totalité de son budget (Y) à des d’autres actions. Les managers s’intéressent non seulement
actions RSE. à ce qu’ils donnent mais aussi à ce que les populations
reçoivent. Pour que cette situation soit efficace, il faut que
s’instaure entre les managers de l’OCP et l’élu local un contrat
Le manager de l’OCP est le leader de confiance ou encore que les managers de l’OCP aient les
(Stackelberg-dominant) moyens de contrôler le comportement de l’élu local.
Dans cette situation, l’OCP décide qu’il donne y si l’élu local Selon les termes du contrat, x va prendre la valeur située
s’engage à donner x. L’élu local, qui joue ici en premier, à l’équilibre de Stackelberg, chaque fois que les managers
détermine ainsi le montant qu’il va consacrer à l’action RSE de l’OCP ne peuvent pas exercer un contrôle sur l’élu (déviance
en fonction de ce que les managers de l’OCP vont lui donner dans le discours des élus, détournement des fonds, inefficacité
comme financement (y), c’est-à-dire que la valeur de x (action des services, lourdeurs administratives). Cette situation n’est
RSE) sera déterminée en fonction de la valeur de y (budget évidemment pas optimum pour les managers de l’OCP.
donné par l’OCP); x devient une fonction de y : x = x*(y).
Il en résulte une situation de « marchandage implicite »
L’OCP va maximiser UE sous la contrainte : x = x*(y).
(ou « menaces crédibles », c’est-à-dire effectivement mises
Sa nouvelle fonction d’utilité est la suivante : en œuvre : refus de l’OCP de participer à un financement de
UE = [Y-y,x*(y)] projet), au cours duquel chaque partie essaie de découvrir
dans les réponses de l’autre quelles sont les conséquences
Les managers de l’OCP vont tenir compte de la réaction
ultimes de ses propres types de comportement. Chaque partie
de l’élu local et définir y (le budget alloué) en fonction de x
essaye de découvrir quel comportement aura pour résultat
(l’action RSE engagée réellement).
des réactions mutuelles qui seront dans la nature d’un accord
Dire que les managers de l’OCP sont un Stackelberg- tacite et seront plus favorables de son point de vue qu’un
dominant consiste à dire qu’ils maximisent leur fonction autre accord tacite acceptable pour l’autre. Doit donc s’ins-
d’utilité UE de telle sorte que x = x*(y) avec x*(y) tel que taurer entre les deux acteurs un contrat de confiance dans le
l’élu local maximise sa fonction d’utilité. Il n’existe qu’un cadre duquel chaque partie doit se plier à la conditionnalité
seul point d’équilibre qui est le point de tangence entre la qui scelle le contrat.
droite x*(y) et la courbe (UE). L’équilibre de Stackelberg est
Nous allons intégrer dans le raisonnement l’influence
noté SE sur le graphique 3.
que peut avoir les managers de l’OCP sur l’action des élus,
Les valeurs de x et y sont déterminées par le marchandage influence qu’ils peuvent exercer soit par la menace, soit par
dans le contrat. Cette situation entraîne une certaine le contrôle.
Responsabilité sociale d’une entreprise publique : une formalisation du jeu des acteurs 33

Coopération et menace : l’équilibre de Pareto coopérer avec lui. La contrainte de crédibilité correspond
donc à un transfert en sens inverse : plus l’élu est crédible
On considère que la droite (x = y) est la limite vers laquelle
moins les managers de l’OCP sont enclins à engager une
les managers de l’OCP veulent s’engager dans le financement
action RSE à la place de l’élu. Moins l’élu est crédible plus
d’une action RSE. Ils exercent une pression sur l’élu local
les managers sont incités à conduire eux-mêmes l’action RSE
pour que les valeurs de x (action RSE mise en œuvre par
pour s’assurer qu’elle profite bien à la population. Le manque
l’élu à la suite du financement de l’OCP) se rapprochent de
à gagner de l’élu local (y-x) (hypothèse électorale) sera com-
la limite (x = y). Les nouvelles valeurs de x (MNO) reliées
pensé par un gain de bien être de la population -x- (hypothèse
par la courbe des contrats (Q), correspondent aux alternatives
de bienveillance), ce qui rend la contrainte acceptable pour
qui sont préférées par les managers de l’OCP et par l’élu local
l’élu.
(voir graphique 4).
Les points MNO sont des optima au sens de Pareto pour
les deux acteurs, s’il n’existe pas d’autres valeurs pour x et
y telles qu’elles soient préférées. Ces points correspondent
GRAPHIQUE 4 aux intersections des courbes d’utilité (UE) et (UC).
L’optimum de Pareto est un équilibre fort dans la mesure où
Des optima de Pareto il n’existe pas d’autres coalitions pour lesquelles les joueurs
auraient intérêt à changer unilatéralement de stratégie.
x Y*(x)
x=y
La stabilité de l’équilibre provient d’une menace passive
Ue des managers de l’OCP et plus particulièrement dans la
Ue situation où ils sont Stackelberg-dominants. Dans cette situa-
Ue tion, leur motivation en faveur d’une action RSE qui profite
pleinement à la population est la plus forte. Ils utilisent la
menace pour contraindre l’élu local à adopter un comporte-
O ment altruiste et efficace qui permette d’atteindre l’optimum.
N x*(y) Cette propriété stabilisatrice de la menace a été mise en
M évidence par les économistes, depuis fort longtemps. Dès
Q 1930, Fisher, critiquant l’analyse du duopole de Cournot,
remarquait : « aucun homme d’affaires n’est assez myope
pour supposer que son rival ne réagira pas à ses propres
Uc Uc Uc coups ».

