Caoum 0373-5834 1979 Num 32 127 2908

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Cahiers d'outre-mer

Les forêts de Côte-d'Ivoire : une richesse naturelle en voie de


disparition
Jean-Claude Arnaud, Gérard Sournia

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Arnaud Jean-Claude, Sournia Gérard. Les forêts de Côte-d'Ivoire : une richesse naturelle en voie de disparition. In: Cahiers
d'outre-mer. N° 127 - 32e année, Juillet-septembre 1979. pp. 281-301;

doi : https://doi.org/10.3406/caoum.1979.2908

https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1979_num_32_127_2908

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Abstract
The Ivory Coast Forests ; Natural Wealth in the Process of Disappearance.
In spite of the customary use of the term «savannah» for designating a part of its territory, Ivory Coast
is above all a wooded nation. The plant-covered countrysides in the North, formed practically
exclusively of tree groups (dense, clear), or shrub plants joined to the ombrophile and mesophile
forests in the southern part, make of it an incontestably forest country.
For decades, lumber has been, along with cocoa and coffee, one of the main pillars of the national
economy. Because of the foreign currency that exporting it brings in, because of its influence in the
industrialization process, and because of the role it plays in land improvement programs in the country,
lumber in large part accounts for the good results of the Ivory Coast economy.
But important changes are now taking place. The intensive exportation of wood products and the
hunger for arable land -in an ascendant growth pattern since some ten years now-consume between
450,000 to 500,000 hectares of wooded land each year. There are today no more than 3 to 4 millions
hectares of wooded areas that remain, most of them being located in the West and Southwest. The
new port of San Pedro evacuates a larger and larger amount of the lumber destined for export.
The last reserves now being tapped, the Ivory Coast forests are threatened with extinction.
Reforestation conforms to immediate needs and is wholly inadequate as regards future requirements.
The trading partners of Ivory Coast (principally the 9 European Common Market countries) are now
turning towards other forest nations of Africa, as well as to those of Southeast Asia. The final chance of
Ivory Coast, which is in reality simply harvesting the fruits of a catastrophic management policy as
regards its natural resources, resides in the promotion of species that it has until now neglected in the
international markets.

Résumé
Malgré l'utilisation traditionnelle du terme de «savane» pour désigner une partie de son territoire, la
Côte-d'Ivoire est avant tout un pays boisé ; les paysages végétaux des régions du nord constitués
presque uniquement de formations arborées (denses, claires) ou arbustives s'ajoutant aux forêts
ombrophiles et mésophiles de la partie sud, lui confèrent une incontestable dominante forestière.
Depuis des décennies, le bois est (avec le café et le cacao) l'un des piliers essentiels de l'économie
nationale : par l'apport de devises que procurent son exportation, par son pouvoir industrialisant et par
son rôle dans la politique d'aménagement du territoire, le bois contribue largement à expliquer les bons
résultats de l'économie ivoirienne.
Mais d'importantes modifications sont en train de se produire : l'exploitation intensive de la forêt et la
faim de terres cultivables, en accroissement constant depuis dix ans, consomment 450 à 500 000 ha
par an de surfaces boisées. Il ne reste plus que 3 à 4 millions d'ha de forêts exploitables, l'essentiel
étant situé dans l'ouest et le sud-ouest ; le nouveau port de San Pedro évacue une part de plus en plus
importante de bois destiné à l'exportation.
Les dernières réserves entamées, la forêt ivoirienne est menacée de disparition, les reboisements sont
inadaptés aux besoins et ont accumulé un énorme retard.
Les partenaires commerciaux de la Côte d'Ivoire (principalement l'Europe des 9) se tournent
désormais vers d'autres pays forestiers d'Afrique et d'Asie du Sud-Est. L'ultime chance de la Côte-
d'Ivoire, qui en l'occurence récolte les fruits d'une gestion catastrophique de ses ressources naturelles,
réside dans la promotion d'essences jusqu'alors négligées sur le marché international.
Les forêts de Côte-d Ivoire :

une richesse naturelle

en voie de disparition

par
et Jean-Claude
Gérard SOURNIA**
ARNAUD*

Résumé. - Malgré l'utilisation traditionnelle du terme de «savane» pour


désigner une partie de son territoire, la Côte-d'Ivoire est avant tout un pays boisé;
les paysages végétaux des régions du nord constitués presque uniquement de for¬
mations arborées (denses, claires) ou arbustives s'ajoutant aux forêts ombrophiles
et
tière.
mésophiles de la partie sud, lui confèrent une incontestable dominante fores¬

Depuis des décennies, le bois est (avec le café et le cacao) l'un des piliers
essentiels de l'économie nationale : par l'apport de devises que procurent son
exportation, par son pouvoir industrialisant et par son rôle dans la politique
d'aménagement du territoire, le bois contribue largement à expliquer les bons
résultats de l'économie ivoirienne.

Mais d'importantes modifications sont en train de se produire : l'exploita¬


tion intensive de la forêt et la faim de terres cultivables, en accroissement constant
depuis dix ans, consomment 450 à 500 000 ha par an de surfaces boisées. Il ne
reste plus que 3 à 4 millions dlia de forêts exploitables, l'essentiel étant situé
dans l'ouest et le sud-ouest ; le nouveau port de San Pedro évacue une part de
plus en plus importante de bois destiné à l'exportation.

Les dernières réserves entamées, la forêt ivoirienne est menacée de dispari¬


tion, les reboisements sont inadaptés aux besoins et ont accumulé un énorme retard.

Les partenaires commerciaux de la Côte d'Ivoire (principalement l'Europe


des 9) se tournent désormais vers d'autres pays forestiers d'Afrique et d'Asie du

***d'Ivoire.
Maître-Assistant
Conseiller technique
à l'Institut
auprès dedegéographie
la Commission
tropicale
nationale
, Université
de l'Environnement
nationale de Côte-d'Ivoire.
de la Côte-
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LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Sud-Est. L'ultime chance de la Côte-d'Ivoire , qui en l'occurence récolte les fruits


d'une gestion catastrophique de ses ressources naturelles, réside dans la promotion
d'essences jusqu'alors négligées sur le marché international.

Summary. — The Ivory Coast Forests ; Natural Wealth in the Process of


Disappearance. - In spite of the customary use of the term «savannah» for
designating a part of its territory, Ivory Coast is above all a wooded nation. The
plant-covered countrysides in the North, formed practically exclusively of tree
groups (dense, clear), or shrub plants joined to the ombrophile and mesophile
forests in the southern part, make of it an incontestably forest country.

For decades, lumber has been, along with cocoa and coffee, one of the
main pillars of the national economy. Because of the foreign currency that expor¬
ting it brings in, because of its influence in the industrialization process, and
because of the role it plays in land improvement programs in the country, lumber
in large part accounts for the good results of the Ivory Coast economy.

But important changes are now taking place. The intensive exportation of
wood products and the hunger for arable land - in an ascendant growth pattern
since some ten years now - consume between 450,000 to 500,000 hectares of
wooded land each year. There are today no more than 3 to 4 millions hectares
of wooded areas that remain, most of them being located in the West and South¬
west. The new port of San Pedro evacuates a larger and larger amount of the
lumber destined for export.

The last reserves now being tapped, the Ivory Coast forests are threatened
with extinction. Reforestation conforms to immediate needs and is wholly
inadequate as regards future requirements.

The trading partners of Ivory Coast (principally the 9 European Common


Market countries) are now turning towards other forest nations of Africa, as well
as to those of Southeast Asia. The final chance of Ivory Coast, which is in reality
simply harvesting the fruits of a catastrophic management policy as regards its
natural resources, resides in the promotion of species that it has until now neglec¬
ted in the international markets.

Située en bordure du Golfe de Guinée, légèrement au nord de


l'équateur, la Côte-d'Ivoire, dont aucune des régions ne reçoit en
moyenne moins de 1000 mm de pluies par an, est incontestablement
un pays forestier, le terme forestier revêtant ici une signification à la
fois économique et écologique. Mais au-delà de cette première cons¬
tatation, essayons de mieux cerner les réalités de cette masse végétale,
283
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION

DOMAINE SOUDANAIS Savanes arborées et arbustives


ET Forêts claires
SUBSOUDANAIS Forêts denses sèches
— — —Limite forêt -savane
...... Limite savane préforestiére - subsoudanais |. . | Savanes préforestiéres guinéenes
---- Limite subsoudanais -soudanais | | Mésophile
DOMAINE GUINEEN
— 1100 - Isohyète annuelle en mm
<

o ioc km llllllfjl [\f Hygrophile - Euhygrophile


Hygromésophile

Fig. 1 . - Les types de végétation en Côte-dlvoire


284
LES CAHIERS D'OUTRE-MER

réalités dont on peut saisir l'importance à travers une énumération


brute de chiffres et de données : 46% du territoire ivoirien sont situés en
zone de forêt dense ; mais ce pourcentage augmente très sensiblement
si l'on tient compte du domaine boisé situé à l'intérieur des régions de
savanes ; forêts denses sèches, forêts claires, forêts galeries. Dans ces
forêts ivoiriennes on dénombre 700 espèces d'arbres dont 40 sont
exploitées et la production annuelle de bois dépasse 5 millions de m3
dont les deux tiers sont exportés, procurant un chiffre d'affaires de
90 milliards de F CFA (soit 1,8 milliard de francs). Le bois constitue
suivant les années, le 1er ou le 2e produit d'exportation national ; il
fournit du travail à 45 000 personnes représentant 20 % de la masse
salariale et entre pour plus de la moitié dans le trafic portuaire ivoirien.

La forêt est également une immense richesse naturelle où abon¬


dent des espèces endémiques fauniques et floristiques. Enfin, le bois
joue un rôle très important pour les masses rurales et urbaines dont il
constitue souvent le seul combustible.

Si la forêt et le bois sont les pièces maîtresses de l'économie et du


paysage ivoiriens, on peut également les citer comme l'exemple même
d'une richesse mal gérée et dangereusement dilapidée : s'étendant sur
12 millions dlia en 1956, la forêt dense ivoirienne en compte moins
de 4 millions aujourd'hui ; les défrichements annuels souvent illégaux
sont de l'ordre de 500 000 ha (soit l'équivalent de 3 ans 1/2 de pro¬
duction) ; l'effort de reboisement est dramatiquement insuffisant :
3000 ha/an. Face aux différents consommateurs de terres, la dispari¬
tion totale du domaine boisé est attendue pour la fin du siècle. Enfin,
tant au niveau de l'exploitation que de l'exportation, la forêt et le
bois sont largement dépendants de l'étranger.

Ainsi, longtemps considérée comme l'un des moteurs du dévelop¬


pement économique de la Côte-d'Ivoire, la forêt , du fait de sa pro¬
chaine disparition, pourrait bien avoir à moyen terme une influence
négative sur la croissance économique.