Y y Une menace efficace étant une menace acceptée et cré-


dible, la mise en place d’un schéma de dissuasion est un acte
Source : auteurs coopératif. C’est le contrôle exercé par l’entreprise sur l’action
de l’élu local qui va permettre d’augmenter la confiance
réciproque et d’éviter les comportements « anti productifs ».
La situation qui en découle est un quasi-accord. La menace
La pente de la courbe des contrats négociables (Q) traduit,
de l’OCP ne se justifie que dans la mesure où les motivations
en fait, à un moment donné, l’état de la préférence relative
des managers sont bien l’amélioration de la situation des
de l’OCP et de l’élu local dans l’ajustement de x et de y. Plus
populations ou encore la défense de l’intérêt général. Si les
précisément, la modification de la répartition de x et de y,
managers de l’OCP étaient motivés par d’autres arguments
lorsque l’on évolue sur la courbe des contrats, est la résultante
que le bien public, leur intérêt privé par exemple, alors les
de deux effets : un effet quantité (lié à l’action sociale) et un
bases rationnelles du consensus seraient brisées et, avec elles,
effet prix (lié à la dépense associée à cette action). Nous
celles d’une action efficace.
pouvons en effet considérer que pour obtenir x (une action
RSE), il faudra payer y (engager une dépense). Pour déjouer le contrôle, l’élu local peut être tenté de
tricher et de mentir concernant la somme qu’il va réellement
La courbe des contrats spécifie l’ensemble des répartitions
attribuer à l’action RSE. Cette somme sera inférieure à celle
Pareto optimales par l’égalisation des taux marginaux de
prévue par le contrat. Quelles sont les conséquences d’un tel
substitutions (x/y). Elle définit le lieu géométrique des points
comportement ?
d’équilibre pareto-efficients. La distance qui sépare les points
situés sur (Q) de ceux situés sur x*(y) est la contrainte de
crédibilité de l’élu local. Au point M l’élu est moins crédible
RSE et asymétrie de l’information
qu’au point O, la distance de Q par rapport à x*(y) étant plus
grande. En M, les managers de l’OCP font peser une menace En situation d’information complète de la réaction de l’autre,
plus grande qu’en O dans le but d’amener l’élu à adopter un l’équilibre Pareto-efficient est la règle lorsque les relations
comportement tel que les managers de l’OCP acceptent de entre les deux agents sont gérées par le contrat implicite, issu
34 Management international / International Management / Gestión Internacional, 18 (2)