I. — Les écosystèmes forestiers

La Côte-d'Ivoire est un pays forestier de par la présence d'une


zone de forêts denses équatoriales et sub-équatoriales dans sa moitié
sud, mais ses régions de «savanes» contribuent aussi à lui conférer
ce titre car elles sont largement le domaine du boisé ; G.Rougerie (1)
(l)Rougerie (G). La Côte-d'Ivoire. Paris, PUF, 1976 (Coll. Que sais-je ? , n° 1137).
285
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION

note à leur égard que «forêt claire est en effet une expression qui res¬
titue mieux ici l'ambiance que celle de savane» Certes les paysages
qui se succèdent du sud au nord, de la côte océanique aux forêts clai¬
res maliennes et voltaiques offrent des physionomies différentes et
leurs contacts s'opèrent parfois de façon brutale, mais partout le
boisé et l'arbre restent une dominante du paysage, (fig. 1).

1 . Les forêts denses

La forêt dense ivoirienne constitue l'un des derniers vestiges de ce


que fut la grande forêt ouest africaine avant sa forte régression au
cours de l 'interpluvial maximum.

Au-delà des grandes caractéristiques bien connues des forêts


denses, de nombreuses nuances, tant floristiques que physionomiques,
permettent d'individualiser deux types principaux de forêts denses,
nuances dues aux conditions climatiques, mais aussi et avant tout à la
variété de la qualité physique des sols.

Les forêts hydrophiles sont les forêts les plus fermées, celles où
les caractères spécifiques de la forêt dense s'exaspèrent. Leur aire de
répartition est circonscrite par l'isohyète 1700 mm ; les mois recevant
moins de 50 mm d'eau ne doivent pas excéder cinq (période dite
sèche). Ces forêts ne se prolongent au nord du 6e parallèle qu'en quel¬
ques rares secteurs. Elles présentent également la particularité d'enser¬
rer des savanes (savanes incluses) souvent en situation prélagunaire.
G. Rougerie distingue, parmi ces forêts hygrophiles, les forêts euhygro-
philes quijconstituant le type le plus pur, se localisent aux deux extré¬
mités sud-est et sud-ouest du pays c'est-à-dire là où les conditions
climatiques et édaphiques (sols schisteux) sont optimales, et les forêts
hygromésophiles (forte pluviométrie) localisées principalement sur
granites et supportant une ambiance moins humide ; elles constituent
une zone de contact avec les forêts mésophiles.

Les forêts mésophiles se distinguent des précédentes en introdui¬


sant dans le paysage un changement physionomique ; bien que gardant
une dominante verte, ces forêts appartiennent à la catégorie des forêts
denses semi-décidues. La strate herbacée annonciatrice des milieux de
«savanes» est nettement plus fournie ; lianes et épiphytes se raréfient.
Le makoré et le samba sont les seigneurs des forêts mésophiles. Elles
286
LES CAHIERS D'OUTRE-MER

peuvent s'étendre au nord du 8e parallèle à la faveur de conditions


édaphiques favorables ( schistes) supportant même des conditions cli¬
matiques sévères ( 1 100 à 1300 mm/an et longue saison sèche). Leur
aire d'extension équivaut en surface au double de celle des forêts
hygrophiles.

2. Forêts primaires et forêts secondaires. Le rôle déterminant de


l'intervention humaine.

Ces paysages que nous venons de décrire ne correspondent plus


que très rarement à la réalité. Partout la forêt recule, se modifie, se
transforme sous l'action conjuguée des hommes et des machines. Tout
concourt à dégrader la forêt et à la faire disparaître : les exploitants
forestiers qui entament les massifs ouvrent la voie et préparent l'arri¬
vée des planteurs qui, à leur suite, les grignotent et les parcellisent,
les charbonniers qui exploitent tout ce qui subsiste aux abords des
agglomérations, enfin les grandes sociétés agro-industrielles qui rasent
des dizaines de milliers d'hectares. C'est ainsi que, dans la région
centre-ouest, le paysage de forêt dense a presque complètement
disparu ; il ne subsiste vraiment que dans la région sud-ouest dont la
mise en valeur agricole vient de commencer.

C'est l'intervention de l'homme et en corollaire les changements


qu'elle introduit, qui obligent à distinguer entre forêts primaires d'une
part et forêts secondaires d'autre part. Les forêts secondaires ne sont
en fait qu'un stade de reconquête par la forêt de terrains déboisés et
exploités par des planteurs dans le contexte d'une culture itinérante
basée sur un défrichement grossier et sur l'essartage. La majorité du
manteau forestier ivoirien est constituée par des forêts ayant atteint
des stades divers et successifs de l'évolution qui tend vers la forêt
pseudo-primaire. La forêt qui se reconstitue après le défrichement
et l'abandon de la mise en culture est, bien sûr, très différente de la
forêt originelle. En quelques années, un couvert se reconstitue avec
un sous-bois dense broussailleux, difficilement pénétrable ; par la
suite il évolue lentement : peu à peu les associations originelles peu¬
vent se reconstituer, conférant à la nouvelle forêt un air de ressem¬
blance avec la forêt primaire. Ce schéma évolutif n'est réalisé que si
la forêt bénéficie d'un repos suffisamment long ; les défrichements
ne doivent pas s'y succéder sur de courtes périodes ; or la forte pres¬
sion démographique et la faim de terres qui se manifestent avec
une vigueur de plus en plus forte sur toute l'étendue du territoire,
contribuent à réduire sensiblement les chances de reconstitution
de la forêt.
287
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION
Les résultats d'une telle évolution aboutissent souvent à la créa¬
tion de milieux anthropiques s'apparentant aux «savanes» et de la
façon de plus en plus nette au fur et à mesure que l'on se dirige vers
la limite septentrionale de la forêt dense.