de règles acceptées comme efficaces. Mais que se passe-t-il mécontentes. Cette situation peut avoir pour l’élu local des
si ce contrat de confiance est brisé par l’apparition de tricheries conséquences dommageables sur le plan électoral, d’où sa
débouchant sur une situation d’asymétrie de l’information ? stratégie consistant à faire porter la responsabilité de cet
L’information concernant la réaction de l’élu local est alors échec sur l’OCP qui a contribué au financement de l’action
imparfaitement communiquée aux managers de l’OCP. (mauvaise image).
Des situations de ce genre existent. Les managers de Donc, plus la contribution financière de l’OCP aux col-
l’OCP nous donnaient l’exemple d’un centre des congrès dont lectivités locales pour les actions RSE (y) est élevée, moins
ils ont financé la construction et pour lequel les élus locaux les élus locaux seront tentés de tricher. Dans notre exemple
s’étaient engagés à financer le fonctionnement. Depuis plu- du palais des congrès si l’OCP avait financé la construction
sieurs années maintenant ce centre est construit mais il n’est et le fonctionnement, l’action RSE aurait abouti et les élus
pas ouvert au public suite au désengagement des élus locaux. n’auraient pas pu tricher. Le schéma suivant représente la
Ceux-ci non seulement ne tiennent pas les engagements qu’ils contrainte de crédibilité, c’est-à-dire la surface entre la posi-
avaient pris mais tentent de cacher leur impéritie en faisant tion préférée par l’élu local, x°(y) (droite en pointillés) et la
porter la responsabilité de ce dysfonctionnement sur l’OCP. courbe des contrats. À la valeur Y, la contrainte disparaît,
Dans ce cas, les managers de l’OCP vont agir sous les l’acteur local n’est plus tenté de tricher et k s’annule. Cette
contraintes (y-x) et x, en ignorant que les contraintes réelles situation correspond au point P sur le graphique 5 (il est situé
sont en fait (y-x°) et x°, avec x°< x. à l’intersection des trois droites). Ce constat permet d’orienter
le choix d’un optimum vers un y le plus grand possible et un
L’introduction de cette dissymétrie informationnelle met x situé sur la courbe de réaction de C (x°(y), (point P sur le
en évidence le pouvoir de l’élu local. La possibilité qui lui graphique).
est offerte d’appliquer « ex post » des prix faux peut contribuer
à la réalisation d’équilibres non efficients. Examinons-en les
répercussions. Notre raisonnement s’inscrit dans le cadre de
GRAPHIQUE 5
la théorie des contrats incomplets formalisée par Grossman
et Hart (1983) et appliquée par Charreaux (1998) dans le Le choix optimum
cadre de la théorie du gouvernement d’entreprise.
x Y*(x)
Reprenons le raisonnement au point d’équilibre de x=y
Stackelberg SE où les managers de l’OCP sont leaders. Pour Ue
que le jeu continue, l’élu local, qui joue en premier, sollicite Ue
l’OCP pour le financement d’un « projet RSE ». Donc l’OCP
connaît le x qui sera utilisé sous forme d’action sociale Ue
lorsqu’il donne y. Posons la fonction d’utilité des managers
de l’OCP suite à leur décision de financer le projet : P
O
UE = (Y-y,R) avec R qui correspond à la relation qui s’instaure N x*(y)
entre les managers de l’OCP et l’élu local. Il est raisonnable
de poser R> 0 car si les managers de l’OCP ne tiraient aucun Q M
avantage à effectuer une action RSE les relations avec l’élu x°(y)
local cesseraient. Supposons que l’élu local mente sur l’am-
pleur de son action RSE retransmise dans les faits : il va
Uc Uc Uc
prétendre donner x* alors qu’en réalité il donne x°, avec
x°< x*. Il en découle deux types de relations entre l’élu local Y y
et les managers de l’OCP : Mx* quand l’acteur ne triche pas
et Mx° quand il ment et prétend s’engager au-delà de ce qu’il Source : auteurs
fait réellement.
Posons k, la différence entre les deux relations :
Mx*-Mx° = k qui symbolise le mensonge. Le contrat optimal Deux logiques consécutives apparaissent consubstantielles
sous asymétrie de l’information est tel qu’il existe un couple à la réalisation d’une stratégie optimum :
(Mx°,k) qui maximise la fonction d’utilité de l’élu local de
• La première nécessite un créancier dont la puissance
C. On aboutit à une nouvelle situation où l’élu local est devenu
financière permet l’allocation de montants considé-
le leader puisqu’en définitive c’est lui qui maximise son utilité
rables : c’est le cas de l’OCP pour les actions de RSE
en connaissant le comportement de l’entreprise et non l’in-
très structurantes au niveau des territoires et pour les-
verse. Le mensonge lui a permis de renverser les rôles, brisant
quelles les collectivités locales ont tout intérêt à coo-
ainsi l’équilibre précédemment établi et rendant la situation
pérer.
inefficace En effet, le montant dédié à l’action sociale (x°)
est inférieur à l’engagement annoncé : les actions sont moins • La seconde logique, en fonction du degré d’information
importantes ou de moins bonne qualité; les populations sont réciproque (rôle du capital social), autorise, selon l’im-
Responsabilité sociale d’une entreprise publique : une formalisation du jeu des acteurs 35