3 . Les forêts delà zone des «savanes»

Ce sont paradoxalement les arbres et les arbustes et leur plus ou


moins grande dispersion qui permettent le mieux de définir les diffé¬
rents écosystèmes des «savanes» de Côte-d'Ivoire et c'est par une cons¬
tante référence à leur présence que l'on doit décrire leurs paysages.
Les savanes herbeuses d'où l'arbre serait absent ou très rare n'existent
pratiquement pas, si ce n'est en quelques secteurs très localisés et de
faible étendue (plaines d'inondations des grands fleuves par exemple).

a) Les arbres et arbustes des régions de savanes se caractérisent par une


nette adaptation aux conditions souvent contraignantes du milieu :
longue saison sèche, important déficit hydrique, passage régulier des
feux de brousse.

D'une manière générale, ils ont un port tortueux et vrillé, leur


écorce très souvent craquelée et vernissée est épaisse ; leurs feuilles
également vernissées et coriaces tombent pendant la saison sèche
(à l'exception de certaines espèces telles Faidherbia albida). L'enra¬
cinement est très puissant. Dans la plupart des cas la présence d'une
essence dominante marque le paysage lui conférant un cachet spéci¬
fique et déterminant un certain nombre de faciès typiques (savanes
à Rônier, à Gardenia sp., à Daniellia oliveri. . . .) auxquels il con¬
vient d'ajouter les peuplements d'espèces protégées pour leur utilité,
et qui donnent une allure si caractéristique à certains fïnages des
villages des pays sénoufo et malinké.

b) Les feux de brousse font partie de la vie des régions de «savanes».


Ils s'intègrent dans le cycle cultural et dans l'activité saisonnière des
populations rurales, ainsi que dans le cycle de la végétation naturelle
permettant d'expliquer en grande partie le contact entre le monde des
forêts denses et celui des «savanes», et le paysage très particulier des
savanes préforestières guinéennes du centre de la Côte-d'Ivoire. Le
feu peut être naturel, mais dans la plupart des cas il est dû, accidentel¬
lement, mais surtout volontairement, à l'action des hommes : on
brûle pour nettoyer, pour chasser, pour les nécessités des activités
288
LES CAHIERS D'OUTRE-MER

agricoles et pastorales. Les recherches effectuées sur les effets des feux
de brousse tendent à prouver qu'ils pérénisent le paysage de «sava¬
nes» ou en favorisent l'émergence lorsqu'ils sont pratiqués régulière¬
ment et sur une vaste échelle.

c) Les paysages arboras des régions de «savanes »

Les «savanes» préforestières assurent la transition entre le domai¬


ne forestier guinéen et le domaine soudanais, agissant comme une sor¬
te de tampon entre ces deux milieux bioclimatiques différents. Ces
«savanes» offrent un paysage typique caractérisé par de larges mailles
de savanes séparées les unes des autres par des forêts galeries et entre¬
coupées de lambeaux forestiers résiduels où se côtoient espèces hygro-
philes et espèces mésophiles. Ces types de savanes semblent dériver des
flores les moins hygrophiles de la forêt dense : les conditions climati¬
ques y sont assez proches de celles qui régnent dans le domaine méso-
phile voisin.

Les forêts denses sèches se présentent sous forme d'îlots fores¬


tiers essentiellement concentrés dans les régions comprises entre les
8e et 9e parallèles nord, et localisés le long des vallées ou sur d'étroits
interfluves ; très souvent, elles prolongent vers le nord les forêts
galeries des savanes préforestières guinéennes.

La structure des forêts denses sèches ainsi que la vie qu'elles


abritent présentent de nombreuses analogies avec celles de la forêt
dense humide ; néanmoins, au niveau du sol, les graminées occupent
une plus grande place, mais ce ne sont pas encore les graminées
représentatives de la savane.

Les forêts claires sont des milieux boisés ouverts dont l'aire
d'extension correspond aux régions où la pluviométrie annuelle se
situe entre 1500 et 1000 mm, et où la durée de la saison sèche se
prolonge sur 4 ou 5 mois consécutifs. Leur répartition dépend très
largement des facteurs édaphiques et anthropiques, et les plus typi¬
ques sont localisées dans les régions où l'action de l'homme est nulle
(parcs nationaux). G. Rougerie pense que la forêt claire est la forma¬
tion climax des régions subsoudanaises et peut-être soudanaises. Ces
forêts présentent une stratification à deux niveaux ; les cimes de la
strate supérieure (12 à 15 m) peuvent être jointives, mais l'ensemble
du couvert reste clair. Plus au nord apparaissent les acacias , le karité
289
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION
et les arbustes épineux. La strate herbacée est souvent peu dense.

Nous pouvons rappeler ici que les écosystèmes des «savanes»


grâce à la présence d'une strate herbacée, constituent une biocénose
riche en grands herbivores et par conséquent en carnivores ; ce sont ces
écosystèmes qui sont les berceaux des principaux parcs nationaux et
des principales réserves de faune d'Afrique occidentale.

Cette rapide description des paysages des régions dites de savanes


avait pour but de montrer l'inexactitude de la terminologie couram¬
ment utilisée dans ce domaine, et d'insister sur la présence permanente
de l'arbre et de ses associations. Mais la forêt et l'arbre constituent,
avec l 'agro-industrie, la pièce maîtresse de l'économie ivoirienne ; vues
sous cet aspect, les forêts des régions de «savanes» s'effacent devant
les forêts denses, et ce sont bien de ces forêts «utiles» et uniquement
de celles-ci qu'il sera question dans le chapitre qui suit.

II. — Le bois : un pilier essentiel de l'économie ivoirienne

La forêt dense ivoirienne constitue une richesse fondamentale


pour le pays, par les revenus importants qu'elle représente à l'expor¬
tation, mais aussi par la création d'un nombre considérable d'emplois
en dehors des grandes villes.

L'essentiel de l'exploitation forestière se situe en forêt dense


humide ; cependant quelques galeries forestières et forêts denses
sèches des zones de savanes ont pu être exploitées pour la fourniture
de bois d'œuvre ; les forêts claires, malgré la présence d'arbres de
taille respectable, ne sont utilisées que pour la fourniture de bois de
feu et les besoins villageois locaux.

1. Les conditions de l'exploitation

a) Milieu naturel et exploitation. Contrairement aux forêts tempérées


à peuplement relativement homogène, la forêt dense équatoriale est
caractérisée par un grand nombre d'essences et par une grande disper¬
sion de ces essences. 700 espèces d'arbres ont été recensées dans la
forêt ivoirienne, dont 130 de première grandeur ; seul un nombre li¬
mité d'entre elles est uniformément répandu dans toute la zone fores¬
tière ; beaucoup ne sont représentées que sur des aires isolées.
L'exploitation porte actuellement sur une quarantaine d'essences,
dont une trentaine font l'objet d'exportations.
290
LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Cette grande variété des essences a une conséquence fondamenta¬


le sur l'exploitation forestière : il n'existe pas de peuplements homo¬
gènes, et la densité de chaque espèce est souvent faible . On rencon¬
tre en moyenne, par km2, 3 à 7 makoré, 6 à 7 tiama ou aboudikro,
10 à 14 acajous ou sipo, 300 à 400 niangon, plus de 500 samba.

b) Historique de l'exploitation forestière en Côte-d'Ivoire. Connus en


Europe dès le X Ville siècle, les bois tropicaux ne furent exploités
en Côte-d'Ivoire qu'à partir de 1880. Jusqu'en 1951 l'exploitation
resta limitée, et seules quelques espèces étaient coupées ( acajou
surtout, et avodiré, iroko, makoré, sipo). De 1951 à 1957, l'exploi¬
tation se développa lentement, malgré l'ouverture en 1951 du port
d'Abidjan, facilitant les exportations de bois en grumes. Ce n'est
qu'à partir de 1958 que l'on assistera à l'essor spectaculaire amenant
la production de bois au niveau actuel. Ce développement rapide eut
deux conséquences : tout d'abord devant le risque d'épuisement des
essences les plus recherchées, on exploita progressivement de nouvel¬
les espèces ; ensuite, l'exploitation forestière d'abord localisée dans le
sud du pays se déplaça peu à peu vers le nord et le centre, puis depuis
dix ans, vers le centre-ouest et l'ouest. Aujourd'hui comme le montre
la fig. 2, les forêts de la zone proche d'Abidjan, presque épuisées,
sont peu exploitées, alors que l'essentiel de l'activité forestière se situe
dans l'ouest du pays. En 1977-1978 l'exploitation forestière a atteint
l'extrême nord-ouest de la forêt ivoirienne, à la faveur du déblocage
de l'ouest du pays par le port de San Pédro (1971) et la nouvelle
route San-Pédro-Biankouma (1978) (fig. 5).

c) Les conditions juridiques de l'exploitation forestière. La majorité


de la forêt dense ivoirienne fait partie du domaine forestier de l'Etat.
Le droit de «couper du bois» est soumis à l'attribution de permis
temporaires d'exploitation délivrés par l'administration, et valables :
cinq ans pour les exploitants simples, dix ans pour les exploitants
disposant d'une scierie, quinze ans pour les entreprises intégrées
disposant d'une unité de transformation.

Grâce à cette législation devant favoriser l'implantation de com¬


plexes industriels, de vastes surfaces dépassant parfois 280 000 h.h ont
291
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION

Parc National
de Taï

□ EU àl 20
20 d 30% 30 a 40% Plus de 40%
CAPACITE
Non exploite
HI Usine

0 Scierie
de Moins
de
tranchage
ladeetusine
superficie
de
déroulage
usine
5*de de
déroulage
desdéroulage
5 sous
a 10* et
prefectures
10\\\
av 20%
V M3 ft tailDEm TRAITEMENT
f rumts mi •"!
o moins de 10000
-
.

□ de 10000 à 25000
□ de 25000 à 50000
□ de 50000 à 75000
j] plus de 75000

Fig. 2. — Taux d'exploitation forestière et industries du bois


292
LES CAHIERS D'OUTRE MER

été attribuées aux grandes sociétés. L'attribution est soumise à cer¬


taines obligations consistant en un cahier des charges particulier (réali¬
sation d'ouvrages d'intérêt général tels que routes, ponts, etc. et paie¬
ment de taxes d'attribution et d'exploitation); un cahier des charges
général portant obligation du marquage des grumes et de la tenue d'un
carnet de chantier.