portance du projet concerné, le marchandage et réduit territoires où l’office est implanté. Sur la seule année 2011,
au maximum les dérives éventuelles : si le contrat n’est dans le cadre d’un programme RSE dénommé « OCP Skills »,
pas respecté, les coopérations (et donc les financements) ils ont recruté 5800 jeunes et dépensé trois millions d’euros
cesseront. Les caractéristiques des territoires concernés pour la lutte contre l’abandon scolaire. Cela s’est traduit par
sont importantes car elles vont déterminer différents la construction de cinquante-six cantines d’école, la réhabi-
types de réseaux sociaux (Péraldi, Perrin, 1996) qui litation de cinquante établissements scolaires, l’aménagement
font modeler la force et l’intelligence du territoire. de vingt infirmeries, la distribution de 2000 vélos au profit
d’enfants scolarisés en milieu rural et la mise à disposition
Ce raisonnement en cascade peut être schématisé de la
de vingt-cinq bus (OCP, 2012).
façon suivante (Graphique 6).
Malgré cet engagement RSE, l’OCP continue de pâtir
Le fait d’agir seul comporte le risque d’une inadaptation
d’une mauvaise image de marque auprès des populations
des actions aux attentes des populations locales. Il est plus
locales. Notre questionnaire, administré début 2012 auprès
opportun que l’OCP agisse en coopération avec les acteurs
de 1200 personnes, sur les cinq sites de production de l’OCP,
locaux pour être au plus près des véritables besoins des
a montré cette perception négative. Une des raisons de cette
populations locales.
situation réside dans le fait que l’OCP ne prend en compte
Cette analyse permet de poser les dynamiques qui que les élus municipaux comme partenaires dans leurs actions
motivent le comportement des managers de l’OCP en termes RSE locales. Or ces parties prenantes peuvent être des parties
de RSE. Ainsi, à la suite du « Printemps arabe », les managers opportunistes qui ne jouent pas forcément le jeu de la
de l’OCP ont été confrontés à des tensions politiques locales recherche du bien commun. Leur stratégie électorale peut
et ont dû faire face à une demande sociale forte dans les consister à faire porter sur l’OCP la responsabilité des

GRAPHIQUE 6
Schéma de synthèse

L’élu local est


Situation irréaliste d’hyper altruisme de la part des deux acteurs
le Stackelberg dominant

L’OCP est Situation non optimale


le Stackelberg dominant Nécessité d’un contrôle de l’OCP sur les élus

Deux situations sont envisageables


en réaction à ce contrôle nécessaire

La contrainte imposée par l’OCP La contrainte n’est pas acceptée


est acceptée car elle conduit et elle conduit à un mensonge concernant
à un optimum au sens de Pareto la part reversée aux populations locales.
(amélioration du sort des populations) L’élu renverse les rôles.
Coopération Tricherie de la part de l’élu

Pour décourager la tricherie,


l’OCP a deux solutions : Rupture
– soit agir seul de la
– soit donner beaucoup et coopération
restaurer la coopération
36 Management international / International Management / Gestión Internacional, 18 (2)

difficultés locales pour masquer ainsi leur impéritie ou leur deux acteurs soient « hyper » altruistes. Or s’ils peuvent être
propre implication. bienveillants, les managers sont tenus à une exigence de NGP
et les élus ont des préoccupations électorales.
L’enjeu pour l’OCP est d’élargir le réseau de ses parties
prenantes pour ses actions RSE locales. C’est l’un des ensei- Le second est le cas où l’OCP est le Stackelberg-dominant.
gnements de cet article et du travail que nous avons conduit Pour que cette situation soit efficace, il faut que s’instaure
sur le terrain. Si les managers veulent que leur engagement entre les deux acteurs un contrat de confiance ou que les
RSE profite pleinement aux populations, ils doivent agir managers de l’OCP aient les moyens de contrôler le com-
comme un acteur socialisé face à un environnement composé portement de l’élu local. S’agissant du contrôle, deux options
non seulement d’élus mais aussi de personnes en interaction se présentent alors. La première est celle de la coopération.
issues de la société civile, membres d’associations, de fon- Le contrôle est accepté. Il conduit à un optimum de Pareto
dations, de groupes de jeunes, de syndicats, etc. et s’accompagne d’une amélioration du sort des populations.
Notons que cette recommandation s’est traduite par une La seconde est celle de la tricherie. Le contrôle n’est pas
réorientation récente des relations de l’OCP avec ses parties accepté. Il induit une dissimulation concernant la part de
prenantes locales. Dans le cadre d’« OCP Skills », et en l’es- l’aide ponctuelle ou de la subvention OCP qui profite réelle-
pace d’un an (2011), des centres d’écoute en faveur des jeunes ment à la population. Dans cette situation de tricherie, et
ont été créés dans les villes de Khouribga et de Safi, 674 donc de rupture de coopération, l’OCP a deux solutions : soit
ateliers d’écoute et d’orientation ont été organisés, 26 conven- agir seul, soit offrir des montants très élevés de soutien
tions ont été signées avec des partenaires divers, 12 projets financier aux élus. Mais chacune de ces solutions porte en
d’actions de proximité ont été programmés dans des quartiers elle une critique, celle du comportement intrusif des managers
populaires sur le site de Khouribga (OCP, 2012). de l’OCP dans les affaires locales, comportement qui lui est
reproché et conduit à sa mauvaise image auprès des popu-
lations locales.
Conclusion Pour regagner la confiance de la population et bénéficier
Dans ce travail, nous avons présenté l’action RSE d’une d’une perception plus positive de son action dans les terri-
grande entreprise publique marocaine, l’Office Chérifien des toires, l’OCP ne doit pas limiter le champ de ses parties
Phospates, et nous avons examiné le comportement de ses prenantes aux seuls élus mais l’élargir aux membres de la
managers, engagés dans une démarche de responsabilité société civile. Le succès des actions RSE de l’OCP dépendra
sociale en partenariat avec des élus locaux. de la capacité de ses managers à agir comme des « acteurs
politiques » (Pasquero, 2008), c’est-à-dire à rassembler de
Cette entreprise n’est pas seulement un acteur « oppor- multiples parties prenantes autour de projets communs,
tuniste » et égoïste qui rechercherait avant tout son intérêt crédibles et efficaces. Il s’agit pour les managers de l’OCP
au profit de son actionnaire principal, l’État marocain. Elle de redonner du sens aux actions RSE de l’OCP dans les
apparaît aussi, et surtout, comme une entreprise « engagée » territoires, en associant plus étroitement aux prises de déci-
qui se reconnaît des responsabilités envers le bien commun. sions les populations concernées par ces actions.
Elle peut être qualifiée de « citoyenne » (Logsdon et Wood,
2002, Pasquero, 2005).
Ses managers la gèrent avec le souci de la performance, Bibliographie
en adoptant les critères de la nouvelle gestion publique. Mais, Allard-Poesi F., Drucker-Godard C., Ehlinger S., [2003],
ils restent attentifs aux attentes et sollicitations de leurs « Analyses de représentations et de discours » in Thiétart R.A.
parties prenantes, en particulier celles des populations locales et coll., Méthodes de Recherche en Management, Paris,
des territoires pauvres où l’Office est implanté. Dans la mise Dunod, 2ème édition, pp.449-475.
en application de ses actions RSE, l’OCP a un partenaire Arrow K. [1973], « Social responsibility and economic effi-
incontournable l’élu local. Selon les intérêts mis en avant ciency », Public Policy, vol. 21, pp. 303-317.
pour agir, ce partenaire peut malheureusement devenir un
Bénabou R. et Tirole J. [2010], « Individual and Corporate Social
adversaire (implicite ou explicite) de l’entreprise. C’est le jeu Responsibility », Economica, vol 77, n° 305, pp 1-19.
de ces acteurs que nous avons formalisé dans ce papier. Cette
formalisation nous a permis de souligner la complexité du B erger -D ouce S. [2006], «  Les enjeux stratégiques de
l’engagement environnemental des petites entreprises »,
comportement de ces acteurs, à la fois soucieux de la bonne
Gestion 2000, n°1, jan-fév, 171-188.
gestion mais aussi altruistes (managers), bienveillants mais
aussi intéressés (élus). Le recours à la théorie des jeux nous Boudier F. et Bensebaa F. [2008], « Responsabilité Sociale des
a permis de proposer une approche dynamique des enjeux firmes multinationales : faut-il être propriétaire pour être
responsable ? » Monde en développement, 2008/4, n° 144,
de pouvoir et de négociation entre ces acteurs.
p.27-44.
Nous avons envisagé deux cas de figure. Le premier où Buchanan J. et Tullock G. [1962], The Calculus of Consent :
l’élu local est le Stackelberg-dominant. Ce scénario est peu Logical Foundations of Constitutional Democracy. Ann
probable dans la mesure où cette situation suppose que les Arbor : University of Michigan.
Responsabilité sociale d’une entreprise publique : une formalisation du jeu des acteurs 37

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