En 1974-1975, 2 900 000 ha environ étaient ainsi soumis à


l'exploitation forestière. La politique gouvernementale actuelle semble
tendre vers une plus grande ivoirisation des exploitations et vouloir
lutter contre l'attribution de permis à des Ivoiriens n'exploitant pas
eux-mêmes et ne servant que de prête-nom à des exploitants euro¬
péens ou libano-syriens.

4. Les types d 'exploitations forestières

On peut distinguer en Côte-d'I voire plusieurs types d'exploita¬


tions forestières : les entreprises intégrées assurant la transformation
sur place du bois dans des scieries ou usines de déroulage, et assurant
elles-mêmes la commercialisation du bois en grume ou débité
(S.CA.F., C.I.B., SIFCI... ) ; les entreprises familiales européennes
de moins en moins nombreuses car absorbées progressivement par
les grosses sociétés ; les exploitations individuelles tenues par des
Libanais et surtout des Ivoiriens.

L'exploitation forestière occupe une main-d'œuvre abondante,


estimée à 13000 personnes ; 70 % de la main-d'œuvre sont consti¬
tués de manœuvres sans qualification, en général étrangers à la région
( Vol tai'ques,Maliens ivoiriens du nord du pays).

2. Exploitation et production

a) Les différentes phases de l'exploitation. La nature même de la


forêt ivoirienne entraîne une série d'opérations d'exploitation bien
particulières. Il s'agit tout d'abord de la prospection (repérage et
inventaire des arbres utiles), nécessaire pour évaluer la richesse du
chantier et pour planifier la production. Ensuite l'exploitant cons¬
truit un réseau de pistes nécessaires à la pénétration à l'intérieur
de la forêt (10 km de piste en moyenne pour .1000 ha exploités).
Le réseau routier mis en place par les forestiers a joué un rôle écono¬
mique considérable, en donnant accès à des zones jusque-là vides :
293
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION

2 -

a
Fig. 3. - L'évolution de la production de bois

les pistes forestières en permettant aux agriculteurs de s'enfoncer au


cœur de la forêt, ont favorisé la mise en valeur agricole de vastes zones,
mais ont provoqué parallèlement un recul rapide de la forêt.

Enfin vient l'abattage des arbres, puis le débardage et le transport


Le moyen de transport le plus employé est le camion grumier. La voie
ferrée et le réseau lagunaire, qui ont joué un rôle important dans la
première moitié du siècle, sont de moins en moins utilisés du fait de
la diminution de l'activité forestière dans le sud-est. L'écoulement
de la production de bois a entraîné un important courant de trans¬
port vers Abidjan. L'ouverture du port de San Pedro à partir de 1971-
1972 n'a pas renversé cette tendance, les axes routiers étant restés
294
LES CAHIERS D'OUTRE-MER

jusqu'à 1976 de meilleure qualité vers Abidjan. Le bitumage de l'axe


Man-San-Pédro, terminé en 1978, devrait permettre de détourner vers
San-Pédro toute la production de l'ouest du pays.

b) La production et son évolution quantitative et qualitative

La production de bois s'est surtout développée à partir de l'in¬


dépendance pour répondre aux besoins croissants du marché national
en pleine extension, mais aussi à la forte demande des pays industria¬
lisés. De 650 000 m3 en 1958, elle est passée à 4 275 000 m3 en
1969, puis à plus de 5 100 000 m3 en 1973 et 1976, années record
(fig. 3). Environ deux tiers de la production sont exportés actuelle¬
ment sous forme de grumes, le reste alimente l'industrie locale. Seuls
les bois de meilleure qualité et les essences les plus recherchées sont
exportés. Les bois de qualité secondaire sont utilisés par les indus¬
tries ivoiriennes. Les principaux clients sont les pays européens (90%
des bois exportés) et surtout l'Italie (30%).

Les exportations de bois en grumes, et par voie de conséquence,


l'activité forestière, soumises à la conjoncture mondiale ont subi
d'importantes fluctuations au cours des dernières années : expansion
de 1969, 1973 et 1976, récession en 1970, 1974 et 1975.

Le pourcentage du bois destiné à l'exportation a diminué depuis


une quinzaine d'années en même temps que les autorités s'efforçaient
de développer les industries du bois en contingentant l'exportation de
grumes des essences les plus demandées.

La composition par essences de cette production a considérable¬


ment varié au cours des vingt cinq dernières années. L'acajou-bassam,
encore première essence exportée en 1951, a rapidement laissé la
place à d'autres essences peu recherchées auparavant ; sa part n'a
cessé de décroître dans la production. Les années 1960 ont vu se
développer la production de samba et de sipo avec la mise en exploi¬
tation des forêts du centre-ouest, mais depuis huit ans la part du sipo
ne cesse de décroître, les réserves s'épuisant rapidement. En 1974, si
l'on excepte le samba, essence de déroulage aux réserves abondan¬
tes, représentant plus de 30 % des exportations, le caractère dominant
de la production est la part croissante d'essences nouvelles, compen¬
sant l'épuisement des bois rouges principaux. Cette évolution s'est
accélérée ces dernières années ; les bois les plus recherchés à l'exporta-
295
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION

100%-

Divers

Samba
Va

Sipo
Acajou 50% — %

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Le
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1967
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1er
1970
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bois
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industriels
1973
s'épuisant
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1974
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1977.
forestiers
passé
l'ensemble
1976
du
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Arapide¬
de
cette
pays,
pour
ont
21
296
LES CAHIERS D'OUTRE-MER

date, on compte 76 scieries : 8 d'entre elles sont associées à une usine


de déroulage ou de tranchage, constituant des complexes intégrés.
Enfin trois usines ne font que du déroulage.

-La localisation de ces usines a suivi le déplacement des exploi¬


tations forestières. D'abord localisées dans le sud-est, elles se sont
progressivement implantées dans la région d'Abengourou, du centre-
ouest, puis de l'ouest. La simple localisation des usines rend mal
compte de l'importance industrielle des différentes zones. En effet,
en 1975, sur 74 usines de première transformation du bois, 37
étaient localisées dans la moitié est du pays et 37 dans la moitié
ouest, ce qui laisserait supposer une répartition homogène. Or, à
cette date les usines de l'ouest, zone de forte exploitation forestière,
représentaient 70% de la capacité de production.

Les dix plus grosses entreprises assurent à elles seules plus de


50 % de la production (tableau I).

Consommés locale¬ Exportés Total Valeur en


ment m3 m3 m3 milliards
de F CFA

Sciages 268 000 284 000 552 000 12,530

Déroulés, tranchés 700 37 000 37 700 1,020

Contreplaqués 24 200 14 600 38 800 1,143

Total 292 900 335 600 628 800 15,693


1 F CFA
= 0,02 FF

Tableau I. — La production de bois ouvré en Côte-d'Ivoire (1976)

Les industries ivoiriennes ne fonctionnent qu'à environ 70 % de


leur capacité de production. En 1976, elles ont absorbé 1 550 000 m3
de grumes. Leur rendement est faible (40 %) puisque 1 550 000 m3 de
grumes ne donnent que 628 000 m3 de produits finis. La raison princi¬
pale en est la qualité souvent médiocre du bois utilisé sur place, les
meilleures grumes étant réservées à l'exportation.
297
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION

1969

Daioa Bouaflé Agnlbilekrou

Cagrio dzopé

ABIDJAN

San Pedro
l Sîsandr
d BerebvQc«;V::\

zoom

Bondoukou

Danane UMan
CX
Bouaflé Daoukro
Daioa Yamoussoukro
Duekoué
O"
Toulepleu
--- -o
Dlmbokro

Soubré \ Dlvo
/ BIDJAN Aboisso

Milliers de tonnes par an

-de 50 de 50 à 100 100 250 500 1000 1500

Fig. S. - Les courants de transport du bois en grumes


298
LES CAHIERS D'OUTRE-MER

La production a considérablement augmenté depuis l'indépen¬


dance, pour répondre à des demandes croissantes à l'exportation, mais
surtout devant le développement rapide du marché intérieur. De
62 000 m3 en 1960, elle est passée à 298 000 m3 en 1971 pour attein¬
dre plus de 555 000 m3 en 1975. Le chiffre d'affaires des industries
du bois a subi une évolution parallèle (indices 100 en 1960, 972 en
1973 et 1611 en 1975-1976).

4. Bilan de l'économie du bois

Les industries du bois ont constitué jusqu'en 1967 le premier


secteur industriel du pays. En 1976 avec un chiffre d'affaires de
25,8 milliards de F CFA (7,4 % du total des industries ivoiriennes),
elles occupent la dixième place dans les secteurs industriels du pays.
Leur importance économique est essentielle en dehors d'Abidjan et
de Bouaké où, avec 25 % du chiffre d'affaires réalisé, elles occupent
la première place. En 1976, avec 13 500 travailleurs elles constituent
le premier secteur industriel ivoirien pour l'emploi (23,4 % des em¬
plois industriels ivoiriens, 44,3 % des emplois industriels en dehors
d'Abidjan et de Bouaké). Les exploitations forestières représentent
également une des principales sources d'emplois en dehors d'Abi¬
djan.

Les exportations de bois, en grumes ou transformé, occupent


une place très importante dans le commerce extérieur de la Côte-
d'Ivoire

Année Bois % Café % Cacao % Total des


exportations
1972 37,944 27,2 37,291 26,7 27,344 19,6 139,541
1973 66,092 34,6 44,136 23,1 29,600 15,5 190,856
1974 66,102 22,6 63,833 21,8 77,782 26,7 291,170
1975 64,011 25,1 64,067 25,2 77,645 30,5 254,572
1976 75,676 19,3 132,754* 33,8 81,990 21,3 392,500

* Non. compris le café soluble en 1976


Tableau II. — Les principaux produits exportés par la Côte-d 'Ivoire,
de 1972 à 1976 (en milliards de F. CFA)
299
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION

Le bois après avoir constitué, en 1973 et 1974, le principal pro¬


duit à l'exportation, a vu sa part relative diminuer à partir de 1974,
devant les conséquences conjuguées de la crise économique mondiale
(entraînant une baisse de la demande), et de la hausse du prix du
cacao, puis du café, sur le marché mondial (Tableau II ).

La Côte-d'Ivoire est le premier pays africain exportateur de bois


en grumes, devant le Gabon et le Cameroun, avec près du quart des
exportations du continent.

Cependant, cette richesse économique que constitue le bois


semble aujourd'hui gravement menacée. On assiste en effet par suite
d'une exploitation intense et de défrichements accélérés, à une dimi¬
nution rapide de la forêt, tant d'un point de vue qualitatif que quanti¬
tatif.

Conclusion : un capital naturel dilapidé

Nous avons essayé de mettre en valeur la place exceptionnelle¬


ment importante occupée par les forêts dans le paysage ivoirien, d'une
part et par celle non moins importante prise par le bois dans l'écono¬
mie nationale d'autre part. Si l'on s'accorde généralement à reconnaî¬
tre que la production forestière fut pendant de longues années un in¬
contestable et puissant facteur de croissance économique, des voix de
plus en plus nombreuses s'élèvent et s'interrogent sur la pérennité du
«boisé» ivoirien, sur les risques d'une déforestation qui dans certaines
régions a atteint un seuil critique, sur les conséquences des pressions
démographiques et sur la concurrence qui s'établit pour l'utilisation de
l'espace entre le domaine boisé et le domaine agricole.

Depuis quelques années, une certaine prise de conscience est


apparue au niveau des responsables nationaux. Elle est due en particu¬
lier à la publication, en 1974, d'informations statistiques faisant état
de la spectaculaire accélération du processus de disparition des massifs
forestiers et de l'énorme gaspillage qui l'accompagne ; pendant dix ans
(entre 1 956 et 1 966) les surfaces forestières diminuaient au rythme de
280 000 ha/ an ; au cours des dix années suivantes ce rythme annuel a
été porté à 500 000 ha. Plusieurs régions ont atteint un taux de boise¬
ment inférieur à 20 %, taux considéré comme une limite dangereu¬
sement transgressable. Aujourd'hui, les forêts denses s'étendent sur
moins de 4 millions d'ha (en 1956 les surfaces boisées étaient de
l'ordre de 12 millions d'ha).
300
LES CAHIERS D'OUTRE-MER

Il s'agit en fait plus d'une dégradation que d'une disparition


réelle et on assiste à un démantèlement des massifs forestiers sous
forme de grignotages insidieux. Cette disparition est due pour 80 %
aux défrichements à vocation agricole et pour 20 % à l'exploitation
forestière et aux charbonniers en quête de bois de chauffe vendu dans
les villes et les villages.

La politique de préservation d'un domaine forestier permanent,


basée en particulier sur la protection des forêts classées (où les défri¬
chements sont interdits) n'est pas appliquée ; le reboisement est insi¬
gnifiant et ridiculement inadapté aux besoins (27 000 ha reboisés
de 1966 à 1977 ( !), l'objectif minimal ayant été fixé à 10 000 ha/
an.

Les défrichements et l'exploitation forestière se pratiquent dans


l'anarchie la plus complète et sont responsables d'un extraordinaire
gaspillage qui, apparemment, se perpétue dans l'indifférence quasi
générale. Pratiques illégales, collusion et corruption sont les seules
règles semblant répondre à une certaine «logique». Les différentes
solutions préconisées en vue de renverser cette tendance restent du
domaine des vœux pieux et des bonnes intentions, et ce ne sont pas les
mesures contenues dans le dernier plan quinquennal, non dépourvues
d'intérêt et d'idées généreuses, qui y changeront quelque chose. Elles
n'ont encore reçu (si ce n'est sur le papier) aucun semblant d'applica¬
tion et sont basées sur des données statistiques déjà complètement
dépassées.

Nous nous trouvons ainsi en présence de l'exemple typique d'un


pays en voie de développement qui a utilisé sa principale richesse natu¬
relle, les forêts, comme l'une des bases essentielles de son développe¬
ment économique. L'exploitation de cette ressource , actuellement en
voie de disparition, s'est caractérisée par son aspect minier : exploita¬
tion anarchique, surexploitation, gaspillage, renouvellement non
assuré. . . Cette mauvaise gestion, ou plus justement cette abscence de
gestion, aura immanquablement et dans un avenir très proche de
graves répercussions socio-économiques.

Dans un monde de plus en plus convaincu de la nécessité de pré¬


servation de l'environnement, le concept statique de protection tend
301
LES FORETS DE COTE-D'IVOIRE :
UNE RICHESSE NATURELLE EN VOIE DE DISPARITION

de plus en plus à laisser la place au concept plus dynamique de conser¬


vation dans lequel aménagement du territoire et gestion rationnelle
des ressources naturelles occupent des places essentielles. Notre
souhait est que l'échec que constitue, pour la Côte-d'Ivoire, la gestion
de ses richesses forestières soit un sujet de réflexion pour tous les
pays en voie de développement où la destruction des ressources natu¬
relles n'a pas encore atteint le point de non-retour.

ELEMENTS DE BIBLIOGRAPHIE

ARNAUD (J.C.). — Les activités forestières. Atlas de Côte-d'Ivoire, planche C4a,


Université d'Abidjan, ORSTOM, ministère du Plan, 1978.

DRESCH (J.). — «Les paysages tropicaux humides», in Géographie Générale.


Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1966.

GUILLAUMET (J.L.). — «La végétation», in Le Milieu naturel de Côte-d'Ivoire.


Paris, 1971, Mémoire ORSTOM n° 50.

MONNIER (Y.) et Coll. — Découverte aérienne de la Côte-d'Ivoire. Université


d'Abidjan, 1974.

ROUGERIE
n° 1 137. (G.). — La Côte-d'Ivoire, Paris, P.U.F., 1967, Coll. Que sais-je ?,

VIERS (G.). — Géographie des forêts. Paris, P.U.F, 1970, Collection SUP.

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